Mieux valent les leurres de la subjectivité que les impostures de l’objectivité. Mieux vaut l’Imaginaire du Sujet que sa censure.
– Roland Barthes, La préparation du romanL’art moderne : une révolte contre l’imitation de la réalité au nom des lois autonomes de l’art.
– Milan Kundera, Les testaments trahis
Dans ce numéro de Chameaux portant sur le voyage et la littérature, nous souhaitons paradoxalement parler de cinéma. Ou, plutôt, s’attarder à un cinéaste en particulier dont chaque lm est un déplacement aussi bien qu’une entreprise – les deux sens du terme voyage : soit au réalisateur allemand Werner Herzog.
Nous proposerons d’abord une section introductive qui exposera la vision cinématographique d’Herzog, en s’attardant sur la curieuse relation qu’il crée entre le documentaire et la fiction. Puis nous nous pencherons explicitement sur le pénultième opus du réalisateur, à savoir Encounters at the End of the World1 (2007), et sur le rôle déterminant du voyage dans ce film.
Vérité et mensonge au sens intra-cinématographique : par-delà Documentaire et Fiction
Il y a une innocence dans le mensonge qui est le signe de la bonne foi avec laquelle on épouse une cause.
– Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal
Voici un peu d’histoire. Comme on le sait, les débuts du cinématographe – appelé cinéma bien des années plus tard – remontent à 1895, avec la première projection publique des frères Auguste et Louis Lumière. Les premières conquêtes du septième art se sont faites au nom du réalisme, avec ce que l’on nomme aujourd’hui des « petits documentaires » ou des « lms d’actualités » – les Lumière en ayant d’ailleurs réalisé plusieurs centaines. André Bazin dans son ouvrage culte (Qu’est-ce que le cinéma ?) résume bien cette ambition réaliste, voire naturaliste, du cinéma des premiers temps :
Le mythe directeur de l’invention du cinéma est donc l’accomplissement de celui qui domine confusément toutes les techniques de reproduction mécanique de la réalité qui virent le jour au XIXe siècle, de la photographie au phonographe. C’est celui du réalisme intégral, d’une recréation du monde à son image, une image sur laquelle ne pèserait pas l’hypothèque de la liberté d’interprétation de l’artiste ni l’irréversibilité du temps2.
Ce « réalisme intégral », notion oiseuse, parraine encore l’esthétique du documentaire : le topos sur ce type de cinéma étant que le film documentaire perd sensiblement son statut d’œuvre d’art pour devenir un document couvrant une réalité tangible, le cinéma se convertissant dès lors en un simple moyen pour y arriver3. Certains, critiques comme cinéastes, ont heureusement tenu à dénoncer et à actualiser ce « mythe du cinéma comme art total » doté d’une représentation limpide et omnipotente. Un des exemples les plus évocateurs est probablement celui de Maurice Pialat qui, dans une entrevue pour la revue Positif, déclara à propos de Louis Lumière :
[F]ilmait-il la réalité ? Je ne le pense pas […]. Sur le plan du fantastique Lumière dépasse Méliès […]. Ce cinéma est onirique. Les sorties des usines Lumière rejettent au loin les fades ébauches d’un Fellini. Cette esthétique donne la définition du cinéma : une alchimie, une transformation du sordide en merveilleux, du commun en exceptionnel, du sujet filmé en instant de mort. Voilà ce qu’est pour moi le réalisme […]. Le simple fait d’appuyer sur un bouton de caméra est onirique4.
Comme nous le fait entrevoir le réalisateur d’À nos amours, la réalité ne doit pas être ce monstre sacré qu’il faut à tout prix tenter de représenter de façon directe et candide, mais devient plutôt une chose mystérieuse, « onirique » et « fantastique » – une « alchimie » rendue possible grâce à l’essence esthétique du septième art que le cinéaste peut, ou non, tenter d’exploiter. Si nous prenons le temps d’aborder cette dichotomie cinématographique entre documentaire et fiction – soulignant ainsi le rapport unifiant le cinéma avec le réalisme – c’est parce qu’elle incarne un enjeu qui est au cœur du cinéma d’Herzog.
L’énigme de Werner Herzog
Lorsque l’on parcourt l’imposante lmographie d’Herzog (plus de 50 films), force est de constater que l’on y trouve autant des films de fiction que des documentaires. Bien que les fictions soient moins nombreuses, elles ne sont pas à reléguer à un statut d’œuvres mineures dans le paysage cinématographique du cinéaste. Herzog a été acclamé par la critique autant pour ses fictions que, plus récemment, pour ses documentaires5. En fait, la forme filmique employée pour traiter un sujet ne lui pose pas de problème : il l’a démontré en réalisant un documentaire, Little Dieter Needs to Fly (1997), et une fiction, Rescue Dawn (2006), à partir du même sujet (la quête pour sa survie de Dieter Dengler, pilote de la marine américaine dont l’avion s’est écrasé durant la guerre du Vietnam). Ce rapide constat, en plus de souligner l’étonnante maestria du cinéaste, annonce un éventuel problème : comment est-il possible – dans une œuvre aussi unifiée et cohérente – de manier à la fois l’art du documentaire et celui de la fiction ? Et encore de façon plus significative : la distinction entre documentaire et fiction a-t-elle raison d’être ? Y a-t-il vraiment un mur qui sépare ces deux disciplines cinématographiques ? Selon nous, pour le dire simplement : non – non, il n’y aurait pas dans l’œuvre d’Herzog de différenciation tangible entre le documentaire et la fiction, les deux genres coexistant à merveille, s’enrichissant l’un et l’autre – et c’est précisément cela qui nous intéresse chez lui. La question est maintenant de savoir pourquoi et comment.
En feuilletant les propos du cinéaste sur son travail, on arrive aisément à y trouver une réponse heureuse. Ainsi, dans une entrevue récente accordée aux Inrockuptibles (« Werner Herzog l’arpenteur »), le réalisateur déclare :
La plupart de mes documentaires sont extrêmement stylisés, très influencés par des formes musicales […]. Avec le souci de provoquer un éblouissement chez les spectateurs, j’essaie de trouver une vérité profonde, une extase de vérité, et non une vérité d’arrangement. Donc, pour toutes ces raisons, je ne me contente pas d’enregistrer une situation dans mes documentaires, je la mets en scène. Il n’est pas facile d’établir une distinction claire entre la fiction et le documentaire dans mon travail. J’ai moi-même des difficultés à proposer des définitions, ce sont simplement des films6.
« Ce sont simplement des films » : formule élémentaire, mais ô combien primordiale. De ce fait, le cinéma laisse enfin tomber la représentation au profit de la production… mais que produit-il ? Des films, tout simplement – Herzog, cinéaste solitaire, énigmatique, voire contrebandier, ne se réclamant d’aucun courant, école ou mouvement cinématographiques, aurait peut-être trouvé une des « clés » du septième art, si simple qu’il arrive souvent qu’on l’oublie, à savoir : le cinéma est producteur de cinéma, il produit des vérités proprement cinématographiques – qu’ils soient perçus comme documentaires ou comme fictions. Ces vérités, se déployant, permettent ainsi la « profonde vérité » évoquée par le cinéaste – cette « extase de vérité » s’opposant à la « vérité d’arrangement », qui elle serait plutôt du côté du réalisme / naturalisme tel que l’a décrit Bazin7. Avec Herzog, le « Cinéma Vérité » fait place à la vérité du cinéma. Suivant la maxime de Friedrich Nietzsche, Herzog – mettant en scène ses documentaires de la même manière que ses films de fiction – témoigne de cette « innocence dans le mensonge qui est le signe de la bonne foi avec laquelle on épouse une cause » – la « cause » étant la valorisation du cinéma par le cinéma. On assiste donc à une sorte de « mentir vrai » (Louis Aragon) de la part d’Herzog qui, plutôt que de décrier le mensonge du monde, souligne celui de l’art en général et du cinéma en particulier – documentaires comme fictions, répétons-le – pour en arriver néanmoins à la conclusion esthétique que ce mensonge n’est que super ciel, tributaire d’une vérité secrète cachée dans ses abîmes. Milan Kundera avait bien raison de caractériser l’art moderne – les films d’Herzog sont assurément modernes – comme une « révolte contre l’imitation de la réalité au nom des lois autonomes de l’art ». En conséquence, l’œuvre cinématographique d’Herzog, en refusant cette « imitation de la réalité », opte plutôt pour un approfondissement d’une certaine sorte de vérité : celle de l’extase.
Continuant notre lecture des Inrocks, voulant peaufiner notre propos avant d’aborder de front Encounters, nous tombons sur le passage suivant : « La réalité n’est pas le véritable épicentre des choses. La vérité ? C’est un concept que j’envisage avec beaucoup de prudence. Je suis du côté de l’illumination. Vous la ressentez en lisant Rimbaud, en écoutant de la grande musique ou en regardant Rashomon de Kurosawa.8 » Ainsi, méthodologiquement, nous ouvrons l’œuvre d’Arthur Rimbaud pour suivre (et poursuivre) la piste proposée par Herzog. Plus précisément, attardons-nous aux lettres dites « du voyant », où Rimbaud expose remarquablement ses positions sur la poésie :
Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène […]. Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! […] Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il nirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues9 !
Herzog, appelant de telles illuminations comme fondements de son cinéma, propose une définition du septième art tout à fait novatrice et originale – n’étant redevable à personne dans ce médium et, peut-être, ne pouvant l’appliquer qu’à lui-même : avec lui le cinéaste n’est plus un chef d’orchestre ou un architecte : il devient poète – grand Voyant et non petit imagier – errant sur les chemins, marchant pour atteindre l’inconnu, voulant déclencher le « dérèglement de tous les sens » et nous amener à ce qu’il sait être la seule vérité qui vaut la peine d’être proclamée. De plus, le cinéaste doit s’encrapuler – se muant à la fois en grand malade, grand criminel, grand maudit et suprême savant – pour se faire poète et voyant : son film – véritable revenant d’un autre monde, celui de l’inconnu – doit dès lors produire et reproduire ses visions, tributaires de la « vérité profonde » dont parle Herzog. Pas vraiment des images justes et encore moins juste des images… l’esthétique du cinéma d’Herzog se conjugue parfaitement avec cette vérité extatique dont le cinéaste se réclame – le regard du cinéaste devenant une vision, comme le cuivre qui s’éveille clairon10. Herzog est peut-être le premier cinéaste à avoir compris si prodigieusement que la vérité (la « vraie ») n’a rien à faire avec la réalité, ce qui permet au documentaire de parasiter la fiction, et inversement.
Présentation d’Encounters at the End of the World11 : les deux raisons de Werner
Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentais plus guidé par les haleurs : Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.[…] Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir.
–Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre »
L’importance que nous accordions à la vision du cinéaste – devenu poète – se confirme de façon remarquable avec Encounters. En fait, cet opus nous permet d’établir un rapport privilégié entre la vision, le voyage et l’inconnu – Sainte Trinité de la quête cinématographique herzoguienne, auguste chemin menant à la vérité extatique dont le cinéaste se réclame toujours aussi ardemment. En effet, comme nous l’avons souligné d’entrée de jeu, Encounters est un film-voyage : on y remarque en effet de façon mémorable la grande sensibilité du réalisateur pour cet enjeu aussi bien vigoureusement esthétique que profondément humain. Herzog se déplace en Antarctique pour entreprendre le tournage d’un film dans cette contrée qui lui est inconnue. Mais pourquoi un tel voyage, une entreprise pareille ? Avec la narration en voix off de son film, Herzog nous livre deux raisons – chacune nous procurant une facette de la réponse, une pièce du puzzle esthétique qu’est la réalisation (dans tous les sens du terme) de Encounters. Nous voudrions nous attarder sur ces deux raisons, en guise de présentation de l’œuvre12.
Première raison
Après le très court générique de début de film (dans l’ordre : titre, nom du réalisateur), les premières images sont des prises de vue du fond de la mer de Ross, écosystème mystérieux, pour ne pas dire mythique ou encore mystique, protégé par plus de vingt pieds de glace que les scientifiques doivent percer afin d’y effectuer leurs plongées pour l’avancement de la recherche scientifique. On ressent un béat sentiment de vertige, lorsqu’on prend conscience que l’espace est plus visité que cette partie de notre propre monde… Pour reprendre le mot de Freud, on peut aisément parler d’une inquiétante étrangeté : ce monde qui est apparemment le nôtre mais que nous ne connaissons guère et que nous possédons encore moins. Fait surprenant voire paradoxal, Herzog n’a pas tourné ces images, qui sont plutôt le fait d’un ami du cinéaste, à savoir Henry Kaiser, artiste amateur et plongeur professionnel. La genèse de la découverte de ce matériel par Herzog (outre l’anecdote) nous intéresse grandement, car nous la croyons déterminante pour la composition d’Encounters.
Nous sommes en 2005, Herzog est en postproduction pour son dernier long-métrage de l’époque, Grizzly Man. Plus spéci quement, il travaille la musique du lm avec Richard Thompson et ses musiciens13. Nous sommes donc en studio, avec plusieurs murs de verre séparant les diverses pièces. Herzog est avec les musiciens ; on enregistre. Kaiser, lui aussi musicien, vient voir son copain cinéaste pour lui proposer de l’aide. Plusieurs murs transparents à l’épreuve du son séparent les deux amis. Kaiser, qui ne veut pas déranger le cinéaste dans son travail, discute avec Joe Bini (monteur attitré d’Herzog depuis une douzaine d’années) en attendant que le réalisateur soit disponible. Toujours en attente, Kaiser ouvre son ordinateur portable pour montrer à Bini les fameux plans qu’il a tournés en Antarctique pour son travail – plans qu’il juge « pas mals ». De loin, entre deux mesures, Herzog salue d’un signe de tête Kaiser et ce dernier en profite pour prendre l’ordinateur dans ses mains pour le tourner vers son ami. Et alors : vision ! moment d’extase ! Herzog se doit d’arrêter la session d’enregistrement pour aller analyser « les plus belles images qu’il a vues de [sa] vie ». Kaiser, quelque peu gêné, insiste pour dire que ce n’est pas si bien que ça, mais Herzog refuse cette modestie. Le cinéaste remercie énergiquement son ami pour une trouvaille pareille et lui jure qu’il va utiliser ces images « pour en faire un film ». En fait, il en fera deux : soit The Wild Blue Yonder (2006) et Encounters. Dans le premier, film de fiction ou plutôt de science-fiction, les plans de Kaiser, remontés par Herzog et Bini, évoquent un autre monde : la planète de « l’extraterrestre » (Brad Dourif), principal protagoniste du film. Pour Encounters, ils seront la colonne vertébrale (esthétique) du film, étant utilisés aussi bien au début, au milieu qu’à la fin de l’œuvre. Dans la narration d’Encounters que nous évoquions plus haut, Herzog va jusqu’à affirmer que « ces images sont la raison pour laquelle [il voulait] aller en Antarctique ». L’image – la vision qui en émane chez le cinéaste se déclarant poète – devient ainsi ce qui le pousse à voyager (son invitation au voyage), pour aller voir, voir ce monde qu’il ne connaît pas et duquel il reviendra avec une œuvre. Encore Bazin, parlant cette fois-ci du film de Jacques Cousteau et Louis Malle (Le monde du silence) ainsi que des premiers documentaires sous-marins :
Je ne pense pas toutefois que l’intérêt fascinant de ces documentaires procède seulement du caractère inédit de leur découverte et de la richesse des formes et des couleurs. Assurément, la surprise et le pittoresque font la matière de notre plaisir, mais la beauté de ces images relève d’un magnétisme bien plus puissant et qui polarise toute notre conscience : c’est qu’elles sont l’accomplissement de toute une mythologie de l’eau dont la réalisation matérielle par ces surhommes subaquatiques rencontre en nous-mêmes de secrètes, profondes et immémoriales connivences14.
Les images de Kaiser permettent à Herzog de suivre ses lignes de fuites, de poursuivre son odyssée esthétique, transformant la simple beauté des plans (pourtant indéniable) en quelque chose d’autre : un certain sentiment de trop grand, très près du sublime chez Emmanuel Kant – cette vérité extatique désirée par le cinéaste. Le voyage devient alors l’élément déclencheur d’une vision créatrice profondément esthétique qui, par la suite, ennoblit le déplacement qui l’a engendrée.
Avec ces images sous-marines, on constate également qu’Herzog a vu plus (plus loin, plus profondément) que Kaiser : le cinéaste les jugeant comme de véritables morceaux de bravoure, d’une virtuosité qui dépasse l’agrément ou la naïve contemplation pour aller du côté de l’illumination. C’est pourquoi Herzog n’est pas complaisant devant ces images et leur beauté : cette beauté ne vaut rien en elle-même, elle n’est pas factuelle – il ne faut pas l’apprécier et encore moins l’aimer, mais plutôt s’en servir, s’en servir pour et par le cinéma. Pour clarifier notre pensée, référons-nous à la « Déclaration du Minnesota15 » où le cinéaste – en livrant sa haine de l’art du documentaire (Cinéma Vérité) – abordait déjà (huit ans avant Encounters) les fonds marins, cette matrice de laquelle sont tirés les plans de Kaiser : « […] Life in the oceans must be sheer hell. A vast, merciless hell of permanent and immediate danger. So much of a hell that during evolution some species – including man – crawled, ed onto some small continents of solid land. » (HH–302) On est loin du peintre en amour avec son portrait, ou pâmé devant un paysage dit « classique ». Pour Herzog – cinéaste en perpétuelle quête de nouvelles images –, l’écosystème de la mer de Ross ne doit pas être filmé pour sa beauté explicite. De même, Encounters n’est pas un documentaire à proprement parler ou un film d’art se contentant de mettre en valeur une réalité extra-cinématographique. Les images de Kaiser étaient parfaites pour Herzog, car elles le confrontaient à ce quelque chose de trop grand que nous évoquions : une sorte de sublime danger vers lequel le cinéaste – se faisant voyageur – est littéralement attiré. Herzog était donc magnétisé vers le pôle Sud, aussi bien par ses gloires que devant ses horreurs, mais peut-être est-ce la même chose… On retrouve des idées similaires chez Dante et chez Lautréamont – auteurs, tout comme Rimbaud, du côté de l’illumination : le côté d’Herzog. À ce sujet, relisons le début de « L’enfer » : « Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai par une forêt / car la voie droite était perdue. / Ah dire ce qu’elle était est chose dure / cette forêt féroce et âpre et forte / qui ranime la peur dans la pensée ! / Elle est si amère que mort l’est à peine plus ; / mais pour parler du bien que j’y trouvai / je dirai des autres choses que j’y ai vues16. » Du côté de Lautréamont, dans le « Chant I » des Chants de Maldoror, le narrateur parle ainsi au vieil océan » :
[E]n présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour […] si tu ne me faisais douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création : je ne puis pas t’aimer, je te déteste […]. Je ne connais pas ta destinée cachée ; tout ce qui te concerne m’intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le moi… dis-le moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme17.
L’homme n’est pas en harmonie avec la nature, c’est pourquoi la caméra du cinéaste ne doit pas l’épouser, mais l’affronter, ou plutôt, y résister. En conséquence, Encounters – comme tous les films d’Herzog – est un acte de résistance, où la vision devient tributaire d’une certaine forme de victoire. Philippe Sollers disait d’ailleurs de Dante et de Lautréamont que leur écriture était une « expérience des limites ». Nous croyons qu’il en est de même pour le cinéma d’Herzog : la limite chez Herzog est ce qui se trouve par-delà bien et mal, passé toute distinction entre documentaire et fiction : plus grand que le beau et plus profond que la connaissance. C’est précisément cette limite que notre cinéaste a su voir dans les images de Kaiser, et c’est pour cela qu’il a dû voyager jusqu’en Antarctique – au bout du monde – afin de poursuivre cette aventure et d’expérimenter cette limite pour, finalement, faire triompher le cinéma – le film comme acte de résistance qui, parfois, peut se permettre de crier victoire18.
Deuxième raison
Après nous avoir assuré qu’il réalisait ce film grâce aux images de Kaiser, le cinéaste nous informe d’une autre de ses raisons pour entreprendre son voyage : il a été invité en Antarctique par la National Science Foundation, invitation qu’il s’est fait une joie d’accepter, mais à une condition, d’ailleurs irrévocable : « ne pas faire un autre film sur les pingouins ». On devine aisément qu’Herzog fait référence à un film tel La marche de l’empereur, « la plus belle des histoires » selon sa bande-annonce… Mais pourquoi Herzog s’inscrit-il en faux contre ce genre de cinéma documentaire anthropomorphisant et pleinement faux à force de trop vouloir faire vrai ? Et comment cette condition est-elle déterminante pour son cinéma ?
C’est parce que les questions de notre cinéaste sur la nature diffèrent de celles de Luc Jacquet. Et quelles sont les questions d’Herzog ? Facile de le savoir : il nous les dicte clairement d’entrée de jeu. Textuellement, les voici : « Why is it that human beings put on masks or feathers to conceal their identity ? Why do they saddle horses and feel the urge to chase the bad guy ? Why is it that certain species of ants keep flocks of plant lice as slaves to milk them for droplets of sugar ? Why is it that a sophisticated animal like a chimp does not utilize inferior creatures ? » Évidemment et heureusement, Encounters ne répond pas explicitement à ces questions (est-il vraiment utile voire possible d’y répondre… on se doute que non) : avec son film, Herzog veut plutôt ajouter de la profondeur et de la signifiance aux problèmes articulés par ces dites questions. Dès lors, le voyage acquiert une nouvelle dimension : celle de la quête, une quête qui d’ailleurs se trouve en rapport avec la conquête du pôle Sud qui a débuté une centaine d’années plus tôt avec les expéditions de Roald Amundsen, Ernest Shackleton et Robert Falcon Scott – du reste tous présentés dans Encounters grâce à des images d’archives. Nonobstant, avant d’aborder l’enjeu de cette quête, revenons à nos pingouins.
En effet, en dépit de sa promesse, Herzog va filmer des pingouins. Plus précisément, le réalisateur, également preneur de son, a quitté le camp de recherche de McMurdo – encore un voyage, ou, plutôt, un voyage dans le voyage – avec Peter Zeitlinger, l’autre moitié de sa « two men team19 », pour rejoindre une colonie de pingouins à Cape Royds. Pour justifier cette entreprise et ce bris de parole, Herzog rétorque : « Everyone spoke about penguins. However, the questions I had were not so easily answered. » En ce lieu, on a recommandé notre réalisateur à un spécialiste de l’animal, à savoir le taciturne docteur David Ainley. Voici les deux principales questions qu’a posées Herzog à Ainley : « I read somewhere that there are gay penguins. What are your observations ? Is there such thing as insanity among penguins : could they just go crazy because they’ve had enough of their colony ? » La deuxième question nous intéresse particulièrement, et la réponse d’Ainley – avec l’utilisation qu’en a fait Herzog – ne nous a certainement pas déçus : « They do get disoriented. They end up in places they shouldn’t be, a long way from the ocean. » Commence alors la scène suivante : Herzog filme (plan large) une bande de sept pingouins. Cinq vont vers l’océan pour se nourrir, un retourne à la colonie, mais le dernier reste, seul, au milieu du plan. Finalement, il se dirige vers les montagnes, qui sont pourtant à plus de soixante-dix kilomètres… Et derrière ces montagnes, un plateau de glace désert de la taille du Texas… Qu’est-ce qui peut bien pousser un pingouin à courir joyeusement vers une mort certaine, avançant malgré lui vers sa propre fin ? Comment et pourquoi, comme le dit le réalisateur, un pingouin peut-il devenir dérangé ou désorienté ? Pour nous, cette scène est d’une importance capitale : elle témoigne parfaitement de l’esthétique d’Encounters, tout en symbolisant l’ensemble du cinéma d’Herzog. Nicolas Renaud (pour Hors champ) a bien souligné ce qui nous semble essentiel chez le cinéaste :
Il y a chez Herzog une fascination pour l’homme non socialisé et le seuil de la folie, et cette frontière entre l’humain et la société […] sert aussi parfois à faire ressortir ce qu’il y a de grotesque, d’absurde ou d’inhumain dans la société bien réglée, dans l’institution, la science, l’être « normal », le désir de pouvoir… Mise à nu de l’être humain à mi-chemin entre la nature et la culture. Herzog aime aller chercher ce qui déborde ou s’exclut de la civilisation20.
Il en est de même pour le pingouin dont Herzog s’était juré de ne pas parler : délaissant sa colonie au profit de la descente des fleuves impassibles du poète, l’animal a certainement vu quelque chose – comme Herzog avec les images de Kaiser – et s’oblige à affronter cet inconnu, ne serait-ce qu’en lui résistant, peut-être par folie, le plus longtemps possible… éventuellement jusqu’à la mort – les protagonistes d’Herzog sont des personnages qui résistent devant le trop grand, qu’ils soient homme ou bête.
Bref, en ne voulant pas faire un autre film sur les pingouins, mais en filmant néanmoins le pingouin dont nous venons de raconter l’histoire, Herzog nous présente une de ses plus grandes haines : celle de l’Habitude. Un autre grand ennemi de l’Habitude : Marcel Proust. « L’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements21 », écrit l’auteur d’À la recherche du temps perdu. Comme Proust, Herzog en a contre cette « seconde nature » qui égalise tout : celle qui aplanit le monde, les êtres et même l’art en bloquant toute forme de vision, la moindre brèche d’inconnu, une percée de folie… La lignée des films « sur les pingouins », dans laquelle Herzog ne veut pas s’inscrire et dont La marche de l’empereur est sûrement l’exemple canonique, incarne une profonde mais débile habitude cinématographique : elle instaure une convention, établit des règles, forge une morale, dicte une façon de faire et intègre tous les photogrammes du film dans cette matrice à produire des images lavées plus blanc que blanc et totalement vides de sens – le topos du documentaire maltraité par Herzog, qu’il soit sur les pingouins ou sur autre chose… Le plus grave problème de ce que l’on appelle documentaire est de rechercher la beauté de cette façon conventionnelle – par habitude – c’est-à-dire partout où l’on sait la trouver : celui qui pratique ce genre de cinéma compte davantage sur sa connaissance que sur son instinct. Alors que pour Herzog, comme pour les auteurs que nous valorisons depuis le début de ce texte, il n’en est rien – c’est justement le contraire. Proust (encore lui) l’a bien dit : « La vraie beauté est si particulière, si nouvelle, qu’on ne la reconnaît pas pour la beauté22. » Mais quelle pourrait être cette première nature de l’homme – mais que si peu possèdent – évoquée au passage par Proust, sinon la Vision du grand artiste23, arme toute désignée pour combattre l’Habitude et son abrutissement, nous permettant dès lors de découvrir la vraie beauté, celle si particulière et si nouvelle ? Dans cette logique : quoi de mieux qu’un voyage au bout du monde – un dérèglement de tous les sens – pour briser l’Habitude et sa routine, afin de libérer la vérité et l’extase de la Vision pour mieux résister contre la bêtise ?
Werner Herzog : profession voyageur
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force.
– Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Avant de passer à notre dernier point, soulignons rapidement la nature du voyage de notre cinéaste. Herzog possède une façon singulière de voyager, s’opposant fortement à celle des touristes. Pour l’appréhender, utilisons un mot de Nietzsche : « Touristes – Ils se hissent sur la montagne comme des animaux, bêtement et ruisselants de sueur ; on a oublié de leur dire qu’il y a en chemin de beaux panoramas24. » On est très près d’Herzog et de sa « Déclaration » : « Filmmakers of Cinéma Vérité resemble tourists who take pictures amid ancient ruins of facts. » (HH–301) Mais alors, qu’est-ce que notre cinéaste – comme Nietzsche avant lui – peut bien avoir contre le touriste ? En quoi cette haine est-elle constitutive de son cinéma, en plus de nous informer sur la sorte de voyage favorisé par le réalisateur – ce qui est tout aussi déterminant pour son œuvre ?
On trouve encore un élément de réponse dans la « Déclaration » : « The so-called Cinéma Vérité is devoid of vérité. It reaches a merely superficial truth, the truth of accountants. » (HH–301) Les faits sont donc l’affaire des touristes et des comptables, alors que le voyageur et l’artiste, eux, recherchent assurément autre chose. Retournons chez Nietzsche où l’on trouve deux maximes faisant la lumière sur le rapport qu’il faut entretenir avec la connaissance, ce qu’Herzog nomme « les faits » : « La connaissance pour elle-même – voilà l’ultime piège tendu par la morale » ; « L’attrait de la connaissance serait bien mince s’il ne fallait surmonter tant de pudeur sur le chemin qui y mène.25 » En conséquence, pour atteindre la connaissance – la vraie, celle qui se dépasse, ne se valant pas que pour elle-même, devenant vérité extatique en luttant contre l’habitude et sa réalité – il faut perdre sa pudeur : il faut devenir sans défense. Gilles Deleuze l’avait bien compris en soulignant qu’une des grandes idées d’Herzog est que ceux qui marchent sont toujours sans défense. On le remarque d’autant plus lorsqu’on s’attarde aux personnages mémorables qui peuplent l’œuvre du cinéaste : aussi bien ceux joués par Klaus Kinski (Don Lope de Aguirre, Dracula, Friedrich Johann Franz Woyzeck, Fitzcarraldo, Cobra Verde), que ceux par Bruno S. (Kaspar Hauser, Der Bruno Stroszek), que, de façon tout aussi significative, le pingouin ou les plongeurs d’Encounters. D’où l’importance des corps, de leur résistance, de leur déplacement, et donc de leur voyage : « Chez Herzog, on assiste à un effort extraordinaire pour présenter à la vue des images proprement tactiles qui caractérisent la situation des êtres sans défense, et se combinent avec les grandes visions des hallucinés26. » Herzog, dans l’une des entrevues du remarquable Herzog on Herzog, est allé jusqu’à avancer que la marche serait constitutive de son école de cinéma idéale :
Actually, for some time now I have given some thought to opening a film school. But if I did start one up you would only be allowed to fill out an application form after you had travelled alone on foot, let’s say from Madrid to Kiev, a distance of about 5000 kilometers. While walking, write. Write about your experiences and give me your notebooks. I would be able to tell who had really walked the distance and who had not. While you are walking you would learn much more about filmmaking than if you were in a classroom. (HH–15)
Herzog confirme l’adage de Michel de Montaigne, comme quoi « les mouvements de l’âme naissent de ceux du corps ». Le voyage du cinéaste, à l’instar de celui de ses personnages, est – physiquement comme symboliquement – un voyage à pied : Herzog est un voyageur qui marche, qui marche pour atteindre ce complexe niveau de vulnérabilité (perte de pudeur) qui lui permettra de laisser tomber les faits au profit de l’imagination (celle dont parle Louis-Ferdinand Céline) et de la vérité extatique – au-dessus de la morale, par-delà bien et mal : l’illumination. L’immanent cinéma des corps devient un sublime cinéma cosmique.
L’œuvre elle-même – le résultat esthétique de la marche de l’artiste – est un voyage, une grande et belle ballade : le film comme un double voyage, à la fois extérieur et intérieur : « Toute œuvre est un voyage, un trajet, mais qui ne parcourt tel ou tel chemin extérieur qu’en vertu des chemins et trajectoires intérieurs qui la composent, qui en constituent le paysage ou le concert27. » Les deux mouvements d’Encounters, ses deux éminentes lignes de fuite. Chez Herzog, l’intérieur est intriqué à l’extérieur, l’un et l’autre se nourrissant de la même substance : l’homme. Dans Encounters, le versant intérieur de l’œuvre se nourrit de l’immatérialité des corps : de tout ce qui se cache sous les mouvements, se terre au fond des regards ou se dissimule derrière la puissance des discours – mi-songés, mi-hallucinorêvés – d’Herzog et de ses interviewés. Le corps – oui – le voyage physique avec toute la magnificence des contrées visitées – oui – mais ô combien plus précieuse encore est la substance humaine pour Herzog : ses secrets, ses rêves, ses visions. Ne devrait-on pas encore parler ici de voyage, d’un voyage qu’il faudrait bien nommer « voyage intérieur » et ce, au sens où il y a bien une exploration – immatérielle dans ce cas – et que le déplacement qu’elle sous-entend passe sur le plan des idées, par le délaissement des habitudes convenues qu’elle propose ? Herzog n’a cessé de présenter, avec chaque personne interviewée (ou chaque personnage central de ses fictions), des êtres aux désirs, ambitions et comportements anomaux (pour reprendre le terme de Deleuze) étant guidés par des motifs bien différents de la grande majorité de leurs contemporains. Mégalomanes ou pas, ces êtres ont su développer et vivre, contre vents et marées, leurs inclinations personnelles, leurs incommunicables visions dans toute leur grandeur. Ainsi, la présentation qu’Herzog fait d’eux, cherchant sans cesse à exposer leur vérité extatique, ne peut se comparer qu’à l’exploration d’un territoire inconnu, où chaque découverte est à la fois saisissante et émouvante par sa nouveauté. Encounters, d’un voyage intérieur à l’autre – de l’enfance du philosophe Stefan Pashov, bercée par l’Iliade et l’Odyssée, à la course folle du pingouin, courant à sa mort, en passant par les voyages les plus fous de Karen Joyce –, est un film-voyage d’un bout à l’autre, d’un pôle à l’autre : intérieur et extérieur.
D’une particule à l’univers : le Grand Voyage
Je chante les moissons : je dirai sous quel signe il faut ouvrir la terre et marier la vigne […]. Divinités des prés, des champs et des forêts, faunes aux pieds légers, vous, nymphes des guérets, faunes, nymphes, venez ; c’est pour vous que je chante.
– Virgile, Géorgiques
Après cette mise en lumière des voyages intérieurs, après ces visites exploratoires dans les profondeurs abyssales de la substance humaine, que reste-t-il de la notion de voyage dans le film ? Avec quoi entrent donc en dialogue ces personnes exogènes que présente Herzog dans Encounters ? Un autre axe se dessine au fil des séquences, le film d’Herzog ne pouvant évidemment pas se réduire à l’exposition du seul pan intérieur des interviewés. Tout doucement s’intercale entre les témoignages des gens rencontrés une sorte de menace globale et irrécusable. Difficile à définir, cette ombre planante est récurrente dans l’œuvre herzoguienne : que l’on songe à Lessons of Darkness (1992) ou encore à Even Dwarfs Started Small (1970)28, on ne peut s’empêcher de ressentir qu’Herzog propose une réflexion plus ample sur le monde et les êtres le peuplant que ne le laissent entendre explicitement ses films. À cet égard, Encounters s’inscrit parfaitement dans cette continuation et, dans ce film, Herzog diversifie sa réflexion en lui joignant les propositions scientifiques qu’il a glanées, ici et là, dans son périple en Antarctique. Mais de quoi s’agit-il plus précisément ?
Encounters – être et monde
Pourquoi ne pas repartir du titre du film qui, à lui seul, contient déjà, sous forme de concentré, une bonne partie des éléments centraux de l’œuvre herzoguienne ? Contrairement à ce que soutenait Roger Ebert29, le titre ne renferme pas que deux significations distinctes, mais bien quatre : d’une part encounters peut signifier autant rencontres qu’affrontements alors que le terme end peut vouloir dire autant bout que fin. On se retrouve ainsi avec quatre combinaisons possibles : rencontres au bout du monde, affrontements au bout du monde, rencontres à la fin du monde et affrontements à la fin du monde. Pour la première, en considérant que l’Antarctique est bien le bout du monde terrestre, on peut dire qu’Herzog s’est effectivement déplacé dans cette lointaine contrée pour y faire des rencontres. Pour la deuxième, en envisageant les fonds marins enfermés sous les glaces comme un espace de perpétuelle confrontation entre les espèces qui y vivent, il est possible de soutenir qu’Herzog, grâce à Kaiser, a ramené des images de ce lieu d’affrontement situé « au bout du monde ». De même, on pourrait aussi dire que les phoques, les pingouins et, plus particulièrement, les hommes se trouvent dans un certain combat contre la nature et les difficiles conditions climatiques de l’Antarctique. Au sujet des deux dernières combinaisons, c’est surtout la dernière partie de l’expression qui retient notre attention pour l’instant. En fait, que ce soit par le biais de rencontres ou d’affrontements, le titre du film d’Herzog suggère bien qu’une fin du monde se trouve dans les images qu’il présente. Le titre (que l’on aurait très bien vu attribué à une fiction apocalyptique) suppose que les rencontres ou affrontements d’Encounters se passent dans un monde parvenu à son terme ou étant sur le point d’y arriver. Mais qu’entend Herzog par « monde », de quel monde parle-t-il donc ?
À survoler l’ensemble de l’œuvre du cinéaste, on s’aperçoit que ce qui retient son attention est beaucoup plus d’ordre planétaire – l’humanité et sa planète – que d’ordre cosmique – l’univers. Herzog ne se préoccupe pas directement des problèmes relatifs à l’univers : pour lui, l’intérêt de la destinée humaine se passe sur notre planète et non ailleurs. À ce sujet, on peut se rappeler les questions qu’Herzog se pose au début de son film et que nous avions déjà évoquées : pourquoi les hommes mettent-ils des masques ou des plumes pour dissimuler leur identité ; pourquoi montent-ils des chevaux et sentent-ils le besoin de poursuivre les malfaiteurs ; pourquoi certaines espèces de fourmis gardent-elles des pucerons en esclavage afin de se nourrir du sucre qu’ils produisent et, finalement, pourquoi un animal aussi brillant que le chimpanzé ne tente-t-il pas de tirer profit d’autres animaux lui étant inférieurs ? Bien que l’on conçoive aisément que ces questions sont, en quelque sorte, des boutades à l’égard des documentaires « classiques » tournés en Antarctique, il n’en demeure pas moins qu’elles ne sont pas entièrement sans consistance.
Bien au contraire, elles se rejoignent pour former un réseau dont la cohérence se trouve dans la récurrence formelle et propositionnelle de chacun des segments. Une fois synthétisées, on remarque que les quatre questions peuvent se ramener à une seule : pourquoi un être agit-il (ou n’agit-il pas) de telle façon dans telle situation ? Vouloir ainsi saisir les motifs poussant à l’action amène Herzog à poser une question plus profonde : celle des essences. En fait, il se demande : quelle est la spécificité de chacun des êtres et, plus précisément, ce qui l’intéresse davantage : quelle est celle de l’homme ? Évidemment, Herzog n’arrive pas avec une thèse toute faite ou avec une réponse bien articulée. Ce qui est fascinant avec la question de l’essence, et Herzog l’a très bien compris, c’est que dans ce domaine, les définitions s’établissent, s’énoncent difficilement. Comment s’assurer que les éléments retenus ne sont pas contingents ? Et que faire du temps qui passe ? L’homme peut-il avoir été le même de tout temps ? La question de l’essence humaine le captive justement parce qu’elle est insoluble et qu’il n’arrive pas à en poser une définition statique. Cette question fascine Herzog du fait qu’elle est chimérique et qu’elle dépasse sa capacité humaine à la saisir – elle le fascine parce qu’elle le dépasse.
Il reste que, comme c’était le cas dans plusieurs de ses autres opus, Herzog concentre son questionnement sur le monde terrestre et les êtres l’habitant dans Encounters. Cependant, il faut rappeler qu’Herzog fait avant tout du cinéma et qu’il refuserait toute réduction de son travail à une série de thèmes : « I never consciously think about the “theme” of a film and how the ideas and story might be related in some way to abstract ideas or previous films. Simply, I do not care about themes, I care about stories. Apparently there are running themes throughout my work and […] some writers seem to have identified them. » (HH–67) Donc, il y a bien une récurrence thématique, quoiqu’elle ne soit pas nécessairement voulue. L’imaginaire d’Herzog a bien une cohérence, quoi qu’il en pense, en refusant justement de le penser, n’en ayant rien à faire directement. Ses films sont son œuvre, son propos : il n’a pas à les discuter, ce qui est plutôt, justement, le travail de la critique.
Encounters – la fin d’un monde
Cela étant maintenant plus limpide, il faut revenir à la troisième et à la quatrième interprétation du titre : affrontements ou rencontres à la fin du monde. Le monde dont nous parle Herzog n’est donc pas fictionnel ou cosmique, mais plutôt celui de l’homme et de sa planète. Néanmoins que cherche-t-il à dire sur la fin possible, voire inévitable, de ce monde ? Remontons les pistes laissées derrière lui par le film, tentons de voir la position du cinéaste par rapport à la question.
Plutôt effacées et subtiles dans la première moitié d’Encounters, les allusions à une chute potentielle de l’existence humaine ne font qu’augmenter pour prendre presque toute la place à la fin de l’œuvre. La première occurrence explicite de cette thématique se fait par le biais de l’énigmatique glaciologiste Douglas MacAyeal qui discute avec Herzog du glacier B15 qu’il étudie alors. Cet immense iceberg constitue une menace du fait qu’il dérive doucement vers le nord et qu’on ne sait pas quelles seront les conséquences de son déplacement. Herzog dramatise d’ailleurs cette donnée en se demandant dans la narration : « What environment would the men of the Shackleton’s expedition encounter if they returned in a next life ? » C’est alors comme s’il tenait pour acquis que la fonte de l’Antarctique était irrémédiable, qu’il n’y avait plus d’échappatoire aux événements futurs, à l’avènement d’un grand cataclysme.
Cette ombre planante annihilant tout futur idyllique ne se manifeste pas seulement par le biais de forces naturelles : elle est aussi au cœur même de l’homme. Alors que le glacier monte vers le nord, l’espèce humaine est assise à regarder doucement mourir sa diversité culturelle et ce, sans même daigner tenter une réaction pour en conserver des fragments. À ce sujet, William Jirsa, un linguiste qu’Herzog rencontre dans la seule serre de McMurdo, soutient que de plus en plus de dialectes et de langues disparaissent, jour après jour, et qu’il pourrait bien voir périr 90 % d’entre elles avant que n’adviennent ses derniers jours. En réponse à ces allégations, encore une fois avec la narration, Herzog s’exclame : « In our efforts to preserve endangered species, we seem to overlook something equally important. To me, it is a sign of a deeply disturbed civilization where tree huggers and whale huggers in their weirdness are acceptable, while no one embraces the last speakers of a language. » Avec cette dose d’humour noir, Herzog n’hésite pas à dépeindre violemment l’irresponsabilité de l’humanité qui, paradoxalement, est prête à s’engager pour des animaux, mais est incapable de prendre conscience de la richesse humaine qu’elle perd au même instant.
Un peu plus loin, sur le mont Erebus, c’est le Dr Clive Oppenheimer (« a true english man », comme le dit le cinéaste), volcanologue, qui discute avec Herzog d’une autre menace naturelle qui pourrait irradier l’humanité. Rappelant une éruption volcanique qui avait eu de fortes répercussions sur la vie terrestre il y a 74 000 ans, Oppenheimer prend bien soin de préciser qu’un événement comparable pourrait survenir de nouveau et c’est pourquoi il juge important de s’y préparer, d’où l’intérêt de son travail qui consiste à tenter de mieux comprendre les moindres manifestations volcaniques. Immédiatement, Herzog enchaîne avec une narration qu’il appuie cette fois-ci par des images d’un hélicoptère renversé et à moitié enfoui sous la neige. Son propos est alors des plus alarmants : « For this, and many other reasons, our presence on this planet does not seem to be sustainable. Our technological civilization makes us particularly vulnerable. There is talk all over the scientific community about climate change. Many of them agree the end of human life on this Earth is assured. » Visiblement, Herzog se positionne ainsi du côté du groupe de chercheurs de Samuel Bowser qu’il avait présenté plus tôt dans le film. Comme eux, il émet de forts doutes quant à la possibilité que l’humanité continue bien longtemps d’occuper notre planète. Le verdict, bien saillant, est le suivant : « Nature will regulate us. »
La chute du film n’est d’ailleurs guère plus réjouissante. Herzog, par le biais des images de Kaiser, replonge le spectateur, pour une dernière fois, dans le chaos des eaux glaciales de l’Antarctique. Cependant, contrairement aux autres segments montrant les fonds marins, celui-ci ne présente qu’un faible éclairage. Tout doucement, les cris des phoques se font entendre et puis, soudainement, dans un mouvement de caméra, tout devient noir alors que les bruits, eux, se poursuivent. L’homme, le spectateur en l’occurrence, se voit alors ramené à cet état primitif de la vie humaine dont il avait déjà été question auparavant dans le film30 : chaos de la vie marine où tous et chacun ne font que lutter, s’entredévorer, n’aspirant qu’à s’évader de ce ténébreux environnement. En quelque sorte, Herzog boucle son film en suggérant la fin du monde dont il n’avait jusque-là que fait entrevoir l’idée. Ce point culminant montre que la disparition de l’homme sera bien, du même coup, la disparition de sa culture, de sa civilisation et de sa technologie, une sorte de retour pour la planète à un « état de nature » si, bien sûr, il reste quelque chose d’elle après le passage de l’homme…
Pour reprendre le questionnement abordé plus tôt au sujet du titre, il semble que ce soit maintenant le film qui nourrisse le questionnement sur le titre plutôt que celui-ci qui indique les grandes lignes de l’œuvre. Avec l’idée de fin du monde, que l’on comprend comme étant la fin de l’homme, qu’est-il possible d’espérer de la relation entre les êtres ? Qu’implique la disparition de l’homme ? Bien sûr, les affrontements ne pourront que continuer, cela va de soi, mais l’annihilation de l’homme coïncide aussi avec la disparition des rencontres, ou du moins, de ce qui faisait la spécificité humaine, c’est-à-dire la communication, le partage, la coopération, l’échange. Et il ne faut pas croire que c’est l’intelligence sur la planète qui est l’enjeu : comme le mentionnait Bowser, le type d’organisme unicellulaire qu’il étudie (« tree foraminifera ») remplit, en réalité, toutes les définitions de la notion d’intelligence. Donc, l’enjeu central est plus profondément ancré dans l’homme lui-même et, plus spécifiquement, dans ce qui le distingue du reste des êtres naturels : sa culture. Il faut avoir à l’esprit toute l’importance que prend la culture dans l’échange entre le linguiste Jirsa et Herzog. L’homme est peut-être sur le point d’entamer ses dernières rencontres – au sens fort du terme, comme l’entend Jean-Luc Godard lorsqu’il soutient que les gens ne se rencontrent plus – alors qu’il regarde s’éteindre une à une les cultures du monde. Car il ne faut pas se leurrer, la question est : peut-on encore espérer rencontrer réellement quelqu’un une fois qu’il ne restera qu’une dizaine de langues et qu’une culture mondiale sera en place ? Les rencontres ne pourront alors qu’être futiles, au sens où elles ne seront pas aptes à dynamiser et à changer la perception du monde des êtres qu’elles impliqueront. La chute de la biodiversité culturelle c’est, du même coup, la chute de la diversité des idées, des pratiques, des mœurs, etc. Les rencontres de la fin du monde, ce sont ces dernières rencontres avec les peuples qui s’éteignent : Herzog, voyageur de la sphère terrestre, a rencontré les aborigènes d’Australie et les Amérindiens du Pérou, comme Jean Rouch a rencontré les pratiquants du culte hauka (Les maîtres fous, 1955), ou comme Pierre Perrault a rencontré les derniers pêcheurs de marsouins de l’Île-aux-Coudres (Pour la suite du monde, 1963).
Encounters – la quête humaine
Vu sous cet angle, il faut convenir qu’Encounters apparaît tout de même comme une œuvre bien sombre. Cependant, il ne faut pas oublier que cette conception n’est qu’une facette de l’œuvre qui, dans sa globalité, est beaucoup plus stimulante qu’écrasante. En fait, Herzog arrive à bien amalgamer les divers segments de son film pour atteindre une stabilité d’ensemble. En réemployant la formule utilisée par Christian Viviani pour qualifier l’œuvre de Terence Malick, on peut dire : Herzog ou l’harmonie de la disharmonie. Tout comme Malick, il a compris le paradoxe de la création : « Pour chanter la disharmonie de l’homme et de son environnement, l’artiste trouve la forme la plus pleine, la plus harmonieuse31. » D’ailleurs, Nietzsche souligne que « [l]e grand style naît lorsque le beau triomphe du monstrueux32 ». Herzog a su bien doser : une alternance entre les entrevues et les séquences plus contemplatives ; une autre entre les propos plus inquiétants et ceux plus ludiques – le cinéaste jouant ainsi de la science et du lyrisme, comme du beau et du monstrueux.
On pourrait aussi analyser autrement ce système de fluctuations mis en place par Herzog. En fait, le cheminement fait autour de la notion de voyage tout au long de cet article permet de constater qu’il y a une triple conception du voyage chez Herzog. La plus évidente est celle du voyage dans l’espace terrestre : Herzog va en Antarctique, se déplace au mont Érabus, à New Harbor ou encore au Cap Royds. Ces voyages physiques dans l’espace ne prennent un sens qu’avec la deuxième conception : celle du voyage intérieur, dont nous avons auparavant traité. Déjà beaucoup plus profonde, cette partie du voyage s’occupe du pan intérieur de l’homme. Répétons-le, Herzog ne cherche pas à simplement interroger ceux qu’il rencontre, il souhaite plutôt arriver à faire ressortir leur vérité profonde, extatique. Chaque être rencontré est pour lui un nouveau terrain à explorer, une nouvelle terre à connaître. Et par l’accumulation des portraits tracés, Herzog voyage dans le paysage des hommes de son temps. La troisième conception du voyage n’était qu’indirectement abordée jusqu’à maintenant. On l’a vu, Herzog ne cesse de s’interroger sur la potentielle faillite de l’homme, sur la conclusion de son épopée. Herzog est préoccupé par l’avenir de l’humanité : il cherche à comprendre ce qui pourra bien advenir de l’homme à partir de ce qu’il en sait actuellement. Chacune de ses réflexions sur le sujet amène à penser le futur de l’homme comme un voyage, déjà en marche, mais encore à faire, bien qu’Herzog en redoute déjà la conclusion. Ainsi, la troisième dimension du voyage chez Herzog touche à l’homme, comme la deuxième, mais en s’intéressant à ce dernier d’une façon beaucoup plus large. À juste titre, on nommera ce penchant du voyage herzoguien la quête humaine. En plus de mettre en doute le futur de l’homme, Herzog suggère aussi que l’humanité est peut-être arrivée à un cul-de-sac : elle aurait atteint le bout de son monde en explorant dans sa quasi entièreté sa planète (du moins les surfaces plus praticables). Le désir exploratoire de l’homme l’a mené, comme dit Herzog dans son film, à ne laisser aucun point blanc sur les cartes. Le problème maintenant posé est qu’il ne reste rien à explorer, rien à territorialiser dans l’immédiat : « Human adventure, in its original sense, lost its meaning. » Que fera l’humanité maintenant que sa quête impérialiste qui lui a toujours semblé si vitale est réduite à néant ?
C’est ainsi, par l’alternance de ces trois types de voyages (extérieur, intérieur, humain), qu’Herzog arrive à réduire le pessimisme apparent de son œuvre : opposée à la chute de l’homme, on retrouve la magnificence de l’Antarctique et celle des êtres qui y habitent. Dans les images de Kaiser, Herzog a vu quelque chose allant au-delà de leur qualité esthétique : une puissance évocatrice qu’il a maximisée en la combinant avec une musique et des sons judicieusement choisis33. Portant ainsi la beauté terrestre à une cime difficilement descriptible, Herzog ne peut que tenter d’en faire comprendre à son spectateur toute la valeur et l’unicité. Et, d’autre part, n’est-ce pas sensiblement la même chose qu’Herzog fait avec l’humain ? Une bonne part de l’entreprise cinématographique d’Herzog ne fut-elle pas de présenter l’infinie diversité des microcosmes intérieurs, comme si la seule solution possible permettant d’arriver à une compréhension de l’essence humaine, ne pouvant être qu’intuitive, se devait de passer par la démultiplication des portraits présentés ? Oui, Herzog a chanté la beauté de l’homme et de la nature comme Virgile a chanté celle de l’agriculture. D’un cri filmique à l’autre, Herzog – fasciné par les êtres qu’il a croisés : réels ou fictifs, morts ou vivants – a tissé une immense toile bien à lui, toile parsemée d’êtres atypiques et convulsifs. Il a montré l’homme dans le foisonnement de son être, comme empreint d’une multitude de richesses dormant en lui. Il a repoussé l’écrasante habitude pesant sur la vie au profit d’une dynamique du renouvellement constant, de la déstabilisation répétée. Herzog, à la fois Poète, Voyant, Voyageur et Menteur, est celui qui synthétise, qui projette les images des profondeurs cachées, révélant ainsi la « vérité extatique » des êtres et l’incommensurable somptuosité du monde. Et ce n’est qu’en mettant en évidence le contraste entre toute cette grandeur et la destinée tragique de l’homme qu’Herzog peut tenter de faire saisir à celui-ci ce qu’il pourrait perdre, ce qu’il est en train de perdre. Allumer les consciences par le choc de nébuleuses se heurtant : Herzog, l’harmonie de la disharmonie.
l’in(-)fini voyage
Ce qui se fait par amour s’accomplit toujours par-delà bien et mal.
– Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal
Herzog n’est-il pas ce qu’il faudrait appeler un Grand Témoin ? Le dénommer ainsi plutôt que de le considérer comme un simple témoin n’est pas gratuit. Les témoins sont déjà dans ses films, au cœur de son œuvre, alors que lui est le Grand Témoin, celui qui a su rendre sensibles les visions des autres. Mais de quoi sont-ils les témoins ? Dans Encounters, Pashov rapporte une idée développée par le philosophe Alan Watts : « Through our eyes, the universe is perceiving itself, and through our ears, the universe is listening to its cosmic harmonies, and we are the witness through which the universe becomes conscious of its glory, of its magnificence. » Pashov a seulement oublié une information majeure dans son explication : nous sommes les véritables témoins de l’univers dans la mesure où nous arrivons à percevoir – voir, entendre, mais aussi toucher, sentir ou ressentir – quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau : il faut devenir capable d’adopter une perception différente sur un sujet donné. L’univers, dans son immensité, ne peut pas souhaiter voir et entendre toujours la même rengaine, encore et encore – d’où le grand cri d’Herzog : « we are dying for new images. » Le rendre conscient de sa magnificence, c’est lui démontrer son potentiel en tant que monde des possibles. Les héros d’Herzog, bras ouverts tendant vers leurs rêves, frôlant les limites d’où on ne revient pas toujours (certains y sont restés), ont su voir autrement : plus intensément, plus profondément. Pour eux, le monde s’est animé, ils ont pu le toucher, le manier pour l’incliner à leur intention : une autre rencontre, une propulsion de l’être vers le monde.
Et Herzog est celui qui assemble, monte et démonte cette réalité : la vie de tous ces gens. Il est l’entremetteur, le pivot entre ces existences éparses et le monde extérieur : une véritable rampe de propulsion par l’intensité qu’il parvient à insuffler lors de ses rencontres. Herzog n’est pas seulement celui qui, au fil des années et de ses films, a su être visionnaire, mais il est aussi celui qui a orchestré l’avènement de ces êtres éclectiques. Il a été le Grand Témoin, celui capable de dénicher des témoins et de les faire parler, de les faire chanter.
Mais pourquoi s’est-il investi durant toutes ces années dans l’univers cinématographique ? Ne serait-ce que pour sauver ce qui reste du monde ?
I have often spoken of what I call the inadequate imagery of today’s civilization. I have the impression that the images that surround us today are worn out ; they are abused and useless and exhausted. They are limping and dragging themselves behind the rest of our cultural evolution. […]
As a race we have become aware of certain dangers that surround us. We comprehend, for example, that nuclear power is very real danger for mankind, that over-crowding of the planet is the greatest of all. We have understood that the destruction of the environment is another enormous danger. But I truly believe that the lack of adequate imagery is a danger of the same magnitude. It is as serious a defect as being without memory. […] I have said this before and will repeat it again as long as I am able to talk : if we do not develop adequate images we will die out like dinosaurs. […] We need images in accordance with our civilization and our innermost conditioning, and this is the reason why I like any film that searches for new images no matter in what direction it moves or what story it tells. One must dig like an archaeologist and search our violated landscape to find anything new. (HH–66-67)
La quête des images, une à une tournées, une à une prélevées à même le vécu pour tenter d’assurer le renouvellement des images et des points de vue sur le monde. L’humain serait-il donc arrivé à un point où ce qu’il a engendré – autant sur le plan culturel que planétaire – est en train de le dépasser ? Fin du monde en boucle ramenée, les dinosaures guettent le prochain faux pas de l’homme pour l’accueillir parmi eux.
Et que dire de l’œuvre d’Herzog, d’Encounters comme de toutes les autres ? Comment les considérer dans le champ cinématographique ? N’est-on pas honteux d’encore utiliser le terme documentaire pour décrire ce qui serait sans doute déjà plus juste d’appeler des docufictions ou, après tout, comme le suggérait Agnès Varda, des documenteurs ? Mais, chez Herzog, on l’a vu, le cinéma est producteur de cinéma, il crée ses propres vérités cinématographiques. Il s’agit à la fois d’images nouvelles et d’images potentiellement ultimes, au sens où jamais plus elles ne pourraient advenir de nouveau. Loin de remâcher sans cesse le même personnage comme le font les « bonnes » (au sens où elles fonctionnent, qu’elles atteignent leurs objectifs) recettes hollywoodiennes, Herzog fige dans ses films des figures uniques, bien qu’elles aient toutes ce même penchant d’avoir vu quelque chose de trop grand pour elles. Il conviendrait dès lors de définir chacune des œuvres du cinéaste comme un monument (s’opposant au document), leur genre ( fiction ou documentaire) n’ayant aucune importance. Monuments parce qu’elles conservent, oui, mais aussi parce qu’elles sont porteuses de la grandeur et de la magnificence de l’espèce humaine consciente de son déclin. À la fois comme témoignage de la chute de l’homme et comme tentative d’en conserver des fragments, la filmographie d’Herzog aurait elle aussi sa place sous le pôle Sud avec les autres reliques s’y trouvant.
C’est notamment pour cette raison qu’il est tout à fait erroné de voir dans la filmographie d’Herzog une quête documentaire, anthropologique, ou autre. Comme nous l’avons déjà souligné, la quête d’Herzog est éminemment cinématographique. Le cinéaste n’est pas revenu de l’Antarctique avec un document sur ses habitants, régions ou climats, mais bien avec un film – les habitants, régions et climats décrits et exploités font plutôt partie du sillage de l’œuvre. Si nous parlons de quête cinématographique, c’est que nous percevons un réel amour (au sens de Nietzsche) du cinéma chez Herzog. Au cours d’une longue carrière qui semble loin d’être terminée (Hollywood a récemment découvert Herzog ; surveillez d’ailleurs la sortie prochaine de Bad Lieutenant : Port of Call), Herzog a défendu l’extase du cinéma et la vision du cinéaste (l’homme à la caméra) contre la banalité de notre monde surpeuplé d’images vides, c’est-à-dire mortes… Sa quête cinématographique prend place dans un monde ayant atteint ses bas-fonds, arrivé à l’âge des ténèbres : un degré d’asignifiance généralisé. La science, malgré ses progrès, ne pourra pas sauver l’homme d’une fin quasi certaine ; la télévision et les journaux ont remplacé ce qu’avant on appelait la culture. La tristesse d’Herzog devant un constat aussi désolant doit ressembler à celle d’Alexandre Medvedkine, décrite sous forme de dialogue par Chris Marker dans son film (Le tombeau d’Alexandre, 1993) portant sur le cinéaste russe : « Tu te souviens, comment tu avais pleuré en découvrant que deux images ensemble pouvaient prendre un sens ? Aujourd’hui la télévision inonde le monde entier d’images dépourvues de sens, et plus personne ne pleure ». Si plus personne ne pleure, au moins, Herzog lutte et résiste, d’où la quête soulevée par son œuvre. Pour lui, si le cinéma est un médium ce n’est pas dans une logique informative, mais plutôt dans un sens spirituel : le réalisateur combattant la communication au nom de la communion. Le cinéma est le médium du voyant devenu Grand Témoin devant un monde en perdition, tel un prêtre donnant sa messe dans une église en feu. C’est pourquoi, malgré l’euphorie qui entourait ses débuts, le sort du septième art nous paraît bien ironique : le cinéma est arrivé trop tard ; sa modernité voit le jour lorsque la fin de l’homme nous semble aussi probable que rapprochée. David contre Goliath, Herzog résistant face à l’apocalypse, voyageant seul aux quatre coins de ce qui reste de notre monde, suivant le mot de saint Jean : « Marchez tant que vous avez la lumière. »
Mais avant que tout ne s’éteigne, que les dernières rencontres filmées ne deviennent réellement les dernières vécues, les images d’Herzog demeurent un pont entre les êtres, une passerelle permettant les rencontres. Valérie Carré avait très bien vu la chose alors qu’elle soulignait qu’« Herzog […] rend visible ce qui ne l’est pas, à savoir ce qu’il appelle le “paysage intérieur” auquel, selon lui, seul le cinéma nous permet d’accéder. L’image cinématographique devient ainsi le lien entre les êtres34. » Lien tissé, mais quel en sera la solidité, pourra-t-il tenir ? L’œuvre d’Herzog est comme une brèche ouverte – souveraine monade leibnizienne35 – d’où émergent l’homme, son monde et ses nombreux voyages. Pôle central, l’homme voyage d’un monde à l’autre : intérieur, extérieur. La vie devient alors un Grand Voyage, la notion de voyage perdant ainsi tout début et toute fin (sinon celle de l’H / homme). Et nous entendons encore Deleuze chanter Nietzsche sur une musique de Pinhas :
Qui est parvenu ne serait-ce que dans une certaine mesure à la liberté de la raison, ne peut rien se sentir d’autre sur terre que voyageur. Pour un voyage toutefois qui ne tend pas vers un but dernier car il n’y en a pas. Mais en fin, il gardera les yeux ouverts à tout ce qui se passe en vérité dans le monde. Aussi ne devra-t-il pas attacher trop fortement son cœur à rien de particulier. Il faut qu’il y ait aussi en lui une part vagabonde dont le plaisir soit dans le changement et le passage36.
Bibliographie
- BAKHTINE, Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par Daria Olivier, préface de Michel Aucouturier, Paris, Gallimard (Tel), 1978, 489 p.
- BAZIN, André, Qu’est-ce que le cinéma ?, édition définitive, Paris, Éditions du Cerf (7e Art), 1975, 372 p.
- BRESSON, Robert, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard (Folio), 1995, 138 p.
- CARRÉ, VALÉRIE, La quête anthropologique de Werner Herzog, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg (Université Marc Bloch), 2007, 345 p.
- CRONIN, Paul, Herzog on Herzog, New York, Faber and Faber, 2002, 340 p.
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- MÉRIGEAU, Pascal, Pialat, Paris, Grasset (Biographie), 2002, 349 p.
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- PÈRE, Olivier, « Werner Herzog l’arpenteur », dans LesInrocks.com : l’actu culturelle en continu, [en ligne]. http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/werner-herzog-larpenteur [Entrevue consultée le 24 septembre 2009].
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- RENAUD, Nicolas, « Herzog : l’image qui marque », dans Hors Champ, [en ligne]. http://www.horschamp.qc.ca/l-image-qui-marque.html [Article consulté le 25 septembre 2009].
- RIMBAUD, Arthur, Poésies. Une saison en enfer. Illuminations, préface de René Char, édition établie et annotée par Louis Forestier, Paris, Gallimard (Folio classique), 1999, 342 p.
- VIVIANI, Christian, « L’harmonie de la disharmonie : Terrence Malick », dans L’amour du cinéma : 50 ans de la revue Positif, Paris, Gallimard (Folio), 2002, p. 564-571.
Notes de bas de page
- Les multiples références à ce film – objet principal de notre travail – se feront dorénavant simplement par le terme Encounters.
- André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, édition définitive, Paris, Les Éditions du Cerf (7e Art), 1975, p.23. Nous soulignons.
- Pour des raisons heuristiques et matérielles, nous sommes malheureusement tenus de généraliser outrageusement ce point.
- Pascal Mérigeau, Pialat, Paris, Grasset (Biographie), 2002, p. 61-62.
- Principalement pour Aguirre : the Wrath of God (1972), The Enigma of Kaspar Hauser (1974), Nosferatu the Vampire (1979), Fitzcarraldo (1982) dans le cas des fictions et surtout pour Little Dieter Needs to Fly (1997), Grizzly Man (2005), Encounters at the End of the World (2007) dans le cas des documentaires.
- Olivier Père, « Werner Herzog l’arpenteur », dans LesInrocks.com : l’actu culturelle en continu, [en ligne]. http://www. lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/werner-herzog-larpenteur [Entrevue consultée le 24 septembre 2009].
- Notons que cette idée de l’œuvre d’art comme instance productrice a très bien été comprise par Gilles Deleuze, comme en témoigne le passage suivant : « L’œuvre d’art moderne est tout ce qu’on veut, ceci, cela, et encore cela, c’est même sa propriété d’être tout ce qu’on veut […], du moment que ça marche : l’œuvre d’art moderne est une machine, et fonctionne à ce titre […]. L’œuvre d’art moderne n’a pas de problème de sens, elle n’a qu’un problème d’usage. Pourquoi une machine ? C’est que l’œuvre d’art ainsi comprise est essentiellement productrice, productrice de certaines vérités. » Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, Presses Universitaires de France (Quadrige : Grands Textes), 2007, p. 175-176. L’auteur souligne.
- Olivier Père, « Werner Herzog l’arpenteur », page Internet citée précédemment.
- Arthur Rimbaud, Poésies. Une saison en enfer. Illuminations, préface de René Char, édition établie et annotée par Louis Forestier, Paris, Gallimard (Folio classique), 1999, p. 88-89.
- Ou comme dans un des grands cris proustiens : « La matière de nos livres, la substance de nos phrases doit être immatérielle, non pas prise telle quelle dans la réalité, mais nos phrases elles-mêmes et les épisodes doivent être faits de la substance transparente de nos minutes les meilleures, où nous sommes hors de la réalité et du présent. C’est de ces gouttes de lumière cimentées que sont faits le style et la fable d’un livre. » Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, préface de Bernard de Fallois, Paris, Gallimard (Folio essai), 1954, p. 303.
- Nous conservons le titre original du film, en raison de la polysémie que sa traduction en français ne peut nous donner. Nous y reviendrons.
- Nous sommes bien conscients que la meilleure présentation possible d’Encounters est son visionnement. Nous souhaitons plutôt faire notre présentation, pas vraiment factuelle (on ne fait pas dans le résumé ou dans la critique pour la critique), mais plutôt esthétique.
- Herzog, qui a toujours utilisé de la musique originale pour ses films, tient à être présent lors des sessions d’enregistrement – pour mieux faire sentir sa présence, présence physique voire esthétique de l’auteur, du poète ou du voyant – ce qui souligne la grande place qu’occupe la musique dans son œuvre. D’ailleurs, selon le réalisateur, le cinéma est un évènement d’images et de son (« event of images and sound »).
- André Bazin, op. cit., p. 35. Nous soulignons.
- Paul Cronin, Herzog on Herzog, New York, Faber and Faber, 2002, p. 301-302. Désormais, les renvois à cette édition seront indiqués dans le corps du texte par le sigle HH– suivi du numéro de la page.
- Dante, La divine comédie. L’enfer, texte original, présentation et traduction par Jacqueline Risset, Paris, Flammarion (GF), 2004, p. 25. Nous soulignons.
- Lautréamont, Les chants de Maldoror, opinion de Poulet-Malassis, texte établi par Maurice Saillet, Paris, Le livre de poche, 1963, p. 65-66.
- D’ailleurs Robert Bresson, dans ses Notes sur le cinématographe, écrivait que le cinéaste doit « [p]réparer un film comme une bataille ». Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard (Folio), 1995, p. 30.
- Faire des films à deux et même seul : une façon maintenant possible de faire du cinéma et qui rapproche encore plus le cinéaste du poète – nouvelle caméra-stylo, impossible du vivant d’Alexandre Astruc.
- Nicolas Renaud, « Herzog : l’image qui marque », dans Hors Champ, [en ligne]. http://www.horschamp.qc.ca/l-image-qui-marque.html [Article consulté le 25 septembre 2009].
- Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Paris, Gallimard (Folio classique), 1989, p. 151.
- Marcel Proust, Le côté de Guermantes, Paris, Gallimard (Folio classique), 1988, p. 243.
- Mikhaïl Bakhtine redonne une dignité perdue à l’expression devenue lieu commun qu’est le grand art : « L’art crée une nouvelle forme comme une nouvelle relation axiologique à ce qui est déjà devenu réalité pour la connaissance et pour l’acte. » Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par Daria Olivier, préface de Michel Aucouturier, Paris, Gallimard (Tel), 1978, p. 45. Sans que nous tombions dans une critique apologétique, le cinéma d’Herzog est pour nous du grand art. Grand, car il ne peut se laisser restreindre à des conventions (documentaire, Cinéma Vérité, anthropologie, etc.), fracasse tous les cadres, fait tabula rasa de l’Habitude, pour permettre de façon prodigieuse cette « nouvelle relation axiologique » unissant l’être au monde.
- Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, traduction de A.-M. Desrousseaux et H. Albert, introduction et notes par Angèle Kremer-Marietti, Paris, Le livre de poche (Classiques de la philosophie), 1995, p. 626. L’auteur souligne.
- Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction inédite, introduction, notes et bibliographie par Patrick Wotling, Paris, Flammarion (GF), 2000, p. 117.
- Gilles Deleuze, Cinéma 1. L’image-mouvement, Paris, Éditions de Minuit (Critique), 1983, p. 22.
- Gilles Deleuze, Critique et clinique, Paris, Éditions de Minuit (Paradoxe), 1993, p. 10.
- Herzog soutient au sujet d’Even Dwarfs Started Small qu’il est un fllm ayant « [a] very stark and menacing feel » (HH–82).
- Roger Ebert, « Encounters at the End of the World », dans Rogerebert.com : Movie Reviews, Essays and the Movie Answer Man from Film Critic Roger Ebert, [en ligne]. http://rogerebert.suntimes.com/apps/pbcs.dll/article?AID=/20080710/ REVIEWS/807100305/1023 [Texte consulté le 24 septembre 2009].
- Bowser souligne que le fond des mers est un milieu des plus violents dans lequel l’humain, s’il était plus petit, ne voudrait absolument pas se trouver. Comme il en fut question plus tôt, Herzog abonde dans le même sens avec sa « Déclaration » (HH–302).
- Christian Viviani, « L’harmonie de la disharmonie : Terrence Malick », dans L’amour du cinéma : 50 ans de la revue Positif, Paris, Gallimard (Folio), 2002, p. 571.
- Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, op. cit., p. 581.
- Sur l’importance de la musique chez Herzog : « I try to introduce into a landscape a certain atmosphere, using sound and vision to give it a definite character. » Et lorsqu’Herzog traite de la combinaison musicale qui accompagne les images des moulins dans Signs of Life : « This does not change the windmills or the landscape physically, but it does change the way we look at them. That is what I tried to render : a new and very direct perspective of things that touch us deeper than more “realistic” sounds. » (HH–81-82)
- Valérie Carré, La quête anthropologique de Werner Herzog, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg (Université Marc Bloch), 2007, p. 304. Nous soulignons.
- Deleuze sur les monades du philosophe allemand (dans le Proust et les signes, Deleuze traitant du côté leibnizien de l’auteur de la Recherche, comme nous soulignons au passage celui d’Herzog) : « Chacune [des monades]. se définissant par le point de vue auquel elle exprime le monde, chaque point de vue renvoyant lui-même à une qualité ultime au fond de la monade […]. [E]lles n’ont ni porte ni fenêtre : le point de vue étant la différence elle-même, des points de vue sur un monde supposé le même sont aussi différents que les mondes les plus lointains […]. Nos seules fenêtres, nos seules portes sont toutes spirituelles : il n’y a d’intersubjectivité qu’artistique. » Gilles Deleuze, Proust et les signes, op. cit., p. 54-55.
- Cette citation de Nietzsche lue par Gilles Deleuze se trouve sur un disque de Richard Pinhas, plus précisément sur la pièce « Le voyageur » du single Le voyageur / Torcol (1972) du groupe Schizo. Pour la référence textuelle : Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, op. cit., p. 357. Nous soulignons.