Par-delà le mur de l'entendement : Valeur épistémique et fonctions narratives du rêve dans l’œuvre de H.P. Lovecraft

Par Guillaume Rangheard — L’incertaine réalité : Rêves, illusions et hallucinations

Selon Todorov, le fantastique serait une « expérience des limites[1] », se manifestant dans et par « l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel[2] ». Il aurait pour condition de possibilité l’existence d’au moins « deux explications de l’événement surnaturel » et, celles-ci étant mutuellement exclusives, pour enjeu fondamental que « quelqu’un [doit] choisir entre elles[3] ». En d’autre termes, le fantastique se caractériserait par un dilemme cosmologique, voire proprement cosmique : selon l’option retenue, celui qui découvrirait la « vérité » se condamnerait à (ne) vivre (que) dans l’un des deux mondes. Le rêve en est l’un des ressorts classiques, dans la mesure où il permet soit de créer ou de prolonger l’incertitude – lorsqu’on ignore si l’on rêve –, soit au contraire de la résorber – lorsqu’il est établi qu’on rêvait. Cette règle tacite se fonde sur l’idée, héritée d’une longue tradition philosophique, selon laquelle le rêve, en cousin fantasque de l’imagination, ne serait qu’illusion : il faudra en effet attendre le siècle dernier pour que les travaux de Freud réhabilitent le premier, et ceux de Bachelard et ses continuateurs la seconde.

L’œuvre du reclus de Providence semble de prime abord particulièrement réceptive à un tel prisme. En effet, bien qu’il soit difficile de lui assigner un genre – certains commentateurs allant jusqu’à parler d’une « forme inter-générique[4] » –, il fait peu de doute que le dilemme propre au fantastique en constitue le cœur même : les récits lovecraftiens sont, pour une large part, ceux de la découverte d’une « vraie » – et terrifiante – nature de l’Univers. Mais si le rêve y occupe souvent le premier plan, on peut également observer que certaines de ses mises en œuvre tendent à s’écarter des règles du fantastique, voire, comme nous essaierons de le montrer, à les subvertir.

Nous nous attacherons ici uniquement aux fictions, en excluant poèmes et essais. Des cent vingt-sept textes issus de ce premier découpage, nous exclurons sept textes perdus, un qui est considéré comme douteux[5], trente-quatre écrits à quatre mains ou plus[6], ainsi que les seize « collaborations posthumes » écrites par A. Derleth à partir des notes de Lovecraft. Des soixante-neuf textes restants, vingt-neuf – soit environ 42 % – mobilisent le rêve en tant que thème et/ou ressort narratif, parmi lesquels la classification de Todorov permet de distinguer trois groupes. Le premier comporte neuf textes[7], appartenant pour la plupart au « Cycle du Rêve », et où ce dernier désigne à la fois un lieu et la capacité de s’y rendre. Ce groupe relève de ce que Todorov nommait le « merveilleux pur », en ceci que « les éléments surnaturels n[’y] provoquent aucune réaction particulière[8] ». Le deuxième groupe, comprenant treize textes[9], procède quant à lui du « fantastique-merveilleux » ou, plus rarement, du « fantastique-étrange », soit que des « récits qui se présentent comme fantastiques […] s[’y] terminent par une acceptation du surnaturel[10] », soit que des « événements qui paraissent surnaturels […] y reçoivent à la fin une explication rationnelle[11] ».

Si dans ces deux premiers groupes le rêve remplit ses fonctions « classiques », un troisième, contenant sept textes[12], semble échapper à celles-ci, méritant à notre sens une attention particulière. Nous défendrons l’hypothèse que ces textes constituent pour Lovecraft autant d’occasions d’interroger la valeur épistémique et les fonctions narratives traditionnellement assignées au rêve. Afin de montrer à la fois la genèse et les chemins empruntés par cette réflexion, nous aborderons ces textes dans leur ordre chronologique de rédaction, en distinguant trois périodes dont les points d’articulation seront Beyond the Wall of Sleep (1919) et The Call of Cthulhu (1926).

Par-delà l’opposition réel-imaginaire (1905-1919)

Les premiers récits de Lovecraft sont d’une facture assez classique, dans la mesure où, nonobstant une atmosphère déjà singulière, ils relèvent d’un fantastique oscillant entre merveilleux et étrange. Ainsi le protagoniste de The Tomb (1917) est-il par exemple convaincu d’avoir rêvé jusqu’à découvrir des preuves matérielles de ce qu’il a vécu, tandis que celui de Dagon (1917) croit à la réalité de ce qu’il a vu, bien que de nombreux indices, dont ses propres instants de doute, suggèrent sa folie. Dans ces deux cas comme dans les autres, un soupçon demeure quant au caractère illusoire du rêve. C’est à partir de Beyond the Wall of Sleep que se produira à cet égard une première inflexion, dont un prélude peut être repéré dans Polaris (1918). Le narrateur de Polaris, qui vit dans une maison de briques aux abords d’un marais et d’un cimetière, contemple souvent l’étoile polaire de sa fenêtre. Un soir survient une aurore boréale, suite à laquelle il s’endort, pour se retrouver dans une cité nommée Olathoë, dont il a la certitude croissante d’être un habitant. Au fil des jours, à mesure que, de rêve en rêve, il lui semble s’y incarner, il se souvient être l’ami d’un dénommé Alos, qui l’a chargé de surveiller, depuis une certaine tour de guet, l’invasion imminente des « Inutos », répugnants « êtres jaunes et courtauds […] venus de l’Ouest[13] ». Malgré sa volonté de bien faire, il finit par s’endormir à son poste, pour se réveiller dans la peau de celui qu’il était au début du récit, échouant, à son grand désespoir, à empêcher la destruction de la cité.

Trois éléments peuvent ici être relevés. Le premier est l’apparition du motif récurrent d’une malignité des astres qui, d’abord implicite, éclatera à la fin du récit, où le narrateur dira que l’étoile polaire « lorgne » vers lui, en « clignant hideusement telle un œil fou[14] ». Ce face-à-face constitue à notre sens la scène primordiale d’un être regardant en direction du cosmos, et à qui celui-ci répond. Un second élément, plus discret, semble résider dans les noms employés qui, on le sait, sont souvent chez Lovecraft à la fois des vecteurs de « dépaysement linguistique[15] » – Cthulhu, Azathoth, Yog-Sothoth, etc. sont censément issus de langues non-humaines – et des occasions de faire passer des messages. Si la plupart de ceux-ci sont de simples clins d’œil – tel le «Comte d’Erlette », référence à peine voilée à A. Derleth –, certains s’avèrent moins anecdotiques : ainsi de la « Rue d’Auseil » où se déroule The Music of Erich Zann (1921), dont le narrateur sera effectivement projeté au seuil d’un autre monde. La récurrence de ce procédé, ainsi que le mot Inutos – évidente déformation d’Inuits –, nous incline à penser qu’Olathoë pourrait être la déformation d’alètheia, terme de philosophie antique généralement traduit par « vérité »[16], et dont l’étymologie renvoie au fait de ne pas (a-) oublier (lèthè).

Deux faits paraissent corroborer cette interprétation. D’une part, on sait Lovecraft philhellène[17] et, bien qu’il n’ait pas su le grec[18], il semble avoir été familier avec la notion d’alètheia, à laquelle il consacre, en 1916, une large portion de The Poe-et’s Nightmare. D’autre part, la découverte d’Olathoë est bien, pour le narrateur de Polaris, une remémoration : les premières personnes qu’il y croise lui sont « immédiatement familières », parlent « un idiome qu[’il] compr[end], bien qu’il ne ressembl[e] à aucune des langues qu[’il] conn[aît][19] », et il ne fait par la suite aucun doute qu’Alos est un ami de longue date. En outre, l’enjeu même de Polaris est de rétablir une vérité. Ainsi le narrateur, après plusieurs séjours à Olathoë, se dit-il :

Ce n’est pas un rêve, car quels moyens ai-je de prouver la plus grande réalité de cette autre vie dans la maison de pierre et de briques, au sud du marais sinistre et du cimetière sur la butte, où l’étoile polaire regarde par ma fenêtre nord chaque nuit[20] ?

Cette réflexion – troisième élément que nous relèverons – marque la discrète émergence du questionnement qui sous-tendra Beyond the Wall of Sleep. En se déclarant incapable de prouver lequel des deux mondes est le vrai, le narrateur ébranle le primat ontologique traditionnellement accordé à la vie éveillée : comment en effet départager rêve et éveil, si ceux-ci ont la même intensité, et si dans les deux mondes il a des souvenirs, une identité et même des amis ? En d’autres termes, le narrateur est ici aux prises avec le même dilemme que Thomas Anderson avant que celui-ci ne choisisse de devenir Neo[21], à ceci près qu’il n’est pas guidé par un Morphée bienveillant, et connaîtra une fin sombre. Devenu incapable de reconnaître ce qui est réel, il ne pourra plus qu’« hurle[r] frénétiquement de honte et de désespoir », pris au piège entre les Inutos sardoniques affirmant qu’il ne rêve pas, et les « ombres » du monde éveillé ou supposé tel, soutenant qu’il rêve, qu’Olathoë n’a jamais existé, et que ses « Inutos » ne sont que des « Esquimaux[22] ».

La question soulevée par Polaris se heurte en somme à une aporie. Le « héros-victime[23] » peut bien spéculer quant au mode d’existence de ses rêves, et même aller jusqu’à croire que ceux-ci sont réels, mais, du fait qu’il en est l’unique témoin, se trouve incapable de prouver quoi que ce soit, aux autres comme à lui-même. Cette aporie trouvera de premiers éléments de solution dans Beyond the Wall of Sleep, écrit l’année suivante, et qui s’ouvre ainsi :

Je me suis souvent demandé si la majorité des hommes prend jamais le temps de réfléchir à la signification formidable de certains rêves et du monde obscur auquel ils appartiennent. Sans doute nos visions nocturnes ne sont-elles, pour la plupart, qu’un faible et imaginaire reflet de ce qui nous est arrivé à l’état de veille (n’en déplaise à Freud avec son symbolisme puéril) ; néanmoins, il en est d’autres dont le caractère irréel ne permet aucune interprétation banale, dont l’effet impressionnant et un peu inquiétant suggère la possibilité de brefs aperçus d’une sphère d’existence mentale tout aussi importante que la vie physique, et pourtant séparée d’elle par une barrière presque infranchissable. D’après mon expérience personnelle, je ne puis douter que l’homme, quand il perd conscience de ses liens avec la terre, séjourne vraiment dans une autre vie incorporelle très différente de celle que nous connaissons, dont il ne garde, au réveil, que des souvenirs vagues et confus. Ces fragments estompés nous permettent de déduire bien des choses et d’en prouver fort peu. Nous pouvons deviner que, dans nos rêves, la vie et la matière, telles que nous les trouvons dans notre monde, ne sont pas nécessairement constantes ; que le temps et l’espace n’existent pas tels que nous les comprenons à l’état de veille. Parfois, je crois que la vie matérielle n’est pas notre vie véritable, et que notre futile présence sur le globe terrestre est un simple phénomène secondaire ou virtuel[24].

On est ici frappé d’emblée par un ton quasi-philosophique, laissant à penser qu’on est moins en présence d’une fiction que d’un essai – une ambiguïté qui ne sera levée qu’au paragraphe suivant : « C’est d’une rêverie juvénile emplie de spéculations de cette sorte que je fus tiré, un après-midi de l’hiver 1900-1901[25]… » Ce passage, dont la forme caractéristique ne sera reprise qu’une seule fois par la suite, mérite à notre sens qu’on s’y arrête : d’une part, il constitue une véritable avancée à l’égard de Polaris, dont il prolonge et affine le questionnement ; d’autre part, Lovecraft y esquisse, au sujet du rêve, un modèle qu’il ne cessera par la suite de revisiter. Ainsi le narrateur, lorsqu’il parle des rêves ordinaires comme de reflets de la vie éveillée, semble-t-il d’abord suivre un certain sens commun. Mais d’autres indices, dont le fait que lesdits reflets soient qualifiés de pâles (faint), suggèrent une influence humienne. Si des doutes ont été émis quant au fait que Lovecraft ait jamais lu le philosophe écossais[26] – dont il ne possédait du reste aucun ouvrage[27] –, un tel rapprochement ne serait pas sans fondement : non seulement Lovecraft citait-il souvent Hume comme l’un de ses maîtres à penser, mais encore ce passage est-il, de fait, une enquête sur l’entendement humain.

On sait que Hume différenciait les « perceptions de l’esprit » selon leurs « degrés de force et de vivacité », les moins vives étant les « pensées ou idées », et les plus vives les « impression[s] […] quand nous entendons, voyons, touchons, aimons, haïssons, aimons, désirons ou voulons[28] ». « La pensée la plus vive est encore inférieure à la sensation la plus terne », précisait-il, « sauf si l’esprit est troublé par la maladie ou la folie[29] » – et nous verrons quelles conséquences Lovecraft a pu tirer de cette remarque. En outre, pour Hume, « nos pensées ou nos idées, quelque composées ou sublimes qu’elles soient, […] toujours […] se résolvent en des idées simples qui ont été copiées de quelque manière de sentir, ou sentiment, antérieure[30] ». Ainsi le centaure n’est-il jamais, par exemple, que l’assemblage d’un cheval et d’un homme, et la sirène celui d’une femme et d’un oiseau. Notons enfin que certains passages de Hume ouvrent de fait des perspectives assez lovecraftiennes :

Rien, à première vue, ne peut paraître plus libre que la pensée humaine, qui non seulement échappe à toute autorité et à tout pouvoir humain, mais que ne contiennent même pas les limites de la nature et de la réalité. […] Tandis que le corps est limité à une seule planète, sur laquelle il se traîne avec peine et difficulté, la pensée peut en un instant nous transporter dans les régions les plus distantes de l’univers ; ou même au-delà de l’univers, dans le chaos illimité où, suppose-t-on, la nature se trouve dans une confusion totale[31].

Le chaos extra-cosmique mentionné ici n’est pas sans rappeler les descriptions que Lovecraft fera du dieu Azathoth, « monstrueux chaos nucléaire » résidant « au-delà de l’espace[32] », « hors de l’univers ordonné, là où aucun rêve ne va[33] ». Si ces ressemblances ne permettent pas à elles seules d’établir avec certitude une généalogie, elles nous semblent a minima autoriser une lecture humienne de Beyond the Wall of Sleep. Un premier versant du raisonnement du narrateur peut donc être reformulé comme suit : la plupart de nos rêves sont les reflets pâlis de nos vécus, auxquels ils sont facilement assignables, par un procès de décomposition ; toutefois, il en existe dont l’intensité et l’absence de source repérable pose question.

Un autre versant de ce raisonnement peut être éclairé par la mention de Freud. Bien que l’assimilation de la psychanalyse à un « symbolisme » puisse paraître trop simple[34], on comprend que, par ce biais, le narrateur entend avant tout rejeter toute interprétation des rêves. Ce qui lui importe n’est pas ce dont ceux-ci pourraient être des signes, mais leur contenu littéral, dont il n’accepte pas qu’il puisse n’être que l’expression de désirs inassouvis. De plus, la vie onirique dont il parle est « incorporelle ». Autrement dit, le corps et ses appétits en sont écartés. On sait, du reste, que Lovecraft était, au plan littéraire, « hostile à l’érotisme[35] » : comme le note à raison M. Lévy, « il n’y a pas de femmes dans l’univers lovecraftien », hormis « des sorcières, des filles-mères qui accouchent de monstres, ou des Asenath Waite[36] qui, sous une apparence féminine, sont habitées par une redoutable et virile présence[37] ». Quant aux hommes, il sont, à de rarissimes exceptions près, asexués[38].

Ces premiers éléments éclaircis, examinons le récit lui-même. Le narrateur de Beyond the Wall of Sleep travaille dans un asile d’aliénés où est reçu un certain Joe Slater qui, en proie à une sorte de somnambulisme, a massacré l’un de ses voisins. L’enquête qui suit révèle que Slater est sujet à d’étranges rêves, où, avec la « résolution […] de voler à travers l’espace et de brûler tout ce qui essaierait d’entraver son avance[39] », il arpente de vastes architectures lumineuses à la poursuite d’une « créature qui brille et tremble et rit[40] » lui ayant infligé « une terrible injustice[41] ». Lovecraft semble ici avoir résolu une partie de l’aporie de Polaris : narrateur est rêveur sont maintenant des personnages distincts, dont les témoignages seraient a priori susceptibles de concorder. De plus, si le premier est lettré et honorable, le second est soigneusement décrit comme un être vide, incapable d’inventer – donc de mentir. Slater est en effet tragiquement idiot. Ses « petits yeux […] humides » ont « un air de stupidité inoffensive », et sa « lourde lèvre inférieure » est « perpétuellement pendante ». Il appartient de surcroît à une communauté coupée du monde et dépourvue de culture au sens large, où « il n’existe ni archives familiales ni liens de famille permanents[42] », et où il n’a « jamais entendu raconter une légende ou un conte de fées ». Les médecins, incapables de trouver une source à ses visions, concluront – en des termes assez humiens – qu’il est la victime de « rêves anormaux dont la force [peut], pendant un certain temps, [avoir] domin[é] l’esprit éveillé ». Ces visions ne manquent pas d’attirer l’attention d’un narrateur animé d’un « intérêt profond et constant pour la vie onirique[43] », qui évoque alors ses recherches passées sur la transmission de pensée :

J’étais depuis longtemps persuadé que la pensée humaine est faite essentiellement de mouvement atomique ou moléculaire, transformable en ondes d’une énergie irradiante […]. Cette conviction m’avait conduit à envisager la possibilité d’une communication mentale ou télépathique au moyen d’un instrument approprié ; alors que j’étais encore à l’université, j’avais monté des appareils transmetteurs et récepteurs assez semblables aux instruments rudimentaires utilisés pour la télégraphie sans fil. J’en avais fait l’essai avec un de mes camarades, mais, n’ayant obtenu aucun succès, je les avait rangés avec tout un bric-à-brac scientifique, en vue de les utiliser peut-être un peu plus tard[44].

Convaincu que Slater renferme « le noyau d’une chose qui pass[e s]a compréhension[45] », il décide de relier leurs esprits à l’aide de sa machine. Notons que cette irruption de la (pseudo-)science offre un second élément de solution à l’aporie de Polaris : si deux témoins valent mieux qu’un, la possibilité de recueillir une trace constituerait une preuve irréfutable. Dans un premier temps rien ne se passe, et c’est lorsque le narrateur toujours connecté à la machine s’endort qu’a lieu la révélation. Tout ce que Slater avait raconté sans le comprendre était vrai. Il est bien l’enveloppe d’une entité cosmique pourchassant un indicible ennemi, et le narrateur est son « frère de lumière[46] » :

Je suis une entité semblable à celle que tu deviens dans la liberté d’un sommeil sans rêve. […] Il ne m’est pas permis de révéler à ton moi terrestre la nature de ton moi véritable, mais nous sommes tous des voyageurs à travers de vastes espaces et des siècles innombrables. […] De l’oppresseur, je ne puis souffler mot. Vous autres, Terrestres, vous avez, sans vous en douter, senti sa présence lointaine, et vous avez donné futilement à ce phare scintillant le nom d’Algol, l’Étoile du Démon. […] Ce soir, je m’élance comme une Némésis prête à exercer une juste et cataclysmique vengeance. Regarde-moi quand je serai dans le ciel, près de l’Étoile du Démon[47].

Slater finit cependant par mourir car, indique la créature, « [s]on corps grossier n’a pas pu s’adapter[48] ». C’est alors que le narrateur regarde vers Algol et, n’osant dire ce qu’il a vu, conclut en citant un ouvrage d’astronomie publié quelques années plus tard :

Le 22 février 1901, le Dr Anderson, d’Edimburgh [sic], a découvert une merveilleuse étoile nouvelle, pas très loin d’Algol, à un point où l’on n’avait jamais vu d’astre auparavant. En vingt-quatre heures, la nouvelle venue était devenue si brillante qu’elle éclipsait Capella. Au cours des deux semaines suivantes son éclat diminua considérablement, et, au bout de quelques mois, c’est à peine si elle était visible à l’ œil nu[49].

Ici encore, Lovecraft joue avec les mots. L’« oppresseur » a reçu un nom qui lui va comme un gant, puisque Algol dérive de l’arabe ra’s al-ghoul, « tête de la goule ». Le motif de la malignité astrale se répète, et il n’est pas à exclure qu’il trouve un discret prolongement dans le fait qu’un des médecins ayant examiné Slater s’appelle Barnard, comme l’étoile décrite trois ans avant la rédaction de Beyond the Wall of Sleep[50] – que Lovecraft, passionné d’astronomie, a pu connaître. Ce serait là, en toute hypothèse, la première émergence d’une stratégie d’encerclement qui deviendra manifeste dans les récits ultérieurs : Barnard n’est peut-être pas celui qu’on croit – voire qu’il croit –, de sorte que le narrateur serait à son insu entouré d’êtres cosmiques. À cet encerclement insidieux s’ajoute celui, explicite, du lecteur : la nova citée dans l’explicit, aujourd’hui nommée GK Persei, est aussi réelle que l’ouvrage qui la mentionne, publié en 1908 par l’astronome et vulgarisateur G. P. Serviss. Bien que ce dernier ait depuis été oublié, il bénéficiait alors d’une notoriété telle que le citer reviendrait aujourd’hui à citer un N. deGrasse Tyson ou un H. Reeves. Aussi, non seulement l’horreur passe-t-elle ici un instant la frontière diégétique, mais encore s’étend-elle à la figure même de l’astronome, devenu le messager involontaire d’un drame interstellaire. La peur du narrateur devant le cosmos s’étend quant à elle au lecteur, qui est poussé à se méfier de l’actualité scientifique, sa propre réalité se trouvant en quelque sorte empoisonnée.

Bien sûr, Beyond the Wall of Sleep est un récit d’une relative maladresse. Slater est trop ostensiblement vide, et sa rencontre avec un narrateur féru de télépathie une trop belle coïncidence, pour qu’aucun des deux n’emporte le lecteur. On y perçoit cependant l’émergence d’un dispositif qui s’affirmera par la suite : le rêve est embrassé dans sa littéralité vécue, et postulé comme écho de phénomènes dont une certaine (pseudo-)science serait capable de rendre compte – à contre-courant donc d’approches trop strictement rationnelles ou trop rapidement surnaturelles, mettant ainsi à mal la solution de continuité entre réel et imaginaire.

Premiers pas dans l’arrière-monde (1919-1926)

La promesse de Beyond the Wall of Sleep demeure longtemps sans suite, puisque les récits suivants aborderont le rêve avec le même « classicisme » qu’avant 1919. Il apparaît néanmoins dans plusieurs d’entre eux des éléments dont nous verrons que The Call of Cthulhu sera une synthèse. Une des principales questions laissées sans réponse est alors celle de la nature et du mode d’existence de ce que le rêve donnerait à voir, et c’est dans From Beyond (1920) que Lovecraft apportera sur ce point des clarifications. En effet, bien qu’il n’y soit pas question du rêve, l’au-delà qui y est dépeint s’avérera être un prototype. Le narrateur de From Beyond relate sa dernière rencontre avec son ami, un savant nommé Crawford Tillinghast, affirmant avoir créé une machine capable d’ouvrir les « portes de la perception ». Alors qu’à l’annonce de cette nouvelle le narrateur lui rend visite, il déclare :

Que savons-nous […] du monde, de l’univers qui nous entoure ? Les moyens que nous possédons pour recevoir des impressions sont ridiculement peu nombreux, et notre connaissance des objets qui nous environnent est infiniment restreinte. Nous ne voyons les choses que de notre propre point de vue [as we are constructed to see them], et n’avons aucune idée de leur vraie nature. Avec cinq faibles sens, nous prétendons appréhender le cosmos complexe et sans limites, alors que d’autres êtres, qui possèdent un éventail de sens plus large, plus fort, ou différent, peuvent percevoir des univers entiers de matière, d’énergie et de vie, qui sont à portée de notre main, et qui ne peuvent pourtant jamais être détectés par nos organes sensitifs. J’ai toujours pensé que de tels mondes inaccessibles existent, près de nous. Maintenant je crois que j’ai trouvé le moyen de franchir les barrières qui nous en séparent. Je ne plaisante pas. D’ici à vingt-quatre heures, cette machine émettra des ondes qui agiront sur des organes inconnus en nous-mêmes, et qui sont atrophiés. Ces ondes nous ouvriront des perspectives inconnues. Nous verrons enfin à quoi hurlent les chiens la nuit, et ce qui fait dresser les oreilles des chats après minuit. Nous verrons tout cela, et d’autres choses qu’aucune créature vivante n’a encore vues. Nous traverserons le temps, l’espace et ses dimensions, et sans bouger, nous pourrons scruter le cœur de la création[51].

Une première différence notable avec Beyond the Wall of Sleep est de nature topologique. Si les événements relatés alors étaient lointains et éthériques, les univers qu’il s’agit de visiter ici sont « près de nous », « à portée de notre main ». L’au-delà que Tillinghast entend ouvrir n’est donc ni un autre monde, ni même une région éloignée du monde, mais un arrière-plan, un arrière-monde dont le caractère « abstrait » ou « surnaturel » ne tient qu’à l’étroitesse de l’entendement humain. À ce titre, il est comparable à celui des insectes, décrit quelques décennies plus tôt par J. Michelet, à savoir un « monde sous ce monde, dessus, dessous, dedans, tout autour[52] », certes « caché […] dans les profondeurs de la vie et dans l’obscurité du temps[53] », mais visible pour autant qu’on se donnerait les moyens de le voir. C’est du reste à une réalité très grouillante que le narrateur sera confronté. Une fois la machine mise en marche, il verra d’abord « une teinte pâle et indéfinissable[54] » dont Tillinghast lui dira qu’il s’agit d’ultraviolets. Puis le décor se métamorphosera en « un temple peuplé de dieux morts […] aux innombrables colonnes de pierre noire[55] », laissant place à une « solitude absolue[56] » où résonneront bientôt des sons étranges, avant qu’apparaisse une « colonne bouillonnante de formes ou de nuages non identifiables[57] ». Le narrateur sera alors emporté dans un « kaléidoscope […] de visions, de sons et d’autres sensations non identifiables », où il sentira « d’énormes objets mouvants [l]e frôler, et même traverser [s]on corps supposé solide[58] », avant qu’enfin la scène ne se stabilise :

[D]ans l’espace inoccupé par les objets familiers, il n’y avait pas une parcelle qui fût vide. Des formes indescriptibles à la fois vivantes et inanimées, étaient mêlées dans un désordre repoussant, et au près de chaque objet connu il y avait des univers d’entités inconnues. Il semblait que toute chose connue entrât dans la composition des choses inconnues, et vice versa. Parmi les objets animés, il y avait des monstruosités gélatineuses et noires, qui tremblotaient mollement selon les vibrations de la machine. Il y en avait à profusion, et je vis à ma grande horreur qu’elles se chevauchaient, qu’elles étaient à moitié fluides et capables de se traverser mutuellement, et aussi de traverser les corps que nous tenons pour solides. Les choses ne restaient jamais immobiles, mais semblaient toujours flotter. Quelquefois, elles semblaient se dévorer, l’agresseur se jetant sur sa victime et la faisant disparaître instantanément[59].

Il n’est plus question ici de lointaines créatures ignées, mais d’une véritable effraction de l’immonde dans l’espace quotidien. L’horreur grouille au cœur de la matière, jusque dans l’intime de corps dont les contours sont devenus incertains. « [C]e que les hommes appellent l’air pur et le ciel bleu[60] » est, ou plutôt : a toujours été un chaos hurlant qui sans cesse bouillonne et se dévore lui-même. Repousser les limites de nos facultés, ou, pour citer un contemporain de Lovecraft : quitter la « zone habitable de notre esprit[61] » pour gagner l’« espace extra-humain[62] » d’un nouvel Umwelt[63], nous expose à une horreur d’autant plus indicible qu’aucune expérience « normale » n’y prépare. Quant à l’obscure science qui ouvre cet arrière-monde, Tillinghast déclare :

Vous avez entendu parler de la glande pinéale ? Je ris de ces endocrinologistes superficiels, dupes et parvenus cousins des freudiens. Cette glande est le grand organe des organes – je l’ai découvert. Elle est comme une vue, au fond, et transmet des images visuelles au cerveau. Si vous êtes normal, c’est ainsi que vous devriez le percevoir… Je veux dire avoir la preuve de l’au-delà[64].

Certains commentateurs[65] ont a raison rapproché la mention de la glande pinéale d’un traité de Descartes, qui en fait à la fois le « siège de l’Imagination, & du sens commun[66] » et le lieu où corps et âme se rencontrent. Mais si Descartes entendait là décrire un fonctionnement effectif, Tillinghast évoque pour sa part des « sens endormis[67] ». Ce caractère dormant a, selon toute vraisemblance, sa source dans la théosophie[68], dont la fondatrice et théoricienne H. P. Blavatsky assimilait la glande pinéale au « troisième œil » des mystiques[69]. Lovecraft semble sur ce point avoir puisé chez ses continuateurs, dont W. Scott-Elliot, qui sera mentionné dans The Call of Cthulhu, et écrit, en 1904 :

[I]l y avait [chez nos ancêtres] un troisième œil à l’arrière de la tête, dont le reste atrophié est maintenant connu comme la glande pinéale. Celle-ci, comme nous le savons, est maintenant seulement un centre de vision astrale, mais à l’époque dont nous parlons elle était le centre de la vision, non seulement astrale, mais physique[70].

Ici, Lovecraft semble tisser un lien discret entre science et mysticisme qui n’a certainement pas échappé à son premier lectorat, à une époque où la « Société Théosophique » était active et influente. C’est également là un autre pas vers les thèmes qui seront développés dans The Call of Cthulhu : d’une part, Lovecraft brouille un peu plus les frontières du réel, offrant même à ce brouillage un fondement « scientifique » ; d’autre part, il suggère que l’horreur pourrait émerger d’une concordance des savoirs – dont nous verrons plus loin l’importance. Au reste, si From Beyond livre une première peinture de l’arrière-monde lovecraftien, le dispositif esquissé dans Beyond the Wall of Sleep comporte encore des imperfections. L’une des plus notables tient au fait que, bien que Lovecraft ait pris soin d’y multiplier les rêveurs, les témoignages de ceux-ci demeurent fragiles : rien ne permet encore de douter que Slater soit fou, tandis que le narrateur est, de son propre aveu, un « témoin prévenu[71] » dont les travaux souffrent d’une évidente pétition de principe. Les deux hommes sont par ailleurs trop proches pour qu’on ne soupçonne pas le second de s’être épris des fantasmes du premier.

Une solution à cette difficulté émergera dans The Moon-Bog (1921), qui verra l’apparition discrète du motif du rêve collectif. L’événement surnaturel qui s’y déroule est en effet préfiguré par un cauchemar du narrateur, qui met d’abord celui-ci sur le compte de légendes entendues la veille et colorées par sa culture hellénistique. C’est au matin, alors qu’il discute avec des paysans, qu’il change d’avis :

Les laboureurs n’étaient pas aussi heureux qu’ils auraient pu l’être ; la plupart d’entre eux semblaient préoccupés par un rêve qu’ils avaient fait, mais dont ils ne parvenaient pas à se souvenir. Je leur parlai de mon rêve, qui ne les intéressa pas, jusqu’à ce que j’évoque les sons étranges que je pensais avoir entendus. Alors ils me regardèrent bizarrement, et dirent qu’il leur semblait aussi se souvenir de sons étranges[72].

Dans la logique élitiste de Lovecraft, ces laboureurs ont une fonction similaire à celle de Joe Slater : êtres de peu de culture, ils sont à son instar de parfaits réceptacles pour des visions venues de l’arrière-monde, dont seul le narrateur saisira les implications. Ils sont cependant supérieurs à Slater du fait qu’ils n’ont avec le narrateur aucun lien – donc aucune possibilité de complicité –, et qu’ils sont nombreux – si bien que l’hypothèse de la folie peut en partie être écartée. C’est là une leçon que Lovecraft retiendra. Ces fondations posées, il reviendra au rêve dans Hypnos (1922), qui lui permettra d’aborder l’arrière-monde de From Beyond du point de vue complémentaire de l’art et du mysticisme. Le narrateur d’Hypnos est en effet un sculpteur en quête de « royaumes […] au-delà de la conscience commune et de la réalité[73] », qu’il a de longue date « chéris en imagination, mais cherchés en vain ». Un jour, il rencontre un homme d’une grande beauté, aux « immenses yeux noirs » et au « front blanc […] si vaste qu’on [dirait] celui d’un dieu », lui évoquant « un faune de la Grèce antique ». Il comprend immédiatement que celui-ci sera « [s]on seul ami », et qu’ils trouveront ensemble ce qu’il n’a pu trouver seul[74]. Il l’implore alors d’être son « professeur » et son « guide », ce que celui-ci accepte « d’un simple mouvement de tête ». Tous deux passent alors des années à explorer, « à l’aide de drogues exotiques[75] », des « rêves terribles et interdits[76] » les menant à un « univers sans conscience […] plus vaste et plus terrifiant que toute chose concevable, qui se trouve au-delà de la matière, du temps, de l’espace, et dont on ne peut appréhender l’existence que dans certaines formes du sommeil[77] ». À mesure qu’ils poussent plus avant leurs « explorations impies[78] », le « faune » conçoit l’idée de défier certaines entités, afin de « soumettre à sa domination le cours de l’univers visible[79] ». Mais s’il parvient bien à rencontrer ce(ux) qu’il cherche, son projet échoue, et il est désormais traqué. Il enjoint alors le narrateur à dormir le moins possible, fût-ce à l’aide de drogues, et devient obsédé par la constellation de la Couronne Boréale[80].

Outre cette résurgence d’une menace stellaire, Hypnos a beaucoup en commun avec les récits antérieurs, si bien qu’on serait fondé à y voir une première synthèse partielle. Si le voyage onirique et le fait que les protagonistes soient des « âmes-sœurs » rappellent évidemment Beyond the Wall of Sleep, certains lieux et entités rencontrés évoquent From Beyond : les deux rêveurs évoluent dans un « vide sans limites au-delà de la pensée et du concept[81] », puis des « abîmes brutaux, obscurs et terrifiants, déchirant parfois quelques obstacles, toujours les mêmes – nuages informes, vapeurs visqueuses[82] ». Ils rencontrent des « série[s] d’obstacles gluants », dont une « masse dure et pour ainsi dire collante[83] » qui arrêtera le narrateur, alors que son ami poursuit son trajet fatidique. Hypnos reprend par ailleurs le motif, esquissé dans From Beyond, d’une concordance des savoirs aux conséquences funestes :

Quelques [sages] ont tenté d’interpréter ces rêves. Les dieux ont ri. Un homme aux yeux d’Oriental a déclaré que le temps et l’espace sont relatifs. Les hommes ont ri à leur tour. Mais même celui-là n’avait fait qu’émettre des suppositions. J’ai voulu aller plus loin[84].

Si la mention de « sages » est une nouvelle critique à l’égard de ceux qui prétendent interpréter les rêves, celle de l’« homme aux yeux d’Oriental » renvoie évidemment à Einstein, ce qui a deux conséquences majeures. La première est que la validité épistémique des rêves ne fait plus de doute, ceux-ci équivalant désormais aux conjectures des physiciens, fût-ce par leur étrangeté. Est-il en effet plus bizarre de rêver qu’on vole « au-delà de la matière, du temps, de l’espace » que de s’imaginer, comme le jeune Einstein, poursuivre un rayon de lumière[85] ? Par ailleurs, si les « yeux d’Oriental » du physicien permettent à Lovecraft de convoquer à peu de frais un certain exotisme, ils suggèrent également chez lui une « double vue » atavique. En d’autres termes, Einstein est ici investi de la même vague menace que Serviss dans Beyond the Wall of Sleep, produisant – bien qu’à un degré moindre – le même effet d’empoisonnement du réel. La seconde conséquence majeure de cette mention est de nature ontologique, puisque dans Hypnos, les arrière-mondes des mystiques et des physiciens deviennent réellement coextensifs. Autrement dit, bien qu’ils empruntent des chemins différents, tous gagnent la même horrible réalité.

Synthèses et diffractions (1926-1935)

C’est d’une telle horreur qu’il sera question dans The Call of Cthulhu (1926), nouvelle marquant une étape-clé, non tant parce qu’elle serait l’acte de naissance du « Mythe » éponyme[86] que parce qu’elle est pour le reclus de Providence l’occasion d’une synthèse. Ainsi le récit s’ouvre-t-il sur une méditation dont la forme fait écho aux premières lignes de Beyond the Wall of Sleep, et pourrait en être lue comme un prolongement :

Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île placide d’ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres[87].

Toutes les « perceptions de l’esprit » sont maintenant sur un pied d’égalité, et la menace désormais explicite d’une concordance des savoirs trouvera à s’incarner dans une architecture narrative jusqu’alors inédite. Outre son caractère non-linéaire, The Call of Cthulhu est en effet un récit à la fois choral et spiral, composé de trois sous-récits enchâssés dans un quatrième, dont chacun offrira un point de vue sur un même faisceau d’événements, tout en menant lecteur et personnages de plus en plus près de l’horreur. Le texte de la nouvelle est censé avoir été « trouvé dans les papiers du défunt Francis Wayland Thurston, de Boston[88] », qui en sera le narrateur principal. Les deux premiers sous-récits ont été composés par lui à partir de notes laissées par son grand-oncle, un universitaire nommé George Angell, récemment décédé dans des circonstances troubles. Le premier d’entre eux relate la rencontre de ce dernier, le 1er mars 1925, avec un sculpteur excentrique nommé Henry Wilcox, qui se dit « psychiquement hypersensible[89] ». La nuit précédente a eu lieu « un léger tremblement de terre, le plus important en Nouvelle-Angleterre depuis des années[90] ». Notons au passage qu’une secousse a bien été ressentie dans cette région le 7 janvier 1925[91], et que le dernier événement sismique d’importance datait du 29 juillet 1921[92]. Si tant est que Lovecraft s’en soit inspiré, le fait qu’il en ait modifié la date suggère qu’il ne cherchait pas à produire le même effet d’empoisonnement du réel que dans Beyond the Wall of Sleep. Ce pourrait à notre sens être l’indice que la réalité était à ses yeux déjà empoisonnée, ne serait-ce que par les perspectives ouvertes par la physique einsteinienne.

Durant cette nuit fatidique, Wilcox a rêvé d’une étrange cité où psalmodiait « une voix qui n’était pas une voix[93] ». À son réveil, il a façonné un bas-relief de « facture […] impressionniste » représentant, sur un « fond d’architecture cyclopéenne », un monstre « évoqua[nt] tout à la fois une pieuvre, un dragon et une caricature humaine », avec une « tête pulpeuse entourée de tentacules », et un « corps écailleux […] muni d’ailes rudimentaires[94] », qui bien sûr n’est autre que Cthulhu. Les propos de Wilcox semblent « éveill[er] un souvenir endormi[95] » chez Angell, qui dès lors prie le sculpteur de lui raconter ses prochains rêves. Le lendemain, celui-ci est pris de bouffées délirantes qui disparaîtront sans laisser de traces une semaine plus tard. Dès lors, Angell se livrera à une véritable enquête onirique, demandant à ses connaissances de lui rapporter leurs rêves, au sujet desquels Thurston note :

Les mondains et les gens d’affaires – qui passaient en Nouvelle-Angleterre pour « le sel de la terre » – avaient donné un résultat presque entièrement négatif, bien que certains cas d’impressions nocturnes déplaisantes mais imprécises fussent signalés ici et là […]. Les hommes de science n’avaient guère été touchés, eux non plus ; néanmoins, quatre descriptions vagues suggéraient des aperçus d’étranges paysages, et il y avait un exemple de crainte d’une chose anormale. Les réponses pertinentes émanaient d’artistes et de poètes qui auraient été en proie à une effroyable panique s’ils avaient pu les comparer entre elles[96].

Si Wilcox fait à plus d’un titre écho à l’infortuné narrateur d’Hypnos[97], on peut également relever que Lovecraft se montre ici plus ambitieux dans son usage du rêve. Non seulement le motif du rêve collectif est-il utilisé ici à pleine puissance – les rêveurs étant cette fois nombreux et divers –, mais encore la nature et le statut mêmes du rêve semblent-ils connaître une importante mutation. Les rêves recueillis par Angell s’inscriront en effet dans une enquête dont le rayon ira en s’élargissant. Le professeur les confrontera à de nombreuses coupures de presse relatant, parallèlement à la crise du sculpteur, une recrudescence mondiale de rites obscurs et de crises dans les asiles d’aliénés. L’horreur semble dès lors nettement se déplacer du contenu des rêves vers leurs implications :  ce qui effraie n’est pas le fait de rêver d’un monstre, mais celui que tous semblent en avoir rêvé. Ces visions ne doivent du reste d’être appelées qu’au fait de s’être manifestées pendant le sommeil de leur victimes, puisqu’elles sont en réalité les échos d’un appel télépathique.

Un autre versant de cette mutation apparaît dans le second sous-récit, qui concerne le « souvenir endormi » d’Angell. En 1908, celui-ci est approché lors d’un congrès par un policier nommé John Legrasse, ayant quelque mois plus tôt participé au démantèlement d’une secte, près de la Nouvelle-Orléans. À cette occasion, il a trouvé une statuette faite d’un matériau inconnu, représentant le même monstre que le bas-relief de Wilcox, et dont les sectateurs lui ont dit qu’il s’appelait Cthulhu. Entendant ce nom, un autre participant au congrès se souvient de l’avoir entendu « quarante-huit ans auparavant[98] » parmi « une étrange tribu d’Esquimaux dégénérés dont la religion […] l’avait désagréablement impressionné par son côté sanguinaire et immonde[99] ». La chronologie de ces nouveaux éléments est capitale puisque, contrairement à ce que l’ordre d’énonciation du récit pourrait laisser croire, les rêves de Wilcox se produisent après qu’on en ait trouvé des preuves matérielles. Réciproquement, les sectateurs de Cthulhu auraient pu n’être que des fous adorant un dieu monstrueux, si celui-ci n’était pas apparu dix-sept ans plus tard, dans les rêves de centaines de personnes. Cette inversion d’un ordre « classique » – tel par exemple celui relevé supra dans The Tomb – a pour effet de renverser également la mécanique fantastique elle-même : le rêve n’est plus un facteur d’incertitude, mais au contraire de certitude.

Une certitude que le troisième sous-récit ne fera du reste que confirmer : après avoir consulté les notes de son grand-oncle, Thurston lira par hasard le compte-rendu d’un naufrage ayant eu lieu le 18 avril 1925, dont l’unique survivant, un marin norvégien nommé Gustaf Johansen, a été trouvé fou, les mains crispées sur une effigie de Cthulhu. Se rendant toutes affaires cessantes en Norvège, Thurston trouve Johansen mort et, obtenant de sa veuve qu’elle lui en confie le journal, découvre que le malheureux a rencontré Cthulhu en personne. Le récit s’achève sur un Thurston qui, sur le chemin du retour, craint de plus en plus pour sa vie, l’existence de Cthulhu et ses adorateurs étant désormais établie. La cause de sa mort et de celle d’Angell, annoncées dès les premières lignes de la nouvelle, ne fait quant à elle plus de doutes.

Le cheminement entamé par Lovecraft dans Polaris semble ici atteindre un point culminant, dont The Dreams in the Witch House (1932) finira de consommer l’élan. Le narrateur en est un étudiant en mathématiques nommé Walter Gilman, menant des recherches sur la quatrième dimension, dont il soupçonne que les secrets ont été percés au XVIIe siècle par une sorcière nommée Keziah Mason. Ayant élu domicile dans la maison de celle-ci, il est d’abord victime d’hyperacousie, sa vie devenant « une perpétuelle et intolérable cacophonie[100] » dont les bruits ne cessent que « pour faire place à certains autres, plus assourdis, qu’il soupçonn[e] de rôder derrière eux[101] ». Vient ensuite une impression de fièvre, alors que « sa température n’[est] pas si élevée[102] », accompagnée de rêves qu’il mettra sur le compte de son surmenage. Dans certains, Mason l’enjoint à l’accompagner « devant le trône d’Azathoth au cœur de l’ultime Chaos », et à « signer de son sang le livre d’Azathoth[103] », car ses recherches l’ont mené trop loin. Dans d’autres, le mathématicien « plong[e] à travers des abîmes infinis de crépuscule indiciblement coloré et de sons au déconcertant désordre[104] », dont les habitants le terrifient :

Les abîmes, loin d’être vides, étaient peuplés de masses de substance aux nuances indescriptibles, dont les unes semblaient organiques et d’autres inorganiques. […] Gilman comparait quelquefois les masses inorganiques à des prismes, des labyrinthes, des grappes de cubes et de plans, des constructions cyclopéennes ; et les êtres organiques le frappaient diversement comme des groupes de bulles, de pieuvres, de mille-pattes, d’idoles hindoues vivantes et d’arabesques compliquées saisies d’une sorte d’animation ophidienne[105].

Il fait ici peu de doute que Gilman, nouvel avatar d’une funeste concordance des savoirs, explore les mêmes abîmes que ses homologues de Beyond the Wall of Sleep, From Beyond et Hypnos. Il partagera même l’obsession stellaire de certains d’entre eux, fixant après un cauchemar particulièrement vivace « [u]n point précis parmi les étoiles » situé « entre Hydra et Argo Navis[106] ». Le récit se déroule en outre presque entièrement dans ses rêves, ou du moins ce qu’il croit être des rêves : aveuglé par sa « curiosité morbide[107] », il comprendra trop tard que « son organisme et ses facultés subissaient […] une prodigieuse mutation[108] », qu’il arpentait effectivement la quatrième dimension, où Mason s’était lancée à sa poursuite. Il ne parviendra d’ailleurs pas à échapper à cette dernière, dans la maison de laquelle son corps sera retrouvé a demi dévoré quelques jours plus tard.

Si aucun autre récit de cette période ne propose de véritable nouveauté, on peut également relever que les éléments assemblés dans The Call of Cthulhu et The Dreams in the Witch House tendront à y être désassemblés, voire diffractés. Ainsi le procédé d’empoisonnement du réel sera-t-il par exemple repris dans The Whisperer in Darkness (1930), qui s’ouvre sur l’inondation du Vermont de 1927, pour se clore en 1930 sur la découverte de Pluton – dont il sera suggéré qu’elle est l’« avant-poste » d’êtres vénérant Azathoth, venus de l’« extérieur même du continuum espace-temps einsteinien[109] ». De même, certains des monstres évoqués dans At the Mountains of Madness (1931) seront décrits comme des « masses visqueuses » n’existant pas sur Terre, « excepté dans les rêves de ceux qui [ont] mâché une certaine herbe alcaloïde[110] », suggérant que le fait de rêver d’une chose pourrait conférer à celle-ci un certain degré d’existence – de même qu’un Gilman avait, à travers ses voyages quadridimensionnels, attiré à lui une menace qui le dépassait. C’est enfin une curiosité similaire à celle du jeune mathématicien qui causera la perte de l’artiste visionnaire Robert Blake, protagoniste de The Haunter of the Dark (1935), dernier récit de Lovecraft.

Teratocosmos

En 1977, dans l’un des nombreux ouvrages qu’il consacra au diable, l’historien des concepts J. B. Russell qualifiait de « lovecraftien[ne][111] » la perspective d’un Univers où il y aurait plus de mal que de bien. Si le nom du reclus de Providence fut attaché à l’idée d’une horreur cosmique, comme celui de Kafka à l’absurdité totalitaire, c’est sans doute parce que, sans être à proprement parler maléfique, le monde qu’il dépeignit était l’un des pires imaginables. Que sont en effet les chimères des mythologies, lorsque l’étrangeté et la violence du réel les dépasse de si loin ? Que sont les monstres de nos cauchemars, lorsqu’on a « vu béer le sombre univers où de noires planètes roulent sans but[112] » ? Ou lorsque, comme l’écrit Maeterlinck, les mathématiques quadridimensionnelles déploient leur « faune » d’« insectes, dragons, poulpes, larves, lémures, spectres […] pullul[a]nt comme des entités ultra-spirituelles qui de tous côtés nous entourent[113] » ? Que sont en somme nos rêves, lorsque les sciences ouvrent des « perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons[114] » ?

Le premier tiers du siècle dernier fut le théâtre d’un changement de paradigme auquel Lovecraft se montra aussi attentif que réactif. Outre les travaux d’Einstein, il n’est que de penser à ceux de Hubble qui, en 1924, démontrèrent l’existence d’autres galaxies que la nôtre, donnant ainsi à l’Univers connu une profondeur à la fois inédite et proprement inimaginable. Lovecraft, loin de reculer devant les « abîmes transgalactiques[115] », en fit le cadre de The Dreams in the Witch House, qui sans cela n’aurait probablement été qu’une banale histoire de sorcellerie. De même, après la découverte de Pluton, il embrassa dans The Whisperer in Darkness ce nouveau « voisinage », et la menace qui pouvait s’y tapir. Jusqu’au premier survol de Mars en 1965, nombreux étaient en effet ceux qui, tel Lovecraft lui-même, pensaient la planète rouge couverte de canaux, et envisageaient sérieusement que nous n’étions pas les seuls habitants du Système solaire[116].

En d’autres termes, tout semble s’être passé comme si les rêves ne permettaient plus d’échapper à une réalité les dépassant aussi bien en extravagance qu’en horreur, et comme si, réciproquement, celle-ci ne pouvait plus être à l’égard de ceux-là un refuge. L’arrière-monde lovecraftien, dans la mesure où il embrasse cette convergence apparente pour en faire un objet littéraire, en permet ultimement la  mise à distance, faisant écho à Batteux qui, deux siècles plus tôt, écrivait avec justesse :

[Q]uelque soigneusement que soit imitée la Nature, l’Art s’échappe toujours, & avertit le cœur, que ce qu’on lui présente n’est qu’un fantôme, qu’une apparence ; & qu’ainsi il ne peut lui apporter rien de réel. C’est ce qui revêt d’agrément dans les Arts les objets qui étoient désagréables dans la Nature. Dans la Nature ils nous faisoient craindre notre destruction, ils nous causoient une émotion accompagnée de la vue d’un danger réel : & comme l’émotion nous plaît par elle-même, & que la réalité du danger nous déplaît, il s’agissoit de séparer ces deux parties de la même impression. C’est à quoi l’Art a réussi : en nous présentant l’objet qui nous effraye, & en se laissant voir en même-tems lui-même, pour nous rassurer & nous donner, par ce moyen, le plaisir de l’émotion, sans aucun mélange désagréable[117].

Nul doute qu’en embrassant ces « démons et merveilles[118] », l’entreprise de Lovecraft s’est révélée libératrice, laissant même entrevoir la possibilité de rire de notre solitude et de notre petitesse. Il n’est que de songer aux effigies de Cthulhu vendues aujourd’hui sous forme de peluches, au fait qu’on ait baptisé Cthulhu Macula une région de Pluton, ou bien à l’amusement des internautes, lorsqu’ils constatèrent qu’un « bloop » enregistré en 1997 dans le sud du Pacifique se trouvait non loin du lieu où, dans The Call of Cthulhu, Johansen et son équipage avaient rencontré le monstre[119].

Guillaume Rangheard

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Notes

[1]     Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil (Points), 1970, p. 53.

[2]     Ibid., p. 29.

[3]     Ibid., p. 31.

[4]     Kálmán Matolcsy, « Knowledge in the Void : Anomaly, Observation, and the Incomplete Paradigm Shift in H. P. Lovecraft’s Fiction », Lovecraft Annual, n°2 (2008), p. 165.

[5]     The Thing in the Moonlight est issu d’un rêve raconté par Lovecraft le 24 novembre 1927 dans une lettre à D. Wandrei, qui a été mis en récit en 1940-41, vraisemblablement par J. Chapman Miske.

[6]     Nous avons choisi d’exclure ces collaborations du fait que Lovecraft n’en avait pas une pleine maîtrise thématique. Il aurait été difficile – à moins de dépasser le cadre d’un article – d’en cerner la part proprement lovecraftienne.

[7]     The White Ship (1919), The Doom That Came to Sarnath (1919), Celephaïs (1920), The Quest of Iranon (1921), Azathoth (1922), The Silver Key (1926), The Strange High House in the Mist (1926), The Dream-Quest of Unknown Kadath (1926-27) The Book (1933).

[8]     Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, op. cit., p. 59.

[9]     The Tomb (1917), Dagon (1917), The Transition of Juan Romero (1919), The Temple (1920), The Moon-Bog (1921), Hypnos (1922), The Hound (1922), The Rats in the Walls (1923), The Shunned House (1924), The Horror at Red Hook (1925), The Descendant (1926), The Very Old Folk (1927), The Haunter of the Dark (1935).

[10]  Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, op. cit., p. 57.

[11]  Ibid., p. 49.

[12]  Polaris (1918), Beyond the Wall of Sleep (1919), Ex Oblivione (1920-21), The Call of Cthulhu (1926), At the Moutains of Madness (1931), The Dreams in the Witch House (1932), The Shadow out of Time (1934-35).

[13]  H. P. Lovecraft, « Polaris », Dagon et autres récits de terreur, Paris, J’ai lu, 1969, trad. Paule Pérez, p. 84.

[14]  H. P. Lovecraft, « Polaris », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/p.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[15]  Maurice Lévy, Lovecraft ou Du fantastique, Paris, Union Générale d’Éditions, 1972, p. 137.

[16]  Cf. Marcel Détienne, « La notion mythique d’ἀλήθεια », Revue des Études Grecques, t. 73, n°344-346 (1960), pp. 27-35.

[17]  Cf. H. P. Lovecraft, « A Confession of Unfaith », The Liberal (février 1922), p. 18-19 : « When I was six my philosophical evolution received its most aesthetically singnificant impetus – the dawn of Græco-Roman thought. […] [At the age of] seven or eight I was a genuine pagan, so intoxicated with the beauty of Greece that I acquired a half-sincere belief in the old gods and nature-spirits. I have in literal truth built alters [sic] to Pan, Apollo, Diana and Athena, and have watched for dryads and satyrs in the woods and fields at dusk. »

[18]  Cf. S. T. Joshi, H. P. Lovecraft : The Decline of the West, Gillette, Wildside Press, 1990, p. 4.

[19]  H. P. Lovecraft, « Polaris », Dagon et autre récits de terreur, op. cit., p. 83.

[20]  Ibid.

[21]  Cf. Lana et Lilly Wachowski, Matrix, États-Unis, 1999, couleur, 130 min.

[22]  H. P. Lovecraft, « Polaris », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 87.

[23]  Nous empruntons l’expression à Gilles Menegaldo (« La ville dans l’œuvre de H. P. Lovecraft », Caliban, n°16 (1979), p. 104).

[24]  H. P. Lovecraft, « Par-delà le mur du sommeil », Par-delà le mur du sommeil, Paris, Denoël (Présence du futur), 1956, trad. Jacques Papy, p. 9-10.

[25]  H. P. Lovecraft, « Beyond the Wall of Sleep », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/bws.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[26]  S. T. Joshi, H. P. Lovecraft : The Decline of the West, op. cit., p. 5.

[27]  Cf. S. T. Joshi, David E. Schultz, Lovecraft’s Library : A Catalogue, New York, Hippocampus Press, 2017. Ledit catalogue donne certes une idée précise des livres que Lovecraft possédait, mais pas nécessairement de ceux qu’il avait lus. Ainsi certaines de ses épigraphes proviennent-elles d’ouvrages qu’il ne possédait pas, telle celle de The Call of Cthulhu, tirée du roman The Centaur d’Algernon Blackwood (Londres, MacMillan, 1911, p. 68).

[28]  David Hume, Enquête sur l’entendement humain, Paris, Flammarion, 1983, trad. André Leroy, p. 64.

[29]  Ibid., p. 63.

[30]  Ibid., p. 64.

[31]  Ibid., p. 63. Nous soulignons.

[32]  H. P. Lovecraft, « The Whisperer in Darkness » (1930), dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/wid.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[33]  H. P. Lovecraft, « The Dream-Quest of Unknown Kadath » (1926-27), dans The H. P. Lovecraft Archive [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/dq.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[34]  Bien qu’une traduction anglaise de la troisième édition de Die Traumdeutung était disponible quand Lovecraft rédigea Beyond the Wall of Sleep (The Interpretation of Dreams, New York, MacMillan, 1913, trad. Abraham A. Brill), il semble ne s’être réellement documenté sur la psychanalyse qu’à partir de 1921. Cf. H. P. Lovecraft, Selected Letters, Sauk City, Arkham House, 1964, t. I, p. 134, cité dans S. T. Joshi, H. P. Lovecraft : The Decline of the West, op. cit., p. 91.

[35]  Maurice Lévy, Lovecraft ou Du fantastique, op. cit., p. 30.

[36]  Asenath Waite est, dans The Thing of the Doorstep (1933), une jeune femme possédée par l’esprit de son père.

[37]  Maurice Lévy, Lovecraft ou Du fantastique, op. cit., p. 31.

[38]  Cf. infra, n. 74 et 97.

[39]  Maurice Lévy, Lovecraft ou Du fantastique, op. cit., p. 15. Italiques de l’auteur.

[40]  H. P. Lovecraft, « Par-delà le mur du sommeil », Par-delà le mur du sommeil, op. cit., p. 11.

[41]  Ibid., p. 13.

[42]  Ibid., p. 10.

[43]  Ibid., p. 13.

[44]  Ibid., p. 15.

[45]  Ibid., p. 14.

[46]  Ibid., p. 18.

[47]  Ibid., p. 19-20.

[48]  Ibid., p. 19.

[49]  Garrett P. Serviss, Astronomy with the Naked Eye, New York, Harper & Brothers, 1908, p. 152, cité ibid., p. 21. Italiques de Lovecraft.

[50]  Cette découverte fut un petit événement, car l’Étoile de Barnard possède à ce jour le plus grand mouvement propre jamais observé. Cf. Edward E. Barnard, « A small star with large proper-motion », The Astronomical Journal, vol. 29, n°695 (septembre 1916), p. 181-183. Le surnom « Barnard’s Star » apparaît quant à lui pour la première fois dans Henry N. Russell, « Preliminary parallax of Barnard’s star of large proper motion », The Astronomical Journal, vol. 30, n°705 (janvier 1917), p. 73-75.

[51]  H. P. Lovecraft, « De l’au-delà », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 115-116.

[52]  Jules Michelet, L’insecte, Paris, Hachette, 1890, p. 29.

[53]  Ibid., p. 32.

[54]  H. P. Lovecraft, « De l’au-delà », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 117.

[55]  Ibid., p. 118-119.

[56]  Ibid., p. 119.

[57]  Ibid., p. 120.

[58]  Ibid., p. 121.

[59]  Ibid.

[60]  Ibid., p. 122.

[61]  Maurice Maeterlinck, « La quatrième dimension », La vie de l’espace, Paris, Fasquelle, 1928, p. 41.

[62]  Ibid., p. 22.

[63]  Cf. Jacob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, suivi de Théorie de la signification, Paris, Denöel (Médiations), 1965, trad. Philippe Muller.

[64]  H. P. Lovecraft, « From Beyond », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/fb.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Italiques de l’auteur. Nous traduisons.

[65]  Cf. S. T. Joshi, H. P. Lovecraft : The Decline of the West, op. cit., p. 85.

[66]  René Descartes, Traité de l’Homme, Paris, 1664, p. 73.

[67]  H. P. Lovecraft, « De l’au-delà », Dagon et autres histoires de terreur, op. cit., p. 118.

[68]  Cf. Robert M. Price, « HPB and HPL : Lovecraft’s Use of Theosophy », Crypt of Cthulhu, vol. 5, n°1 (1982), p. 3-9.

[69]  Cf. Helena P. Blavatsky, The Secret Doctrine, Theosophical Publishing House, 1888, t. 2, p. 295.

[70]  William Scott-Elliot, The Lost Lemuria, Londres, Theosophical Publishing House, 1904, p. 22. Nous traduisons.

[71]  H. P. Lovecraft, « Par-delà le mur du sommeil », Par-delà le mur du sommeil, op. cit., p. 20.

[72]  H. P. Lovecraft, « The Moon-Bog », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/mb.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[73]  H. P. Lovecraft, « Hypnos », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 260. Idem infra.

[74]  Hypnos est l’un des rarissimes récits lovecraftiens à comporter des traces d’(homo-)érotisme. La beauté du « faune » et le trouble du narrateur laissent en effet peu de place au doute.

[75]  H. P. Lovecraft, « Hypnos », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 261.

[76]  Ibid., p. 261-262.

[77]  Ibid., p. 261.

[78]  Ibid., p. 262.

[79]  Ibid., p. 263.

[80]  Notons à toutes fins utiles que cette constellation est voisine de celle d’Ophiucus – ou se trouve l’Étoile de Barnard –, et que toutes deux sont diamétralement opposées à celle de Persée – où se trouvent Algol et GK Persei.

[81]  H. P. Lovecraft, « Hypnos », Dagon et autres récits de terreur, op. cit., p. 264.

[82]  Ibid., p. 262.

[83]  Ibid., p. 264.

[84]  Ibid., p. 261.

[85]  Voir les notes autobiographiques d’Einstein citées dans John D. Norton, « Chasing the Light : Einstein’s Most Famous Thought Experiment », dans James R. Brown, Mélanie Frappier et Letitia Meynell [dir.], Thought Experiments in Philosophy, Science and the Arts, Londres, Routledge, 2013, p. 123-140.

[86]  On ne trouve pas chez Lovecraft trace d’un effort délibéré de construction « mythologique ». Ses divinités monstrueuses n’ont formé un panthéon qu’a posteriori, notamment chez A. Derleth, qui les inscrira dans une théogonie d’inspiration judéo-chrétienne.

[87]  H. P. Lovecraft, « L’appel de Cthulhu », Dans l’abîme du temps, Paris, Denoël, 1991, trad. Jacques Papy et Simone Lamblin, p. 173-174.

[88]  Ibid., p. 173.

[89]  H. P. Lovecraft, « The Call of Cthulhu », dans The H. P. Loveraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/cc.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[90]  H. P. Lovecraft, « L’appel de Cthulhu », Dans l’abîme du temps, op. cit., p. 179.

[91]  Cf. William W. Porter II, « The New England Earthquake of January 7, 1925 », Bulletin of the Seismological Society of America, vol. 14, n°4 (décembre 1924), p. 233-239.

[92]  Ibid., p. 235.

[93]  H. P. Lovecraft, « L’appel de Cthulhu », Dans l’abîme du temps, op. cit., p. 179.

[94]  Ibid., p. 176.

[95]  Ibid., p. 178-179.

[96]  Ibid., p. 182.

[97]  Outre leur profession et leur bizarrerie, les deux personnages ont peut-être les mêmes orientations amoureuses. Lovecraft note, à propos de Wilcox : « He called himself “psychically hypersensitive”, but the staid folk of the ancient commercial city dismissed him as merely “queer.” » (« The Call of Cthulhu », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne], op. cit.). Le double sens du mot queer étant attesté depuis les années 1890, il n’est pas à exclure que Lovecraft ait voulu en jouer.

[98]  H. P. Lovecraft, « L’appel de Cthulhu », Dans l’abîme du temps, op. cit., p. 187.

[99]  Ibid., p. 188.

[100]        H. P. Lovecraft, « La maison de la sorcière », Dans l’abîme du temps, op. cit., p. 120.

[101]        Ibid., p. 115. Nous soulignons.

[102]        Ibid., p. 129-130.

[103]        Ibid., p. 131.

[104]        Ibid., p. 122.

[105]        Ibid., p. 122-123.

[106]        Ibid., p. 135.

[107]        Ibid., p. 125.

[108]        Ibid., p. 122.

[109]        H. P. Lovecraft, « The Whisperer in Darkness », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne], op. cit. Nous traduisons.

[110]        H. P. Lovecraft, « At the Moutains of Madness », dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/fiction/mm.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[111]        Jeffrey B. Russel, The Devil : Perceptions of Evil from Antiquity to Primitive Christianity, Ithaca, Cornell University Press, 1977, p. 224. Nous traduisons.

[112]        H. P. Lovecraft, « Nemesis » (1917), dans The H. P. Lovecraft Archive, [en ligne]. https://hplovecraft.com/writings/texts/poetry/p121.aspx [Site consulté le 1er octobre 2020]. Nous traduisons.

[113]        Maurice Maeterlinck, « La quatrième dimension », La vie de l’espace, op. cit., p. 48.

[114]        H. P. Lovecraft, « L’appel de Cthulhu », Dans l’abîme du temps, op. cit., p. 174.

[115]        H. P. Lovecraft, « La maison de la sorcière », ibid., p. 126.

[116]        La certitude affichée dans The Whisperer in Darkness fait peut-être écho à un réel espoir mêlé de terreur, chez un Lovecraft qui, au sujet des canaux martiens, écrivit : « How baseless as most of these speculations may be, and probably are, it is nevertheless not impossible that LIVING BEINGS OF SOME SORT MAY DWELL UPON THE SURFACE OF MARS. It is, however, left to the imagination of the reader or of the ingenious novelist to portray their appearance, size, intelligence, and habits. » (« The Truth about Mars » (1917), dans Collected Essays, Volume 3 : Science, New York, Hippocampus Press, 2005).

[117]        Charles Batteux, Les Beaux arts réduits à un même Principe, Paris, Durand, 1746, p. 93-94.

[118]        Nous empruntons ici le titre de l’anthologie de Lovecraft publiée aux Éditions des Deux-Rives en 1955, qui est centrée sur les aventures oniriques de Randolph Carter.

[119]        Cf. Sean Ragan, « The Bloop of  Cthulhu ? », dans MAKE, [en ligne]. http://blog.makezine.com/2009/11/16/the-bloop-of-cthulhu/ [Site consulté le 1er octobre 2020].

L’incertaine réalité : Rêves, illusions et hallucinations

Revue Chameaux — n° 12 — mars 2021

Dossier

  1. Présentation du numéro

  2. Lola Abba, le spectre du grand réel

  3. L'appareil imaginaire : matière du cinéma bergmanien et refus du cadrage réaliste

  4. La grande ville et la merveille après les Surréalistes : Aux frontières de la réalité métropolitaine dans l’œuvre de Jacques Réda

  5. L'espion aux frontières du réel ou James Bond et l'au-delà

  6. Francis Bacon – David Lynch : Une plasticité du sensible

  7. Le jeune Christopher Nolan : Lecture merleau-pontienne de Following, Insomnia et Memento

  8. Quand le virtuel se substitue au réel : incertitude ontologique et dualisme numérique dans le jeu vidéo Enslaved : Odyssey to the West

  9. Rêves et voyages initiatiques dans la poésie d'Elizabeth Bishop

  10. L'Aventure du rêve – La Traumnovelle d'Arthur Schnitzler

  11. Dépasser les limites de la réalité : Entretien avec le réalisateur Martin Villeneuve

  12. Rêves, illusions, hallucinations chez Terry Gilliam : Le rêve comme refuge impossible

  13. Par-delà le mur de l'entendement : Valeur épistémique et fonctions narratives du rêve dans l’œuvre de H.P. Lovecraft

  14. La « Folie spirite » ou « Le délire hallucinatoire » : La littérature médiumnique féminine aux frontières du réel