Le jeune Christopher Nolan : Lecture merleau-pontienne de Following, Insomnia et Memento

Par Ivan Bricka — L’incertaine réalité : Rêves, illusions et hallucinations

Introduction

Christopher Nolan est devenu un incontournable du cinéma hollywoodien. Aujourd’hui associé à des superproductions d’action et de science-fiction à grand budget – la trilogie Dark Knight (2005, 2008, 2012), Inception (2010), Interstellar (2014), et le récent Tenet (2020) – son nom évoque aussi la mise en scène de thématiques psychologiques souvent troublantes auxquelles s’ajoutent parfois des réflexions métaphysiques profondes. Ses films sont reconnus pour leur montage complexe, leurs images léchées[1], et leurs développements de personnages rigoureusement travaillés[2]. On leur reproche leur manque de diversité[3], leur représentation réductrice des femmes et leurs scènes d’action froides et impersonnelles[4] (Tenet faisant exception[5]). C’est que l’histoire est bien souvent la même : un homme, généralement dans la force de l’âge et hanté par un passé traumatique, entreprend ou se voit confier une périlleuse (et potentiellement fatale) mission qui le forcera à faire face à ses démons et à sa propre culpabilité. À ce schéma classique du film noir[6] (films criminels mettant en scène une certaine violence et jouant avec l’ambiguïté morale des protagonistes[7]), Nolan ajoute avec un talent indéniable des éléments formels qui l’opacifient et le densifient à souhait. Ainsi, des flashbacks et un montage en contrepoint révèleront les origines du protagoniste (ou d’un antagoniste), et un revirement de situation final nous forcera à considérer le film sous un autre point de vue (nous obligeant parfois à un deuxième visionnement). Le tout sera saupoudré çà et là de confiance, de trahison et de romance.

Depuis son Batman Begins, aidé par l’octroi de budgets de plus en plus importants, le réalisateur anglo-américain a peaufiné l’esthétique de ses œuvres en y intégrant la musique épique et prenante d’Hans Zimmer (Tenet faisant exception), et des décors imposants. Mais avant de baigner dans cette abondance de moyens, Nolan était déjà un auteur visiblement obsédé par les thématiques psychologiques et philosophiques qu’il exploite aujourd’hui. Dans ses trois premiers longs-métrages – Following, Memento et Insomnia –, il explorait en effet, en se fondant sur les codes du film noir, son thème de prédilection, à savoir la relation ambiguë entre le sujet et la Vérité. Ici, nul besoin de transférer sa conscience dans le rêve d’un autre ou de plonger au cœur d’un trou noir pour faire surgir les grands questionnements métaphysiques : une simple histoire de meurtre, d’enquête et de petits criminels semble suffire.

Nous allons voir que ces trois films peuvent être appréhendés comme une trilogie s’articulant autour des notions d’identité personnelle et de culpabilité, lisible du point de vue de la théorie phénoménologique du philosophe français Maurice Merleau-Ponty. Dans Following, Memento et Insomnia se déploie le thème de la culpabilité pour faire apparaitre des interrogations sur le regard d’autrui, le corps, la parole, la perception, et, par extension, le rapport d’un sujet au monde, la tension irrésolue entre subjectivité et objectivité. Ces concepts sont au cœur de la phénoménologie de Merleau-Ponty, et la description qu’il en fait est, sous bien des aspects, décelable dans l’œuvre du jeune Christopher Nolan, et ce, à la fois dans leur forme et dans leur fond.

Résumés des films

Following

Sorti en 1998, Following relate l’histoire d’un jeune écrivain au nom et aux origines inconnus qui s’adonne à suivre des gens sélectionnés au hasard pour trouver de l’inspiration. Durant ses errances, il fait la rencontre de Cobb, un petit criminel spécialisé dans les vols à domicile, qui l’entraine sans grande difficulté dans ses larcins. Le jeune homme voue une admiration considérable à son nouveau complice, au point où il adopte sa coupe de cheveux et son style vestimentaire. Mais cette amitié prend fin lorsque Cobb l’attaque après avoir appris qu’il avait développé une relation avec une de leurs victimes. Celle-ci confie au jeune homme être sous l’emprise d’un puissant criminel qui la fait chanter, et lui demande de dérober le contenu d’un coffre dans lequel son bourreau cache des photos compromettantes d’elle. Le protagoniste s’exécute, mais découvre rapidement non seulement que le coffre ne contenait pas de photos compromettantes, mais aussi que sa nouvelle amie est de connivence avec Cobb, et qu’ils ont ensemble planifié de lui faire porter le chapeau pour la mort d’une vieille dame. Le jeune homme se rend alors à la police pour tout confesser, ignorant qu’entre-temps Cobb avait, pour le compte du puissant criminel, tué leur amie commune et forgé des preuves pour le faire arrêter pour ce meurtre. Le protagoniste réalise dès lors qu’il était en fait, depuis sa rencontre avec Cobb, l’instrument d’un plan meurtrier diaboliquement orchestré.

Memento

Memento (2001), c’est l’histoire de Lenny, un ex-enquêteur pour une compagnie d’assurance qui, lors d’une attaque subie chez lui, voit sa femme mourir et se retrouve aux prises avec une condition rare qui l’empêche de former des souvenirs à court terme. Déterminé à retrouver et à tuer l’assassin de son épouse, mais limité par sa nouvelle maladie, il mène une enquête des plus singulières : il se voit forcé de prendre régulièrement des photos polaroid de ses rencontres, de noter toute nouvelle information, et même de se tatouer des indications considérées comme essentielles à son entreprise. Sur sa route, il croise Teddy, un homme qui se présente comme un policier infiltré et dont le vrai nom est John, et Natalie, une serveuse de bar liée au crime organisé. Ces deux personnes l’aident dans sa quête, mais instrumentalisent en même temps sa condition à des fins personnelles, et Lenny garde à leur égard une attitude ambivalente de confiance et de méfiance. Une partie importante du récit nous est présentée de manière antéchronologique; le début du film constitue la fin de l’histoire, et sa fin, un évènement clé près du commencement. Le film s’ouvre lorsque Lenny tue Teddy, qu’il croit être l’assassin de sa femme, et se termine quelque temps plus tôt dans le déroulement de l’histoire, quand il réalise qu’il est lui-même responsable, involontairement, de la mort de sa femme. Il décide alors d’utiliser sa condition pour se mentir à lui-même, et se faire croire que l’homme qu’il recherche est Teddy.

Insomnia

Dans Insomnia, sorti en 2002, nous suivons Will Dormer, un policier détective envoyé avec son partenaire en Alaska – à un moment de l’année où le soleil ne se couche jamais – pour élucider le meurtre de Kay Connell, une adolescente de la région. Alors qu’il poursuit le suspect dans le brouillard, Will tire sur une silhouette et réalise rapidement qu’il vient en fait d’abattre son collègue. La détresse psychologique qui s’en suit, doublée de l’absence constante d’obscurité, génère en lui une insomnie insupportable. Durant l’une de ces crises, il se fait contacter par Walter Finch, écrivain quinquagénaire suspecté dans la mort de la jeune fille, qu’il tente d’appréhender sans succès et qui finit par lui proposer une rencontre en lieu sûr. Finch lui confesse avoir bel et bien tué Kay Connell sans pour autant avoir prémédité ou même désiré cet acte, mais lui dit aussi avoir été témoin du coup de feu déclenché par Dormer lorsqu’il a tué son partenaire. À la suite de cette discussion, Will se met à interroger ses propres intentions : c’est que son collègue allait, de son propre aveu, collaborer avec les affaires internes qui pourraient rouvrir un dossier dans lequel Will a fabriqué des preuves contre un prévenu qu’il savait coupable de meurtre et de torture d’enfant et que le jury aurait probablement innocenté. Si la mort de son partenaire est une bénédiction pour lui, pourrait-il l’avoir préméditée? Le film se termine lorsque Dormer, après un échange de coups de feu avec Finch, s’éteint après avoir tout confessé à une policière de la région. « Laissez-moi dormir » sont ses derniers mots.

 

Merleau-Ponty : le sujet, le monde et la perception

Figure essentielle du mouvement phénoménologique, le philosophe français Maurice Merleau-Ponty s’est penché, tout au long de sa carrière, sur l’épineuse question du rapport sujet-monde. En se fondant principalement sur la phénoménologie d’Edmund Husserl, il propose de décrire ce rapport comme l’expression originelle d’un déploiement de sens, précédant la constitution du pôle sujet et du pôle monde. Pour Merleau-Ponty, la perception (son thème de prédilection), n’appartient pas au sujet, elle s’impose à lui. Elle ne coïncide pas non plus avec le « monde » objectif – sinon il n’y aurait ni illusions ni biais cognitifs –, mais le dévoile, ou plutôt l’annonce. Elle est un acte créateur de significations par nature inachevé : le sens qu’elle fait émerger n’est jamais totalement déterminé, il indique autre chose, il exige, en définitive – une enquête[8].

Merleau-Ponty a exploité et développé ces concepts à travers une panoplie de champs disciplinaires, de la biologie animale à l’histoire de l’art, en passant par la psychologie, la linguistique et la littérature – ce qui rappelle la multitude de genres cinématographiques empruntés par Nolan pour traiter de thèmes similaires. Dans son travail, il accorde une place bien particulière à l’Humain, qu’il décrit comme un animal jeté, par ses compétences et performances langagières, dans un rapport unique à son environnement. Selon le phénoménologue, la perception humaine objectifie le monde, investit ses objets d’une existence autonome et indépendante. Cette singularité perceptuelle est rendue possible par une « attitude catégoriale[9] » propre à notre espèce, attitude par laquelle le sujet peut appréhender un objet sous différents points de vue, en s’extirpant virtuellement de sa situation spatio-temporelle pour s’imaginer adopter le regard des autres – quand bien même ceux-ci appartiendraient à une autre époque ou à un autre lieu. C’est sur cette faculté que se développe le langage, qui fait surgir les choses en leur absence[10], les explique et les décrit, en exploitant la capacité des humains à s’émanciper (bien que jamais totalement) de leur contexte sensoriel immédiat. Pour Merleau-Ponty, le monde et son sens sont donc d’une part révélés par la perception, et d’autre part constitués, entre autres, par le langage et le regard des autres.

Les thématiques merleau-pontiennes dans la forme des premiers films de Christopher Nolan

Le montage

Sur le plan formel, Following, Memento et Insomnia révèlent des choix esthétiques – comme nous allons le voir audacieux pour les deux premiers et plus conventionnels pour le dernier – qui imposent aux spectateurs et spectatrices une certaine distanciation relativement à l’œuvre. Les procédés utilisés par Nolan nous sortent en effet rapidement et fréquemment de notre expérience « passive » de contemplation et nous imposent un questionnement, souvent temporel, sur la place qu’occupent les images que nous percevons dans la structure de l’œuvre.

Ce qui saute le plus aux yeux, du point de vue formel, c’est l’originalité du montage et la structure du récit. Dans Following et Memento, la succession des scènes n’est pas chronologique, et il nous faut user de quelque réflexion pour appréhender l’ordre « réel » des évènements. Following est ainsi constitué de quatre tranches temporelles, que l’on distingue principalement par l’apparence du personnage principal – d’abord barbu aux cheveux longs, puis bien rasé aux cheveux courts, et finalement le visage couvert d’ecchymoses. Trois de ces tranches s’entrecoupent dynamiquement tout au long du récit, la dernière les englobe en se contentant d’ouvrir et de conclure le film. Les différentes parties se chevauchent à l’aide de raccords thématiques subtils qui appellent un second visionnement.

Memento est, quant à lui, constitué de pas moins de 46 blocs temporels répartis en deux sous-histoires. La première, présentée en couleurs, se déroule de manière antéchronologique, alors que la seconde, en noir et blanc, se déroule chronologiquement. Le récit présente tour à tour un bloc de la première sous-histoire et un bloc de la deuxième sous-histoire, et les fait se réunir dans une scène finale qui débute en noir et blanc et se termine en couleurs. À ces 46 blocs s’ajoutent de nombreux flashbacks, eux aussi présentés tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc.

            Cette construction temporelle singulière de Following et Memento fait écho à la conception merleau-pontienne du mouvement du sens dans le temps. D’abord, le montage de Nolan n’a pas ici la fonction de représenter une relativité temporelle « objective », comme c’est le cas dans Inception ou Interstellar, mais plutôt celle de subordonner l’histoire à un sens qui la précèderait, qui serait plus fondamental qu’elle, à savoir la dispersion de l’identité des protagonistes. Pour Merleau-Ponty, notre conception de la temporalité dérive du sens de notre vécu. C’est ce sens, expérimenté au présent, qui fait surgir tel souvenir plutôt que tel autre dans une situation donnée, « […] la “projection de souvenirs” n’est qu’une mauvaise métaphore qui cache une reconnaissance plus profonde et déjà faite.[11] » L’ordre chronologique est toujours une construction a posteriori des évènements, une construction parmi bien d’autres possible, le sens qui préexiste à la cristallisation des moments dans une suite froidement établie n’est lui-même pas un « moment » fixé dans le temps : « Le passé et l’avenir n’existent que trop dans le monde, ils existent au présent […] » Présenter les scènes de Memento dans l’« ordre réel » ne serait pas plus juste ou plus fidèle à la réalité puisque, ce faisant, nous perdrions toute la dimension psychologique confuse et incertaine de Lenny, le personnage principal.

Ce montage pose aussi une question méréologique : il révèle avec force que l’œuvre n’est pas réductible à la somme de ses parties. C’est plutôt l’inverse : chaque partie ne prend sa signification que relativement au film pris dans sa globalité. L’une des premières images de Following nous montre le héros, le visage boursouflé, parlant à un homme plus âgé dans une salle sombre. Nous ignorons où il se trouve, à qui il s’adresse et d’où proviennent ses blessures, la scène se termine donc sans être pour autant complète. Sa signification ne nous est donnée qu’à la fin du film, lorsque nous savons que le jeune homme s’est fait attaquer par son ami et qu’il se trouve dans un commissariat, en train de parler avec un enquêteur. Nous ne revoyons pas la scène, ce qui ne l’empêche pourtant pas d’être réveillée par le montage, qui lui confère un sens nouveau à la lumière de l’œuvre maintenant close. Merleau-Ponty nous dit, dans La Prose du monde, « qu’il y a deux langages : le langage d’après-coup, celui qui est acquis, et qui disparait devant le sens dont il est devenu porteur – et celui qui se fait dans le moment de l’expression, qui va justement [nous] faire glisser des signes au sens –, le langage parlé et le langage parlant.[12] » Il y a donc le film que nous découvrons, et, plus tard, le film découvert, dont nous nous souvenons. Ceci est vrai de toutes les œuvres d’art, mais la particularité de Following et de Memento est qu’elles nous font prendre conscience de cette dichotomie au moment même de la contemplation, de l’expression. En brisant fréquemment la continuité « naturelle » du récit, celle qui nous emporterait calmement, sans nous forcer à prendre du recul et nous questionner, Nolan nous fait prendre conscience que nous sommes devant une œuvre dont le sens ne nous est pas immédiatement accessible, une œuvre, pour ainsi dire, qui assume dès les premières minutes sa non-transparence. En nous dérobant cette transparence de l’œuvre, Nolan exécute le plan du personnage de Cobb qui, au début de Following, explique le modus operandi qu’il suit lorsqu’il dérobe des objets personnels aux victimes de ses vols à domicile par les mots suivants « On leur enlève ce qu’ils possèdent pour leur faire réaliser ce qu’ils avaient.[13] »

Même une fois le film achevé, le sens n’est pas totalement fermé. Chacun aura, sans doute, une théorie, une impression ou une croyance sur l’innocence ou la culpabilité de Will Dormer (nous y reviendrons) à la fin d’Insomnia – tout comme la toupie dans le dernier plan d’Inception a donné naissance à une multitude spectaculaire de spéculations chez les internautes cinéphiles[14]. Toutefois, la signification de l’œuvre n’est pas pour autant « créée » par le spectateur ou la spectatrice, qui n’y met du « sien » que dans une mesure restreinte : « […] ce livre que j’aime, je n’aurais pas pu le faire » nous dit Merleau-Ponty, « De tout ce que j’apportais, il s’est servi pour m’attirer au-delà[15] ». Il y a dans l’œuvre, pour la personne qui la contemple, un sens dense, mais jamais entièrement clos. Une analogie peut être trouvée dans un exemple perceptuel de la Phénoménologie de la perception : « Un cube dessiné sur le papier change d’allure selon qu’il est vu d’un côté et par-dessus ou de l’autre côté et par dessous. Même si je sais qu’il peut être vu de deux façons, il arrive que la figure se refuse à changer de structure et que mon savoir ait à attendre sa réalisation intuitive.[16] » Nous pouvons voir le cube du dessus ou de côté, mais nous ne pouvons pas y voir une sphère, tout comme les variations possibles du sens d’une œuvre cinématographique restent limitées, assujetties à sa structure – et nous pouvons changer notre perspective, mais seulement dans sa globalité, jamais partie par partie. Ajoutons que dans le visionnage de Memento comme dans la contemplation du dessin d’un cube, la connaissance rationnelle de la structure présentée précède sa saisie intuitive, le « senti » émerge de la raison.

La couleur du monde

Un autre aspect formel central dans les trois premiers films de Nolan est l’utilisation de la couleur et du noir et blanc. Following est intégralement tourné en noir et blanc, Memento est un hybride de couleurs et de noir et blanc, et Insomnia est coloré du début à la fin. Pourquoi, en 1998, sortir un film en noir et blanc? Pour évoquer les films noirs d’une époque révolue, peut-être. Pour limiter les risques, précipités par un manque d’expérience, d’un éclairage maladroit, ou d’une coloration fade due à matériel bon marché, ce sont là aussi des hypothèses probables. Si Following était l’unique film de la carrière de Nolan, ces trois raisons formeraient sûrement une explication complète du choix esthétique. Mais la coexistence des couleurs et du noir et blanc dans Memento vient ébranler cette théorie et ajouter un sens plus profond à cette distinction : Nolan a manifestement choisi d’entrer progressivement dans le cinéma en couleurs, via la réalisation d’un film qui accorde au noir et blanc une place et une fonction bien définies. Tout indique, nous allons le voir, que cette fonction du noir et blanc dans Memento peut nous éclairer sur la signification de cette particularité esthétique de Following.

Dans la dernière scène de Memento, le noir et blanc se charge progressivement de teintes colorées à l’instant où Lenny, le personnage principal, comprend qu’il est responsable de la mort de sa femme et décide de mentir à son soi futur, qu’il sait amnésique, en lui indiquant que Teddy est l’assassin de sa femme. Ce Teddy, nous l’apprenons dans cette même scène est un policier corrompu qui utilisait lui-même les pertes de mémoire de Lenny pour l’amener à tuer un criminel encombrant. Par cette scène, la séparation du film en deux sous-histoires, l’une en noir et blanc et l’autre en couleur, prend tout son sens : toute la séquence en noir et blanc nous montre un héros-objet, utilisé et sans réelle emprise sur sa vie. La séquence colorée nous présente, elle, un personnage qui vit certes dans un mensonge, mais qui en est le créateur : il a donné une signification à sa vie, l’a investie d’un sens, il s’exprime lui-même à travers sa quête au lieu de n’être qu’un simple outil – il s’appartient. Il est un héros-sujet.

La dualité sujet-objet est présentée, chez Merleau-Ponty, comme une contradiction appartenant essentiellement au corps. Il y a le corps qui sent et qui voit (le corps propre) et le corps senti et vu (le corps-objet)[17]. C’est cette dichotomie qui nous permet d’exister sur le même plan ontologique que les objets du monde tout en nous autorisant à investir ce plan d’un sens, à le percevoir et le penser : par le corps nous percevons les objets et nous nous percevons nous-mêmes comme l’un d’entre eux[18]. Mais les objets inanimés – ou « non vivants » pour être plus juste – n’habitent pas le monde de la même manière : ils n’en font pas l’expérience, ne le perçoivent pas, ils n’en sont pas « sujets », et ils ne prennent un sens que par l’intermédiaire de ces sujets. Le Lenny noir et blanc se révèle partager cette caractéristique avec les objets, le sens de son existence étant assujetti aux intentions d’un autre sujet – Teddy. Le Lenny coloré, lui habite le monde selon le sens qu’il lui a lui-même donné, et, même si elles lui sont, par le jeu de l’amnésie, rendues étrangères, les intentions qu’il suit sont bien les siennes. La dichotomie noir et blanc-couleurs accompagne donc la distinction des pôles sujet et objet dans le traitement de Lenny. D’autant plus, comme nous allons le voir, que la couleur est un thème philosophique étroitement lié à la question de la subjectivité dans la perception.

Nous sommes à tout moment, nous dit Merleau-Ponty, plongés dans une situation qui dépasse la simple contemplation objective, dans laquelle s’offrirait une pure description des choses. Un paysage, par exemple, évoque toujours une émotion, un souvenir ou une sensation[19]. Nos dispositions corporelles déterminent notre perception de manière à l’intégrer à une expérience globale, où se rencontrent mémoire, attentes, sentiments, etc. Une expérience qui, comme une œuvre, ne se réduit pas à la somme de ses parties, et leur donne plutôt à chacune une signification assujettie au tout. De ces dispositions, la faculté de voir des couleurs qualitativement distinctes est l’une des plus frappantes. On sait depuis longtemps que cette distinction qualitative est permise pas les cônes oculaires, et qu’elle ne retrouve nulle part dans le monde « objectif », indépendant de nos perceptions, qui ne contient des couleurs que les variations quantifiables de longueurs d’ondes électromagnétiques les caractérisant[20]. Le monde n’acquiert donc sa coloration que lorsqu’il en est investi par un sujet – la couleur est l’une des nombreuses manières par lesquelles un sujet donne sens à un monde. On ne peut que voir, dans la coloration qui survient au moment de la prise de conscience de Lenny, l’illustration de cette nature phénoménale de la couleur, de son ancrage dans la subjectivité qui définit notre rapport authentique au monde.

C’est via cette dualité que présente Memento que nous pouvons apporter un éclairage nouveau au sens du noir et blanc dans Following. Dans ce dernier, nous suivons un personnage sans nom, sans passé et, pour l’essentiel, dénué de réelle subjectivité, voire de véritable libre arbitre. Erin Kealy souligne à juste titre que ce protagoniste incarne à merveille le rapport inauthentique du sujet au monde selon Heidegger (l’un des maîtres à penser de Merleau-Ponty), en se contentant « […] d’attendre que quelque chose lui arrive au lieu de choisir et d’anticiper son propre futur possible.[21] » Le jeune homme se résigne en effet à  « suivre » les autres, aux sens propre et figuré. Il ne respecte même pas l’unique règle qu’il s’est fixée (ne pas suivre une personne plus d’une journée) et on réalise qu’il n’est, comme le Lenny noir et blanc, que l’instrument d’autres personnages : il est un objet bien plus qu’un sujet, il ne s’appartient pas.

Que dire alors d’Insomnia, dont nous n’avons que très peu parlé jusqu’à présent ? Il se distingue de Following et de Memento notamment par une structure narrative et une esthétique plus conventionnelles – s’expliquant en partie par le fait qu’il ne s’agit pas, contrairement aux deux premiers films, d’un scénario original de Nolan[22]. L’œuvre est entièrement colorée, et ce sera le cas du reste de l’œuvre de Nolan, de 2002 à aujourd’hui. Le personnage principal, fait à noter, s’appelle Will, nom utilisé par le jeune homme de Following (qui se présente comme « Bill » quand bien même le générique et la version écrite du scénario nous indiquent qu’il est sans nom connu). Will, contrairement au protagoniste de Following, a un nom, un passé bien fourni en temps et en évènements, et de réelles motivations (dépassant celle de « trouver de l’inspiration »). Personne ne peut véritablement l’instrumentaliser, y compris son antagoniste, Finch, qui connait pourtant son secret le plus compromettant. Will est en quelque sorte l’antithèse de son homonyme de Following : il ne s’appartient que trop. Il désire d’ailleurs au-delà de tout quitter cette conscience qu’il a de lui-même, de sa propre subjectivité, il souhaite avant tout dormir. Sa plus grande énigme, c’est lui-même, il ne parvient pas à savoir s’il a tué son partenaire de travail intentionnellement ou non, il n’a pas, dans son esprit, de construction rationnelle mensongère comme Lenny. Il ne peut pas se mentir, il ne peut se cacher nulle part.

Dans Insomnia, la dualité couleurs-noir et blanc fait place à la dualité clarté-obscurité. Ou plutôt à la dualité lumière-obscurité, car la lumière ne clarifie pas forcément. La lumière est incessante dans le village d’Alaska où se trouve Will Dormer, il ne peut pas la fuir. Lorsqu’il tente de le faire, en étendant du papier opaque sur les fenêtres de sa chambre d’hôtel, il se retrouve face à lui-même, face à ses fautes passées – en l’occurrence sa falsification de preuves dans un dossier d’enlèvement et de meurtre d’enfant. C’est que, reclus dans sa chambre, il n’échappe pas à la lumière, il la retourne contre lui. Will est, plus que Lenny et que le jeune écrivain, présent à lui-même. Mais cette pleine possession de sa subjectivité ne fait que le confronter cruellement aux zones sombres de sa personne, et il ne parvient jamais à s’appréhender en tant qu’objet. Il se présente ainsi comme une figure renversée du protagoniste de Following. Le jeune écrivain échoue à être ce qu’il désire là où Will échoue à désirer ce qu’il est. S’il n’arrive pas à voir les choses clairement, c’est que la lumière n’empêche pas le brouillard – au contraire, elle le révèle, et le coup de feu tiré sur Eckhart (le collègue de Dormer) a précisément lieu dans ce brouillard, qui voile l’identité de la victime en même temps que l’intention de Will. C’est là une autre dimension de la conscience perceptive du sujet selon Merleau-Ponty : elle n’est jamais totalement nette, elle est constamment constituée de zones opaques, de présences masquées. Les limites de notre conscience sont floues comme celles de notre champ visuel[23], explique le phénoménologue, et cette idée est on ne peut mieux représentée par la scène du meurtre d’Eckhart. Sur cette frontière ambiguë se trouve l’intention, qui est à ce point au fondement de nos perceptions et comportements qu’elle est toujours en elle-même insaisissable. Will Dormer l’apprendra à ses dépens.

Thématiques merleau-pontiennes dans les contenus des trois premiers films de Nolan

Identité et culpabilité

L’intention prend donc une place centrale dans les trois premiers films de Nolan. Si, sur le plan formel, elle s’exprime par le biais du rapport subjectivité-objectivité, dans le montage et la couleur, elle se manifeste aussi sur le plan thématique via les notions d’identité et de culpabilité. Celles-ci jouent sur trois niveaux : le monde subjectif, le monde intersubjectif (ou social) et le monde objectif, trois niveaux en relation dynamique constante, qui s’interdéterminent. Chez Merleau-Ponty, l’intention (en un sens qui se distingue de son acception juridique) lie le sujet à son monde sur un mode primaire, au fondement de toutes les autres manifestations de ce rapport : le monde est, au-deçà de toute perception consciente, un ensemble de « sollicitations » qui exigent des corps subjectifs une « réponse » comportementale[24]. Lenny, Will, et le jeune écrivain sont tous les trois aux prises avec cette exigence incessante, que Merleau-Ponty appelle « arc intentionnel », qui n’est pas le fruit de leur volonté parce qu’elle est, précisément, en deçà de celle-ci, au fondement de toute leur subjectivité. C’est que tout sujet se développe, toujours selon le phénoménologue, avec des intentions primaires sur lesquelles se construisent les comportements et les perceptions (lesquelles sont, malgré nos intuitions, des actions, des réponses corporelles aux sollicitations du monde). La conscience est donc plus tardive que l’intention, elle en dépend et ne peut jamais l’attraper complètement – ce qui se reflète admirablement dans Insomnia.

Cette insaisissabilité de l’intention est illustrée dans Following lorsqu’est révélé que l’intention qui détermine le protagoniste n’est même pas la sienne, mais celle de Cobb. Le jeune écrivain (et nous-mêmes, spectateurs et spectatrices) ne le comprend qu’à la toute fin. Il a certes de petites intentions criminelles, et il en a conscience, mais ces intentions personnelles qu’il perçoit ne sont pas celles qui guident vraiment ses actions, il ne peut à ce point pas se constituer en tant que sujet qu’il ne réalise même pas qu’il est dans tout son être porté par des intentions étrangères. Son arc intentionnel est assujetti à celui de Cobb, présent à l’état latent; il est, comme nous l’avons vu, un objet pour lui. Cobb ne le sait d’ailleurs que trop : il ne peut pas manipuler directement les intentions du jeune homme, mais il peut changer les sollicitations qui l’entourent et ainsi forger une manière d’être particulière de l’arc intentionnel de son ami. L’arc intentionnel de Cobb est celui sur lequel se déploie Following, et son intention est de construire un coupable, en la personne du jeune écrivain.

            Si Cobb personnifie l’étrangeté et l’altérité de l’intention primaire, il échoue à rendre compte de son caractère fluctuant – ce que fait nettement mieux le personnage de Lenny. L’arc intentionnel de Cobb semble se confondre avec ses désirs conscients. Rien n’échappe à l’antagoniste, il ne se découvre pas puisqu’il semble déjà se posséder dans sa totalité. Or, l’arc intentionnel selon Merleau-Ponty ne se dévoile jamais nettement et complètement. Il sous-tend les perceptions des humains, mais ne se laisse jamais lui-même percevoir pleinement. Il caractérise d’ailleurs non seulement le sujet plongé dans le monde, mais se retrouve aussi, sous une forme moins « corporelle », dans les domaines social, culturel et historique. Dans la philosophie merleau-pontienne, les sociétés tout entières ont des intentions qu’elles ignorent, au moins partiellement, c’est ce qui permet leur évolution. L’intention fonde le sujet et l’objet, mais elle n’est elle-même ni l’un ni l’autre. C’est, par exemple, ainsi qu’une réflexion sur l’espace se manifeste au tournant du 15ème siècle dans l’architecture de Brunelleschi[25] (que Nolan évoque d’ailleurs dans Inception[26]) sans pour autant être son projet volontaire, et sans être encore un thème architectural conscient : « il reste beaucoup à faire pour passer d’une opération de l’art à l’emploi délibéré de l’espace comme milieu d’univers[27] » dira Merleau-Ponty. Pour autant, il y a, chez cet architecte, « une recherche, une question de l’espace » qui n’a pas encore pris sa forme explicite, qui n’est pas devenue l’objet qu’elle est aujourd’hui aux yeux de l’architecture, parce que le sens « nait au bord des signes ». C’est toujours à la frontière du conscient et de l’inconscient, donc, que nait le sens, et cette limite, c’est précisément celle qui caractérise la subjectivité de Lenny.

Lorsqu’il est « coloré », Lenny a l’intention de tuer Teddy, qu’il croit être l’assassin de sa femme, alors que sa contrepartie noir et blanc a l’intention de tuer un gangster local, pour les mêmes raisons. Dans les séquences en noir et blanc, l’intention de Lenny est soumise, presque réductible, à celle de Teddy, de la même manière que celle du jeune homme de Following est l’objet du plan de Cobb. Dans les séquences en couleurs, Lenny est aussi manipulé par Teddy – et par Natalie, une serveuse de bar avec qui il a une aventure – mais son parcours est articulé par un autre arc intentionnel : le propre schéma d’un Lenny passé qui, comme Brunelleschi, a posé dans le monde un sens que son successeur exploitera et développera. Les scènes colorées de Memento sont la manifestation de l’arc intentionnel d’un Lenny dont la conscience a disparu, mais qui reste « présent » par la trace qu’il a laissée dans le monde de son soi futur. Il crée des « signes », des photos, des tatouages, qui guideront ses gestes et ses perceptions. Il fabrique son propre arc intentionnel, mais disparait en même temps, s’effaçant derrière lui. À l’inverse de Cobb, Lenny, quand il décide de se bluffer lui-même, construit non pas un coupable, mais un innocent. Il le fait certes, paradoxalement, en construisant un coupable en la personne de Teddy, mais cette construction n’est qu’un objet de son intention première : se sauver soi-même, en disposant autour de lui des sollicitations qui feront de lui, à ses yeux, le héros d’une histoire manichéenne. Un instant il manifeste comme Cobb, une compréhension des mécanismes de l’intention, qu’il peut adroitement manipuler pour parvenir à ses fins. L’instant d’après il est semblanle au jeune écrivain, il cueille ces signes dont il ne saisit pas l’ampleur, qu’il ne comprend pas dans leur totalité.

Will Dormer, dans Insomnia, présente un rapport autrement plus complexe à ses intentions. Comme le jeune homme et Lenny, il est l’objet de tentatives de manipulations par un antagoniste conscient de sa condition. Mais Finch ne parvient pas, contrairement à Cobb et au Lenny passé, à utiliser le héros pour atteindre son but (qui est d’être innocenté). Le signe qu’il a placé dans le monde de Will, en lui expliquant qu’il n’était pas plus coupable que lui, a engendré un sens qu’il n’avait pas envisagé. Finch souhaitait que cette conversation se traduise, chez Will, en une sympathie à son égard; elle aura plutôt déclenché chez le détective une méfiance envers lui-même. L’arc intentionnel de Will est pareil à tous les autres : à ce point au fondement de sa vie qu’il est insaisissable. Et c’est pourtant bien son intention que Will cherche à attraper tout au long du récit. Il est animé par l’intention d’attraper son intention, mais c’est une entreprise par définition vaine – et c’est pour cette raison qu’il cherche en même temps l’ignorance, le sommeil, l’absence de lumière sur son propre être. La conscience n’est pas transparente, comme un œil ne peut se voir lui-même, pour paraphraser Wittgenstein[28]. Contrairement à Lenny, Will ne veut pas s’instrumentaliser, mais se comprendre, et se comprendre en tant que sujet, non comme objet. C’est dans cet abandon de la construction objective de soi qu’Insomnia se révèle comme la conclusion d’un arc thématique entamé par Following et Memento. Following construit un coupable, Memento construit un innocent, Insomnia déconstruit la dualité coupable-innocent.

Le corps

Following, Memento et Insomnia révèlent donc des réflexions philosophiques autour de la notion merlean-pontienne d’intention. Mais cette proximité entre ces films et les écrits du phénoménologue ne s’arrête pas à ce que nous venons de voir sur la perception du monde. Les trois œuvres développent en effet la thématique de l’intention en exploitant deux de ses manifestations chères à Merleau-Ponty : le corps et l’altérité.

Nous l’avons vu, c’est, selon Merleau-Ponty, à travers le corps et sa dualité que le sujet baigne dans son monde. Le corps, comme objet, présente cette particularité de ne jamais lâcher le sujet, d’être constamment à sa disposition, dans son champ perceptuel, « […] il demeure en marge de toutes mes perceptions […][29] » – les tatouages de Lenny sont d’ailleurs sur son corps pour ne jamais le quitter, pour être une partie intégrante de son être-au-monde. De plus, notre conscience, du point de vue phénoménologique, n’est pas située en totalité dans notre corps, mais par lui, dans le monde. Le corps n’est pas la conscience, et il peut même arriver qu’il lui soit étranger. En vérité, nous dit Merleau-Ponty, le sujet constitue son corps en le distinguant des autres objets de sa perception. Le nouveau-né ne distingue pas clairement son corps de celui des personnes qui l’entourent, par exemple, et il apprend souvent violemment[30] que le corps de l’Autre n’est pas le sien quand il prend conscience que son entourage ne répond pas à ses intentions immédiates et peut même jouer contre elles. Mais le corps est aussi une expression. Il véhicule et manipule des sens, par ses gestes et sa parole. Il crée des signes qui ne sont pas que la traduction point par point de la pensée, mais plutôt son accomplissement[31]. C’est le corps qui fait l’écriture et qui, par là, crée un monde de nouveaux possibles, transposant des éléments qui étaient peut-être déjà présents dans l’esprit du sujet, mais qu’en tant que potentiels d’expression. Comme si ces possibles devaient surgir dans le monde et qu’ils n’habitaient « avant » notre esprit que pour pouvoir, par l’activité du corps, se réaliser matériellement.

Les protagonistes des trois films étudiés ont tous un rapport singulier avec leur corps. Le jeune écrivain à via son apparence vestimentaire, son rasage et ses cheveux, Lenny via ses tatouages et Will via son insomnie.  Le jeune homme de Following subit en fait deux types de changements « corporels » : l’un superficiel (une nouvelle coupe de cheveux, un rasage frais et de nouveaux vêtements), temporaire et volontaire; l’autre plus profond (les blessures au visage) et involontaire. Par son nouveau style, le jeune homme veut exprimer une nouvelle identité, mais seulement pour être un autre, à savoir Cobb, pour devenir ce petit criminel qu’il admire. Il le fait pour être, aux yeux des autres, ce corps-objet dont il croit le sens plein et sans équivoque – quand bien même cette métamorphose est primairement motivée par l’intention de Cobb de fabriquer des preuves contre son complice.

Dans Memento, Lenny se couvre le corps de tatouages. Ce changement est moins superficiel, plus profond et plus permanent que le rafraîchissement pileux du protagoniste de Following. Il est également, sans être complètement non souhaité, moins volontaire, puisque ces tatouages lui sont imposés par un autre Lenny, par une conscience passée et désormais inaccessible. Le corps représente ici de manière frappante la dichotomie entre le corps propre et le corps-objet : le corps est objet, lorsque Lenny l’altère, mais aussi sujet, lorsqu’il exprime au Lenny ignorant qui émerge des indications sur sa propre vie. Paradoxalement, ce corps est aussi sujet lorsqu’il écrit sur lui, réalisant ainsi le langage parlant, et objet lorsque, tel un livre, il présente une structure sémantique complète et articulée au regard du sujet qui l’habite. Au moment où il se tatoue, Lenny possède son corps, bien plus que le jeune homme de Following, mais au moment où il redécouvre ces inscriptions, où il les contemple, il est devant un objet étranger. La quête de Lenny consiste entre autres à perpétuellement se réapproprier son propre corps.

Will Dormer, lui, ne tente pas de se modifier corporellement comme Lenny et le jeune écrivain. Il a perdu son emprise sur son corps, qui est devenu comme autonome, se refusant à dormir malgré les efforts du sujet. La modification a bien lieu dans son histoire, puisque son corps est devenu insomniaque, mais elle n’est pas l’expression de la volonté du sujet, elle en est une qui la précède, la sous-tend. Le corps de Will n’est plus un objet, il n’y a plus de noir et blanc, il est devenu un sujet indépendant et ce n’est pas Will qui possède son corps, c’est ce dernier qui possède Will. Là où le jeune écrivain et Lenny entretiennent une relation ambiguë avec le caractère « voulu » de leurs modifications corporelles, Will est conscient que son corps, comme son intention, échappe à sa volonté. Il accomplit ainsi les paroles de Cobb[32] : il s’est fait enlever ce qu’il avait, à savoir le contrôle sur son corps, et ne comprend qu’à ce moment ce qu’il possédait : la capacité de dormir, de se fuir lui-même, de se raconter sa propre histoire. Will achève ainsi le mouvement commencé par le jeune homme de Following et poursuivi par Lenny : son corps a perdu toute caractéristique objectale, alors que celui du jeune homme n’avait que celles-ci pour le définir.

Altérité

Notre lecture merleau-pontienne de ces trois films ne serait pas complète sans parler de l’altérité. La figure de l’Autre, dans ces œuvres, est essentielle au développement des sujets, et fait miroiter des éléments clés de la phénoménologie merleau-pontienne. C’est que, pour Merleau-Ponty, l’Autre est un constituant fondamental du rapport de l’humain à son monde – nous l’avons déjà vu pour aborder la question de l’attitude catégoriale. D’abord parce qu’il présente toujours, à l’image de notre corps, la dualité sujet-objet. Nous pouvons l’utiliser, mais il a aussi ses propres intentions, ses propres fins. En percevant un autre, je perçois une ouverture au monde, similaire à mienne tout en en étant distincte. Il y a, nous nous en apercevons dans notre développement personnel, une multitude d’ouvertures au monde ontologiquement équivalentes, et il nous est dès lors interdit de comprendre le monde comme ne relevant que de notre point de vue. Mais ne pouvons pas pour autant échapper à notre point de vue, et l’ouverture au monde des autres ne nous en extirpe pas : par la communication langagière, elle s’y intègre, « ma pensée [et celle de l’Autre] ne font qu’un seul tissu […] »[33].

Pour comprendre cette ouverture au monde, nous avons besoin qu’elle évoque quelque chose en nous d’analogue, et c’est pourquoi, selon Merleau-Ponty, les enfants ne peuvent comprendre, par exemple, les rapports sexuels dont ils seraient témoins avant d’avoir eu leur propre éveil sexuel[34]. Toutefois, ce rapport est aussi réversible : appréhender le comportement d’autrui peut nous permettre de mieux nous comprendre nous-mêmes, pour autant qu’il y ait en nous déjà un certain sens, flou, mais présent, qui sous-tendrait le tout et à partir duquel nous pouvons nous expliquer ces comportements[35]. Il y a ainsi un jeu de reconnaissance dynamique, de découverte de soi à travers l’Autre, un jeu que nous retrouvons dans les trois œuvres, mais qui est particulièrement détaillé dans le rapport de Will à Finch dans Insomnia.

L’altérité du jeune homme de Following est représentée d’une part par « la blonde[36] », et d’autres parts par Cobb, deux personnes qui le trahiront. La première relation est une trahison amoureuse classique : la femme, objet de désir, se révèle avoir une propre subjectivité et des intentions tragiquement incompatibles avec le plan du protagoniste et qui provoquent un renversement de perspective. La relation avec Cobb est, elle, moins conventionnelle. Le cambrioleur est tout ce que l’écrivain veut devenir, à un point tel que ce dernier s’y perd. L’ouverture au monde de Cobb, du moins celle qu’il montre volontairement, n’investit pas simplement celle du sujet, elle l’envahit. Le jeune n’homme n’intègre pas à son expérience une multitude de points de vue, il n’en adopte qu’un, mais l’adopte tout entier. Il le fait à ses dépens, oubliant la présence d’un troisième Autre : le regard de la justice, personnifié par le policier qui l’interroge. Regard omniprésent, comme l’indique le récit qui s’ouvre et se ferme avec lui, et plus important que les autres, en ce qu’il est celui qui a le pouvoir réel de déterminer la culpabilité et l’innocence des personnages.

L’écrivain se « sépare » une première fois de Cobb lors d’une bagarre qui le laissera dans une position fœtale sur le sol, rappelant le bébé de Merleau-Ponty[37], qui réalise dans une violence certaine sa distinction d’autrui. Cette première fois n’aura toutefois pas suffi à ce que le protagoniste se constitue pleinement comme sujet, l’attaque de Cobb n’étant en fin de compte qu’un avant-goût d’une plus grande trahison. Ce n’est pas une contingence anodine si le jeune écrivain est incapable à la fois de se constituer comme sujet autonome et de percevoir et maitriser le regard des autres : c’est précisément parce qu’il ne peut intégrer cette multiplicité de points de vue et cette coexistence d’ouvertures au monde qu’il ne peut émerger lui-même comme sujet social avec ses propres caractères.

Contrairement au protagoniste de Following, Lenny sait qu’il doit se méfier des autres, il sait qu’ils ont un monde à eux et des intentions qui peuvent différer des siennes, mais il omet d’appliquer cette méfiance à l’Autre ultime, à savoir lui-même. Bien plus conscient de la coexistence parfois conflictuelle des ouvertures au monde qui l’entourent, il parvient mieux que le jeune écrivain à se constituer comme sujet, mais c’est au prix d’un mensonge originel, procédant de son refus de partager sa propre ouverture au monde avec un soi futur. Comme dans Following, Lenny se sépare de son autre, Teddy, dans un geste de violence certaine. Cependant, cette violence n’a pas pour fonction d’émanciper Lenny de Teddy, elle vise à anéantir son être-au-monde pour que la Vérité soit enterrée. Le protagoniste se sépare en fait de lui-même en annihilant le dernier témoignage possible de sa culpabilité.

Dans Insomnia, l’altérité renverse, une fois encore, ce qui était montré dans Following. L’Autre de Will, c’est Finch, c’est celui qu’il ne veut précisément pas être (contrairement à Cobb pour le jeune homme de Following). Comme ses homologues, Will veut se séparer de cet Autre, mais n’y parvient pas : il trouve plutôt en lui son propre schéma d’être-au-monde. Will maitrise très bien la pluralité des rapports au monde, s’il a construit, par le passé, des preuves pour faire inculper un tueur d’enfants, c’est parce qu’il sait que la justice est limitée par sa connaissance du monde, par sa propre perception. « Je sais qu’il l’a tué, je suis policier, les jurés eux, ne connaissent pas les tueurs d’enfants. » Mais une conversation avec une tenancière d’hôtel, qui fait écho à la discussion qu’il a eue plus tôt avec Finch, remet en doute ses certitudes sur la validité prétendument supérieure de son ouverture au monde. Il lui avoue ses fautes passées, comme Finch lui avouait le meurtre de Kay, mais, contrairement à lui, la tenancière refuse de le juger, ayant elle-même un passé « à oublier ». C’est cette suspension de jugement qui permet à son interlocutrice de s’endormir. Si elle refuse d’évaluer le bien-fondé de ses justifications, c’est parce qu’elles ne sont pas « absolues », ce qui les rend équivalentes à celles de Finch. « Ça vous a pris 10 minutes à tabasser Kay Connell avant qu’elle rende son dernier souffle[38] », dit Dormer, « Et ça ne nous a pris qu’une seconde pour tirer sur votre partenaire, ceci en fait-il plus un accident? » lui répond Finch. Will, dans son rapport à l’Autre, n’est en définitive renvoyé qu’à sa propre opacité, achevant, comme en fermant une boucle, l’ouverture violente au point de vue des autres subjectivités instiguées par le jeune écrivain de Following.

Conclusion

Following, Memento et Insomnia peuvent ainsi être compris comme constituant une forme de trilogie thématique ayant pour objet central l’épineuse question du rapport sujet-monde laquelle peut être lue, sans trop de contorsions intellectuelles, à travers la lunette que fournie la phénoménologie merleau-pontienne. Le traitement de cette question par le style du film noir et la notion de culpabilité rend non seulement ce thème plus palpitant, mais le révèle aussi dans toute son importance, puisqu’il en fait une question de vie et de mort, ce qu’il est ultimement. Dans les trois films, l’expression de « signes », d’éléments subjectifs ou intersubjectifs donnant en même temps un sens au monde objectif, expression précieuse aux yeux de Merleau-Ponty, est symbolisée par la fabrication de preuves. Le rapport dynamique à l’altérité est lui aussi bien présent sous la forme, implicite dans chaque œuvre, mais aussi explicite dans Memento, d’une poursuite bidirectionnelle entre le protagoniste et l’antagoniste, poursuite dont on ignore par moment qui est le poursuivant et qui est le poursuivi. Le talent de Nolan réside non seulement dans l’expression de la psychologie de ses personnages, qui rend le thème de l’être-au-monde plus charnel que ne sauraient le faire des livres de philosophie, mais aussi et surtout dans le traitement formel de ses histoires, lequel, par sa complexité, nous force à nous positionner nous-mêmes devant le caractère énigmatique, presque insoluble, du sens qui entoure les protagonistes. Si la phénoménologie Merleau-Pontienne peut éclairer notre compréhension des premières œuvres de Nolan, il est indéniable qu’à l’inverse, ces films nous permettent à leur tour de saisir les propos du philosophe sous des aspects dont la théorie seule ne peut rendre compte. C’est là, peut-être, l’expression par excellence de la nécessité de s’ouvrir à d’autres rapports au monde pour découvrir les significations ambiguës qui nous entourent, indicibles, mais bien présentes.

Ivan Bricka

Bibliographie

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Filmographie

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NOLAN, Christoper, Memento, États-Unis, 2000, Couleurs, 113 minutes.

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NOLAN, Christoper, Interstellar, États-Unis, 2014, Couleurs, 169 minutes.

Notes

[1] François Lévesque, 26 août 2020, « “Tenet” : les passés composés de Christopher Nolan », dans Le Devoir, [en ligne]. https://www.ledevoir.com/culture/cinema/584767/critique-cinema-tenet-passes-composes [Site consulté le 30 novembre 2020].

[2] Catherine Bernard, « Christopher Nolan’s Inception: spectacular speculations », dans Screen, Volume 58, numéro 2, été 2017, pp. 229–236.

[3] Tristin Hopper, « Dunkirk is racist, sexist, anti-French propaganda: All the worst Dunkirk takes (so far) » dans National Post, [en ligne]. https://nationalpost.com/entertainment/movies/dunkirk-is-racist-sexist-anti-french-propaganda-all-the-worst-dunkirk-takes-so-far [Site consulté le 30 novembre 2020].

[4] Chaine Youtube d’Écran large, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=Z4WIx7Y2VAw, [Site consulté le 18 octobre 2020].

[5] Chaine Youtube d’Écran large, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=aaUU4VQAi5Q, [Site consulté le 18 octobre 2020].

[6] Steven M. Sanders, « Film Noir and The Meaning of Life », dans Mark T. Conard [dir.], The Philosophy of Film Noir, Lexington, The University Press of Kentucky, 2006, p. 92.

[7] Marc T. Conard, The Philosophy of Film Noir, Lexington, The University Press of Kentucky, 2006, p. 1-2.

[8] Le terme est de moi.

[9]Étienne Bimbenet. L’animal que je ne suis plus, Paris, Folio, Gallimard, 2011. p. 190

[10]Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, dans Œuvres complètes, Paris, Quarto, Gallimard, 2010, p. 1 444.

[11]Maurice Merleau-Ponty,  La phénoménologie de la perception, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 695.

[12]Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, op. cit., p. 1 443.

[13] Christopher Nolan, Following, États-Unis, 1998, Noir et blanc. 0:13:49

[14] Tim Grierson, « This Week in Genre History: Inception Dreamed a Little Bigger 10 Years Ago, Darling », dans Syfy Wire [en ligne]. [site consulté le 30 novembre 2020].

[15] Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, op. cit., p. 1 443.

[16] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., pp. 700-726.

[17] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit. pp. 751-769 et p. 771.

[18] Ibid. p. 771.

[19] Ibid. pp. 728-741.

[20] Francisco Varela et col. L’Inscription corprelle de l’esprit. Paris, Seuil, 1993, pp. 259-262.

[21] Erin Kealy, « No End in Sight : The Existential Temporality of Following », dans Jacqueline Furby et Stuart Joy, The Cinema of Christopher Nolan : Imagining the Impossible, Colombia University Press, 2015. p. 221.

[22] Le film de 2002 a été scénarisé par Hillary Seitz, mais est un remake d’un film éponyme de 1997 écrit par Erik Skjoldbjærg et Nikolaj Frobenius.

[23] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit. pp. 675-685

[24] Maurice Merleau-Ponty. Structure du comportement, Paris, PUF, 1942, pp. 5-52.

[25] Maurice Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence », dans Signes, Paris, Folio, Gallimard. 1960, p. 42.

[26] Inception, 0 :22 :30. Un tableau noir représente un plan de la Santa Maria del Fiore du célèbre architecte.

[27] Maurice Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence », dans Signes, Paris, Folio, Gallimard. 1960, p. 42.

[28] Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1922 (1993). P. 94.

[29] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit. p. 771

[30] Ibid., p. 1052.

[31] Ibid., p. 866.

[32] Christopher Nolan, Following, États-Unis, 1998, Noir et blanc. 0:13:49

[33] Ibid. p. 1055

[34] Ibid. p.. 1046-1065.

[35] Ibid

[36] Désignée ainsi dans le générique.

[37] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit. p. 1052.

[38] Christopher Nolan, Insomnia, États-Unis, 2002, Couleurs. 1:32:10

L’incertaine réalité : Rêves, illusions et hallucinations

Revue Chameaux — n° 12 — mars 2021

Dossier

  1. Présentation du numéro

  2. Lola Abba, le spectre du grand réel

  3. L'appareil imaginaire : matière du cinéma bergmanien et refus du cadrage réaliste

  4. La grande ville et la merveille après les Surréalistes : Aux frontières de la réalité métropolitaine dans l’œuvre de Jacques Réda

  5. L'espion aux frontières du réel ou James Bond et l'au-delà

  6. Francis Bacon – David Lynch : Une plasticité du sensible

  7. Le jeune Christopher Nolan : Lecture merleau-pontienne de Following, Insomnia et Memento

  8. Quand le virtuel se substitue au réel : incertitude ontologique et dualisme numérique dans le jeu vidéo Enslaved : Odyssey to the West

  9. Rêves et voyages initiatiques dans la poésie d'Elizabeth Bishop

  10. L'Aventure du rêve – La Traumnovelle d'Arthur Schnitzler

  11. Dépasser les limites de la réalité : Entretien avec le réalisateur Martin Villeneuve

  12. Rêves, illusions, hallucinations chez Terry Gilliam : Le rêve comme refuge impossible

  13. Par-delà le mur de l'entendement : Valeur épistémique et fonctions narratives du rêve dans l’œuvre de H.P. Lovecraft

  14. La « Folie spirite » ou « Le délire hallucinatoire » : La littérature médiumnique féminine aux frontières du réel