Le satanisme comme mystique chez Huysmans

Par Romain Peter — Magie, sorcellerie et surnaturel en littérature

L’illusion rétrospective

L’intérêt pour le satanisme est l’un des moments les plus curieux du parcours d’écrivain de J.-K. Huysmans et, dans son œuvre, Là-bas1 tient une place ambiguë. Coincé entre les deux monuments que sont À rebours2 et En route3, on comprend aisément qu’il ait été situé à partir de ces deux pôles qui, chacun à leur manière, semblent exercer une forme d’attraction conceptuelle sur lui. D’un côté, le décadentisme d’À rebours semble y influencer encore profondément l’imaginaire huysmansien ; de l’autre, l’intégration de références et de préoccupations religieuses ou anti-religieuses semble participer du changement progressif de terrain qui mènera à la conversion de Durtal au catholicisme dans le cycle romanesque qui se poursuivra avec En route. Ne partageant ni tout à fait l’hubris d’À rebours, ni la conversio d’En route, Là-bas a donc pu apparaître comme un roman préparatoire à l’expérience — elle-même préparatoire — de la conversion religieuse. Lieu de métabolisation des affects et des désirs, de mutation de l’imaginaire et de germination des questions cruciales qui agiteront la suite de l’œuvre, Là-bas recevrait donc ses coordonnées de manière entièrement relative, si l’on se fie à ce scénario de progression de l’œuvre généralement admis. Il s’agit alors pour celui qui étudie l’ouvrage de saisir en quel point se trouve Huysmans sur l’axe qui va d’À rebours à En route. Cette vision s’autorise d’ailleurs de Huysmans lui-même qui, dans la préface rédigée vingt ans plus tard pour À rebours, affirme : « la conclusion qui s’impose est celle-ci : ce livre fut une amorce de mon œuvre catholique qui s’y trouve, tout entière, en germe4. »

Il faut mettre en garde contre cette lecture relative de l’œuvre5 : si elle éclaire le trajet global de Huysmans et de ses personnages prête-noms, elle fait par contre courir le risque d’une réduction. Ce genre de lecture suppose qu’on ne comprend Là-bas qu’à l’aune des œuvres postérieures, dont il serait le prologue. Et c’est réduire, on va le voir, la configuration complexe de l’univers du livre à une seule des virtualités qu’il ouvre — celle de l’itinéraire religieux. C’est céder, enfin, à ce que Bergson nomme l’illusion rétrospective, c’est-à-dire surimposer au passé des déterminations postérieures, en s’imaginant qu’elles étaient contenues de droit dans l’élément antérieur : « Si le jugement est vrai à présent, il doit, nous semble-t-il, l’avoir été toujours. Il avait beau n’être pas encore formulé : il se posait lui-même en droit, avant d’être posé en fait. À toute affirmation vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons un mouvement rétrograde6. » On ne fait rien d’autre en cherchant le proto-chrétien chez un Huysmans encore en quête des frissons du satanisme.

En refusant cette lecture faite exclusivement par rapprochement entre les œuvres, nous ne cherchons pas à les isoler artificiellement, lorsqu’elles sont évidemment les productions ponctuelles d’un caractère et d’un imaginaire continus. Nous souhaitons plutôt prendre au sérieux l’univers proposé par Là-bas, sans désamorcer d’avance les éléments d’intensité subversive qui s’y trouvent en jetant sur eux l’éclairage d’une conversion finale qui en assure la rédemption. Il est alors légitime de se demander : soulager cet ouvrage du poids des œuvres postérieures nous permet-il de jeter un autre regard sur lui ? Ici, c’est en particulier le satanisme qui nous intéressera, puisque nous faisons l’hypothèse qu’il est possible, en faisant abstraction des romans chrétiens postérieurs, de changer assez radicalement le regard posé sur lui. Cela nous amène tout d’abord à abandonner la lecture qui voit en Là-bas la parodie religieuse d’une âme devenue marionnette involontaire de ses résistances à la grâce. Alors, le satanisme isolé de toute rédemption future apparaîtra comme une mystique de la volonté, aux dimensions tragiques, et qui seule permet de bien comprendre la figure centrale de Gilles de Rais.

L’insaisissable satanisme

Sans doute, une partie de l’effet esthétique censé être produit par Là-bas nous est rendue inaccessible par deux erreurs, que le lecteur non averti pourra commettre sans y prendre garde, nécessitant donc de désobstruer la voie. Tout d’abord, la confusion du satanisme avec ce qu’il n’est pas. Erreur qu’on peut subdiviser en deux cas : pour les cas de possession (nommons cela satanisme involontaire) : la confusion entre satanisme et névrose, que dénonce Huysmans lui-même dans Là-bas7, et dans la préface qu’il donne à l’ouvrage de Jules Bois, « Le satanisme et la magie8 ». Pour les cas de profanations, de vols, de sacrilèges, de meurtres (satanisme volontaire) : la confusion entre crime simple et acte satanique, dénoncée dans la suite de la même préface. Seconde erreur : la mécompréhension – anachronique – du satanisme comme un athéisme radical, dont les éléments religieux ne seraient qu’un habillage polémique.

La première de ces deux erreurs, celle de la confusion du satanisme involontaire avec la névrose, fait l’objet d’un traitement significatif de la part de Huysmans. En dénonçant cette conception, l’auteur veut s’inscrire en faux contre l’idée positiviste, partagée par les aliénistes de son époque, que la science, avec ses diagnostics médicaux, devrait nécessairement remplacer la théologie, dont le verdict de satanisme n’aurait été qu’un proto-diagnostic, un diagnostic par défaut : « Pendant plusieurs siècles, les démonologues confondirent certains épisodes de la grande hystérie avec les phénomènes de Satanisme. Aujourd’hui, les médecins attribuent à la grande hystérie des accidents qui relèvent exclusivement du domaine des exorcistes. On a jadis brûlé pas mal de gens qui n’étaient nullement possédés par l’Esprit du Mal ; maintenant on noie sous les douches ceux qui le sont9. »

La clarification, à la fois taxinomique et conceptuelle, à laquelle se livre ici Huysmans, ressemble assez à celle opérée par Pascal dans sa Préface à un traité du vide10. Le problème est posé comme un problème de remplacement d’un discours légitime par un autre (ici le discours médical viendrait remplacer le discours théologique), jusqu’à ce qu’on parvienne à montrer qu’il s’agit non pas d’un problème de remplacement, mais d’un problème de juridiction : des erreurs sont commises, non pas parce qu’on use d’un discours obsolète, aux catégories obsolètes, mais parce qu’on discerne mal les cas qui relèvent de l’un ou l’autre discours. Le véritable problème est donc de trouver les critères qui permettent l’attribution du bon discours et des bonnes catégories diagnostiques à chaque cas particulier.

« La vérité semble surgir entre ces deux excès [ceux des démonologues et des médecins] ; mais, il faut bien l’attester sans ambages, rien n’est plus malaisé que de tracer une ligne de démarcation entre les attaques variées de la grande névrose et les états différents du satanisme11. » C’est donc une solution intermédiaire, une synthèse que l’auteur propose. Huysmans, remarquons-le, repose le problème sans véritablement le résoudre. Le constat d’une difficulté à discerner névrose et possession ne débouche sur la formulation d’aucun critère. On peut néanmoins, en dégageant l’esprit général de la préface que nous venons d’étudier, en indiquer la direction pour le satanisme involontaire : l’efficacité thérapeutique. Reposer le problème en termes de juridiction permet de ne plus envisager satanisme et névrose comme deux tentatives d’explication concurrentes du même phénomène, mais comme deux alternatives également valables en droit, selon la nature du cas. Ainsi, l’erreur des cliniciens contemporains, selon Huysmans, est de s’en tenir, dans les cas de possession impossibles à soigner médicalement, à une impasse diagnostique12. Au contraire, cet échec devrait leur permettre de déduire plus facilement la nature satanique du cas. Car, selon Huysmans, l’impuissance de la médecine est généralement révélatrice de satanisme, comme l’échec de l’exorcisme peut souvent être révélateur de névrose. Le traitement pratique (bains froids, exorcismes) permet donc de régler efficacement, mais toujours a posteriori, un problème de juridiction.

Une clarification presque identique s’impose dans le cas du satanisme volontaire. Pour Huysmans, c’est encore une fois un faux problème de remplacement (mais un véritable problème de juridiction) qui empêche de saisir correctement cette manifestation de satanisme. Le contemporain de Huysmans peut être tenté de poser le problème comme un problème de remplacement de l’instruction ecclésiastique des crimes (fondée sur un mélange de droit et de théologie) par l’instruction laïque (fondée exclusivement sur le droit). Pourtant, il s’agit d’un problème de juridiction, puisqu’on prête une dimension simplement criminelle à un crime qui relève essentiellement, pour Huysmans, de la théologie. Là encore, la question est de savoir quel critère permet de tracer une ligne de démarcation sûre entre justice humaine et justice ecclésiastique. Cette séparation est d’autant plus visible si l’on considère que l’un des points culminants du procès, tel que restitué par le protagoniste de Là-bas, est moins un aveu judiciaire – la procédure judiciaire est expéditive, laissant rapidement place à une procédure ecclésiastique – qu’une odieuse confession religieuse : « D’une voix sourde, obscurcie par les larmes, il raconta ses rapts d’enfants, ses hideuses tactiques, ses stimulations infernales, ses meurtres impétueux, ses implacables viols ; […] ces prêtres, trempés aux feux des confessions, ces juges qui, en des temps de démonomanies et de meurtres, avaient entendu les plus terrifiants des aveux ; ces prélats qu’aucun forfait, qu’aucune abjection des sens, qu’aucun purin d’âme n’étonnaient plus, se signèrent […]13. »

De la même manière que dans son analyse du problème de juridiction précédent, Huysmans indique sans trop l’expliciter un horizon de solution : ce sera cette fois-ci l’enquête14, en tant qu’elle permet de remonter jusqu’à l’intention du criminel et au domaine de significations dans lequel elle s’insère. Cela permettra d’éviter l’erreur de faire de tout infanticide un sacrifice ou de réduire tout sacrifice à un « simple » infanticide (cette dernière erreur étant celle qui intéresse le plus Huysmans). Ainsi, dans Là-bas, les domaines de significations juridique et ecclésiastique sont séparés, et donnent lieu à un partage de responsabilités dont Huysmans semble satisfait : « Aussitôt que Gilles et ses complices furent incarcérés, deux tribunaux s’organisèrent : l’un, ecclésiastique, pour juger des crimes qui relevaient de l’Église, l’autre civil, pour juger de ceux desquels il appartenait à l’État de connaître. À vrai dire, le tribunal civil qui assista aux débats ecclésiastiques s’effaça complètement dans cette cause […]15 », partage des responsabilités dont Huysmans semble satisfait.

On voit ainsi que, selon Huysmans, satanisme volontaire et involontaire sont rendus illisibles (par les discours des aliénistes ou les préjugés positivistes de son temps), chacun en raison d’un problème de juridiction qui partage la même structure, bien que le problème ne soit pas posé dans Là-bas aussi clairement que dans la préface à l’ouvrage de Jules Blois. Comprendre le satanisme, c’est donc pour Huysmans l’arracher à l’emprise de discours qu’il juge illégitimes et de catégories de jugement qui lui apparaissent fautives, pour le réaffirmer comme un ensemble de phénomènes possédant sa signification propre, et son discours correspondant.

La logique paradoxale du satanisme

La seconde grande erreur rendant difficile, selon Huysmans, une appréhension exacte du satanisme — mais qui, cette fois-ci, n’est pas explicitement thématisée par l’auteur — consiste en ce que l’opinion commune, aujourd’hui comme alors, a tendance à mécomprendre le satanisme en l’assimilant trop facilement à un athéisme. Athéisme dont les éléments religieux ne seraient que des parodies scandaleuses, mais finalement sans véritable portée théologique ou métaphysique. C’est d’ailleurs la seule forme sous laquelle le satanisme survit encore aujourd’hui, c’est-à-dire le satanisme comme philosophie de l’affirmation de soi, impliquant un athéisme radical. Cette conception du satanisme, distinguée avec raison du satanisme théologique, est décrite par Jean-Paul Cardinal dans son article « Sympathy for the Devil : Idéologies du satanisme » :

Satan ne serait pas le cruel archidémon qui torturerait et dévorerait les âmes, le bouc émissaire de la paranoïa éthico-ontologique du christianisme traditionnel, mais plutôt le symbole “révolutionnaire” des valeurs opprimées, depuis la chute du polythéisme romain (325 à 375), par le répressif spiritualisme chrétien : l’amour de la Terre, de la matérialité, du corps enraciné dans de purs instincts animaux, de l’hédonisme sensuel, des énergies physiquement et magiquement naturelles — de l’éros pansexuel, donc16

Ce n’est certes pas sans raison qu’on rapproche le satanisme tel que le conçoit Huysmans de cette philosophie, mais le piège pour le lecteur de Là-bas consiste justement à transformer par préjugé en philosophie (athée) ce qui relève d’une forme paradoxale de théologie.

La lecture envisageant Là-bas comme la première étape du trajet de conversion de Huysmans a au moins raison sur un point : le satanisme qu’on trouve dans ce roman est de nature théologique, et se place directement sur le terrain de la religion. Ce qui signifie que le conflit entre l’individu tenté par le satanisme ou acquis au satanisme (qu’il s’agisse des personnages de Durtal ou du chanoine Docre, rencontrés dans Là-bas, ou de Huysmans lui-même) et ceux qui le combattent n’est pas un conflit entre philosophie athée et religion (donc entre deux visions du monde) mais entre damné volontaire et croyant. Le conflit se joue donc tout entier au sein de la vision religieuse du monde et, dans la logique de cette vision religieuse, le satanique n’est jamais un libre-penseur, mais un esprit négateur. C’est ainsi le religieux qui assigne son cadre à ce satanisme théologique, comme le rappelle Jean-Paul Cardinal : « tant que le satanisme demeure en opposition réactive contre le christianisme, il reste tributaire d’un jeu métaphysique défini par les adeptes de l’Être suprême, il n’assume pas de façon autonome sa puissance radicale de négation17. »

Cet aspect du satanisme de Huysmans est sans doute celui qui bouscule le plus profondément nos habitudes de pensée contemporaines, parce qu’il nous oblige à renoncer à des correspondances faciles entre catégories de jugement : nous partons du principe que, puisque le satanisme est une négation de Dieu, il est négation de la religion, du discours religieux, et ne peut donc s’exercer qu’en étant extérieur à la religion. Or, Huysmans nous demande explicitement d’envisager un satanisme qui est une négation de Dieu à l’intérieur même du monde religieux. Le contenu de son discours est anti-théologique, mais son registre reste théologique. Cette proximité de Dieu dans son envers diabolique est déroutante, difficile à saisir, mais ne doit pas être éludée. Comme le résume Jérôme Solal, Huysmans, dans Là-bas, s’y « situe contre Dieu, tout contre. Il flirte avec les abîmes, croise volontairement le diable et, sans trop le savoir, rencontre quelque chose de Dieu18. » Ce caractère paradoxal est d’ailleurs souligné par l’abbé Boullan, celui-là même qui renseigne Huysmans sur le satanisme, l’y initie, et lui inspire en partie le personnage du chanoine Docre. Il lui écrit en effet dans une des rares lettres qui nous restent de leur correspondance : « En démontrant, dans votre œuvre, qu’il y a un au-delà du mal, dont parle l’école naturaliste, que le satanisme est vivant de nos jours, qu’il vit dans le clergé même, dans les monastères, vous appelez la conclusion qu’il y a aussi l’au-delà du Bien, le Divin. Et cela est fatal, comme la nuit suppose nécessairement le jour19. »

Ainsi, Huysmans nous entraîne dans l’exploration de ce qui fait la singularité (déroutante, mais séduisante) du satanisme comme vision du monde paradoxale. Nous nous proposons d’explorer cette structure logique du satanisme huysmansien afin d’en comprendre la nature. Cette analyse logique du concept de satanisme théologique nous permettra de mieux comprendre ce que Huysmans y trouve de séduisant.

Le raisonnement que nous sommes naturellement tentés de faire est celui-ci : le satanisme est la négation de Dieu et, conséquemment, il est la négation des visions du monde qui s’appuient sur Dieu, donc la négation de la vision religieuse du monde. Le satanisme correspond ainsi à une vision du monde sans Dieu. Le défaut de ce raisonnement est de confondre négation de Dieu et affirmation de l’inexistence de Dieu. Correctement déplié, il revient donc à faire du raisonnement un enthymème, en lui ajoutant implicitement cette proposition supplémentaire : nier Dieu, c’est nier l’existence de Dieu.

Or, justement, pour Huysmans, le satanisme nie Dieu sans pour autant nier l’existence de Dieu. Il suffit, pour s’en convaincre, de remarquer la régularité avec laquelle l’auteur insiste sur l’existence bien réelle du « Très-Bas20 ». Or, la croyance en Satan a comme condition de possibilité la croyance en l’existence de Dieu. Le satanique, ce n’est pas celui qui ne croit pas en Dieu, c’est celui qui croit que Dieu existe, mais qui choisit de le nier. On passe à côté du caractère tragique de Gilles de Rais si on choisit de voir dans Là-bas une simple « identification métonymique du surnaturel avec Satan21 », c’est-à-dire si on considère Satan comme le symbole de tout ce qui excède le naturel, comme le suggère Jean-Paul Corsetti.

Jusqu’ici, rien de paradoxal. L’aspect éminemment illogique du satanisme n’apparaît qu’à partir du moment où l’on évalue la pertinence de la négation théologique de Dieu. On peut subdiviser, par analyse logique, les enjeux de la question en quatre cas :

A.
Dieu existe ; l’homme le nie
(satanisme théologique)

B.
Dieu n’existe pas ; l’homme le nie
(satanisme comme philosophie athée)

C.
Dieu existe ; l’homme le reconnaît
(foi)

D.
Dieu n’existe pas ; l’homme le reconnaît
(illusion religieuse)

Deux cas apparaissent immédiatement comme pertinents (B, C), parce que l’attitude d’adhésion ou de rejet de l’homme y est en accord avec l’existence ou l’inexistence divine. Les deux autres cas (A, D) paraissent moins pertinents, puisque le jugement humain y est en décalage manifeste avec l’existence divine. Ainsi, la précarité de l’illusion religieuse vient de ce qu’elle postule l’existence d’un Dieu qui n’existe pas, et organise son existence autour d’elle — elle prête l’existence à ce qui n’est pas.

En revanche, le cas du satanisme théologique semble plus complexe : on serait tenté de dire, symétriquement, qu’il postule comme n’étant pas, ce qui existe en réalité. Mais le satanique, justement, ne nie pas l’être divin ; il refuse seulement de s’inféoder à la puissance divine. On le sait, la chute de l’homme et celle du premier ange ont la même racine : le péché d’orgueil. L’illusion religieuse est une erreur de la connaissance ; le satanisme théologique n’en est pas une : le « Très-Bas » et ses affidés savent ou postulent que Dieu existe, mais refusent de se soumettre à Lui et d’accueillir Sa grâce. La source du décalage n’est pas la méconnaissance, mais le mauvais usage de la liberté. On peut donc enrichir le précédent tableau :

A.
Dieu existe ; l’homme le nie
(satanisme théologique)
Connaissance vraie
Mauvais usage de la liberté

B.
Dieu n’existe pas ; l’homme le nie
(satanisme comme philosophie athée)
Connaissance vraie
Bon usage de la liberté

C.
Dieu existe ; l’homme le reconnaît
(foi)
Connaissance vraie
Bon usage de la liberté

D.
Dieu n’existe pas ; l’homme le reconnaît
(illusion religieuse)
Connaissance fausse
Bon usage de la liberté

Ce détour est important : il nous permet de comprendre ce qui, dans le satanisme théologique, est paradoxal. Pourquoi qualifier ici ce satanisme de « mauvais usage de la liberté » ? Parce que la connaissance qu’un Dieu existe, en toute rigueur, devrait entraîner l’adhésion à Sa grâce, si l’on adopte un point de vue rationaliste : si je sais que Dieu existe, je sais qu’il est Tout-Puissant, et qu’ainsi la question de mon adhésion est sans enjeu réel. Je sais que je n’ai aucun intérêt à le nier, et tout intérêt à l’affirmer. Autrement dit : le rationalisme part du principe qu’un certain usage de la liberté est la conséquence nécessaire de la connaissance de l’existence de Dieu. S’il existe, je n’ai pas d’autre choix que de le reconnaître et de l’accepter22.

Or, c’est précisément cette articulation évidente, pour le rationaliste, entre connaissance de Dieu et reconnaissance de Dieu que le satanisme conteste. Dès que l’on tient cette articulation pour évidente cette articulation pour évidente (au point de ne jamais sentir le besoin de l’expliciter), le satanisme théologique présenté par Huysmans paraît nécessairement paradoxal. Le satanique n’est ni un indécis, ni un incroyant, mais un rebelle. Il sait que Dieu existe, mais refuse de laisser ce savoir prendre en otage sa liberté souveraine. On pourrait donc caractériser le satanisme en disant qu’il est une crispation jalouse sur son propre libre-arbitre23. Dès lors, il semble, comme nous l’avons montré, court-circuiter le bon sens, mais c’est parce qu’il pose la préservation de son libre-arbitre comme une valeur supérieure à la préservation de soi. Ainsi la différence entre le croyant et le sataniste théologique est une différence de valeurs, valeurs qui déterminent les conséquences qu’il faut tirer de l’existence de Dieu : pour le croyant, la valeur de préservation de soi lui fait reconnaître le grand avantage qu’il a à reconnaître Dieu ; pour le sataniste théologique tel que celui incarné par Gilles de Rais dans Là-bas, la valeur de préservation de son libre-arbitre lui fait plutôt reconnaître l’avantage qu’il a à nier Dieu, et l’avantage nul qu’il aurait à le reconnaître.

Il n’est pas étonnant que nous rejoignions ici certains traits saillants du caractère de Huysmans, caractère qui nous apparaît aussi bien dans ses œuvres que dans sa biographie : la passion de la singularité, la sophistication posée comme supérieure au bon sens populaire, le sentiment aristocratique, la glorification de la liberté individuelle poussée jusqu’à l’ambition démiurgique. Le satanisme théologique semble faire directement écho, sous forme religieuse, à des motifs que l’on rencontre sous une forme laïque en d’autres endroits de l’œuvre, notamment dans  À rebours. Huysmans, d’ailleurs, propose au quatrième chapitre de Là-bas un rapprochement explicite de Gilles de Rais avec le protagoniste d’À rebours : « Il était le Des Esseintes du quinzième siècle24 ! » Leur point commun est l’orgueil, trait partagé par tous les anti-héros huysmansiens, et que Durtal, narrateur de Là-bas, reconnaît suprêmement à Gilles de Rais : « Enfin, pour terminer, ajoute à toutes ces causes un orgueil formidable, un orgueil qui l’incite à dire, pendant son procès : “Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n’a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j’ai fait”25. »

Une mystique désespérée de la volonté démiurgique

Il découle des considérations qui précèdent que le satanisme théologique est, dans sa doctrine et tel qu’il s’actualise dans Là-bas, une attitude tragique et désespérée : ce n’est pas une recherche de salut, mais la jouissance de sa liberté individuelle comme un bien en soi, jouissance dont on paiera les conséquences plus tard. Le sataniste pense que c’est justement dans le mauvais usage qu’il fait de sa liberté que cette liberté trouve tout son prix.

On trouve déjà, dans À rebours26, les traces d’une telle structure : l’exemple le plus frappant est sans doute l’aménagement de la chambre de la « thébaïde27 », parodiant une cellule de moine chartreux. Tout ce qui, dans la cellule réelle, vise au dépouillement de cette vie afin d’exhausser l’espoir d’une béatitude future est détourné par Des Esseintes, protagoniste principal du roman, afin de venir ré-intensifier cette vie-ci. Ce détournement est clairement perceptible dans le remplacement des matériaux modestes servant à aménager la cellule monastique par des matériaux riches, rares, qui revêtent cette cellule d’une opulence visant à choquer le lecteur. C’est pour Huysmans un moyen de mettre en scène la réorientation de l’effort mystique vers l’intensité de la vie présente. Là où il y a véritablement homologie de structure axiologique avec Là-bas, c’est lorsque Des Esseintes choisit, à travers cette parodie blasphématoire, de garder sous les yeux l’objet de sa négation : il ne cède pas à la facilité de remplacer complètement l’austérité monastique par l’opulence mondaine, et la continence par la jouissance, jusqu’à les faire disparaître de son esprit — jamais il n’oublie les promesses religieuses, ni n’en divertit sa pensée. Son véritable plaisir est de tenir sa négation au plus près de l’objet nié, son péché, au plus près des formes sacrées. Or, ce trait est éminemment satanique ; le chanoine Docre, dans Là-bas, en est l’exemple parfait, puisqu’il se fait tatouer la croix sous la plante des pieds afin de fouler le symbole sacré28. Des Esseintes associe explicitement sa parodie au satanisme, puisque des scrupules lui viennent lorsqu’il se remémore son éducation jésuite, qui se transforment bientôt en imaginations hallucinées : « En face d’un Dieu omnipotent, se dressait maintenant un rival plein de force, le Démon, et une affreuse grandeur lui semblait devoir résulter d’un crime pratiqué, en pleine église par un croyant s’acharnant, dans une horrible allégresse, dans une joie toute sadique, à blasphémer, à couvrir d’outrages, à abreuver d’opprobres, les choses révérées ; des folies de magie, de messe noire, de sabbat, des épouvantes de possessions et d’exorcismes se levaient29. »

On peut ainsi situer le satanisme théologique dans une typologie des négations de Dieu, selon la distance qu’elles entretiennent avec l’objet de leur négation :

Négation Racine Affirmation

Rejet de Dieu.
Crispation jalouse sur le libre-arbitre.

Valorisation du libre-arbitre humain comme un bien plus haut que tous les autres. Ambition démiurgique.
Mystique de la volonté.
Transformation artistique des apparences.

Ce versant positif possède la même racine que la négation : la (sur-)valorisation du libre-arbitre humain. Si la négation de Dieu est un refus de céder la moindre parcelle de cette liberté, le satanisme va également tenter d’affirmer positivement cette valeur fondamentale. Les racines bibliques nous présentent bien la nature d’une telle affirmation de soi, puisqu’elle est soufflée par Satan au premier couple dès la Genèse : tenter de s’égaler à Dieu30. Non seulement le satanisme nie Dieu de façon lucide, mais encore a-t-il l’audace de vouloir concurrencer Dieu. Cette aspiration donne lieu à une véritable mystique du mal, propre au satanisme, et que Huysmans reconnaît explicitement : « […] les affiliés du Satanisme sont des mystiques d’un ordre immonde, mais ce sont des mystiques. Maintenant, il est fort probable que leurs élans vers l’au-delà du Mal coïncident avec des tribulations enragées des sens, car la Luxure est la goutte-mère du Démonisme31. »

Dans Là-bas, c’est le personnage de Gilles de Rais, inspiré de la figure historique, qui incarne le mieux cette ambition démiurgique. Ses infanticides en sont l’expression la plus éclatante, tout d’abord parce que le meurtre consiste déjà à s’arroger un droit de vie et de mort sur un autre homme, droit qui appartient en propre à Dieu selon la théologie chrétienne. L’infanticide aggrave cette insubordination satanique : abréger le cours d’une existence, provoquer la mort d’un être avant qu’il n’ait atteint sa maturité, c’est explicitement nier la Nature en méprisant la valeur de ce que Dieu a voulu32. Mais Gilles de Rais ne s’envisage pas comme un esprit purement négateur. Durtal lui-même, qui travaille à la biographie de ce dernier, voit en lui « […] le plus artiste et le plus exquis, le plus cruel et le plus scélérat des hommes33. » Ainsi, « l’artiste et le lettré se développent en Gilles, s’extravasent, l’incitent même, sous l’impulsion d’un mysticisme qui se retourne, aux plus savantes des cruautés, aux plus délicats des crimes34. » Les horreurs perpétrées par le Maréchal de France sont présentées par Durtal comme l’œuvre d’un artiste, possédant donc une valeur esthétique : « Artiste passionné […] virtuose en douleurs et en meurtres […] il put croire que l’art du charnier avait exprimé dans ses doigts son dernier bourbillon, suinté son dernier pus et, en un cri d’orgueil, il dit à la troupe des parasites “Il n’est personne sur la planète qui ose ainsi faire!”35 » Dans le même chapitre, on voit également Gilles de Rais établir un « concours de beauté sépulcrale36 ». Sa motivation criminelle est esthétique, non seulement au sens premier de sensation (aiesthèsis) — puisque Gilles de Rais recherche l’ivresse des sens dans ses crimes —, mais également au sens où ses œuvres impliquent en toute logique préméditation (donc projet), scénarisation (dramaturgie) et exécution habile, comme des œuvres d’art. Le caractère démiurgique du travail artistique est un motif qui remonte au moins à la Renaissance et à l’émergence de la figure du génie créateur37 ; ici, Huysmans cherche manifestement à radicaliser ce caractère démiurgique. Gilles de Rais est ainsi, selon Durtal, celui qui, transgressant tous les codes existants (esthétiques, mais surtout sociaux et moraux), pousse la quête d’intensité dans la création plus loin que ne le font les plasticiens qui s’en tiennent aux pigments et aux toiles. De ce point de vue, il incarnerait une figure paroxystique du génie, distordue par l’immensité de ses exigences créatrices. Et, comme le rappelle justement Emmanuel Godo38, Gilles de Rais exemplifie de façon diabolique ce dévoiement de la théorie de l’influence du milieu exposée par Taine. Huysmans écrit d’ailleurs dans « Certains » : « La théorie du milieu, adaptée par M. Taine à l’art est juste – mais juste à rebours, alors qu’il s’agit de grands artistes, car le milieu agit sur eux alors par la révolte, par la haine qu’il leur inspire39. »

Dans À rebours, Des Esseintes témoigne, dans tous ses domaines d’activité, d’une ambition démiurgique globalement identique à celle qui agite le satanisme. On peut relever deux traits principaux de cet appétit démiurgique : la maîtrise des artifices et la création de mondes.

Pour Des Esseinte, il ne s’agit pas seulement du goût de l’artifice (fausse cellule monastique40, fausse fleur41, lavement comme fausse nourriture42), qui serait une simple préférence, mais de la maîtrise de leur production et du contrôle prémédité de leur pouvoir d’illusion. Certes, il en a aussi, et d’abord, le goût : se piquant de botanique, l’exilé de Fontenay raffine le penchant déjà pervers pour les fleurs factices (il y a déjà là quelque chose de sacrilège, de scandaleux, aux yeux de Des Esseintes, à préférer la copie humaine à l’original produit par Dieu), en sélectionnant les fleurs réelles qui semblent factices. Ce faisant, Des Esseintes scrute avec une ironie quasi-diabolique le moment où la Nature peut être prise en défaut — ce moment où elle produit sa propre parodie de façon involontaire. C’est la même logique qui explique le goût du protagoniste pour les corps atypiques (Miss Urania, dont la masculinité brouille la différence des sexes43) ou les détournements des voies naturelles (la maîtresse ventriloque, qui détourne la fonctionnalité des organes44). Ce qui lui plaît, ce sont des corps susceptibles de dévier du cours normal de la Nature. Partout, Des Esseintes traque les moments où la Nature s’égare, se fourvoie. La tératologie n’est rien d’autre que le plaisir de contempler la production naturelle qui s’affaisse — moquerie élevée à un degré considérable. Mais ce goût n’est encore qu’une coquetterie de spectateur, une raillerie née du constat, et non d’un détournement créé de toutes pièces. L’ambition de Des Esseintes va plus loin : il s’agit de maîtriser savamment l’effet perceptif de l’artifice, de tirer les ficelles de la causalité qui va de l’intention de tromperie au fourvoiement de la victime45. Une grande partie de l’ouvrage montre Des Esseintes cherchant à contrôler tous les paramètres de l’expérience perceptive, afin de donner vie à ses rêveries artificielles. Les premiers chapitres, dédiés à l’aménagement d’intérieur de sa demeure, manifestent cette volonté de contrôle total de l’environnement, avec un souci constant : ne pas choisir les éléments du décor pour leurs qualités objectives, mais pour leur potentiel d’impression subjective.

Cette maîtrise des artifices débouche logiquement, selon la dynamique de radicalisation progressive des transgressions qui donne forme au roman, sur une volonté de création de mondes. Des Esseintes aurait pu borner son ambition à n’être qu’un illusionniste, se satisfaisant de parvenir ponctuellement, mais jamais de façon durable, à fausser la perception. Mais sa volonté démiurgique va plus loin : ce qu’il souhaite, c’est remplacer le monde naturel — qui dans sa naturalité simple est fade et a « fait son temps46 » — par le monde qu’enfante son imagination. La place de choix accordée, à la fin du premier chapitre, à l’aspiration baudelairienne (« Anywhere out of the world47 »), pourrait être réappropriée par le satanisme ultérieur, moyennant une légère correction : anywhere out of His world. D’ailleurs, le repli à Fontenay manifeste à lui seul cet orgueil suprême : être à soi-même son propre monde, jusqu’à rejeter le vrai monde. Mais nulle part cette ambition n’est plus visible qu’aux chapitres consacrés aux parfums (X) et au voyage (XI). Là, Des Esseintes touche au plus près de son idéal démiurgique. Par les parfums, il recrée le monde de façon purement olfactive, la parfumerie servant à parodier la Genèse. En effet, au creux de son fauteuil, il parvient à recréer artificiellement le cadre et le mouvement de la vie. Puis, c’est en maître des ambiances factices que le protagoniste va étancher sa soif de Londres, en accumulant de minutieuses reconstructions d’impressions : guide touristique, temps maussade, restaurant de clientèle anglophone, nourriture britannique et début de trajet en train48. Dans les deux cas, le pari est gagné : la copie remplace le modèle, l’artifice devient supérieur à la réalité, le monde naturel est remplacé ; l’homme a pris la place de Dieu tout en se moquant de Lui.

Cette étude d’éléments convergents d’À rebours et de Là-bas tend à montrer que le satanisme théologique présenté dans ce dernier, loin d’être la simple esquisse préparatoire et désorientée de la conversion ultérieure, peut être envisagé comme une des formes d’actualisation possibles (à côté d’À rebours et des œuvres dites « catholiques49 ») des fantasmes de Huysmans relatifs à la toute-puissance démiurgique de la volonté et à la sacralisation du libre-arbitre de l’individu. Plus encore, il faut soutenir que si la structure est souvent semblable à celle d’À rebours, le cadre du satanisme théologique permet à Huysmans d’explorer sous un jour inédit, complémentaire et irremplaçable ce fantasme, notamment par sa dimension tragique50. C’est ce qui explique sans doute que Huysmans ait toujours refusé de renier les romans antérieurs à sa conversion : loin d’être de simples esquisses païennes, ceux-ci constituaient des étapes importantes, et absolument insubstituables, de la quête huysmansienne d’acuité perceptive et d’exploration esthétique radicale.

Bibliographie

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  • HUYSMANS, Joris-Karl, À rebours, Paris, Flammarion (GF), 2014.
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  • SOLAL, Jérôme, Huysmans avant Dieu. Tableaux de l’exposition, morale de l’élimination, Paris, Garnier, 2010.

Notes de bas de page

  1. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, Paris, Maxi-livres, 1994.
  2. Destin ambigu partagé avec En rade, qui suit immédiatement À rebours, et précède Là-bas.
    Joris-Karl Huysmans, À rebours, Paris, Flammarion (GF), 2014.
  3. Joris-Karl Huysmans, En route, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1985.
  4. Joris-Karl Huysmans, À rebours, op. cit., p.329.
  5. Lecture que l’on trouve par exemple dans l’ouvrage de Maurice Belval, Des ténèbres à la lumière. Étapes de la pensée mystique de J.-K. Huysmans, Paris, Maisonneuve & Larose, 1968, p. 80-81.
  6. Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Paris, PUF, 2009, p. 14.
  7. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 287.
  8. Joris-Karl Huysmans, « Préface », dans Jules Blois, Le satanisme et la magie, Paris, Léon Chaillet, 1895.
  9. Ibid., p. VII.
  10. Blaise Pascal, « Préface pour un traité du vide », Pensées, opuscules et lettres, Paris, Classiques Garnier, 2011.
  11. Joris-Karl Huysmans, « Préface », dans Jules Blois, Le satanisme et la magie, Paris, Léon Chaillet, 1895, p. VII.
  12. Dans Là-bas, Huysmans pousse la critique jusqu’à demander pour quelle raison on pathologiserait le mal sans pour autant pathologiser le bien : « C’est absolument comme les démonomanes, conscients ou inconscients, qui font le mal pour le mal ; ils ne sont pas plus fous que le moine ravi dans sa cellule, que l’homme qui fait le bien pour le bien. Ils sont, loin de toute médecine, aux deux pôles opposés de l’âme, et voilà tout ! » Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 131.
  13. Ibid., p. 280-281.
  14. Enquête mentionnée de façon récurrente dans le chapitre XI de Là-bas.
  15. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit.,  p. 254
  16. Jean-Paul Cardinal, « Sympathy for the Devil : Idéologies du satanisme », Horizons philosophiques, vol. 9, n° 2 (1999), p. 33.
  17. Ibid., p. 35.
  18. Jérôme Solal, Huysmans avant Dieu. Tableaux de l’exposition, morale de l’élimination, Paris, Garnier, 2010, p. 197.
  19. Cité par Maurice Belval, Des ténèbres à la lumière. Étapes de la pensée mystique de J.-K. Huysmans, op. cit., p. 80-81.
  20. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 129. Voir également Joris-Karl Huysmans, En route, op. cit., p. 282.
  21. Jean-Paul Corsetti, « Démons Et Daïmon Dans Là-Bas, De Huysmans : Les Marges Du Savoir », Dalhousie French Studies, vol. 8 (1985), p. 27.
  22. D’un point de vue logique, on considère donc que la certitude de l’existence de Dieu est condition nécessaire et suffisante de l’acceptation du salut qu’il propose.
  23. La définition du satanisme par crispation sur le libre-arbitre peut être validée par l’usage devenu proverbial de la périphrase « ange rebelle » pour désigner Satan, que ce soit dans les ouvrages de théologie ou dans le langage populaire. Par ailleurs, c’est par affirmation du libre-arbitre de l’homme contre les prescriptions divines qu’a lieu le péché originel dans le livre de la Genèse.
  24. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 60.
  25. Ibid., p. 65.
  26. Le lecteur se demandera peut-être si nous ne cédons pas nous-mêmes à la lecture rétrospective que nous dénoncions au départ, en cherchant dans À rebours des signes avant-coureurs de Là-bas. Précisons donc que l’on s’autorise cette démarche parce que les éléments manifestent une homologie de structure, structure qui s’exprime différemment dans chacun des ouvrages. Il ne s’agit en aucun cas de réduire le premier livre au second, mais plutôt de relever des liens de parenté.
  27. Joris-Karl Huysmans, À rebours, op. cit., p. 100-103.
  28. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 167.
  29. Joris-Karl Huysmans, À rebours, op. cit., p. 117.
  30. « Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de l’aurore ? As-tu été jeté à terre, vainqueur des nations ? Toi qui avais dit dans ton cœur : « J’escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône, je siégerai sur la montagne de l’Assemblée, aux confins du septentrion. Je monterai au sommet des nuages, je m’égalerai au Très-haut. « .» Isaïe, 14, 12-14.
  31. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 287.
  32. Le récit de la création du monde nous présente Dieu instaurant les structures naturelles et les entités de la Nature par actes successifs de sa volonté. Genèse, 1, 1.
  33. Joris-Karl Huysmans, Là-bas, op. cit., p. 30.
  34. Ibid., p. 59.
  35. Ibid., p. 192-193.
  36. Ibid., p. 192-193.
  37. Voir Marc Jimenez, Qu’est-ce que l’esthétique ?, Paris, Folio, 1997, p. 40-46.
  38. Emmanuel Godo, Huysmans et l’évangile du réel, Paris, Éditions du Cerf, 2007, p. 177 : « Homme de l’excès, il est à ce titre, comme le fait remarquer Robert Baldick, l’exacte antithèse de l’homme moyen du XIXe siècle. […] Il est comme l’artiste qui sait déjouer l’anonymat des déterminismes et fait mentir la loi de Taine […] ».
  39. Joris-Karl Huysmans, « Certains », Écrits sur l’art, Paris, Flammarion (GF), 2008, p. 251.
  40. Joris-Karl Huysmans, À rebours, op. cit., p. 101.
  41. Ibid., p. 123.
  42. Ibid., p. 237.
  43. « […] à mesure qu’il admirait sa souplesse et sa force, il voyait un artificiel changement de sexe se produire en elle […] », Ibid., p. 138.
  44. Ce détournement lui permet de faire jaillir de nulle part des « voix gutturales et profondes, rauques, puis aiguës, comme surhumaines », Ibid., p. 141.
  45. Cette victime étant très souvent lui-même, à dessein.
  46. Joris-Karl Huysmans, À rebours, op. cit., p. 60.
  47. Ibid., p. 54.
  48. Ibid., p. 158-169.
  49. Soit toutes celles qui suivent Là-bas, en commençant par En route.
  50. Dans À rebours, le tragique consiste dans l’échec nécessaire de la recherche d’intensité, qui se heurte aux limitations de la nature humaine, en particulier à ses limitations physiologiques. Dans Là-bas, cette limitation est théologique, ou métaphysique : la recherche de l’intensité se fait au détriment et au prix de la grâce et de tout espoir de béatitude ultérieure. Là encore, structure semblable, mais expression différente selon l’ouvrage.