Je cherche simplement à circonscrire la nature de l’événement en découvrant comment il a modifié la mienne. Je cherche, mais je n’y arrive pas. Les mots permettent d’aller plus loin, mais quand on est allé si loin, d’un seul coup, malgré soi, ils n’explorent plus, ne font plus de conquêtes ; ils se contentent maintenant de suivre ce qui a eu lieu, comme de vieux chiens essoufflés. Ils fixent les limites artificielles, trop étroites, au troupeau anarchique des sensations et des visions.
Philippe Lançon, Le lambeau, Paris, Gallimard (coll : « Blanche »), 2018, p. 83.
Le terrorisme est un phénomène politique qui a touché et qui touche encore de nombreux pays, dont l’Espagne. Sur son sol ont eu lieu des attentats terroristes de différentes organisations. Ainsi, avant que le terrorisme islamiste ne vise les trains de banlieue à Madrid le 11 mars 2004, des centaines d’attentats perpétrés par Euskadi Ta Askatasuna (ETA) avaient endeuillé le pays dès la fin des années 60. S’il est vrai que ces deux types de terrorisme ont des stratégies différentes, l’ETA privilégiant les assassinats ciblés et Al-Qaïda[1], les attentats de masse, dans les premières heures qui ont suivi les attentats du 11 mars 2004 (11-M), les premières condamnations — aussi bien du gouvernement de José María Aznar que des citoyens — ont visé l’ETA. L’ampleur sans commune mesure de ces attentats (on dénombre cent-quatre-vingt-douze victimes[2] et près de deux mille blessés) faisait écho à l’attentat le plus meurtrier perpétré par l’ETA, le 19 juin 1987, dans le parking du supermarché Hipercor de l’avenue Meridiana de Barcelone, qui a causé la mort de vingt et une personnes et en a blessé quarante-cinq autres. Néanmoins, l’enquête a révélé très rapidement que le 11-M ne relevait pas du terrorisme etarra mais du terrorisme islamiste. La co-présence de deux types de terrorisme en Espagne nous invite donc à analyser conjointement leurs représentations au sein de la société afin de mettre en lumière l’existence ou l’absence de similitudes s’agissant des stratégies discursives (de tout ordre : politique, journalistique, littéraire, etc.) mises en place.
Si des plaques commémoratives et autres dispositifs mémoriels ont rapidement vu le jour après les attentats du 11-M, il n’en va pas de même concernant l’attentat de l’Hipercor. Tandis qu’un monument dédié aux victimes du 11-M est érigé à quelques mètres de la gare d’Atocha (Madrid) trois ans après les attentats, ce n’est qu’en 2017, à l’occasion des commémorations du trentième anniversaire de l’attentat de l’Hipercor, qu’un pupitre explicatif est inauguré en face du supermarché[3]. Cette reconnaissance tardive peut certes s’expliquer par la longue activité de l’ETA — cessez-le-feu définitif annoncé en octobre 2011, reddition des armes en avril 2017 et dissolution en mai 2018 — mais force est de constater que cet attentat n’a pas non plus donné lieu à une forte « productivité culturelle », définie par Marco Kunz comme « l’ensemble des créations sémiotiques qui partent de l’événement pour y réagir, qui le thématisent, l’interprètent, le fictionnalisent, etc., dans des œuvres qui ont des intentions multiples et diverses fonctions[4] ». Cet attentat est évoqué brièvement dans des romans et romans graphiques, comme Patria,[5] de Fernando Aramburu et 11-M : la novela gráfica[6] de Pepe Gálvez et d’Antoni Guiral, mais il est rarement l’événement central choisi par l’auteur pour parler du terrorisme etarra. Charlie[7], de José Luis Castro Lombilla, fait ainsi figure d’exception puisque son personnage principal, Carlos (surnommé Charlie) est un rescapé qui a perdu sa fille, Paula, lors de cet attentat. À cette singularité thématique s’ajoute une singularité esthétique puisque le récit confronte le lecteur à des passages d’une violence sémantique extrême. Cette dernière fait écho à la nouvelle Carne rota[8], de Fernando Aramburu, qui évoque les attentats du 11-M avec une même violence.
Nous avons ainsi choisi de porter notre regard sur ces deux textes[9] qui présentent un projet littéraire semblable : écrire dans un format court l’expérience terroriste.
Avec un tel sujet, les écrivains doivent faire des choix esthétiques qui orienteront la réception de leur récit : comment parler du terrorisme ? Quelle place accorder aux terroristes ? Faut-il décrire l’instant t de l’attentat, les morts, les cris, la souffrance et le deuil ? Si oui, comment ? Reste-t-il toujours une part d’indicible face à l’horreur ?
Grâce à l’analyse des modalités littéraires utilisées par ces deux auteurs, nous souhaitons apporter une réflexion sur l’élaboration et le bien-fondé d’une écriture esthétisée pour dire la violence terroriste. Après avoir précisé ce que nous entendons par l’expression « crudité littéraire » et ses manifestations dans le court roman Charlie et la nouvelle Carne rota, nous nous intéresserons aux métadiscours présents dans lesdits récits afin de proposer une analyse plus complexe de l’écriture du terrorisme.
Franchir les seuils
Dans l’introduction de l’ouvrage intitulé Extrême(s). Pratiques du contemporain dans les mondes ibériques et latino-américains, David Marcilhacy et Miguel Rodriguez font la remarque suivante : « notre époque est […] marquée par le dépassement vers les extrêmes, y compris dans l’horreur. Mais pour que les documents qui en rendent compte trouvent leur place dans notre monde de concurrence effrénée, il faut qu’ils fassent violence. En vue d’une accentuation infinie de leurs effets possibles, le consommateur de textes — superlatifs — veut encore et toujours plus de paroxysme et de souffrance[10]. » Outre la dimension commerciale — dont il ne sera pas question ici — les auteurs insistent sur une tendance actuelle qui encouragerait la création de documents, dans notre cas, de récits littéraires, qui « [font] violence ». Avec cette image, les auteurs insistent non seulement sur le recours à des modalités d’expression qui dénotent la violence, mais aussi, et avant tout, sur la relation de violence qui doit se tisser entre ledit document ou récit et celui qui le reçoit. Dans cette première partie, nous nous intéresserons à l’écriture de la violence terroriste et au refus apparent d’une esthétisation et d’une littérarisation de la mort.
Une fois la lecture des récits de J. L. Castro Lombilla et de F. Aramburu achevée, il est fort probable que le lecteur se souvienne de certaines phrases qui frappent par leur singularité à la fois thématique et lexicale. Thématique, car ces auteurs introduisent le lecteur au-delà des seuils généralement franchissables par celui qui n’a pas fait l’expérience dans sa chair de la violence terroriste. Ainsi, l’explosion à l’Hipercor est décrite non seulement par Carlos, mais également par sa fille décédée : « je me souviens d’une pièce de cinquante pesetas, que je tenais dans ma main lorsque je n’étais pas encore descendue de la voiture, qui est devenue très très chaude, si chaude que j’ai dû la lâcher[11]… » Il s’agit bel et bien d’un témoignage extrême qui se trouve à la limite de ce qui est habituellement accessible au lecteur voire la franchit. F. Aramburu n’hésite pas, quant à lui, à faire entrer le lecteur au cœur de l’IFEMA[12] et plus précisément encore dans la pièce où sont entreposés les corps des victimes décédées : « Il était empaqueté là comme un tas de misère […], et, oui, c’était lui, du moins la tête était la sienne, le reste, allez donc savoir[13]. » Ce dénuement de la mort, caractérisé par une violence lexicale, est aussi présent dans Charlie lorsque Carlos, s’adressant à Paula, se remémore l’explosion : « lorsque j’ai sorti dans mes bras tes restes brûlés, à peine un petit bout de charbon sans vie alors que moi, qui avais l’obligation de prendre soin de toi, de veiller à ta sécurité, de donner ma vie pour toi, Paula, moi, cependant j’en suis sorti indemne[14]. » Dans un cas comme dans l’autre, la description des cadavres heurte le lecteur. C’est en cela que nous pouvons qualifier cette écriture d’une écriture crue. Le terme « crudité », du latin crūdĭtās, qui signifie « indigestion », est défini par Le Grand Robert de la langue française[15] comme suit : « caractère de ce qui est cru, que rien n’atténue », « caractère de ce qui est cru, exprimé sans ménagement ». Il est intéressant par ailleurs de souligner qu’à ce mot sont associés les termes « brutalité », « réalisme » et « inconvenance ». La notion de crudité renvoie à ce qui dérange, à ce qui met mal à l’aise. En donnant à voir au lecteur des scènes d’une violence exacerbée, les auteurs mettent à mal et interrogent la pertinence d’une écriture esthétisée pour dire l’expérience terroriste. Leur choix semble rejoindre la réflexion de Salvador Girbés qui souligne le faible pouvoir d’évocation de la métaphore pour dire le 11-M : « la métaphore semble […] se révéler incapable et insuffisante à évoquer esthétiquement l’horreur décharnée que fut la tuerie du 11-M[16]. » Pour quelles raisons ? Car la métaphore opère un déplacement d’images qui s’appuie d’une part sur les capacités dénotatives et connotatives des mots et d’autre part sur l’imagination du lecteur et s’éloignerait donc (trop) de la réalité. Selon Renaud Dulong, « en deçà de l’hyperbole ou de la légende, l’effet stylistique, l’image poétique, voire la simple métaphore, compromettent l’appartenance des faits racontés au domaine du réel, tel que le limite notre “bon sens” élémentaire[17] ». Métaphoriser l’attentat terroriste reviendrait à ne plus le considérer au sens propre, mais au sens figuré. Ce faisant, la métaphore favoriserait une euphémisation de la violence terroriste et de la souffrance des victimes. Cette euphémisation est également pointée du doigt par M. Kunz. Celui-ci, contrairement à S. Girbés, ne nie pas tant les capacités figuratives de la métaphore que la légitimité de son utilisation dans un tel contexte. Se référant à nouveau aux représentations discursives des attentats du 11-M, il affirme « [qu’] après l’explosion des bombes dans les trains, les métaphores continuent d’être licites pour parler des réactions des témoins indemnes […], mais leur légitimité devient douteuse lorsqu’elles se réfèrent aux victimes, lorsqu’elles substituent leur mort et leur mutilation par des termes figuratifs, puisque dans leur cas, le déchirement n’est pas un état psychique, mais le dépeçage littéral de leur corps[18]. » La « légitimité » sur laquelle M. Kunz fonde son argumentation engage l’auteur qui y aurait recours. Tout compte fait, quelle légitimité aurait un écrivain étranger à l’expérience intime du terrorisme à esthétiser la mort d’autrui ? Faudrait-il, pour (être autorisé à) décrire la mort et les mutilations provoquées par les attentats, en avoir soi-même fait l’expérience dans sa chair ? Nous touchons là des questions d’ordre éthique et moral dont les perceptions varient selon les individus, les sociétés et les époques. J. L. Castro Lombilla et F. Aramburu ne sont ni les premiers ni les derniers à utiliser une écriture crue[19]. Par ailleurs, il arrive que des victimes de violences extrêmes proposent elles aussi des récits crus. C’est le cas du récent témoignage de Philippe Lançon, rescapé de l’attentat du 7 janvier 2015 dans les locaux du journal Charlie Hebdo, qui n’est pas sans rappeler le titre même de la nouvelle de F. Aramburu, Chair broyée. Une infirmière décrit la partie inférieure du visage de P. Lançon avec ces mots : « On ne pouvait plus distinguer la chair de l’os, ce n’était qu’une bouillie qui pendait[20]. »
La brutalité, que nous avons associée à la crudité lexicale présente dans Charlie et Carne rota, se manifeste également à travers la structure narrative. Le recours au discours immédiat, caractérisé par une « [émancipation] de tout patronage narratif[21] », est fréquent dans Carne rota : « À nouveau mars, midi, ils ont dit qu’il allait pleuvoir. Si tu veux, on n’entre pas, papa, ce que tu m’as raconté et le quai vu de l’extérieur me suffit[22]. » Ou encore :
Dès qu’il [un conducteur de taxi ayant transporté un blessé à l’hôpital] le put, il s’arrêta. D’abord il sortit sa femme du lit, met la télé, qu’est-ce que je fais ? Ne sois pas lâche, appelle-le [son patron], il comprendra c’est sûr. Il composa le numéro. Je vous le jure, il ne m’a pas laissé le temps de déplier la couverture. Il y a un cercle énorme de sang sur le siège. Énorme comment, Vélez ? Et bien suffisant pour ne laisser monter personne, chef, impossible. Calmez-vous, Vélez[23].
Dans ces deux passages, le discours des personnages s’impose au récit. Leurs répliques ne sont introduites par aucun marqueur dialogique : ni tirets ni guillemets. En outre, les bribes de témoignages donnent l’impression de n’avoir subi aucune réappropriation par l’écrivain. Ces interventions seraient autant de failles au sein de la structure narrative qui échapperaient à l’écrivain, interrogeant ainsi son rôle et sa légitimité à dire l’expérience terroriste. Le discours immédiat offre un accès à l’expérience directe des personnages, témoins et victimes des attentats du 11-M. Ce procédé narratif participe de la volonté de dire l’expérience terroriste sans la romancer. Écrivain et narrateur s’effacent pour donner la parole aux témoins littéraires.
Charlie et Carne rota sont des récits qui souhaitent se rapprocher au plus près de la réalité. Pour ce faire, leurs auteurs utilisent des images-chocs et tentent d’effacer toute trace d’une littérarisation de l’attentat terroriste. Pourtant, en y regardant de plus près, leur écriture semble moins brute qu’elle n’y paraît et laisse place à un métadiscours qui interroge les possibles effets d’un récit reproduisant la violence.
Tout dire : vraiment ?
Les quelques citations analysées dans la première partie pourraient laisser croire que le projet littéraire de J. L. Castro Lombilla et de F. Aramburu ne consiste qu’à dire crûment la mort. Néanmoins, comme nous le verrons à présent, les auteurs offrent des temps de pause qui permettent tantôt de faire baisser la tension dramatique, tantôt d’interroger l’écriture de la violence terroriste. Après avoir analysé l’utilisation de modalisateurs qui atténuent la brutalité des descriptions de la mort, nous nous pencherons sur les différentes digressions qui éloignent le lecteur de l’attentat ou qui facilitent une réflexion sur l’écriture de l’expérience terroriste.
En ce qui a trait aux descriptions d’une violence extrême et catégorique, de nombreux modalisateurs parsèment le récit. Carlos, s’adressant à sa fille décédée, évoque ainsi le doute qui l’envahit perpétuellement : « Je t’ai dit avant que je ne savais pas pourquoi j’ai décidé de me séparer de tes affaires, Paula, et plus tard, je t’ai dit avec une assurance absolue que si, je le savais… Cependant, maintenant, maintenant ma petite fille, je n’ai pas d’autre solution que de douter à nouveau, car je ne suis vraiment sûr de rien. Je ne suis sûr de rien, Paula, de rien. Je me libère et les doutes s’installent à nouveau en moi, comme s’ils n’étaient jamais partis[24]. » Les certitudes se heurtent aussi à la confusion des personnages de Carne rota. L’adverbe « peut-être[25] » (utilisé huit fois) ou les verbes « sembler » et « supposer » nuancent ainsi la crudité de la nouvelle.
Par ailleurs, force est de constater que certains personnages ont des réflexions presque « hors-sujet » (c’est-à-dire qui s’éloignent de l’expérience terroriste). Ces dernières traduisent certes leur confusion et l’état de sidération dans lequel ils se trouvent, mais elles permettent également de diminuer la tension narrative. Tel est le cas dans Carne rota lorsque le tissu que le conducteur de taxi met à sa vitre pour que les autres automobilistes le laissent passer lui sert de prétexte pour évoquer les préférences de sa femme en matière de mouchoir : « À défaut d’un mouchoir en tissu, car ils n’étaient pas du goût de sa femme, qui a dit et répété qu’ils ne sont pas hygiéniques, qu’il vaut mieux un kleenex à usage unique, pour éviter la morve dans ta poche, cochon, les hommes vous n’êtes vraiment que des cochons, il mit sur la partie extérieure de la vitre un chiffon à poussière […][26]. » La digression traduit dans cet extrait la sidération du personnage : pour faire barrage à la vision du « blessé, de l’agonisant, du mort qui sentait la chair brûlée[27] » à l’arrière de sa voiture, il centre son regard sur des détails (le mouchoir, la tache de sang). Dans Charlie, les digressions sont souvent introduites par la femme de ménage, Asún : « Si on me donnait un euro pour chaque kilo de poussière que j’enlève de cette maison, mon Dieu, je serais pleine aux as[28]. » Les deux derniers syntagmes sont d’ailleurs répétés à deux reprises dans le même chapitre. Ce personnage a néanmoins une importance symbolique puisque la propreté est associée d’une part à la pureté et l’innocence de l’enfant assassinée : « Et alors Paula riait, elle riait d’un rire innocent et propre ; si propre que le monde entier renaissait en elle[29] » ; et, d’autre part, au ménage que Carlos doit faire symboliquement dans son existence pour reprendre goût à la vie.
Contrairement à F. Aramburu, J. L. Castro Lombilla utilise à de nombreuses reprises l’ironie, la dérision et le jeu pour diminuer la tension narrative et pour critiquer vivement le terrorisme et les terroristes. Dans un premier temps, le jeu est propice à une description crue, voire morbide :
Aujourd’hui j’ai joué aux quilles avec ton crâne, Paula. C’est la première image qui m’est venue à l’esprit au réveil. Je n’avais pas encore ouvert les paupières que j’ai clairement vu comment je mettais mes doigts dans les orbites vides de tes yeux et je lançais ton crâne, ton crâne archi blanc en coton contre trois quilles (NDLTR : synonyme d’imbéciles en espagnol) qui ne cessaient de parler au loin. À bien y regarder, Paula, ça a même été plaisant de les voir voler dans les airs. Ça a été un strike dans les règles de l’art, ma petite fille. […] Elles volaient et leurs phrases se défaisaient tels des rosaires de mots volants qui cabriolaient un court instant avant de tomber, sans vie, au sol. « Le processus doit résoudre les clés de la territorialité et du droit à l’autodétermination qui sont le noyau du conflit… », « Solution juste et démocratique au conflit politique séculier… » […][30].
Le jeu sert ici de prétexte pour rappeler la mort de sa fille et commencer ainsi une critique des etarras. Celle-ci repose sur la polysémie du mot « bolos » qui signifie à la fois « quilles » et, dans un registre familier, « imbéciles ». Le corps de la petite fille assassinée se transforme en arme contre les etarras. Tout au long du récit, le jeu sera source de souvenirs heureux et d’éclats de rire. Le rire permet d’ailleurs à d’autres personnages de tourner en dérision le terrorisme etarra :
– Qu’est-ce qui t’est arrivé avec ce client… ? – dis-je [Antonio] à Inma.
– […] Et voilà qu’il s’approche et qu’il me demande un livre sur le « conflit basque ».
– […] Tu aurais dû m’appeler, j’aurais…
– Oui, bien sûr, tu aurais… quoi ? Tu l’aurais peut-être accompagné poliment, avec ton plus beau sourire aux lèvres, jusqu’à notre section spéciale où se trouvent les œuvres complètes de saint Sabino Arana ?
– Bah oui… bien sûr… Moi, moi, je lui aurais dit : par ici, monsieur imbécile, voulez-vous bien me faire le plaisir de m’accompagner […], je vais vous montrer le dernier livre qu’a écrit Sabino Arana depuis l’au-delà, basque, bien évidemment, en le dictant à un voyant abertzale d’Hernani […].
Inma n’arrête pas de rire, ça me plaît[31].
Les personnages — et le narrateur — jouent avec les mots, ce qui semble leur procurer une certaine jouissance. Les nombreuses injures, aussi bien dans Charlie que dans Carne rota, proférées contre les terroristes, agissent, quant à elles, comme une véritable catharsis. Si les terroristes sont désignés comme tels ou comme des « assassins[32] », ils sont aussi nommés au moyen d’insultes plus ou moins vulgaires comme « canailles[33] », « fils de pute[34] » ou encore « salopards[35] », pour n’en citer que quelques-unes. S’il est vrai que l’un des paragraphes de Carne rota évoque la mise en place, par un terroriste, d’un sac rempli de bombes, la focalisation utilisée est externe. Le lecteur voit la scène à travers le regard de futures victimes qui ne se doutent de rien : le terroriste n’est alors qu’un « jeune [qui] a oublié son sac à dos[36] », un personnage secondaire en somme. Il en va de même dans Charlie, où les terroristes sont symboliquement relégués au second plan. Leur présence est littéralement circonscrite à la pièce dans laquelle Carlos tapisse les murs d’articles de presse qui évoquent l’ETA et les etarras. Nul ne peut entrer dans cette pièce sans son autorisation. Carlos enferme, en quelque sorte, les etarras dans une pièce inaccessible au lecteur. Ce que celui-ci peut et doit voir, c’est la souffrance provoquée par le terrorisme dans la vie personnelle des victimes et non le traitement médiatique qui est accordé aux etarras.
D’ailleurs, J. L. Castro Lombilla et F. Aramburu proposent, chacun à leur manière, une réflexion métadiscursive sur les modalités formelles et thématiques de la transmission de l’horreur. Carlos se souvient des interrogations que soulevait le film Les temps modernes auprès de sa fille : « tu ne comprenais pas très bien [ce film] et […] je n’ai pas non plus voulu te [l’] expliquer dans toute sa crudité. J’ai préféré retarder ta connaissance de cette ombre qui se cache derrière les blagues lumineuses du mime génial, cette ombre noire du fascisme qui […] avec un autre nom allait renaître dans le centre commercial[37] ». Ce souvenir invite à une réflexion plus générale sur l’explication et la transmission des périodes et événements funestes de notre Histoire. Carlos a fait le choix de ne pas dévoiler la « crudité » du fascisme. La crudité qui caractérise ses descriptions de l’attentat de l’Hipercor traduit-elle un changement d’opinion ? L’expérience personnelle et intime d’une certaine forme de violence a-t-elle suscité en lui un rejet de tout voilement, voire tout embellissement de la triste réalité ? C’est ce qu’il semble affirmer à la fin du roman, dans un chapitre intitulé « Charlie » : « Dans la réalité, les choses sont toujours différentes de la fiction. Je n’ai pas récupéré Paula. Elle est partie pour toujours et moi, [Charlie] je suis parti avec elle[38]. » Parce que la fiction n’a plus lieu d’être, la réalité doit surgir dans les récits, quitte à susciter des images dérangeantes. Certains chercheurs interrogent toutefois la pertinence de recourir à ces images dans des récits qui ont pour objet des violences extrêmes. C’est le cas de Charlotte Lacoste, qui affirme dans son analyse du roman Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, ce qui suit : « À inonder les lecteurs d’images crues, on finit par les habituer au pire, et l’horreur y perd son pouvoir horrifique[39]. » Bien qu’il nous soit impossible de mesurer « le pouvoir horrifique » et l’impact émotionnel des textes analysés dans le présent article, nous devons reconnaître qu’ils ne cessent d’interroger l’utilité de ces images crues. Le narrateur de Carne rota va même jusqu’à présenter ses excuses au lecteur : « À la radio, on n’avait toujours rien dit. Il [le conducteur de taxi] n’a pas entendu le vacarme, mais il a vu la fumée et il a vu aussi des personnes maculées de sang, si vous me permettez, qui montaient dans le bus de la ligne 24. Il devait être huit heures moins dix ou moins cinq. Je ne l’oublierai jamais[40]. » Dans ce passage, où alternent récit raconté à la troisième personne du singulier depuis une focalisation externe et récit raconté à la première personne du singulier depuis une focalisation interne, l’incise « si vous me permettez » (« con perdón ») souligne que le personnage ou le narrateur (ou les deux) est conscient de la brutalité des images qu’il donne à voir au lecteur. L’expression « con perdón » est en effet définie par le Diccionario de la Real Academia Española comme suit : « expression utilisée comme excuse à quelque chose que l’on dit, supposé inapproprié par le locuteur[41]. » Derrière ce personnage et ce narrateur, nous pouvons imaginer que c’est F. Aramburu qui interroge la pertinence de cette description sanglante et, de façon plus large, la pertinence du recours à des images crues pour dire le 11-M.
J. L. Castro Lombilla et F. Aramburu nuancent la brutalité des descriptions de l’attentat et des cadavres par différents moyens et remettent en cause leurs choix esthétiques qui, loin de verser dans le seul voyeurisme morbide, offrent au lecteur une écriture plus complexe du terrorisme.
Une écriture terrifiante et terrifiée
Après avoir analysé dans la première partie la brutalité des images véhiculées pour dire l’attentat terroriste, nous étudierons plus en détail comment la violence terroriste influence les mots eux-mêmes ainsi que leur réception par le lecteur. Nous verrons dans un premier temps que l’écriture de J. L. Castro Lombilla et de F. Aramburu est plus travaillée que ce que nous avons pu affirmer dans la première partie. Puis, nous analyserons leurs récits en les considérant comme des réseaux textuels qui interrogent la mémoire du terrorisme.
Le roman Charlie soulève régulièrement la question du sens des mots et de leur utilisation. Tel est le cas lorsqu’Antonio, le frère de Carlos, se rappelle la fête d’anniversaire de sa nièce : « Paula s’est bien amusée ce jour-là en voyant comment ses camarades prenaient un air étonné lorsqu’ils ont vu leur professeur [Carlos] enfiler une vieille chaussure. Comme elle savait qu’elle était en chocolat, elle s’éclatait[42]. » La version originale du dernier syntagme est encore plus parlante : « se lo pasaba bomba ». Le substantif « bombe », qui dit dans cette expression l’intensité positive du divertissement, ne peut pas ne pas être inséré dans le réseau sémantique lié aux explosions de l’attentat de l’Hipercor. Une nouvelle interaction se met alors en place entre les mots et les événements. Ce n’est plus le signifié qui renvoie à l’attentat (référent), mais le signifiant. F. Aramburu joue également avec les sonorités et, plus précisément encore, avec les sons occlusifs [b], [d], [g], [p], [t] et [k], caractérisés par une sortie brusque de l’air de la cavité buccale ; ce qui n’est pas sans rappeler les explosions des bombes. Écoutez plutôt le passage suivant en espagnol : « De pronto, mientras esperaban el ti-ti-ti que anuncia el cierre de las puertas, las sobresalta un estruendo descomunal, acompañado de una fuerte sacudida del vagón. Se va la luz. La chica de verde sale del tren. A su derecha, casi al final de la hilera de vagones, ve alzarse unas violentas volutas de humo. La voz del viajero pregunta detrás de ella si se ha producido una colisión[43]. » Dans ce court passage, les soixante et un sons occlusifs miment les explosions dont il est question. L’amplification non pas sémantique, mais phonétique des explosions et du vacarme qu’elles provoquent traduit ici le travail esthétique réalisé par F. Aramburu. Ce jeu avec les sons s’insère dans un travail plus vaste sur l’élaboration d’une écriture synesthésique. Carne rota se caractérise en effet par une forte présence des cinq sens — l’ouïe, l’odorat, la vue, le goût et le toucher. F. Aramburu transmet une expérience qui ne se limite pas à la vue de cadavres, mais qui immerge le lecteur au milieu des explosions. Il propose ainsi une expérience totale de l’attentat terroriste comme le montrent ces quelques exemples : « on entendait des sirènes de plus en plus près », « ça sentait beaucoup la chair brûlée », « si vous le reconnaissez, dites-le nous, de la chair broyée, de la chair broyée, encore et encore de la chair broyée, moi je priais en mon for intérieur et je voulais demander une copie de toutes les photographies pour les envoyer aux mères de ceux qui avaient fait ça », « je crois que j’étais en train d’avaler mon propre sang » et « je réussis à me traîner sur environ un demi-mètre vers elle. Suffisamment pour lui prendre la main[44] ».
Dans les récits de J. L. Castro Lombilla et de F. Aramburu, l’attentat terroriste ne bouscule pas uniquement le lecteur. Pour reprendre la définition du substantif « crudité », il traite « sans ménagement » la langue des écrivains. Non seulement leur écriture est terrifiante, mais elle est elle-même terrifiée. Par une sorte de transfert mimétique, leurs phrases et leurs mots se transforment en débris éparpillés tout au long du texte. La répétition de mots, voire de phrases entières, n’est pas rare dans les deux textes analysés. Les injures envers les terroristes et les jurons tels que « putain[45] » sont distillés tout au long des récits. Les analepses présentes dans Charlie, notamment celle répétée à trois reprises (« Aujourd’hui, 7 juin 1987, moi, Carlos Marín Castro, jure solennellement que je mettrai une pièce de cinquante pesetas dans cette tirelire chaque fois que je dirai un gros mot[46] »), sont autant de morceaux de souvenirs que le narrateur peine à ordonner. La répétition de nombreux mots dans Carne rota sert quant à elle à tisser les histoires les unes avec les autres. Les mots sur lesquels débute chaque paragraphe (« son père », « la main », « la couverture », « la ville », « cinq minutes », « tous les matins », « moi », « aujourd’hui », « [des] gens » et « je n’ai pas pu[47] ») sont en effet répétés tout au long de la nouvelle. À titre d’exemple, « des gens » est répété vingt-cinq fois et « main », quatorze fois.
À cela, il faut ajouter que chaque paragraphe se conclut par le(s) premier(s) mot(s) du paragraphe suivant. Les anadiploses marquent symboliquement le passage de témoin qui s’effectue entre chaque histoire, c’est-à-dire entre chaque paragraphe. Ce lien — qui se manifeste sous la forme d’une solidarité familiale dans Charlie — se révèle néanmoins insuffisant pour masquer les fragmentations référentielles et scripturales. Nous l’avons déjà vu, le démembrement des corps n’est pas caché. Ce démembrement affecte également l’écriture de ces textes. Alors qu’un blessé a du mal à rester éveillé, les mots et les lettres semblent à leur tour s’endormir dans Carne rota : « Les paupières du Roumain adossé contre le mur se refermaient. Il les ouvrait avec difficulté. Elles se refermaient. Il les… Elles se… I… E…[48] » Paula, dans Charlie, aimait pour sa part épeler les mots : « Ce jour-là, avant que Charlie ne mette la voiture dans le parking, j’ai eu le temps de compter les lettres du long mot, très long, d’un panneau qu’il y avait tout en haut : h, i, p, e, r, c, o, r encore une fois : huit[49] ! » Le mot « Hipercor » — lieu de l’attentat — est littéralement réduit en pièces par la petite fille qui sera assassinée quelques minutes plus tard. Loin d’être un simple jeu enfantin, l’épellation sert de prétexte pour ouvrir (ou continuer) une réflexion sur les modalités de l’écriture du terrorisme. Comment dire l’explosion avec des mots ? En les réduisant en lettres. L’attentat n’est plus seulement évoqué, mais reconstitué avec des mots, des lettres, des sons. Telle « la cicatrice qui s’étend du bout de l’oreille jusqu’au cou[50] » d’une victime du 11-M, Carne rota et Charlie présentent des séquelles scripturales des attentats. Non seulement les récits sont éclatés, mais le lecteur de la nouvelle de F. Aramburu peut percevoir le sang qui tache ses mots. La couleur rouge apparaît de façon plus ou moins visible dans les dix paragraphes : « Des bancs rouges » (§1), « la poubelle rouge » (§1), « les ongles vernis de rouge » (§2), « l’immeuble rouge de l’hôpital » (§3), « au feu rouge » (§4), « la Croix-Rouge » (§5), « elle distingue une cicatrice […], qui forme un méandre […] rosé le long de sa joue », « les pompiers » (§6), « Les pauvres psychologues. […] Il y en avait un assez jeune, avec les yeux tout rouges » (§7), « Ensuite, il écouta les commentaires sur le match entre Madrid et le Bayern de Munich[51] » (§8). À l’instar de l’expression déjà analysée « se lo pasaba bomba », la couleur rouge ne renvoie pas uniquement au sang. Malgré tout, nous ne pouvons pas dissocier cette couleur des attentats du 11-M. La vision d’horreur s’immisce subrepticement jusque dans les couleurs d’une équipe de football.
Ce réseau de phrases, de mots, de sons voire de connotations qui se répètent crée chez le lecteur une résonance mémorielle qui l’encourage à avoir une lecture active des textes. Chaque répétition agit comme un écho qui lie les témoignages les uns aux autres. Tandis que le lecteur de Carne rota est invité à recoller les éclats de mots pour créer du sens lors de sa lecture, celui de Charlie est invité à agir après la lecture. Dans le chapitre final, Carlos est désormais prêt à vivre : « Enfin les mots de mon frère réussissent à pénétrer dans mes oreilles et j’entends maintenant comment il me parle de la photo et d’heureux hasards et du fait qu’il est maintenant temps pour nous de changer les choses[52]… » Après avoir affirmé à différents moments du récit la mort de Charlie lors de l’attentat, Carlos conclut le roman par cette phrase remplie d’espoir : « Je sais qu’Antonio m’a appelé Charlie, mais, étonnamment, ça m’est égal[53]… » La renaissance symbolique de Charlie/Carlos place le récit de l’expérience terroriste dans une nouvelle temporalité. Tandis que les analepses et la référence aux documentaires animaliers (dans le premier et le dernier chapitre) traduisaient le cercle vicieux dans lequel se trouvait le personnage, cette phrase conclusive place à nouveau le récit dans un temps linéaire propice à des changements personnels. Il n’en va pas de même dans Carne rota, où le dépassement du traumatisme oscille avec le blocage traumatique. Comme Carlos, une victime du 11-M montre une même volonté de dépasser le traumatisme : « il réitère son intention de ne pas regarder derrière lui, d’accepter la vie comme elle est et d’en profiter si possible[54]. » Pourtant, en plus des anadiploses déjà évoquées qui invitent à une relecture perpétuelle des dix histoires, le dernier paragraphe livre une vision peu réjouissante de la possibilité d’un dépassement du traumatisme. Un habitant du quartier de la gare d’Atocha se retrouve paralysé à la vue des cadavres :
Les wagons éventrés ravivèrent dans sa mémoire des images de son accident de la route de janvier dernier […]. Il aurait voulu effacer le souvenir, l’expulser de ses pensées comme on vomit une substance nocive, mais il n’a pas pu, tout simplement il n’a pas pu, et à nouveau la scène qui le torturait depuis deux mois se répéta en entier dans sa tête : le camion, les vitres brisées, l’insupportable certitude que l’homme recouvert par une couverture sur le bord de la route était son père[55].
Sans pour autant s’arrêter au seul récit des attentats du 11-M, Carne rota situe ses différentes histoires avant, pendant et après l’attentat dans une boucle sans fin. Tandis que le premier paragraphe interroge la transmission transgénérationnelle de la mémoire du 11-M, le dernier remet en cause la possibilité même d’un avenir serein retrouvé.
Comment les écrivains évoquent-ils la transmission de l’expérience terroriste ? Aussi bien dans Charlie que dans Carne rota, la mémoire individuelle est mise en avant : les récits, qui prennent la forme du témoignage, sont la plupart du temps écrits à la première personne du singulier. Non seulement cette mémoire s’exprime dans l’espace familial, mais elle trouve aussi sa place dans l’espace public, comme le montre ce passage de Carne rota : « Finalement il fut invité à un débat radiophonique au cours duquel il raconta une nouvelle fois son expérience en tant que victime de l’attentat[56]. » Charlie insiste davantage sur la mémoire collective du terrorisme en mentionnant les actes commémoratifs et les associations de victimes : « [Carlos] n’est même pas allé le mois dernier aux cérémonies si émouvantes qui ont eu lieu en souvenir des victimes. Carlos devrait intégrer une association de victimes[57]. »
Mais alors, quel(s) rôle(s) doit jouer l’écriture dans la transmission de la mémoire des terrorismes ? Dans Charlie, la littérature fait barrage aux terroristes. Pour lutter contre les images de terroristes qui envahissent son esprit, Carlos affirme qu’ « [il] empoignera [son] arme littéraire et [qu’il tirera] un Yoknapatawpha[58] sur le premier terroriste qui montrera sa sale tête cagoulée[59] ». De manière plus générale, nous pouvons considérer que pour le personnage (et, par voie de conséquence, pour J. L. Castro Lombilla) la littérature est une arme contre le terrorisme. En écrivant (rappelons que Charlie est écrit à la première personne du singulier), Carlos a réussi à se reconstruire. L’idée est similaire dans Carne rota. Alors que le rescapé d’un accident de voiture a beaucoup de difficulté à regarder la scène terrifiante qui a suivi les explosions, sa compagne accomplit son devoir professionnel : « Ils se sont posés à la fenêtre de la cuisine, lui en chaussons et en pyjama, et elle, journaliste après tout, avec son appareil photo[60]. » Par ce geste, la journaliste (et, par voie de conséquence, F. Aramburu) considère qu’il est important de montrer l’horreur du terrorisme telle qu’elle se manifeste. Lorsqu’une photographie ne fait l’objet d’aucune retouche après la prise et même si elle est le résultat de choix individuels préalables (cadrage, zoom, etc.), elle témoigne de la réalité. Comme le souligne Roland Barthes, « dans la Photographie, je ne puis jamais nier que la chose a été là[61]. » C’est justement ce que font J. L. Castro Lombilla et F. Aramburu lorsqu’ils s’arment de leur outil de travail pour dire la violence terroriste dans une langue crue et, ce faisant, participent de l’élaboration d’une mémoire littéraire et culturelle du terrorisme.
Conclusion
Tout au long de notre analyse, nous avons pu constater que les stratégies discursives de J. L. Castro Lombilla et de F. Aramburu étaient semblables. Leurs récits ne se contentent pas de « faire violence » : ils interrogent cette même violence et les modalités de sa représentation littéraire en déployant un travail esthétique complexe. Ces écrivains échafaudent une crudité littéraire multiple — qui va de la description de cadavres, au recours à des harmonies imitatives reproduisant le son des explosions, en passant par une déstructuration des mots et de la syntaxe — pour dire la cruauté terroriste. En d’autres termes, « la catastrophe, jamais ingrate vis-à-vis de l’art, rend à l’art ce qu’il lui donne : elle lui offre un défi à relever, le ferment ou le puissant levain esthétique dont il a besoin : pour étendre son domaine, pour générer des idées esthétiques nouvelles, pour accroître son pouvoir de transfiguration et, par là, nous inciter à nous tenir debout et affirmer, jusqu’au cœur du désespoir, la Vie[62]. »
En se distinguant par une écriture singulière, J. L. Castro Lombilla et F. Aramburu semblent avoir relevé le défi. Celui-ci pourrait aussi vous être lancé à vous, lecteur. Les deux textes constituent en effet une épreuve pour quiconque se confronterait à leur lecture incommodante. Cette dernière suscitera forcément une émotion, un rejet, un dégoût voire une réflexion sur l’écriture du terrorisme et sur le rôle que chacun d’entre nous peut avoir dans la société une fois la lecture de ces œuvres achevée.
Annexes
Annexe n⁰ 1 : Résumé de Charlie (J. L. Castro Lombilla)
Le 19 juin 1987, Carlos, jeune veuf, se rend au supermarché Hipercor de l’avenue Meridiana de Barcelone avec sa fille, Paula, pour récupérer les photos de sa communion. Alors que le père et la fille viennent d’arriver sur le parking du supermarché, plusieurs explosions se font entendre. L’organisation terroriste Euskadi Ta Askatasuna (ETA) vient de commettre l’attentat le plus meurtrier de son histoire. Paula décède dans les bras de son père qui peinera à retrouver goût à la vie. Il pourra toutefois compter sur le soutien de son frère Antonio, de sa belle-sœur Inma ainsi que de la femme de ménage Asún et de Camilo, son époux. José Luis Castro Lombilla raconte aussi bien l’avant-attentat (en évoquant la relation presque fusionnelle qui unissait le père et la fille et le trajet en voiture entre le domicile de Carlos et le supermarché), le moment des explosions (témoignages de Paula et de Carlos) et l’après-attentat (dépression de Carlos et lente reconstruction).
Annexe n⁰ 2 : Résumé de Carne rota (F. Aramburu)
La nouvelle Carne rota, écrite par Fernando Aramburu, aborde les attentats madrilènes du 11 mars 2004 (11-M). Les voix de différents narrateurs se succèdent pour raconter leur témoignage. Parmi eux, nous retrouvons des victimes directes des attentats qui ont subi des blessures physiques ou psychiques ; des victimes indirectes (les proches de victimes), ainsi que des témoins des scènes d’horreur (des habitants du quartier de la gare d’Atocha qui ont apporté leur aide après les explosions et un conducteur de taxi réquisitionné par la police pour transporter un blessé jusqu’à l’hôpital). Les témoignages rendent compte aussi bien de l’instant où les bombes ont explosé que des moments qui ont précédé (arrivée des voyageurs dans les trains, mise en place d’un sac qui contenait probablement les explosifs) et qui ont suivi l’attentat (sidération, solidarité des témoins avec les victimes, transport de ces dernières dans les hôpitaux et autres lieux mis à disposition, identification des corps, question de la transmission de la mémoire des attentats et de la gestion du traumatisme).
Agrégée d’espagnol, Marion Billard est doctorante contractuelle à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Membre du Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine XVIIIe – XXIe siècles (CREC, EA 2292), ses recherches portent sur les manifestations culturelles des terrorismes etarra et islamiste en Espagne (témoignages publiés, littérature, chansons). Elle a récemment publié un article dans la revue AMNIS sur la notion de post-mémoire (n˚18, 2019).
Bibliographie
Corpus principal
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— Charlie, dans Fundación contra el Terrorismo y la Violencia Alberto Jiménez-Becerril, VII Certamen – Creadores por la Libertad y la Paz, Sevilla, 2013, p. 71-120, [en ligne]. http://fundacionalbertojimenez-becerril.org/publicaciones/ [Site consulté le 10 juillet 2019].
Corpus secondaire
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Sitographie
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Notes
[1] Les attentats du 11 mars 2004 ont été revendiqués par un groupe terroriste qui se dit proche d’Al-Qaïda.
[2] Une victime plongée dans le coma depuis 2004 est décédée en 2014. Les cérémonies du 11-M commémorent désormais cent-quatre-vingt-treize victimes.
[3] À noter qu’un monument (« Tall Irregular Progression », de Sol LeWitt) dédié « aux victimes du terrorisme » a été installé en 2003, non loin du supermarché Hipercor.
[4] Marco Kunz, « Introducción », dans Marco Kunz, Rachel Bornet, Salvador Girbés et Michel Schultheiss [éds.], Acontecimientos históricos y su productividad cultural en el mundo hispánico, Zürich, Lit (coll. : « Ibéricas »), 2016, p. 7. Nous traduisons toutes les citations en espagnol : « el conjunto de las creaciones semióticas que parten del suceso para reaccionar a él, que lo tematizan, interpretan, ficcionalizan, etc., en obras que tienen múltiples intenciones y cumplen diversas funciones ».
[5] Fernando Aramburu, Patria, Barcelona, Tusquets Editores (coll. : « Andanzas »), 2016.
[6] Pepe Gálvez et Antoni Guiral, 11-M : la novela gráfica, Torroella de Montgrí (Girona), Panini España (Panini Comics), 2008.
[7] José Luis Castro Lombilla, Charlie, Revista Gurb (Biblioteca Digital), 2013, [en ligne]. http://www.gurbrevista.com/2015/09/charlie-por-jose-luis-castro-lombilla/ [Site consulté le 10 juillet 2019]. Nous avons choisi d’utiliser la version publiée en ligne par la Fondation Alberto Jiménez-Becerril car la publication de la Revista Gurb n’est pas paginée. VII Certamen – Creadores por la Libertad y la Paz, Sevilla, 2013, p. 71-120, [en ligne]. http://fundacionalbertojimenez-becerril.org/publicaciones/ [Site consulté le 10 juillet 2019].
[8] Fernando Aramburu, Carne rota, dans El vigilante del Fiordo, Barcelona, Tusquets Editores (coll. : « Andanzas »), 2011, p. 49-77.
[9] Un résumé de chaque récit est disponible en annexe.
[10] David Marcilhacy et Miguel Rodriguez [éds.], Extrême(s). Pratiques du contemporain dans les mondes ibériques et latino-américains, Paris, Éditions Hispaniques, 2014, p. 14. Nous soulignons.
[11] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 104, « me acuerdo de que una moneda de cincuenta pesetas que llevaba en la mano cuando todavía no me había bajado del coche, se puso muy muy caliente, tan caliente, que tuve que soltarla… ».
[12] IFEMA : Institución Ferial de Madrid. Pavillons d’exposition situés au nord de Madrid où furent entreposés les cadavres des victimes du 11-M.
[13] F. Aramburu, op. cit., p. 68-69, « Y allá estaba empaquetado como un montón de miseria […], y sí, era él, por lo menos la cabeza era la suya, el resto vaya usted a saber. ».
[14] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 94, « cuando saqué en mis brazos tus restos quemados, apenas un pequeño trozo de carbón sin vida mientras yo, que tenía la obligación de cuidarte, de velar por tu seguridad, de dar mi vida por ti, Paula, yo, sin embargo salí ileso. ».
[15] Le Grand Robert de la langue française, [en ligne]. https://gr-bvdep-com.ezproxy.univ-paris3.fr/robert.asp [Site consulté le 10 juillet 2019].
[16] Salvador Girbés, « Rememoración del 11-M en la literatura española actual », Boletín Hispánico Helvético, volume 24 (automne 2014), p. 186, « la metáfora […] parece revelarse incapaz e insuficiente para evocar estéticamente el horror descarnado que resultó ser la matanza del 11-M. ».
[17] Renaud Dulong, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, Éditions de l’EHESS (coll. : « Recherches d’histoire et de sciences sociales »), 1998, p. 88.
[18] Marco Kunz, « Palabras contra bombas : respuestas literarias a los atentados del 11-M », Boletín de la Biblioteca de Menéndez Pelayo, n⁰85 (2009), p. 420, « Después de la explosión de las bombas en los trenes, las metáforas siguen siendo lícitas para hablar de las reacciones de los testigos ilesos […] pero resulta dudosa la legitimidad de referirlas a las víctimas, de sustituir su muerte y su mutilación por términos figurativos, ya que en su caso, el desgarramiento no es un estado anímico, sino el despedazamiento literal de sus cuerpos. ».
[19] Nous renvoyons le lecteur aux articles cités dans les notes 16 et 18.
[20] Philippe Lançon, Le lambeau, Paris, Gallimard (coll : « Blanche »), 2018, p. 55.
[21] Gérard Genette, Figures III, Paris, Éditions du Seuil (Points, coll. : « Essai »), 2019 [1972], p. 265.
[22] F. Aramburu, op. cit., p. 51, « De nuevo marzo, mediodía, han dicho que va a llover. Si quieres no entramos, papá, me basta con lo que me has contado y con ver el apeadero por fuera. ».
[23] Ibid., p. 56, « En cuanto pudo, paró. Primero sacó a su mujer de la cama, pon la tele, ¿ qué hago ? No seas cobarde, llámalo, seguro que entenderá. Marcó el número. Se lo juro, no me ha dado tiempo de extender la manta. Hay un corro enorme de sangre en el asiento. ¿ Cómo de enorme, Vélez ? Pues como para no dejar subir a nadie, jefe, imposible. Cálmese, Vélez. ».
[24] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 95, « Te dije antes que no sabía por qué decidí separarme de tus cosas, Paula, y más tarde te he dicho con una seguridad absoluta que sí, que sí lo sabía… Sin embargo, ahora, ahora, hija mía no tengo más remedio que volver a dudar porque de verdad no estoy seguro de nada. No estoy seguro de nada, Paula, de nada. Me desahogo y vuelven las dudas a instalarse en mí, como si nunca se hubieran ido. ».
[25] F. Aramburu, op. cit., p. 52, p. 54, p. 58, p. 60, p. 69, p. 71, p. 73, p. 74, « quizá ».
[26] Ibid., p. 55, « A falta de un pañuelo moquero, porque a su mujer no le gustaban, decía y dice que no son higiénicos, que mejor clínex de usar y tirar, así no llevas las plastas en el bolsillo, marrano, que los hombres sois unos marranos, colgó por la parte de afuera de la ventanilla un trapo de limpiar el polvo […]. ».
[27] Ibid., p. 56, « del herido, del agonizante, del muerto que olía a carne quemada ».
[28] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 76, « Si me dieran un euro por cada kilo de polvo que quito de esta casa, madre mía, estaría podrida de dinero. ».
[29] Ibid., p. 112, « Y Paula, entonces, reía, se reía con una risa inocente y limpia ; tan limpia que el mundo entero renacía en ella. ».
[30] Ibid., p. 74, « Hoy he jugado con tu calavera a los bolos, Paula. Fue la primera imagen que me vino a la mente al despertar. Aún no había levantado los párpados cuando vi claramente cómo metía mis dedos en las cuencas vacías de tus ojos y lanzaba tu calavera, tu blanquísima calavera de algodón contra tres bolos que a lo lejos no dejaban de hablar. Si lo miras bien, Paula, fue hasta gracioso verlos saltar por los aires. Fue un pleno en toda regla, hija mía. […] Volaban ellos y sus frases se deshacían como rosarios de palabras volátiles que cabriolaban un momentito antes de caer, exánimes, al suelo. “El proceso debe resolver las claves de la territorialidad y el derecho a la autodeterminación que son el núcleo del conflicto…”, “Solución justa y democrática al secular conflicto político…” […]. ».
[31] Ibid., p. 96-97, « – ¿ Qué te ha pasado con ese cliente… ? – le dije a Inma. / […] – Pues que va el tío y me pide un libro sobre el “conflicto vasco”. / […] – Tenías que haberme llamado, yo habría… / – Sí, tú habrías… ¿ qué ? ¿ Acaso tú le habrías acompañado educadamente, con tu mejor sonrisa en la boca, hasta llevarlo a nuestra sección especial donde están las obras completas de san Sabino Arana ? / – Pues sí… claro…, Yo, yo le habría dicho : por aquí, señor imbécil, haga usted el favor de acompañarme […] que le voy a enseñar el último libro que ha escrito Sabino Arana desde el más allá, vasco, por supuesto, dictándoselo a un médium abertzale de Hernani […] / Inma no paraba de reír, eso me gusta. ». L’auteur souligne. Sabino Arana est considéré comme le père du nationalisme basque. Abertzale est un mot basque qui signifie « nationaliste basque ». Hernani est une ville basque.
[32] Ibid., p. 86, p. 88, p. 90, p. 95, p. 113, p. 114 et F. Aramburu, op. cit., p. 59, « asesinos ».
[33] Ibid., p. 58 et J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 96, p. 113, « canallas ».
[34] Ibid., p. 77, p. 91, « hijosdeputa ».
[35] Ibid., p. 77, p. 87-89, p. 105, « cabrones ».
[36] F. Aramburu, op. cit., p. 71, « ese joven se ha olvidado la mochila ».
[37] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 93, « tú no entendías demasiado bien y que yo tampoco quise explicarte en toda su crudeza. Preferí retrasar tu conocimiento de esa sombra que se esconde tras los luminosos chistes del mimo genial, esa sombra negra del fascismo que […] con otro nombre iba a renacer en el centro comercial ».
[38] Ibid., p. 114, « En la realidad las cosas siempre son distintas a la ficción. A Paula no la he recuperado. Se fue para siempre y yo me fui con ella. ».
[39] Charlotte Lacoste, Séductions du bourreau. Négation des victimes, Paris, Presses universitaires de France (coll. : « Intervention philosophique »), 2010, p. 108. À noter que dans le roman de J. Littell, le point de vue adopté est celui du bourreau nazi.
[40] F. Aramburu, op. cit., p. 55, « En la radio todavía no habían dicho nada. No oyó los estruendos, pero vio el humo y también vio personas chorreadas de sangre, con perdón, que subían al autobús de la línea 24. ».
[41] Diccionario de la Real Academia Española, « expresión usada como excusa a algo que se dice, suponiendo el hablante que es inapropriado. », [en ligne]. https://dle.rae.es/ [Site consulté le 10 juillet 2019].
[42] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 108, « Paula se lo pasó en grande aquel día viendo cómo sus compañeros ponían cara de asombro al ver a su profesor comiéndose un zapato viejo. Como ella sabía que era de chocolate, se lo pasaba bomba. ». Nous soulignons.
[43] F. Aramburu, op. cit., p. 61, « Soudain, alors qu’elles attendaient le ti-ti-ti qui annonce la fermeture des portes, un vacarme monstre les surprend, accompagné d’une forte secousse du wagon. On voit la lumière. La fille en vert sort du train. À sa droite, presque à la fin de la rangée de wagons, elle voit s’élever de violentes traînées de fumée. La voix d’un voyageur demande derrière elle s’il y a eu une collision. ». Nous avons souligné les lettres dont la réalisation phonétique se fait au moyen d’un son occlusif.
[44] Ibid., p. 56, « Se oían sirenas cada vez más cerca ». p. 52, « Olía mucho a carne quemada ». p. 68, « si lo reconocen dígannos, carne rota, carne rota, más carne rota y más, yo rezando entre mí y con ganas de pedir una copia de todas las fotografías para mandárselas a las madres de los que habían hecho aquello. ». p. 74, « Creo que estaba tragando mi propia sangre. ». p. 73, « logré arrastrarme cosa de medio metro hacia ella. Lo suficiente para cogerle la mano. ».
[45] Ibid., p. 54, p. 55, p. 67 et J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 88, p. 89, p. 108, « joder ».
[46] Ibid., p. 75, p. 102, p. 112, « Hoy, 7 de junio de 1987, yo, Carlos Marín Castro, juro solemnemente que meteré una moneda de cincuenta pesetas en esta hucha cada vez que diga una palabrota ».
[47] F. Aramburu, op. cit., p. 51, p. 53, p. 54, p. 57, p. 60, p. 63, p. 66, p. 69, p. 72, p. 74, « su padre », « su mano », « la manta », « la ciudad », « cinco minutos », « todas las mañanas », « yo », « hoy », « gente » et « no pude ».
[48] Ibid., p. 53, « Al rumano, recostado contra la pared, se le cerraban los párpados. Los abría con esfuerzo. Se le cerraban. Los… Se le… L… S… ».
[49] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 101, « Aquel día, antes de que Charlie metiera el coche en el garaje, me dio tiempo a contar las letras de la palabra grande muy grande de un cartel que había arriba del todo : hache, i, pe, e, erre, ce, o, erre otra vez : ¡ Ocho ! ».
[50] F. Aramburu, op. cit., p. 63, « cicatriz que se alarga desde el arranque de la oreja hasta el cuello ».
[51] Ibid., p. 51, « Bancos rojos ». p. 52, « la papelera roja ». p. 53, « las uñas pintadas de rojo ». p. 56, « el edificio rojo del hospital ». p. 57, « delante de un semáforo en rojo ». p. 58, « la Cruz Roja ». p. 63, « distingue una cicatriz […] formando un […] rosado meandro a lo largo de la mejilla ». p. 66, « los bomberos ». p. 67-68, « Los pobres psicólogos. […] Había uno bastante joven con los ojos colorados ». p. 69, « Después estuvo escuchando los comentarios sobre el partido del Madrid contra el Bayern de Múnich ».
[52] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 119, « Por fin las palabras de mi hermano logran penetrar en mis oídos y ahora oigo cómo me habla de la foto y de azares dichosos y de que ya es hora de que cambiemos las cosas… ».
[53] Ibid., p. 120, « Sé que Antonio me ha llamado Charlie, pero, sorprendentemente, no me importa… ».
[54] F. Aramburu, op. cit., p. 65, « reitera su intención de no mirar atrás, de aceptar la vida como es y gozarla si se deja. ».
[55] Ibid., p. 75-77, « A él los vagones reventados le reavivaron en la memoria las imágenes de su accidente de tráfico del pasado mes de enero […]. Él habría querido borrar el recuerdo, expulsarlo de sus pensamientos como quien vomita una sustancia dañina, pero no pudo, sencillamente no pudo, y de nuevo la escena que lo llevaba torturando desde hacía dos meses se repitió completa en su cabeza : el camión, los cristales rotos, la insoportable certeza de que el hombre tapado con una manta en el borde de la carretera era su padre. ».
[56] Ibid., p. 64, « Finalmente fue invitado a una tertulia radiofónica, donde relató una vez más su experiencia como víctima del atentado ».
[57] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 91, « ni siquiera fue el mes pasado a los actos que hubo tan emotivos para recordar a las víctimas. Carlos debería meterse en alguna asociación de víctimas ».
[58] Yoknapatawpha est un lieu imaginaire inventé par l’écrivain étasunien William Faulkner.
[59] J. L. Castro Lombilla, op. cit., p. 84, « empuñaré mi arma literaria y le dispararé un Yoknapatawpha al primer terrorista que asome su encapuchada cabezota ».
[60] F. Aramburu, op. cit., p. 75, « Se asomaron a la ventana de la cocina, él en zapatillas y pijama, y ella, periodista al fin, con la cámara. ».
[61] Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile : Gallimard : Seuil (coll. : « Cahiers du Cinéma »), 1980, p. 120. L’auteur souligne.
[62] Michel Ribon, Esthétique de la catastrophe. Essai sur l’art et la catastrophe, Paris, Éditions Kimé (coll : « Esthétiques »), 1999, p. 255.