Introduction
Habiter le monde – être sur la Terre –, nous a appris la mésologie (ou « science des milieux humains »), c’est modeler l’environnement à l’aide de la technique, du travail de la terre à l’érection de maisons et d’immeubles, en passant par la mise en place de vastes réseaux de transport et de télécommunications. Mais cela consiste également à intérioriser ce même environnement à l’aide du symbolique, à le ramener à soi sous la forme de représentations qui guident la manière dont on navigue au sein des milieux constitutifs de la vie quotidienne. Dans notre monde contemporain, habiter c’est, entre autres choses, être mobile et circuler. Cette circulation ne relève pas exclusivement de déplacements physiques – du foyer au lieu de travail, d’un pays à l’autre, de la ville à la campagne… –, mais également d’une oscillation constante entre le monde empirique de nos expériences du quotidien et les mondes de la fiction, du rêve – à l’état de veille ou de sommeil – du jeu, de l’hallucination. En d’autres termes, habiter, c’est aussi être entre les espaces.
À une époque où les réseaux de communication numériques accueillent une part grandissante de nos pratiques sociales, être entre les espaces revient bien souvent à osciller entre le monde matériel et le monde immatériel des interactions et d’autres expériences vécues en ligne.
À partir des années 1980, la science-fiction s’est massivement emparée de cet « habiter », qui s’y traduit – en particulier dans le cyberpunk – par des séances d’immersion en des mondes simulés, virtuels, réputés séparés et distincts du monde réel, du cyberespace de Neuromancer, de William Gibson, aux Constructs de la trilogie Takeshi Kovacs, de Richard Morgan, en passant par la Matrice de la franchise transmédiatique éponyme. Devant le surgissement de ces espaces photoréalistes, plus vrais que le monde matériel, la science-fiction, à la suite des œuvres de Philip K. Dick, a proposé de nombreuses réflexions d’ordre ontologique sur le statut respectif de ce que l’on nomme le réel et de ce que l’on qualifie, par opposition, de virtuel, pour ne pas dire de simulacre. Cela a donné lieu à de nombreuses œuvres dystopiques au sein desquelles les protagonistes, prisonniers de la virtualité, passent sans solution de continuité de niveau de réalité en niveau de réalité, ce qui les amène à douter, dans l’exercice, de l’existence même du réel.
Parmi ces fictions, nous examinerons le cas d’Enslaved: Odyssey to the West (ci-après, « Enslaved »), un jeu vidéo qui, non seulement plonge ses joueurs dans un monde virtuel, mais leur propose également un discours dysphorique sur la virtualité et sa prétention, en tant qu’avatar de l’hyperréalité, à se substituer au réel.
L’habiter comme « être entre les espaces »
Avant d’aborder la question de l’incertitude ontologique dans les mondes virtuels, il convient d’en définir le statut ontologique et de définir ce qu’être entre les espaces du réel et du virtuel signifie, un habiter entendu comme une oscillation entre régions finies de sens et lieux de la réalité souveraine, suivant la distinction opérée à la suite d’Alfred Schütz par Peter Berger et Thomas Luckmann. Cela permettra de poser le cadre nécessaire à l’analyse d’Enslaved.
La réalité souveraine désigne la vie quotidienne [qui] se présente elle-même comme une réalité interprétée par les hommes […] [et] considérée comme donnée en tant que réalité […] [Cette réalité de la vie quotidienne] n’exige pas de vérification supplémentaire au-dessus et au-delà de sa simple présence. Elle est simplement là, en tant qu’artifice allant de soi et obligé. Je sais qu’elle est réelle. Même si je suis capable de douter de sa réalité, je suis contraint à me détacher de tels doutes dans la mesure où j’existe dans la routine de la vie quotidienne[1].
Mais il existe d’autres réalités, selon Berger et Luckmann, telles que les rêves, la pensée théorique, le monde du jeu et les mondes de la fiction. Elles
apparaissent comme des régions finies de sens, inscrites à l’intérieur d’une réalité souveraine marquée par des significations restreintes et par des modalités spécifiques d’expérience […] [et] [l]a réalité souveraine les enveloppe de tous côtés, et la conscience revient toujours à la réalité souveraine, comme si celle-ci était le point de départ d’une excursion.[2]
Comme l’écrivait déjà William James, chacune de ces régions « est, le temps que dure notre attention, réel[le] à sa manière; simplement, la réalité se dissipe avec l’attention[3] ». Cela implique que la conscience se déplace d’une sphère de réalité à l’autre.
Habiter signifie donc, ici – en termes cognitifs –, osciller entre les lieux de la réalité souveraine et des mondes labiles, réels le temps que dure l’attention qui leur est consacrée. Certaines d’entre ces régions finies de sens nécessitent un dispositif médiatique pour apparaître – c’est le cas des mondes virtuels des jeux vidéo –, alors que d’autres, non, comme c’est le cas des rêveries éveillées.
Dans le cas des mondes tributaires de dispositifs médiatiques, on doit distinguer ce qui relève de l’expérience immédiate (rencontre de l’usager avec les dispositifs) et ce que les signes véhiculés par les dispositifs représentent, soit le monde en question, fruit d’une reconstruction mentale issu de la rencontre médiate entre l’usager et les symboles transmis par les dispositifs. Ainsi, pensons à des images figurant sur un écran d’ordinateur qui ne deviennent un monde qu’une fois intériorisées sous forme de symboles par l’usager.
Les parts épisodiques et sémantiques des lieux
La distinction entre réalité souveraine et régions finies de sens permet ici de préciser le statut ontologique des mondes du jeu vidéo et autres mondes virtuels. Ils sont réels en tant que mondes habitables le temps que dure l’attention qu’on leur porte et n’existent que dans la rencontre entre le joueur (ou l’usager) et les signes émis à son intention par les dispositifs médiatiques.
Mais être entre les espaces, pour reprendre, par analogie, la distinction fonctionnelle qu’opère la psychologie cognitive entre les mémoires épisodique et sémantique, cela consiste également à arpenter des lieux dont les différentes parts relèvent respectivement de l’épisodique et de la sémantique.
Selon Tulving, la différence entre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique peut se résumer par la distinction entre ce qui relève de l’autobiographique et de la référence cognitive. La mémoire épisodique concerne la réception et l’emmagasinage d’informations portant sur des épisodes ou des événements situés dans leur relation au temps et à l’espace; elle en conserve les propriétés et attributs perceptuels. Les informations acquises de la sorte constituent des références autobiographiques et relèvent donc de l’expérience personnelle. La mémoire sémantique, quant à elle, n’emmagasine pas les propriétés perceptibles des données, mais leurs référents cognitifs :
[c]’est un thésaurus mental, le savoir organisé qu’une personne possède au sujet des mots et autres symboles verbaux, leur signification et leurs référents, leurs relations entre eux et les règles, formules et algorithmes nécessaires à la manipulation de ces symboles, concepts et relations[4].
Son contenu est indépendant de l’individu, de son expérience personnelle. Cela vaut pour les symboles verbaux, mais également pour les symboles iconiques[5].
En fonction des mémoires épisodique et sémantique, tout individu se constitue un atlas personnel, c’est-à-dire la somme des souvenirs et connaissances des lieux acquis au moyen de leur expérience immédiate et médiate du monde. Les lieux inscrits dans la mémoire épisodique, temporellement et spatialement situés, s’accompagnent de leurs propriétés et attributs perceptuels, alors que les lieux figurant dans la mémoire sémantique se présentent sous forme d’informations essentiellement verbales, échoïques et iconiques acquises à travers les médias. Cet atlas est étroitement lié à la biographie de son propriétaire, soit, s’il faut user ici d’un néologisme, l’atlaste.
Peut donc être considéré comme épisodique la part des lieux qui, dans l’atlas personnel d’un individu, est appréhendée de manière immédiate. Il existe alors une relation d’identité entre le lieu de l’appréhension et le lieu appréhendé. Est considérée comme sémantique la part des lieux qui, dans l’atlas personnel, est appréhendée sous la seule forme de connaissances, d’informations et de représentations médiatisées. Il existe, cette fois-ci, une relation d’altérité entre le lieu de l’appréhension et le lieu appréhendé. C’est le cas lorsqu’un joueur, assis dans son salon à Montréal (lieu de l’appréhension), arpente les rues de Chicago (lieu appréhendé) dans le jeu vidéo WATCH_DOGS.
Lorsque l’atlaste appréhende des lieux sémantiques, il ne les expérimente aucunement de manière phénoménale, mais il expérimente phénoménalement un dispositif médiatique véhiculant des informations sur des lieux offerts sous forme de signes. Ce dispositif instaure une proximité médiate entre l’usager et un lieu présent uniquement en tant qu’effet. Aussi, l’atlaste doit-il conférer une signification à ces signes, les interpréter afin de reconstituer mentalement les lieux représentés. Le but est que ces derniers apparaissent à l’esprit de l’atlaste comme suffisamment incarnés (présents) pour constituer des régions finies de sens habitables dès lors qu’il leur consacre suffisamment de ressources attentionnelles. Les informations dont l’atlaste dispose sur les lieux sémantiques constituent les matériaux grâce auxquels il peut y avoir chorophanie[6], en ce sens qu’elles participent à l’apparition d’un lieu, réel le temps que dure l’attention qui lui est portée.
Les lieux sémantiques ne sont pas tous égaux au regard des informations qui s’y rapportent. Certains sont fortement lacunaires. Si l’on ne connaît Jakarta que par le seul énoncé « c’est une ville où la chaleur humide est insupportable », la reconstitution que l’on s’en fait, nécessaire à sa chorophanie, s’avère pauvre, nécessitant que l’on comble les trous de la manière dont le lecteur supplée les manques du texte en mobilisant des éléments constitutifs de son encyclopédie[7]. On le fait en convoquant les lieux épisodiques et sémantiques de son propre atlas. Si Jakarta est une ville insupportablement chaude et humide, on se remémore les sensations de chaleur caniculaire éprouvées par le passé dans les Keys ou en Équateur. Cela vaut aussi pour les lieux imaginaires.
À ces lieux sémantiques fortement lacunaires s’opposent des lieux sémantiques riches en informations, issus de la rencontre de l’atlaste et d’un dispositif médiatique à prétention maximaliste. Maximaliste, en ce sens que le dispositif donne à l’usager l’illusion que les lieux représentés ont « commencé à apparaître et que cette présence ne lui doit rien, marquée par un certain dynamisme, par une relative autonomie et par une densité dont l’effet premier est l’impression d’une grande permanence[8] ». Le dispositif crée donc un effet de présence, une illusion de présence telle qu’il « en fait oublier qu’il ne s’agit que de simulacres[9] ». Si la chorophanie des lieux sémantiques lacunaires dépend grandement de l’atlas personnel pour constituer une région finie de sens habitable, elle n’exige, dans les représentations maximalistes, qu’un recours faible ou nul à celui-ci. En poussant la logique maximaliste à l’extrême, rien ne distingue la présence effective de l’effet de présence, le lieu de l’appréhension du lieu sémantique et le lieu appréhendé médiatement.
La prétention maximaliste se situe au cœur de l’industrie vidéoludique lorsqu’elle tente de faire vivre au joueur une illusion immersive, en référence à l’idée selon laquelle le plaisir éprouvé lors d’une expérience vidéoludique réside dans une capacité technologique à transporter le joueur, sur le plan sensoriel, dans une simulation si proche de la réalité que ce dernier croit faire partie du monde dans lequel il est plongé[10].
Sous sa forme idéale, le lieu sémantique maximaliste se substitue, en tant que région finie de sens (monde fictionnel ludique, simulationnel, etc.), à la réalité souveraine, en ce sens qu’il survit à tout défaut d’attention, qu’il apparaît massivement à la conscience de l’atlaste, lequel ne peut plus, désormais, s’en échapper. Le lieu sémantique s’autonomise et ne doit plus sa complétude aux composantes de l’atlas personnel. Il constitue un lieu purement informationnel que l’atlaste croit expérimenter comme la réalité souveraine dans toute son immédiateté. Dès lors, « il ne s’agit plus d’imitation, ni de redoublement, ni même de parodie. Il s’agit d’une substitution au réel des signes du réel[11] ».
L’incertitude ontologique
Lorsque l’atlaste n’est plus en mesure d’affirmer que le niveau de réalité dans lequel il évolue constitue la réalité souveraine et qu’il soupçonne être immergé dans une région finie de sens dont il ne peut émerger par un simple défaut d’attention, il y a lieu de parler d’incertitude ontologique. La frontière entre les différents niveaux de réalité se brouille, ces derniers s’enchâssent les uns dans les autres, et l’atlaste passe de l’un à l’autre sans être en mesure de définir lequel se présente ultimement comme la réalité souveraine, aucun défaut d’attention ne semblant en mesure de les faire s’évanouir. De cette expérience ressort également une indistinction entre lieux épisodiques et lieux sémantiques, entre lieux expérimentés immédiatement et médiatement, et entre lieux d’appréhension des lieux et lieux appréhendés.
Dans le cadre des dispositifs vidéoludiques et des mondes virtuels, la substitution totale de la région finie de sens à la réalité souveraine relève de la fiction, mais elle hante un nombre important de récits dystopiques. Au cinéma, la fin des années 1990 et le début des années 2000 sont particulièrement prolixes au sujet de l’incertitude ontologique liée aux mondes virtuels. Pensons à Abre los ojos, d’Alejandro Amenábar (1997) – de même qu’à son remake par Cameron Crowe (2001), Vanilla Sky –, mais aussi à eXistenZ, de David Cronenberg (1998), à Avalon, de Mamoru Oshii (2001), et à la trilogie The Matrix, des Wachowski (1999-2003), pour ne mentionner que ceux-ci. Par exemple, Abre los ojos offre un cas d’incertitude où s’enchâssent dans un ordre indéterminé la réalité souveraine et plusieurs régions finies de sens que sont le rêve, l’hallucination et la réalité virtuelle. Dans ce film, en effet, un homme est cryogénisé et son esprit évolue dans une réalité virtuelle qui se veut indiscernable du rêve, jusqu’à ce qu’une dysfonction du dispositif entraîne chez lui des épisodes d’hallucinations induites par la psychose. La conclusion laisse le spectateur comme le protagoniste dans l’incapacité de déterminer ce qui relève de chacune de ces régions finies de sens ni même si elles sont effectivement mobilisées ou non.
L’incertitude ontologique et la question du dualisme numérique
De ce qui précède, on peut conclure que les mondes des jeux vidéo, résultats d’une chorophanie impliquant la rencontre du joueur et d’un dispositif vidéoludique, possèdent un statut ontologique similaire aux autres régions finies de sens. Toutefois, la prétention maximaliste du médium vidéoludique rend ces mondes suspects, dans la mesure où nombre de fictions dystopiques dépeignent la possibilité de les voir un jour se substituer à la réalité souveraine. C’est le cas de plusieurs jeux vidéo qui, dans les deux dernières décennies, ont accordé à l’incertitude ontologique et à la prétention maximaliste du virtuel une place de choix dans leur récit. On peut penser aux franchises Metal Gear, de Hideo Kojima (1987-2015), et Drakengard/Nier, de Yoko Taro (2003-2017), mais aussi à Inside, du studio Playdead.
La mise en récit et la simulation de l’incertitude ontologique dans les jeux vidéo permettent non seulement d’interroger la nature du réel dans les rapports qu’elle a, notamment, avec le simulacre baudrillardien, mais également le statut ontologique des espaces virtuels. Mais avant d’aborder plus spécifiquement le discours d’Enslaved sur la virtualité, il convient de nous attarder sur le statut de cette dernière.
Du dualisme au monisme numérique
L’avènement des simulations informatiques, des jeux vidéo, des communautés en ligne, de la réalité virtuelle et d’autres dispositifs numériques a donné lieu à une conception ontologique voulant que le virtuel se distingue du réel. En effet, « [i]l existe à l’ère numérique une métaphysique profane qui opère au cœur de l’imaginaire contemporain et qui postule que le monde humain est coupé en deux par une frontière invisible, celle qui sépare le prétendu-réel du prétendu-virtuel[12] ».
Cette philosophie profane, on peut la qualifier de dualisme numérique[13]. Pourtant, aucune signification du terme virtuel ne valide cette dichotomie. Elle se traduit par l’opposition entre ce qui se situe en ligne et hors ligne. On a là une perspective selon laquelle deux mondes distincts existent côte à côte : l’un, virtuel, dans lequel évolue librement ou se perd l’esprit, libéré des contraintes physiques ou en perte d’ancrage physique, et l’autre, matériel, du corps.
Sont caractéristiques du dualisme numérique les postures épistémologiques faisant de la virtualité une représentation dégradée du réel ou une solution pour en combler les lacunes[14], la première posture traduisant une vision du virtuel comme simulacre au sens baudrillardien, ou comme illusion, et la seconde étant souhaitée par les thuriféraires des dispositifs numériques.
La signification du terme virtuel varie historiquement, devenant notamment synonyme de potentiel et de simulationnel[15]. Entendu comme un synonyme de potentiel, le virtuel désigne ce qui existe en puissance, par opposition à ce qui existe en acte (opposition potentiel/actuel). Ainsi, le virtuel « n’est pas autre chose […] [qu’] une manière particulière d’être réel, celle qui consiste […] à exister sans se manifester[16] ».
En informatique, le virtuel devient du simulationnel, renvoyant à l’idée de modélisation telle qu’entendue par la cybernétique[17]. Une simulation informatique est donc un phénomène artificiel et, plus précisément, un « processus capable, grâce à des techniques de programmation, de simuler un comportement numérique indépendamment du support physique dont (paradoxalement) il dépend[18] ». Si le simulacre relève du mensonge et du mirage, le simulationnel, lui, « constitue tout ce qu’il y a de plus réel dans sa pleine positivité empirique[19] ». Les environnements virtuels apparaissent donc en tant que simulations.
À partir de la fin des années 1980 apparaît une métaphysique profane dichotomisant le réel et le virtuel, décrite comme une forme d’adaptation visant à répondre au choc causé par l’arrivée des interfaces numériques dans les habitudes de perception des individus, débouchant sur l’idée d’un monde réel et d’un monde virtuel séparés[20]. Mais, depuis, intégrées aux pratiques quotidiennes, les nouvelles réalités technologiques qui ont accompagné la révolution numérique sont devenues banales, de sorte qu’en s’intégrant à notre expérience-du-monde, elles engendrent une nouvelle perspective selon laquelle « les êtres virtuels du système technique numérique peuvent advenir en tant que phénomènes du monde[21] », de sorte qu’il convient désormais de parler de « monisme numérique » pour les qualifier[22].
Il est donc désormais question d’aborder la virtualité non plus en termes dualistes, mais bien en termes monistes, en décrivant ce phénomène comme étant pleinement constitutif du réel et, plus précisément, comme un « principe d’ »hybridation » des divers niveaux de réalité, du potentiel à l’actuel[23] ». Il est question, en d’autres termes, d’une réalité augmentée qui rend compte du caractère mobile et ubiquitaire des espaces numériques[24].
L’incertitude ontologique dépeinte dans les productions cinématographiques produites dans la deuxième moitié des années 1990 et le début des années 2000, alors que le Web devient un média de masse, que le photoréalisme des jeux vidéo s’accroît et qu’apparaissent et se popularisent les premiers jeux en ligne multijoueurs commerciaux (de Meridian 59 à Dark Age of Camelot, en passant par Everquest) – s’avère typique du dualisme numérique. Pleinement immergée au cœur de mondes virtuels parallèles, il y a cette idée que l’on pourrait ne plus jamais sortir de ces espaces distincts et séparés, et s’aliéner ainsi du monde physique et matériel, incapable de discriminer ce qui relève de la virtualité de ce qui relève du réel. Dans les récits dystopiques, ces mondes virtuels, considérés comme des lieux sémantiques maximalistes, en viennent ainsi à se substituer à la réalité.
Les films que nous avons mentionnés plus haut dépeignent l’incertitude ontologique dans le cadre d’un dualisme numérique par l’hypotypose, entendue ici comme une « présentation fascinée et fascinante du pire[25] ». Ils rendent ainsi compte du « choc » causé par l’arrivée des interfaces numériques et des espaces virtuels aux prétentions maximalistes dans les habitudes de perception des individus. Toutefois, si de tels dispositifs et espaces sont entrés depuis dans les pratiques sociales courantes des usagers, on constate une persistance du dualisme numérique au sein d’œuvres dystopiques contemporaines, soit une hystérésis lovée au sein de l’imaginaire social des technologies du virtuel. C’est le cas dans le jeu vidéo Enslaved.
L’habiter comme « être entre les espaces » : le cas d’Enslaved: Odyssey to the West
Enslaved: Odyssey to the West[26] est un jeu vidéo d’action et d’aventure développé par le studio Ninja Theory et lancé en 2010. Son intrigue se déroule dans une Amérique ravagée par une guerre mondiale où ne subsistent que quelques milliers de survivants. L’humanité se partage, pour reprendre les termes de son concepteur, Tameem Antoniades, entre de « petites poches de communautés tentant de mener une existence viable et des survivalistes féraux et solitaires vivant dans la nature sauvage[27] ». Il ne reste des villes précatastrophiques que des ruines envahies par la végétation et, hors de celles-ci, des terres dévastées. Les guerres du passé ont laissé pour vestiges des terrains minés et des mechs, robots homicides qui se réactivent en présence des humains.
Le jeu débute à bord d’un vaisseau esclavagiste transportant des survivants capturés et conduits en direction de Pyramide, une entité dont le joueur et les protagonistes ne savent rien. Trip, une jeune femme virtuose de la reprogrammation des technologies précatastrophiques s’évade et libère accidentellement Monkey, personnage incarné par le joueur. Ils s’évadent du vaisseau et se retrouvent au cœur de New York. Trip veut regagner sa communauté, New Haven, située à plusieurs centaines de kilomètres. Pour ce faire, elle contraint Monkey à l’y escorter en enceignant son front d’une couronne préalablement reprogrammée. Il s’agit d’un dispositif employé par Pyramide pour asservir les survivants, grâce auquel Trip contrôle la volonté de son porteur et est en mesure de l’exécuter en cas de désobéissance ou si elle devait trouver la mort. Asservi, Monkey voit donc son destin étroitement associé à celui de Trip.
Le parcours emprunté par les protagonistes est parsemé d’icônes brillantes en formes de masques. Lorsque Monkey les touche, sa couronne induit des images parasites dans son esprit. Il croit d’abord perdre l’esprit, puis soupçonne que ces images proviennent d’un dysfonctionnement de la couronne.
Arrivés à New Haven, les protagonistes constatent que les habitants ont tous été tués. Attribuant à tort le massacre à Pyramide, Trip veut retrouver ce dernier et venger les siens. Un ami de son père, Pigsy, se joint au duo. Ensemble, ils dérobent un véhicule aux proportions titanesques avec lequel ils détruisent les défenses de Pyramide. En guise d’épilogue, une cinématique[28] explique ce qu’est en réalité Pyramide. Conformément à son nom, elle se présente sous la forme d’une structure pyramidale et se situe en plein cœur de terres dévastées et désertiques. À l’intérieur figurent des milliers de captifs en rang, hochant mollement la tête de gauche et de droite, et donnant une impression de béatitude, une couronne portée sur le front. Au centre trône une entité cyberorganique (ou cyborg) connectée à des câbles et affairée à une console informatique. Sur un écran géant apparaît sa contrepartie numérique et précatastrophique, un homme qui s’adresse aux deux protagonistes. Il leur apprend que Pyramide est une arche érigée dans le but de préserver la population survivante d’un monde post-catastrophique inhospitalier. Pyramide propose à ses captifs un monde virtuel élaboré à partir de ses souvenirs nostalgiques du monde précatastrophique. Ces souvenirs, Monkey y accède de manière fragmentaire tout au long du jeu par la couronne. Devinant que Trip et lui sont ici pour le détruire, Pyramide leur propose de connecter leur esprit au monde virtuel. Monkey tombe sous le charme du monde simulé. Trip, qui n’y a pas accès, arrache les câbles et anéantit le cyborg, ce qui met fin à la simulation. Monkey et les captifs sont libérés de leur asservissement et livrés à l’âpreté du monde réel.
L’incertitude ontologique et le dualisme numérique dans Enslaved
Dans Enslaved, l’objectif de Monkey est de ramener Trip saine et sauve dans sa communauté, puis de l’aider à venger les siens en neutralisant Pyramide. Or, il s’avère que les mechs sont responsables de ce massacre, et non Pyramide, qui asservit les êtres humains afin de les protéger des menaces du monde extérieur. Toutefois, dans la cinématique finale et devant cette révélation inattendue, Trip s’investira elle-même d’une nouvelle mission : détruire le monde illusoire de Pyramide et ramener ses captifs dans le monde de la réalité souveraine, dont ils sont aliénés. Il y a donc dévoilement de l’illusion : les lieux sémantiques à prétention maximaliste se substituent aux lieux épisodiques, les régions finies de sens à la réalité souveraine.
Les icônes qui émaillent le jeu établissent autant de ponts entre le présent et le passé et spatialisent les souvenirs de Pyramide à travers le territoire foulé par les protagonistes lors de leur périple. Chaque vision se rapporte au lieu où elle se déclenche, de sorte que le joueur, dans les limites de son atlas personnel, se voit en mesure de mettre au jour l’itinéraire approximatif des protagonistes sur le territoire américain : de Manhattan à Las Vegas, en passant par les Appalaches, le grenier à blé du Midwest et le barrage Hoover.
En raison des visions induites par la couronne, des lieux épisodiques (monde réel, post-catastrophique) et sémantiques (monde virtuel, précatastrophique) se superposent dans l’atlas personnel de Monkey. Lesdites visions nuisent considérablement au protagoniste : radicalement étrangères à son expérience phénoménale du monde, elles apparaissent de manière brutale et le désorientent, l’amenant temporairement à croire qu’il a perdu la raison. Ainsi, l’incertitude ontologique, occasionnée par le choc du numérique et la crainte que ce dernier ne se substitue au réel, s’introduit dans le récit d’Enslaved alors que Monkey, alternant brutalement entre le réel et le virtuel, voit la frontière entre les deux se brouiller.
Si l’acquisition de la part sémantique des lieux est indissociable de l’épisodique, c’est-à-dire des circonstances phénoménales par lesquelles un individu accède à des connaissances portant sur des lieux absents, médiatisés, il y a là une superposition violente entre les deux modes d’accès aux lieux.
Les réminiscences
Voyons maintenant plus spécifiquement les stratégies employées par Enslaved pour appuyer sa critique de la virtualité.
Les réminiscences du monde préapocalyptique hantent sporadiquement l’esprit de Monkey sous la forme d’images et de sons fugaces induits par la couronne. La menace d’une substitution de la réalité souveraine par des régions finies de sens point alors sans pleinement se réaliser.
Les réminiscences surviennent lorsque Monkey touche à l’une des 26 icônes représentées sous la forme de masques semi-translucides et brillants disséminés dans les différents lieux du jeu. Une courte cinématique s’enclenche alors, interrompant la séquence interactive. Elle présente très brièvement, chaque fois, une série de trois images photographiques fixes, présentées une fraction de seconde chacune et articulées entre elles par une simulation de zooms avant et de fondus enchaînés[29]. Dans une même séquence, les trois images représentent toujours soit (a) un même paysage, soit (b) un même sujet, en un ou plusieurs lieux. Généralement, il s’agit d’un personnage que l’on identifie à la fin du jeu comme étant Pyramide, représenté sous sa forme humaine et précatastrophique.
Les réminiscences se présentent comme des régions finies de sens, des enclaves inscrites dans la réalité souveraine (soit le cadre de l’action du jeu). Ces images, comme on l’apprend dans la cinématique finale, constituent des souvenirs que conserve un individu (Pyramide) de l’ancien monde dans lequel il a vécu, vraisemblablement le début du XXIe siècle. À partir de ces souvenirs est construit un monde virtuel dans lequel sont immergés des survivants capturés dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Ce matériau ne constitue pas à proprement parler des pans de la mémoire épisodique de Pyramide, dans la mesure où ces souvenirs eux-mêmes sont représentés par le médium photographique. Ils témoignent donc d’une substitution, dans l’atlas de Pyramide, du lieu épisodique par le lieu sémantique.
Ayant fait l’objet d’une sélection, les souvenirs de Pyramide sont empreints de nostalgie et portent sur des événements heureux situés hors de la trivialité du quotidien, des moments de complicité partagés en famille, mais aussi des voyages et de loisirs (concert, marche et escalade en montagne, ski alpin, etc.). Les lieux précatastrophiques (sémantiques) de ces réminiscences correspondent aux lieux post-catastrophiques (épisodiques) dans lesquels évolue Monkey.
Un exemple de ce type de réminiscence figure dans le chapitre 4. Dans un Metropolitan Opera en ruine et désert, Monkey entend les musiciens d’un orchestre du passé accorder leur instrument et les spectateurs applaudir à l’ouverture des rideaux alors que ni orchestre ni public ne s’y trouvent désormais. Simultanément, la salle de concert dévastée est présentée dans un plan d’ensemble, par un travelling latéral. Un fondu au blanc annonce alors un flash-back et enchaîne sur une nouvelle séquence se déroulant dans une version précatastrophique de la même salle. La séquence est composée d’une succession rapide de trois zooms avant de type « coups de poing » sur l’image fixe d’un spectateur assis, seul, au milieu de la salle vide, représentée dans sa condition précatastrophique. Cette succession de zooms articule ensemble trois plans (plan d’ensemble – zoom avant – demi-ensemble – zoom avant – gros plan). Au troisième zoom devrait succéder un très gros plan, mais son mouvement est interrompu par un second fondu au blanc. Le travelling latéral sur la salle post-catastrophique se poursuit là où il avait été initialement interrompu par le flash-back.
Les réminiscences interviennent toujours de manière brusque. Le début et la fin des séquences de flash-back sont signalés par un fondu au blanc, technique de montage qui s’accompagne simultanément d’un bruit métallique strident. Ces séquences se composent d’une succession rapide d’images articulées entre elles par des mouvements de caméra et provoquent une vive douleur dans le crâne de Monkey. L’ensemble produit une discontinuité entre son présent et le passé de Pyramide. Ce monde discontinu, fragmenté et fragmentaire, apparaît comme une collection de lieux sémantiques en position d’altérité face à Monkey, qui est incapable d’identifier les lieux épisodiques auxquels ils se réfèrent.
La majorité des réminiscences est annoncée par une simulation de travelling contrarié[30] focalisée sur Monkey. Ce procédé, utilisé pour la première fois dans Vertigo d’Alfred Hitchcock, pour imiter une sensation subjective d’acrophobie, crée plus généralement un « effet d’étrangeté », « comme si le fait de distendre l’espace entourant le personnage principal agissait aussi sur le temps et la narration. Le personnage semble ainsi perdre pied[31] ». Cet effet contribue à rendre incertain le statut ontologique du monde réminiscent aux yeux d’un Monkey qui assimile ses visions à des hallucinations et en vient à douter de sa santé mentale. Ce doute survient dès la première réminiscence et Monkey crie de douleur lorsqu’elles affleurent. C’est uniquement dans la cinématique finale que Monkey comprendra qu’il a eu affaire à des fragments du monde virtuel généré par Pyramide à l’intention des survivants.
Les représentations induites par la couronne devraient uniquement être réelles le temps que dure l’attention que leur alloue Monkey. Néanmoins, elles apparaissent sans que des ressources attentionnelles leur soient attribuées et, en quelque sorte, neutralisent temporairement l’appareil perceptuel du protagoniste. Déjà se dessine la prétention de ces lieux sémantiques à la substitution, dans la mesure où elles obombrent la réalité souveraine dans laquelle évolue Monkey.
La brièveté de l’expérience de substitution et l’effet de disjonction radicale entre les lieux pré- et post- catastrophiques prémunissent encore Monkey d’une substitution complète du lieu sémantique au lieu épisodique – et donc d’un effet de présence qui deviendrait indiscernable de la présence effective –, laissant place à une simple incertitude ontologique. Les excursions du protagoniste dans le monde virtuel de Pyramide demeurent encore temporaires et apparaissent avec évidence comme des lieux sémantiques et non comme des lieux pseudo-épisodiques visant à se substituer aux lieux épisodiques. Pour permettre au joueur d’expérimenter le caractère intrusif des réminiscences et la disjonction qu’elles entraînent entre les lieux pré- et post-catastrophiques, le jeu les met entre parenthèses, les situe dans une enclave, soulignant leur altérité radicale et les désignant comme appartenant à des régions finies de sens (des images mentales résolument étrangères aux lieux épisodiques dans lesquels Monkey évolue lorsqu’elles surviennent), des régions distinctes de la réalité souveraine.
Les conventions par le biais desquelles les réminiscences sont placées entre parenthèses traduisent donc, dans la perspective du joueur, une intrusion brusque dans l’esprit de Monkey, le caractère invasif d’une région finie de sens court-circuitant temporairement la réalité souveraine.
Gaudreault et Jost soulignent que le cinéma a non seulement pour souci de représenter le regard des personnages, mais également les images mentales qui traversent leur esprit, de l’hallucination au souvenir, en passant par le produit de l’imagination. Un ensemble de codes, que les auteurs qualifient « d’opérateurs de modalisation[32] », variables historiquement, ont donc vu le jour afin de distinguer ce qui relève de l’image mentale de ce qui est directement perçu dans la réalité de la diégèse. Parmi ces codes figurent la surimpression et le fondu au noir, par exemple.
On retrouve de tels opérateurs de modalisation dans Enslaved. L’un d’entre eux relève d’un procédé proprement vidéoludique, alors que les autres empruntent au langage cinématographique.
Dans une logique cinématographique, des opérateurs de modalisation sont mobilisés afin de mettre les réminiscences entre parenthèses, et ce, de manière explicite. Ces dernières se signalent par des fondus enchaînés et des mouvements violents de caméra (des zooms avant rapides), qui jouent à contresens de ceux qui ont pour fonction de cadrer la réalité souveraine de Monkey. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un travelling latéral lent est interrompu par des zooms « coup de poing » avant de poursuivre sur sa lancée initiale. Les réminiscences sont également annoncées par un travelling contrarié focalisé sur Monkey. Il donne lieu à un effet déréalisant, mais aussi par un gros plan sur la couronne – laquelle s’illumine préalablement d’un faisceau de rais rouge-orange – et sur le visage du protagoniste, tordu par un rictus de douleur. Dans ce dernier cas de figure, la parenthèse se termine par un nouveau fondu enchaîné suivi d’un retour à la réalité souveraine et d’un gros plan sur le visage hébété de Monkey.
Dans une logique vidéoludique, cette fois, les réminiscences sont signalées par l’interruption d’une séquence interactive au profit d’une séquence non interactive (une cinématique). Le transport de Monkey de la réalité souveraine vers une région finie de sens, émergeant de manière autoritaire, inévitable, se traduit par analogie, chez le joueur, par une suspension temporaire (et non moins autoritaire) de sa capacité à expérimenter activement le monde du jeu : non seulement le virtuel introduit-il de l’incertitude ontologique et prétend-il se substituer à la réalité souveraine, mais il s’impose également au détriment du libre arbitre de ceux qu’il rend captif de ses simulacres.
Les opérateurs de modalisation assignent aux réminiscences le statut d’images mentales et répondent à leur caractère intrusif par des procédés cinématographiques eux-mêmes intrusifs, marqués par une opacité médiatique que Bolter et Grusin qualifient d’hypermédialité, par opposition à l’immédialité, une forme de transparence médiatique. Pour les deux auteurs, l’immédialité consiste en une représentation dont le but est de faire oublier au spectateur la présence du médium, sa matérialité, et de lui permettre de croire qu’il se trouve effectivement en présence des objets représentés. Elle favorise donc un effet de présence. L’hypermédialité poursuit le but inverse : il s’agit de rappeler au spectateur la présence du médium, sa matérialité[33]. Dès lors, l’hypermédialité met en lumière le caractère construit et illusoire de la représentation et contribue à miner l’effet de présence.
Tout dispositif médiatique usant de stratégies propres à l’immédialité vise, sous sa forme exacerbée, une substitution des lieux épisodiques par des lieux sémantiques. Il revêt alors un caractère centripète, dans la mesure où il s’agit d’immerger le spectateur (ou le joueur) dans les lieux représentés, de faire de la chorophanie le moment de l’apparition d’un lieu sémantique maximaliste effectivement habitable. Dans le cas d’un exercice d’hypermédialité, à l’inverse, il s’agit d’attirer l’attention du spectateur sur le caractère médiat de l’expérience du lieu sémantique. Il y a alors en jeu un effet centrifuge, puisque le joueur prend conscience de l’impossibilité d’habiter effectivement ce lieu, qui apparaît fortement construit, artificiel, illusoire. Les opérateurs de modalisation, en lui permettant de discriminer ce qui relève respectivement de la réalité souveraine et d’une région finie de sens, permet de dissiper l’incertitude ontologique en cartographiant et en ordonnant le monde du jeu. Dans le cas de Monkey, cette distinction n’apparaît pas aussi nettement, d’où son réflexe initial, qui est de douter de son état mental.
Simulacre et nouvelle frontière
La trajectoire mise au jour par le joueur à l’aide des réminiscences redouble l’expansion vers l’Ouest qui caractérise l’histoire des États-Unis, marquée par le mythe de la Destinée manifeste – expression qui désigne le droit à la conquête du continent américain d’un océan à l’autre accordé par la Providence – et de la Frontière, terme popularisé par l’historien Fredrick Jackson Turner et qui montrera son rôle dans la construction de l’identité américaine. Cette frontière se redessine au gré des conquêtes, des achats de nouveaux territoires et de la colonisation des terres. Elle est d’abord géographique, puis extra-atmosphérique dans la mouvance de la conquête spatiale des années 1960, avant de devenir numérique dans les années 1990[34]. L’ONG Electronic Frontier Foundation (EFF), fondée en 1990 dans le but de préserver la liberté d’expression dans le cyberespace est, à ce titre, emblématique de cet imaginaire de la Frontière revu en fonction des technologies du numérique. À ce titre, le célèbre manifeste A Declaration of the Independence of Cyberspace, de John Perry Barlow, cofondateur de l’EFF, s’inscrit parfaitement dans l’imaginaire de la Frontière comme espace de libertés individuelles situé en parallèle du monde physique, un imaginaire fortement empreint de dualisme numérique, du reste.
Enslaved opère un renversement axiologique des valeurs promues par cet imaginaire de la Frontière et de la Destinée manifeste. L’Ouest géographique, dépeint de manière dysphorique comme un désert inhospitalier, devient le lieu de l’asservissement. Il s’agit de la destination des esclaves capturés par Pyramide. Si les colons progressaient vers la frontière afin de « soumettre la nature sauvage, la prétendue wilderness[35] », les esclaves d’Enslaved se voient aliénés de cette nature, cela parce que l’Ouest géographique est redoublé d’un Ouest numérique. Il ne s’agit plus d’un cyberespace de liberté à conquérir, mais d’un lieu sémantique maximaliste, aliéné de l’environnement physique, qui prétend se substituer aux lieux épisodiques et dont les esclaves de Pyramide sont captifs. Cheminer vers l’Ouest équivaut à s’enfoncer dans une altérité composée de seuls signes, vers une hyperréalité qui se présente en lieu et place de la réalité.
Pyramide se trouve au cœur d’un Las Vegas dont il ne subsiste plus, désormais, qu’une vaste structure pyramidale en verre avec, à ses pieds, des immeubles en ruine. Elle évoque l’hôtel-casino Luxor, réplique contemporaine de la pyramide de Khéops que Monkey visualise dans une réminiscence de l’ancien monde. Ainsi, le nom Pyramide désigne à la fois (1) un homme qui a vécu avant la catastrophe, survivant désormais sous la forme d’un cyborg, (2) la structure pyramidale dans laquelle les survivants sont enfermés (le Luxor) ainsi que (3) le monde virtuel projeté à partir des souvenirs précatastrophiques du cyborg.
Au cours du jeu, Pyramide se manifeste à plusieurs reprises auprès de Monkey via la couronne. Comme nous l’avons vu, les réminiscences superposent deux époques différentes se rapportant à un même lieu. L’une d’elles constitue toutefois une exception. Lorsque Monkey quitte Manhattan avec Trip, il entre en contact avec une icône et la réminiscence se déclenche lorsqu’il aperçoit un panneau publicitaire où figure l’inscription « Pyramid: The life of your dreams » (Pyramide : la vie de vos rêves). Le slogan, qu’il s’agit de prendre au sens littéral, préfigure déjà ce qu’est véritablement Pyramide : une expérience illusoire vécue dans un monde onirique, dans une région finie de sens, et non une expérience conforme à nos plus chères aspirations (une expérience touristique hors du commun), vécue dans la réalité souveraine. Une séquence survient alors où l’on voit le créateur de Pyramide entouré de sa famille, posant devant Khéops dans un instant de bonheur précatastrophique figé, situé hors du quotidien, un moment d’exception relevant de la sphère du loisir. Le fait que cet épisode constitue l’inspiration du projet de construction d’une arche en dit long sur la nostalgie dont il est empreint.
Une structure pyramidale est représentée une nouvelle fois à la fin du jeu. Il ne s’agit plus, cette fois, du Khéops précatastrophique, mais d’un hôtel Luxor post-catastrophique aménagé en arche où des milliers de survivants sont immergés dans une même réalité virtuelle.
Le choix du Luxor et de Las Vegas comme destinations finales du jeu n’est pas fortuit. Il s’agit de lieux caractéristiques de la simulation et de l’hyperréalité où, précisément, l’illusion tend à se substituer au réel, se veut plus réelle que le réel.
La signification du terme hyperréalité, que l’on retrouve chez Baudrillard et Eco, varie d’un auteur à l’autre. Chez le premier, l’hyperréalité désigne la condition contemporaine où la représentation et la réalité sont toutes deux remplacées par la simulation, une copie sans original[36]. Chez Eco, l’hyperréalité désigne plutôt une situation culturelle circonscrite dans laquelle la copie est préférée à l’original[37]. L’hyperréalité y rend compte de l’imagination et du goût de l’Américain moyen pour la célébration et la conservation du passé sous la forme d’une copie absolue, donnée au format réel. Ce passé se présente comme une réincarnation, de sorte que « [p]our parler de choses qu’on veut connoter comme vraies, ces choses doivent sembler vraies. Le “tout vrai” s’identifie au “tout faux”. L’irréalité absolue s’offre comme présence réelle[38] ». Dès lors, pour obtenir la chose vraie, il s’agit de réaliser le Faux Absolu et l’hyperréel devient plus réel que la réalité. Les frontières entre la réalité et la représentation deviennent floues, car l’hyperréalité oblitère la distinction entre le signe et le référent[39]. Enslaved table sur les deux acceptions de l’hyperréalité lorsqu’il fait du Luxor le lieu où l’intrigue se dénoue.
La quintessence de l’hyperréalité, selon Eco, est sans doute Disneyland, qui affirme sans ambiguïté que l’on y reproduit absolument que de la fantaisie, mais que pour en apprécier les objets, le « tout faux » doit être pris pour vrai : « Disneyland nous dit que la nature falsifiée répond davantage à nos exigences de rêve éveillé […] Disneyland nous dit que la technique peut nous donner plus de réalité que la nature[40] ».
Si Las Vegas occupe bien peu Eco lors de sa recherche du faux absolu, c’est que le Luxor n’a pas encore été inauguré à l’époque de ses chroniques de l’hyperréalité, cette ville-hôtel absolument fausse. Selon Firat, ce qui fait de Las Vegas une ville hyperréelle est sa tendance à reléguer à l’arrière-plan la représentation fidèle et loyale des originaux qu’elle copie afin de proposer, grâce aux nouvelles technologies, des simulations beaucoup plus impressionnantes (hyperréalité au sens d’Eco). Ces dernières, écrit-il, « sont puissantes de par leur capacité à devenir la norme, le réel; elles sont hyperréelles. L’excès qui (re)présente le secret de la haute-modernité […] est alors “plus réel que le réel” [41]». On trouve donc dans ces simulations une prétention de l’hyperréel (baudrillardien, cette fois) à se substituer au réel.
Comme le signalent Douglass et Raento, les trois villes-hôtels que sont le Luxor, l’Excalibur et le Mandalay Bay, entre lesquelles on circule à l’aide d’un monorail, ont été conçues comme des temples du plaisir autonomes, tout en entrées et sans sorties, invitant les touristes à une traversée du miroir vers un monde intemporel et labyrinthique aux incalculables stimuli et dont la fonction est de désorienter tout autant que de prodiguer du plaisir afin de prolonger au possible le séjour. La conception architecturale de leurs casinos – microniches aux plafonds bas, à l’éclairage tamisé, et dépourvues de fenêtres et d’horloges – mise sur le confort et la suspension du temps pour rendre captifs les visiteurs, comme le font avec leurs mécaniques propres les mondes virtuels[42].
Sur la question de l’hyperréalité, le Luxor constitue un cas intéressant. Il s’agit d’une pyramide de verre inspirée de Khéops dont la frontière entre le faux et l’authentique est brouillée : par le biais de son film interactif In Search of the Obelisk (1993), il renverse le rapport copie-original par le truchement de la fiction et se forge un passé mythique. La copie, en d’autres termes, se substitue à l’original. Moins un film qu’une immersion dans un monde virtuel projeté sur écran de cinéma IMAX et agrémenté de dialogues interactifs, cette expérience immersive relate la découverte d’une antique pyramide construite par une civilisation extraterrestre technologiquement avancée dans le désert du Nevada par une équipe d’archéologues aventuriers. Son réalisateur, Douglas Trumbull, montre bien le renversement en question lorsqu’il énonce : « En concevant les motifs et la configuration architecturaux de cette civilisation pré-égyptienne [extraterrestre], notre idée était que tout ce que vous avez pu voir en Égypte n’était qu’un pauvre fac-similé de ce qu’une civilisation hautement technologique a développé[43] ». Non seulement la simulation s’avère-t-elle plus impressionnante que l’antique Khéops, mais elle la précède historiquement, faisant de la merveille du monde une simple copie de l’authentique Luxor, cette dernière devenant, devant ce renversement, plus réelle que le réel, c’est-à-dire hyperréelle.
Dans Enslaved, la simulation de Pyramide n’est pas sans analogie avec le Luxor de Las Vegas. La traversée du miroir – métaphore carrollienne abondamment employée dans les années 1990 pour qualifier l’entrée des usagers dans le cyberespace ou les mondes virtuels, conceptualisés comme des espaces séparés de l’expérience de la vie quotidienne, en conformité avec le dualisme numérique – se fait ici à sens unique : la seule sortie possible implique la destruction du dispositif sur lequel repose la simulation. Le temps y est figé, les usagers vivant une époque circonscrite et révolue dont les événements suivent invariablement le même cours. Enfin, la simulation se présente comme un espace clos, situé hors du quotidien des individus immergés.
Plus significatif est le parallèle que l’on peut établir entre le Luxor hyperréel et le Khéops réel, d’une part, et le monde virtuel précatastrophique de Pyramide et le monde post-catastrophique de Monkey, d’autre part. En effet, lorsque le jeu représente, par le truchement de ses cinématiques, des pans du monde virtuel de Pyramide au cours de réminiscences ou de projections sur les parois intérieures de la structure pyramidale de l’arche, il ne s’agit pas d’images de synthèse, mais bien de photographies. Telle qu’elle est affichée à l’écran au joueur, la région finie de sens (le monde virtuel de Pyramide) qu’expérimente Monkey apparaît comme plus réelle que cette réalité souveraine qu’est le monde post-catastrophique : les lieux sémantiques d’Enslaved apparaissent donc, toujours dans l’optique du joueur, comme plus réels que les lieux épisodiques. En effet, la réalité souveraine de Monkey est représentée à l’aide d’images stylisées; elles sont loin de posséder le degré de photoréalisme requis pour rivaliser en fidélité avec le rendu proprement photographique de la région finie de sens. Si ce qui s’affiche à l’écran à l’intention du joueur s’avère équivalent (sans s’y réduire) à ce que Monkey visualise lui-même, alors le monde virtuel montré à l’aide d’images photographiques équivaut, pour Monkey, à ce qu’est l’hyperréalité pour le joueur, à laquelle correspond le Luxor et son attraction interactive In Search of the Obelisk, qui se veulent plus réels que le réel, plus authentiques que le lieu original auquel ils se substituent. En d’autres termes, le monde photographique (virtuel) de Pyramide constitue pour Monkey une hyperréalité et le monde en images de synthèses, d’un degré moindre de photoréalisme, le monde réel (sa réalité souveraine).
L’interface de jeu et les cinématiques représentant les réminiscences induites par la couronne permettent au joueur de visualiser les images mentales de Monkey. Ces images demeurent de l’ordre du représentable. Ce n’est plus le cas à la fin du jeu, dans la cinématique conclusive. Celle-ci débute à la suite de la destruction du système de défense de Pyramide. Monkey et Trip pénètrent ensuite dans cette dernière. On y voit les milliers de captifs de l’arche disposés en rangs, couronne au front, béats, bercés au gré des simulations. Les protagonistes aperçoivent alors le cyborg contrôlant Pyramide. Derrière elle, sa contrepartie précatastrophique, humaine, apparaît sur un écran géant. Non pas sous forme d’images de synthèses, contrairement au cyborg, mais sous forme vidéographique ou filmique. Il leur explique ce qu’est Pyramide et nie son implication dans les massacres perpétrés par les mechs qui émaillent le territoire américain. Il se dévoue à la sauvegarde des survivants et non à leur destruction. Des images photographiques sont projetées sur les parois intérieures du bâtiment. Monkey affirme alors les avoir vues dans ses réminiscences, et Pyramide confirme qu’elles appartiennent à la simulation :
[Pyramide :] Vous voyez ce qu’ils [les milliers d’esclaves en rangs] partagent avec moi. Ce ne sont pas des esclaves, ce sont des citoyens. Ils travaillent, ils se marient, ils élèvent leurs enfants. Les enfants vont à l’école. Vous n’avez plus d’écoles. Vous avez des machines. Votre monde est une terre désolée où il faut se battre pour survivre. Pyramide peut vous offrir un autre monde[44].
Monkey accuse Pyramide de ravager le monde des survivants pour faire vivre le sien. Ce dernier l’invite alors à porter le masque de l’hybride afin de connaître le monde simulé avant de décider s’il compte ou non le détruire. Monkey s’exécute et place le masque sur son visage. Il expérimente alors la simulation. Cette fois-ci, le joueur n’a aucunement accès aux images mentales induites dans l’esprit du protagoniste. La cinématique représente Monkey en train de vivre la simulation et non ce qu’il visualise. La substitution à la réalité souveraine d’une région finie de sens et l’expérience des lieux sémantiques maximalistes ressentis comme une présence effective et immédiate, et non plus comme effet de présence, relèvent de la science-fiction. Il devient donc vain de tenter de faire vivre au joueur une expérience analogue à celle de Monkey, qui demeure impossible à représenter autrement qu’en dépeignant les effets du monde simulé sur lui. Le joueur constate alors l’efficacité du dispositif de réalité virtuelle de Pyramide sur le personnage qu’il incarne, sa force de séduction en tant que nouvelle réalité souveraine, tout en se voyant préservé de cette même séduction.
Si les réminiscences provoquent des rictus de douleur et de l’hébétude chez Monkey, soulignant leur violence et leur caractère disjonctif vis-à-vis de la réalité souveraine, la simulation génère du ravissement et de la béatitude. Le rictus de douleur survient uniquement à la suite de l’interruption de la simulation par Trip, lorsqu’elle arrache les fils reliant le cyborg au dispositif qui en assure le fonctionnement. Le Pyramide précatastrophique disparaît et les lumières s’éteignent. Une rumeur se fait entendre alors que les esclaves, déconnectés de la simulation, au même titre que Monkey, reviennent au monde de la réalité souveraine. La cinématique s’achève avec un plan extérieur sur Pyramide et l’étendue désertique qui la borde. Cette fin concorde avec trois formes de libération : (1) Trip libère Monkey de l’emprise qu’elle exerçait sur lui à l’aide de la couronne. (2) Les esclaves et Monkey sont libérés de la simulation. (3) Le joueur est libéré du jeu – un monde virtuel potentiellement aussi aliénant que celui de Pyramide – alors que le générique en signale la fin.
Les lieux sémantiques maximalistes s’évanouissent alors que le dispositif de simulation responsable de la chorophanie est détruit.
Conclusion : deux pérégrinations vers l’Ouest
Le récit d’Enslaved constitue une adaptation libre de La pérégrination vers l’Ouest, roman paru en 1592 et attribué à Wu Cheng’en. Il relate les péripéties du moine Tripitaka de la cour impériale des Tang au pic des Vautours, en Inde, demeure du Bouddha.
Plusieurs similitudes lient le jeu et le roman. Les deux récits proposent une quête qui conduit les personnages vers l’Ouest. Dans le roman, il s’agit de gagner le pic des Vautours et d’en ramener les écritures sacrées qui représentent le « Chemin de la Perfection, la Porte qui conduit au Vrai et au Bien[45] » afin d’éclairer le peuple chinois. Dans ce pays, les bouddhistes, écrit le sinologue Jacques Gernet, se réfèrent
à un transcendant qui, comme tel, est au-delà du sensible et qui est en même temps au cœur même de chaque individu […] [Ils] voient dans cet absolu intériorisé la seule réalité véritable et considèrent le monde visible comme pure fantasmagorie – “montagnes et fleuves, terre immense, disent-ils, ne sont qu’une maladie de la vision”[46] ».
Dans Enslaved, la quête ultime consiste à neutraliser Pyramide, un dispositif de réalité virtuelle qui asservit les êtres humains et les aliènent du monde réel en les rendant captifs d’un monde illusoire. Dans La pérégrination comme dans Enslaved, il y a donc dévoilement de l’illusion : dans le premier cas, il s’agit de la réalité souveraine, qui se substitue à une réalité transcendante que voilent nos perceptions. Dans le second cas, les lieux sémantiques à prétention maximaliste se substituent aux lieux épisodiques, les régions finies de sens à la réalité souveraine, les signes du réel au réel. Dans le roman, l’illusion est à la réalité transcendante ce que l’hyperréalité du virtuel est au réel dans Enslaved.
Le jeu fait ici la part belle aux craintes que suscite la virtualité, alors que celle-ci est présentée comme un simulacre doublé d’une menace pour le libre arbitre. Et ironiquement, c’est en immergeant le joueur dans un monde virtuel au sein duquel lui sont dictés les objectifs qu’il doit accomplir qu’il lui dévoile le caractère à la fois illusoire et autoritaire de la virtualité. Le message est d’autant plus ironique que le jeu présente la déconnexion comme un remède contre la substitution du virtuel à la réalité.
Christophe Duret
Université de Montréal
Bio-bibliographie
Christophe Duret détient un doctorat en études françaises et une maîtrise en communication de l’Université de Sherbrooke, où il est chargé de cours depuis 2016. Il effectue depuis 2019 un stage postdoctoral à l’Université de Montréal portant sur la représentation de l’habiter urbain dans les jeux vidéo cyberpunk de la décennie 2010. Christophe Duret gère la liste de diffusion Paidia, consacrée aux études vidéoludiques francophones. Il a également codirigé un ouvrage portant sur l’intertextualité dans les jeux vidéo (Contemporary Research on Intertextuality in Video Games). Deux autres, en préparation, porteront sur l’habiter urbain et les mondes dystopiques dans la fiction contemporaine. Enfin, il a publié plusieurs articles dans des revues telles que Sciences du Jeu, Communication & organisation, Itinéraires : Littérature, Textes, Cultures, Recherches en communication et Intermédialités. Ses champs d’intérêt en recherche portent notamment sur la mésocritique, les études vidéoludiques, les récits transmédiatiques et l’intermédialité.
Notes
[1] Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1996, p. 32 et 37.
[2] Ibid., p. 39.
[3] Cité dans Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991, p. 11.
[4] Endel Tulving, « Episodic and Semantic Memory », dans Endel Tulving et Wayne Donaldson [dir.], Organization of Memory, New York et Londres, Academic Press, 1972, p. 386.
[5] Karima Kahlaoui, Thierry Baccino, Yves Joanette et Marie-Noële Magnié, « Pictures and Words: Priming and Category Effects in Object Processing », Current Psychology, vol. 3, no 23, 2007, p. 1-13.
[6] Le préfixe « choro- » est emprunté au grec ancien χώρα (khốra), dont nous retenons spécifiquement, ici, la signification de « lieu ».
[7] Umberto Eco, Lector in fabula, Paris, Grasset et Fasquelle.
[8] Bertrand Gervais, « L’effet de présence », Archée, no 4, p. 1.
[9] Ibid., p. 2.
[10] Katie Salen et Eric Zimmerman, Rules of Play, Cambridge, The MIT Press, 2003.
[11] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981.
[12] Stéphane Vial, « La fin des frontières entre réel et virtuel », dans Hakim Hachour, Naserddine Bouhaï et Imad Saleh [dir.], Frontières numériques et artéfacts, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 135.
[13] Nathan Jurgenson, « When Atoms Meet Bits », Future Internet, no 4, 2012.
[14] Guillaume Latzko-Toth et Serge Proulx, « Le virtuel au pluriel. Cartographie d’une notion ambiguë », dans Serge Proulx, Louise Poissant et Michel Sénécal [dir.], Communautés virtuelles : Penser et agir en réseau, Québec, PUL, 2006.
[15] Stéphane Vial, « Contre le virtuel. Une déconstruction », Médiation et Information, no 37, 2014.
[16] Ibid., p. 179.
[17] Jean-Michel Besnier, « Introduction », dans Gilles Cohen-Tannoudji [dir.], Virtualité et réalité dans les sciences, Gif-sur-Yvette, Frontières, 1995.
[18] Stéphane Vial, « Contre le virtuel. Une déconstruction », op. cit., p. 181.
[19] Ibid., p. 181.
[20] Stéphane Vial, « La fin des frontières entre réel et virtuel », op. cit.
[21] Stéphane Vial, « Contre le virtuel : Une déconstruction », op. cit., p. 186.
[22] Neal Stimler et Stéphane Vial, « Digital Monism: Our Mode of Being At The Nexus of Life, Digital Media and Art », [en ligne]. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01164486 (Site consulté le 12 septembre 2020).
[23] Guillaume Latzko-Toth et Serge Proulx, « Le virtuel au pluriel. Cartographie d’une notion ambiguë », op. cit., p. 58.
[24] Nathan Jurgenson, « When Atoms Meet Bits ».
[25] Anne Larue, « Le médiévalisme : Entre hypnose numérique et conservatisme rétro », Itinéraires. Lettres, textes, cultures, no 3, 2010, p. 89.
[26] Ninja Theory, Enslaved: Odyssey to the West, Angleterre, Namco Bandai Games, 2010. (version Xbox 360).
[27] Cité dans Robert Purchese, « Heavenly Sword Developer Ninja Theory Talks up its Next Adventure », [En ligne]. http://www.eurogamer.net/articles/enslaved-interview (Site consulté le 10 octobre 2017).
[28] Cinématiques : séquences animées et non interactives adoptant le langage cinématographique afin de transmettre au joueur un contenu d’ordre narratif.
[29] Notons que dans les cinématiques, les prises de vue et les techniques de montage cinématographiques ne sont pas effectuées mécaniquement; elles sont simulées.
[30] Technique impliquant l’utilisation conjointe d’un travelling et d’un zoom en des mouvements contraires. Elle conserve le même cadrage sur le sujet principal tout en créant une distorsion de l’arrière-plan, lequel s’éloigne du sujet en avant-plan lors d’un zoom arrière et se rapproche lors d’un zoom avant (Vallet 2016).
[31] Yannick Vallet, La grammaire du cinéma, Paris, Armand Colin, 2016, 113 p.
[32] André Gaudreault et François Jost, Le récit cinématographique, Paris, Armand Colin, 2005, p. 137.
[33] Jay David Bolter et Richard Grusin, Remediation: Understanding new media, Cambridge, The MIT Press, 1999.
[34] Yannick Harrel, « Le concept américain de nouvelle frontière. De la conquête de l’Ouest au cyberespace », DIPLOWEB, [En ligne]. https://www.diploweb.com/Le-concept-americain-de-nouvelle.html#nh10 [Site consulté le 3 mars 2018].
[35] François Duban, « L’Écologisme américain. Des mythes fondateurs de la nation aux aspirations planétaires », Hérodote, no 100, 2001, p. 57.
[36] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, op. cit.
[37] Umberto Eco, La guerre du faux, Paris, Grasset & Fasquelle, 2008.
[38] Ibid., p. 14.
[39] Nicholas Perry, Hyperreality and Global Culture, New York et Londres, Routledge, 1998.
[40] Umberto Eco, La guerre du faux, op. cit., p. 36.
[41] A. Fuat Firat, « The Meanings and Messages of Las Vegas. The Present of our Future », M@n@gement, vol. 4, 2001, p. 110.
[42] William A. Douglass et Pauliina Raento, « The Tradition of Invention. Conceiving Las Vegas », Annals of Tourism Research, vol. 31, no 1, 2004.
[43] DOCFILMS, « The History of Las Vegas », [En ligne], http://www.yousubtitles.com/The-History-of-Las-Vegas-documentary-id-1681089 (Site consulté le 28 août 2018).
[44] Ninja Theory, Enslaved: Odyssey to the West, op. cit.
[45] Wu Cheng’en, Le singe pèlerin, ou, Le pèlerinage d’Occident (Si-yeou-ki), traduit du chinois par Arthur Waley, version française établie par George Deniker, Paris, Payot, 2003, p. 390.
[46] Jacques Gernet, « Leçon inaugurale prononcée le jeudi 4 décembre 1975 », [En ligne]. http://books.openedition.org/cdf/795 (Site consulté le 27 juillet 2018).