La ianara et La chimera : images de sorcière dans le roman italien contemporain

Par Jessy Simonini — Magie, sorcellerie et surnaturel en littérature

Le roman italien du long Novecento est peuplé de sorcières. Ces figures traversent la littérature du XXe siècle jusqu’à l’aube du XXIe et reflètent l’intérêt des auteurs pour la culture populaire et les traditions folkloriques. Celles-ci ont fait l’objet de nombreuses recherches, surtout dans la deuxième partie du XXe siècle. Nous pouvons évoquer, à titre d’exemples, les travaux de l’historien Carlo Ginzburg, père de la « micro-histoire1 », auteur d’essais sur la sorcellerie et sur les superstitions à l’époque moderne2, et de l’anthropologue Ernesto De Martino, auteur de recherches portant sur la culture populaire du Sud de l’Italie, ainsi que sur la magie dans ce contexte géographique. Ces deux auteurs, dont les travaux ont eu un écho remarquable dans le contexte italien, nous montrent l’intérêt des théoriciens pour la description et l’étude de pratiques, rituels et phénomènes profondément enracinés dans les traditions populaires3.

En 1959, Ernesto De Martino a réalisé une vaste étude qui sonde l’univers magique et folklorique du Mezzogiorno italien, Italie du Sud et magie4. Cet ouvrage demeure l’une des références majeures sur le sujet et met en évidence la forte relation entre les croyances magiques et les pratiques religieuses du monde paysan. De Martino parle ici de « catholicisme populaire » et de « catholicisme méridional » et il souligne que la « magie » peut être médiatrice de valeurs chrétiennes :

Altri raccordi fra magia e forma egemonica di vita religiosa sono palesi nel cattolicesimo popolare, nelle preghiere private extraliturgiche, nel culto delle reliquie, nel corso dei pellegrinaggi ai santuari mariani di Viggiano, di Pierno, di Picciano, di Fonni, nelle guarigioni miracolose, e in quant’altro riflette nell’area lucano la particolare accentuazione di « esteriorità », di « paganesimo » o di « magia » del cattolicesimo meridionale : e tuttavia anche qui non si deve dimenticare che questa « magia » è almeno potenzialmente mediatrice di valori cristiani […]5.

Le travail de De Martino est une interprétation structurelle de phénomènes culturels et sociaux qui trouvent un écho dans plusieurs sources narratives et folkloriques des régions méridionales du pays. Il ne sera pas question d’évoquer ici les nombreux textes de l’époque classique à ce sujet, qui peuvent nous aider à tracer les contours d’une géographie magique précise6.

Du Sud au Nord, de l’époque médiévale et moderne jusqu’à l’époque contemporaine, la littérature italienne est donc traversée par des figures de sorcières, dont les racines peuvent être retrouvées dans une culture populaire et folklorique bien plus ancienne, dans une tradition qui ne s’exprime pas à travers les pratiques d’écriture, mais qui a vécu – et survit souvent – dans les formes de transmission de l’oralité. Le Sud d’Italie, dans cette perspective, est un réservoir important de pratiques rituelles et magiques, de superstitions, de figures de sorcières qui ont survécu jusqu’au milieu du XXe siècle et qui hantent encore l’imaginaire contemporain.

Matilde Serao, fondatrice du Mattino7 de Naples à la fin du XIXe siècle, recueille dans ses Légendes napolitaines8, publiées en 1881, plusieurs témoignages de superstitions napolitaines, en mettant en évidence l’un des caractères typiques de cette culture : la tendance à amplifier et à déformer les superstitions et les histoires surnaturelles, ainsi qu’à développer une forme de croyance aveugle en ces traditions. Plusieurs décennies plus tard, Carlo Levi, bien différent de M. Serao, mais qui pourrait également être inséré dans une mouvance meridionaliste similaire, évoque le personnage d’une sorcière dans son roman-essai Cristo si è fermato a Eboli9 : Giulia, une gouvernante, est définie comme une « sorcière » par le narrateur. Cette figure de sorcière, qui pourrait être mise en relation avec la ianara10 décrite par Licia Giaquinto dans son roman éponyme11, se caractérise par son refus du modèle normatif de la femme de l’époque (Giulia a un enfant, mais elle n’est pas mariée) et par sa confiance aveugle envers les rituels et les superstitions en vigueur de l’époque, qu’elle pratique et connaît en profondeur. Giulia est, pour reprendre les mots du même Carlo Levi, una strega contadina, une sorcière paysanne, dépositaire d’un savoir magique atavique, une science qui fait de Giulia un point de repère pour toute la communauté.

Ces descriptions nous introduisent dans un univers littéraire dont les contours géographiques sont bien définis : le sud de l’Italie, un laboratoire de cultures populaires et folkloriques, de traditions magiques qui se croisent aux cultes religieux normatifs. Dans cet article, nous présenterons brièvement deux romans pour analyser des figures de sorcières très différentes. D’abord, nous étudierons le roman La ianara, de Licia Giaquinto, récit qui se situe dans les Apennins de l’Irpinia, région rurale du Sud d’Italie, à une époque qui n’est pas indiquée avec précision, mais qui peut être identifiée comme le moment de la fracture, du passage irrémédiable entre le piccolo mondo antico rural et l’arrivée du progrès, donc au milieu du XXe siècle. Ensuite, nous nous pencherons sur La chimera de Sebastiano Vassalli, paru en 199012. Vassalli utilise dans son projet narratif les outils de l’historien, du « chercheur », pour proposer une fresque détaillée d’une communauté du Piémont rural, entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècles. Il y raconte un procès pour sorcellerie qui a eu lieu dans la région à la même époque. Pour ce faire, l’auteur mélange vérité historique- la micro-histoire de la communauté de Zardino, qui émerge des chartes et des sources – et dispositifs de construction fictionelle. Dans un troisième temps, nous montrerons également l’intérêt de la part de deux auteurs contemporains pour le monde magique et surnaturel, ainsi que pour le dispositif d’identification et de construction de la sorcière dans un groupe social délimité, en observant certains traits communs entre les deux romans.

Adelina

Dans l’imaginaire populaire de la région autour de Benevento et de l’Irpinia, on retrouve une figure de sorcière particulière : la janara ou ianara, qui est au cœur d’un nombre remarquable de récits oraux et de légendes paysannes très répandues. Si l’étymon de ce mot n’est pas clairement établi, la ianara est la protagoniste de récits – surtout oraux – qui mettent souvent en lumière sa nature malveillante et ses caractéristiques éminemment négatives, lesquelles contribuent à l’éloigner et à l’isoler de la communauté. Les récits traditionnels13 ainsi que quelques romans italiens de l’époque contemporaine14 se focalisent sur la nature malveillante de la ianara, une sorcière qui est au service des forces obscures. Cette dimension diabolique s’accompagne dans un certain nombre de descriptions d’une dimension essentiellement positive, ce qui fait d’elle une sorcière ambiguë. Cette dernière, en effet, a aussi le pouvoir de neutraliser les enchantements et peut représenter une force d’intermédiation entre le royaume des vivants et le royaume des morts, dont elle entend les voix souterraines qu’elle peut transmettre à la famille du défunt :

Adelina non sa dove vanno, quelle voci. Se avrà una fine il loro andare. E non sa da dove vengono. Sa solo che appartengono ai morti. A volte vorrebbe rinchiuderle. Impedire al vento di portarle via, tenerle lì con lei15.

Malgré la mise à l’écart de la ianara, son rôle dans la communauté est remarquable, surtout dans les moments de crise, lorsqu’il faut utiliser les « services » de la ianara : le savoir atavique dont elle est la dépositaire, c’est-à-dire ses connaissances profondes en ce qui concerne les herbes et les remèdes naturels. Par ailleurs, une hypothèse à propos de l’étymon de ce mot semble confirmer cette lecture : ianara pourrait provenir d’une évolution du mot Dianara, en référence à la déesse Diane16 et aux cultes issus du paganisme, encore profondément enracinés dans les zones isolées du Sud d’Italie, où le catholicisme s’intègre souvent à des cultes ruraux qui n’ont pas été effacés par la christianisation de ces régions17. Mais ianara pourrait aussi être une évolution du mot latin ianua, qui désigne la porte, le passage. La ianara se positionnerait, en quelque sorte, sur la frontière entre le monde des vivants et le royaume des morts, la ianua qu’elle a le pouvoir de traverser. Cette métaphore est très représentative de la nature de « passeuse » de cette sorcière, évoquée précédemment.

Cette dernière interprétation correspond à celle de l’auteure18 du roman, qui a donc choisi de mettre en évidence la nature d’intermédiaire des sorcières qui sont au cœur de son projet fictionnel : Adelina, qui est le personnage principal, mais aussi sa mère et sa grand-mère, une véritable « lignée » de sorcières qui semble en partie s’éloigner de la représentation négative propre à la « légende noire » déjà évoquée :

Niente di ciò che è stato si perde. Uomini, donne, fiori, animali, piante: ogni cosa conserva la traccia della propria esistenza anche quando non esiste più. Glielo hanno insegnato sua madre e sua nonna in un tempo remoto sprofondato in un pozzo19.

Par ailleurs, comme le remarquent plusieurs recherches d’historiens et d’anthropologues20, la ianara recouvre une autre fonction dans les communautés de cette région : elle est une magicienne qui pratique des rituels et prépare des remèdes et des médicaments, mais elle est aussi une mammana21, qui pratique des avortements et qui représente une figure de référence pour les femmes de la communauté. Les sorcières de Licia Giaquinto sont souvent des mammane, qui sauvent parfois les autres femmes d’une mort certaine. Mais Adelina, de son coté, n’a pas l’intention de suivre le destin de ianara-mammana auquel elle a été « condamnée » :

Lei sapeva cosa stavano facendo sua madre e sua nonna di là, in quella che un tempo era la stalla. Vedeva i ferri da calza sporchi di sangue e messi a bollire nel paiolo sul fuoco. E sapeva a cosa serviva il decotto fatto con prezzemolo e spighe di grano germano ammuffite. Imparerai anche tu, le diceva sua madre. E a lei sembrava una condanna a morte22.

Dans cette perspective, le roman de Licia Giaquinto ne se limite pas à décrire la vie d’une ianara et à donner une existence romanesque à un personnage folklorique. Au contraire, le personnage d’Adelina problématise plutôt l’abandon de la vie de ianara et la recherche d’un destin différent qui puisse en quelque sorte annuler ou effacer l’existence de sorcière à laquelle, comme sa mère et sa grand-mère, elle a été destinée. Adelina décide alors de quitter sa famille et d’aller dans d’autres régions et d’autres villes, pour abandonner définitivement son identité.

Un premier élément à remarquer, sous un point de vue stylistique, est le refus de toute linéarité chronologique et narrative : Giaquinto a privilégié en effet le non-dit, ce qui reste caché, les lacunes d’une histoire dont tous les aspects ne sont pas clairement expliqués. L’auteure décrit alors différentes temporalités : en premier lieu, l’époque où Adelina vit avec sa famille de sorcières ; ensuite, sa fuite et son arrivée dans le palais d’un noble, le comte, dont elle sera pendant longtemps la servante ; en troisième lieu, l’époque où le palais n’est qu’un ensemble de ruines traversées par des présences fantomatiques, dont Adelina elle-même. Dans cette perspective, Adelina se configure comme une force du passé23 et son personnage est, en quelque sorte, l’avatar d’un discours de résistance. En premier lieu, un discours de résistance au progrès qui détruit le paysage, la vie rurale et le monde archaïque d’où elle provient. Adelina et le comte, dans une époque indéfinie, continuent à vivre dans les ruines du palais, alors que le monde autour d’eux change radicalement et ils résistent, dans un isolement presque total.

En deuxième lieu, Giaquinto semble développer un discours de résistance à la domination masculine. La question des rapports de genre, en effet, traverse tout le roman, en se focalisant sur l’oppression des femmes, comme nous pouvons observer dans plusieurs scènes de viol. Mais la mère et la grand-mère d’Adelina peuvent témoigner d’une autre possibilité : une famille matriarcale qui, dans un univers culturel caractérisé par la domination masculine, exprime une forme de résistance à cette domination

Antonia

Le roman historique italien dispose d’une longue tradition « biographique » : nous pourrions citer, par exemple, Maria Bellonci, avec son Rinascimento privato24, consacré au personnage d’Isabelle d’Este, ou encore Fulvio Tomizza, auteur de Il male viene dal Nord25, dont le personnage principal est l’évêque Vergerio. Mais il ne s’agit là que de deux exemples d’une tradition bien plus vaste. Le choix de parcourir le sentier de la « micro-histoire », déjà mis en pratique dans le champ des études historiques par C. Ginzburg, nous montre comment Vassalli refuse ce modèle de roman historique et propose un rapport différent aux matériaux historiques, aux sources, ainsi qu’à la narration dans sa globalité. Sebastiano Vassalli, dont les premiers pas dans le monde de la littérature s’insèrent dans le contexte de la Neoavanguardia du Groupe ‘63, a choisi de parcourir le sentier de la micro-histoire dans plusieurs de ses romans : nous pouvons évoquer Cuore di Pietra, paru en 1996, où il traverse plus d’un siècle d’histoire d’Italie à travers le récit de la vie des habitants d’une grande maison en pierre d’une ville piémontaise. Dans le cas de La chimera, la narration prend forme dans un contexte rural, mais dans un chronotope différent de celui du roman de Licia Giaquinto. La figure de sorcière que Vassalli propose – si nous pouvons la définir en tant que telle – nous permet tout d’abord de réfléchir au genre du roman historique tel qu’il a été pratiqué par l’un de ses plus célèbres représentants et, de surcroît, donne l’occasion d’observer de près le dispositif de « construction » de la sorcière dans un contexte de persécutions institutionnalisées par l’autorité ecclésiastique, en Italie du Nord, à l’époque moderne.

Il faut tout d’abord remarquer que dans La chimera, l’auteur ne situe pas son récit à l’époque contemporaine, mais au contraire propose une intrigue qui se déroule entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, à un moment particulier de l’histoire de l’Église, alors que le combat contre les formes d’hérésie et la sorcellerie se fait, suite au Concile de Trente, bien plus acharné. La question des pratiques rituelles et du rapport à la superstition, en ce sens, n’est pas approfondie comme dans le cas du roman de Giaquinto. Vassalli se concentre plutôt sur la construction de la culpabilité de la sorcière dans le contexte d’une communauté rurale et il décrit les différentes phases de ce dispositif. Pour ce faire, il s’intéresse à l’histoire d’Antonia, jeune orpheline qui a subi un procès pour sorcellerie au début du XVIIe siècle et qui a été condamnée à mort pour cette même raison en 1610.

Le roman de Vassalli, à travers une progression chronologique cohérente, vise à reconstruire les différentes étapes de la vie d’Antonia. En premier lieu, le narrateur raconte son abandon au moment de sa naissance et son enfance dans un contexte religieux. Ensuite, l’intrigue se focalise sur l’adoption d’Antonia par un couple de paysans. À partir de ce moment, la narration se déplace à Zardino, un petit village du Piémont rural, où Antonia vit jusqu’à sa condamnation à mort. Cette reconstruction chronologique s’appuie sur des sources historiques, des chartes, dont notamment les actes du procès de l’Inquisition contre Antonia. Ces documents, sondés par l’auteur et évoqués tout au long du récit, représentent en quelque sorte le point de départ de la narration, la trace d’une histoire comme des milliers d’autres, qui a été, dans ce cas particulier, soustraite à l’oubli et qui a trouvé une forme de vie nouvelle grâce à son existence romanesque.

Sebastiano Vassalli cherche à instaurer un rapport nouveau entres les sources d’archives et son invention romanesque : les sources, en effet, sont intégrées dans la narration comme un outil historique qui permet de lire l’histoire d’Antonia avec une autre voix, celle des chartes de son époque qui ne sont pas simplement des témoignages, mais qui font désormais partie de la narration. En voici un exemple assez représentatif, lorsque Vassalli introduit le personnage de l’archevêque Bascapé, qui a un rôle prééminent dans le procès contre Antonia :

A quarant’anni, anzi: a trentanove, gli era stata annunciata la nomina a cardinale ; perciò, quasi seguendo la trama già scritta della propria ascesa al soglio pontificio e poi anche quella della propria santificazione, s’era ritirato a Monza in un convento dei suoi barnabiti: « Ove diedesi » così scrive un suo biografo « coi Novizi a lavar piatti e scodelle, ed a cose simili; col sentimento credo di San Bonaventura, che se in simili servizi fosse giunto chi gli recasse il Cappello ( cioè : le insegne di cardinale ) potete dirgli, che così l’attaccasse, finché rassettato avesse che aveva per le mani »26.

Cette description de l’archevêque, qui se focalise sur ses traits moraux, nous montre l’intégration réalisée par Vassalli entre les sources d’archives et les témoignages littéraires de l’époque et le dispositif inventif du roman. Ce même procédé est également repris dans d’autres passages, notamment lors de la mise en scène du procès pour sorcellerie contre Antonia. Vassalli décide ici de recopier certains passages des actes judiciaires qui décrivent le procès d’Antonia et choisit de garder le latin, sans proposer de traduction :

‘In civitate Novariae die 12 mensis Aprilis 1610. Processus haeresis contra quendam Antoniam de Giardino. Expeditus die 20 mensis Augustus ejusdem anni. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti amen […]’ L’ultimo atto del processo religioso contro la ‘strega di Zardino’ s’iniziò il 20 agosto alle ore quattro pomeridiane, al primo piano del palazzetto dell’Inquisizione di Novara…27

Dans cette perspective, le roman se fonde sur une synthèse entre la vérité historique – une vérité matérielle, repérable dans les chartes et dans les documents, ainsi que dans les chroniques de l’époque qui émergent dans le récit de Vassalli comme outils de travail et de réflexion – et une fiction qui donne lumière à ce qui n’est pas repérable dans les chartes et dans les documents officiels : les émotions d’Antonia, sa vie à Zardino, les rapports qu’elle entretenait avec les autres habitants du village, qui sont recréés et imaginés28 par l’auteur. Dans cette perspective, les actes du procès29 décrivent les différents moments de la « construction » de la culpabilité de la sorcière et  sont insérés directement dans la narration, comme des témoignages qui se caractérisent par leur altérité et leur distance. Nous pouvons le remarquer lorsque l’auteur incorpore des passages en latin30.

Antonia devient la responsable de tous les malheurs et les rumeurs, et les dénonciations d’autres femmes du village contribuent à tracer les contours d’une sorcière qui, d’après certains témoignages, pratique la magie noire, se donne au diable et participe au sabbat. Dans cette perspective, le récit du procès contre Antonia décrit avec précision la construction de l’ennemie, non seulement d’une « sorcière » au sens strict du terme, mais, plus généralement, d’une figure qui trouble l’ordre et qui exprime son apparente « anormalité ». Mais par quels dispositifs cette « construction » de la sorcière au plan social se manifeste ? En premier lieu, l’auteur met en évidence toutes les rumeurs qui se développent autour du personnage d’Antonia, en décrivant avec une précision remarquable la succession d’événements qui engendre les soupçons chez les autres habitants de Zardino. En apparence, ce soupçon naît suite au refus, d’Antonia d’un prétendant :

Chi si credeva d’essere ? Che voleva ? Le ragazze da marito e le loro madri, zie, nonne e cognate, cioè all’incirca tutte le donne del paese, erano furibonde. Antonia- dicevano- è una stria che cattura i maschi con le sue arti magiche soltanto per farsi beffe di loro, perché non ha nessuna intenzione di sposarseli. È stata vista andare in giro di notte ma non ha il moroso: con chi va31 ?

Dans la petite communauté de Zardino, la jeune Antonia est alors accusée d’être une sorcière qui envoûte les jeunes hommes mais qui, en réalité, serait mariée au Diable. La reconstruction fictionnelle de Vassalli donne de cela une interprétation très claire : Antonia est une sorcière à cause des jalousies qu’elle a suscitées dans sa petite communauté rurale. Sa nature de jeune femme indépendante, sa beauté, ainsi que sa condition d’orpheline adoptée par une famille du village, ont contribué à rendre encore plus forte cette conviction.

Progressivement, tous les gestes d’Antonia commencent à être lus et interprétés sous l’angle de sa nature de sorcière : « Antonia salutava una ragazza e il giorno dopo quella cascava dal fienile; Antonia passava per una certa strada, e vi si trovavano dei pezzettini di legno sparsi in un certo modo, dei segni a terra, a dir poco misteriosi32. »

Ce dispositif fictionnel sert à construire la sorcière dans l’espace de la communauté, jusqu’à l’intervention de l’autorité religieuse et au début du procès contre Antonia, dont toutes les étapes sont reconstruites par l’auteur. La description du procès, où les soupçons des habitants de Zardino et des autorités religieuses du territoire son formalisés et plusieurs témoignages contre Antonia sont rendus, nous montre comment un seul événement (le refus du prétendant) peut engendrer une narration différente, guidé par la « culture du soupçon » typique de cette époque. Mais les témoignages ne sont pas suffisants pour condamner Antonia. Le point de fracture décisif se manifeste dans le chapitre vingt-quatre, consacré à « La torture » : suite à de violentes tortures, Antonia reconnaît être une sorcière et sa condamnation se prépare alors. Elle est devenue une sorcière. Comme le remarque C. Ginzburg, par ailleurs :

Per quanto ovvio, non sarà inutile ricordare che una grandissima parte degli inquisitori credeva nella realtà della stregoneria, come moltissime streghe credevano in ciò che confessavano dinanzi all’Inquisizione. Nel processo si ha in altre parole un incontro, a livelli diversi, tra inquisitori e streghe, in quanto partecipi di una comune visione della realtà33.

Autoroutes

Les deux romans présentent, comme nous avons pu l’observer, deux figures de sorcières très différentes, qui correspondent à deux projets narratifs distincts. Il faut néanmoins mettre en évidence que, malgré ces variations remarquables, plusieurs éléments rapprochent les deux figures de sorcières, Adelina et Antonia, et, par conséquent, les deux récits.

Les deux romans s’ouvrent par une évocation du paysage et de ses transformations ; plus particulièrement, Vassalli et Giaquinto font référence à une « autoroute ». Pour l’auteur de La chimera, l’autoroute en question est celle qui unit Milan et Turin et qui traverse le village de Zardino, disparu peu après le procès fait à Antonia et dont il ne reste plus aucune trace. La description de l’autoroute qui traverse le paysage nous laisse entrevoir la conception de l’histoire de Vassalli, sa réflexion sur le passage du temps et sur la disparition du village de Zardino (il parle du « rien » de l’époque contemporaine), de l’histoire d’Antonia et de tous les protagonistes de son roman. Face à l’apparition d’une autoroute qui déchire le paysage piémontais et ses histoires, son opération de restitution se recouvre d’une signification éthique, qui vise à donner la voix aux oubliés et, en particulier, à une femme subalterne. Écrire un roman qui s’intéresse à Antonia et à Zardino est alors un geste de résistance, pour éviter que la mémoire d’un lieu et que la mémoire d’une communauté humaine ne disparaisse :

L’automobilista che oggi si fermasse in prossimità del viadotto del fiume Sesia, sull’autostrada tra Torino e Milano, affacciandosi verso sinistra e verso sud potrebbe ancora vedere in mezzo ai boschi alzarsi il fumo dei fuochi di Zardino, se Zardino esistesse : ma non c’è. Nella primavera del 1600 Zardino invece esisteva, ed era anzi del tutto inconsapevole di dover scomparire entro pochi anni : un piccolo borgo come tanti altri piccoli borghi della bassa34

Un autre élément qu’il faut évoquer ici est le regard particulier envers le paysage et sa transformation, très présent chez Vassalli, qui déclare clairement quelle est sa démarche :

Guardando questo paesaggio, e questo nulla, ho capito che nel presente non c’è niente che meriti d’essere raccontato. Il presente è rumore : milioni, miliardi di voci che gridano, tutte insieme in tutte le lingue cercando di sopraffarsi l’una con l’altra, la parola « io ». Io, io, io…35

De son côté, pour l’auteure de La ianara, la référence à l’autoroute et en particulier aux travaux pour la réalisation de l’autoroute qui unit Naples à Bari dans les années 1960, symbolise l’arrivée du progrès, la transformation irrémédiable du paysage rural et la disparition de la culture populaire et folklorique. Cette lecture, très similaire à celle de Pasolini mais aussi cohérente avec les prises de position de certains intellectuels contemporains du Sud d’Italie36, s’ouvre à une réflexion plus vaste sur la fin du monde archaïque symbolisé par les ruines du palais où Adelina continue à vivre, et sur l’arrivée d’un nouveau monde, celui du tourisme de masse, de la globalisation, du capital, le monde de l’autoroute entre Naples et Bari. Adelina, force du passé par excellence, pourra alors difficilement survivre : et les histoires des ianare disparaitront avec elle.

Les deux auteurs partagent l’exigence de construire des récits qui font survivre une mémoire en voie de disparition – des lieux, des hommes ou de traditions populaires. Pour ce faire, ils dressent les contours de figures de sorcières qui parlent aux lecteurs contemporains et qui s’inscrivent dans un paysage – géographique et culturel – actuel.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que les deux romans, malgré leurs profondes différences, visent aussi à décrire la construction de la sorcière au plan social. L’intérêt des deux auteurs se dirige, en effet, vers la question du rapport entre la sorcière, qui incarne une différence, une altérité, et la norme exprimée par la communauté ou par l’autorité. Pour La ianara de Giaquinto, cette « construction » se révèle être une mise en question de l’identité même de la sorcière, dans un roman qui s’ouvre à de plus vastes réflexions sur le pouvoir et sur les formes d’oppression et de domination masculine. Dans le cas du roman de Vassalli, en revanche, cette « construction » passe par les pratiques de l’historien et par un projet romanesque dont il faut souligner la forte visée éthique.

Ces deux figures de sorcières ne sont pas les avatars d’un stérile retour aux racines qui exprimerait la nostalgie pour un indéfini et artificiel univers bucolique et archaïque. Au contraire, ces figures nous permettent d’ouvrir une réflexion sur les pratiques de construction de l’ennemi et sur le rapport à l’altérité, ainsi que sur l’exigence de sauver les histoires et les traditions populaires. Au final, ces formes de vie romanesques, malgré leur distance temporelle et spatiale, peuvent encore interroger le lecteur contemporain.

Bibliographie

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  • GINZBURG, Carlo, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980.
  • GINZBURG, Carlo, Miti, emblemi e spie. Morfologia e storia, Einaudi, 1986.
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  • SCIASCIA, Leonardo, La strega e il capitano, Adelphi, 1986.
  • VASSALLI, Sebastiano, La chimera, Einaudi, 1990.

Notes de bas de page

  1. Voir notamment Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980.
  2. Carlo Ginzburg, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, 1992.
  3. Michel Foucault s’est également intéressé aux relations entre la sorcellerie et la folie, en proposant des interprétations particulièrement novatrices.
  4. Ernesto de Martino, Sud e magia, Milano, Feltrinelli, 1982.
  5. Ibid., p. 108. Nous traduisons: « D’autres relations entre magie et forme hégémonique de vie religieuse sont très évidentes dans le catholicisme populaire, dans les prières privées hors-liturgie, dans le culte des reliques, au cours de pèlerinages dans les sanctuaires consacrés au culte de la Vierge de Viggiano, de Pierno, de Picciano, de Fonni, dans les guérisons miraculeuses, en tout ce qui reflète dans cette région le sens particulier d’ « extériorité », de « paganisme » ou de « magie » du catholicisme méridional : et néanmoins il ne faut pas oublier que cette « magie » est potentiellement médiatrice de valeurs chrétiennes ».
  6. [1] Notamment dans l’identification de la Sybille dans l’Énéide de Virgile (livre VI). Cette Sybille est placée dans un contexte géographique précisé, à Cuma, dans un antre situé près du lac d’Alverno, région de Naples. Le personnage de la Sybille est repérable aussi dans les Métamorphoses d’Ovide. Autour de la Sybille et de son antre, une tradition de récits, souvent oraux, s’est développée surtout dans le Sud d’Italie. Dans l’espace littéraire latin, il est utile d’évoquer des textes comme la Pharsalia de Lucan qui mettent en scène la pratique du sabba et introduisent des proto-figures de sorcières. Ces textes, qui témoignent de la pénétration de certaines pratiques magiques et rituelles dans l’imaginaire et, par conséquent, dans la littérature de l’époque classique, se manifestent aussi dans la littérature postérieure, notamment dans la tradition narrative médiévale en langue vulgaire – dans les novelle, où les pratiques magiques et la superstition sont souvent l’objet d’une critique ou d’une mise en question – et aussi, pour passer à d’autres traditions textuelles, dans plusieurs sources épico-chevaleresques du Cinquecento italien, notamment chez l’Arioste et le Tasse, qui insèrent dans leurs univers fictionnels respectifs plusieurs éléments qui renvoient à une dimension magique et qui semblent construire, en perspective, de véritables proto-figures de sorcière.
  7. Il mattino est un quotidien diffusé dans la région de Naples. Il a été fondé en 1892 par Matilde Serao et Edoardo Scarfoglio.
  8. Matilde Serao, Leggende napoletane, Ischia, Imagaenaria, 2004.
  9. Carlo Levi, Cristo si è fermato a Eboli, Torino, Einaudi, 1975 [1945].
  10. Ianara, mot que nous allons utiliser dans le reste de l’article, renvoie à un particulier type de sorcière, associée aux régions du sud d’Italie. Traduire ce mot par « sorcière » serait, à notre sens, incorrect.
  11. Licia Giaquinto, La ianara, Milano, Adelphi, 2010.
  12. À propos de ce roman, regarder : La chimera : storia e fortuna del romanzo di Sebastiano Vassalli, éd. Roberto Cicala et Giovanni Tesio; textes de Gian Luigi Beccaria, Carlo Bo, Maria Corti, Novara, Interlinea, 2003. Le roman a été traduit en français, Sebastiano Vassalli, La chimère, Paris, P.O.L., 1993, traduction Martine Van Geertruyden.
  13. Nous pouvons citer par exemple la Storia del Noce di Benevento, qui demeure une référence importante dans la culture populaire du Sannio. Cet arbre était, dans la tradition populaire de ce territoire, un lieu où avait lieu le sabbat des sorcières.
  14. Notamment Pasquale Scotto di Carlo, Janara, Roma, Di Renzo, 1997. Un film a été réalisé récemment, par Roberto Bontà Polito, Janara (2015).
  15. Licia Giaquinto, La ianara, Milano, Adelphi, 2010, p. 21. Nous traduisons : « Adelina ne sait pas où vont ces voix. Si leur parcours aura une fin. Elle ne sait pas d’où elles viennent. Elle sait seulement que ces voix appartiennent aux défunts ».
  16. Le mot de ianara pourrait renvoyer, en effet, aux prêtresses du culte de Diane.
  17. Ernesto de Martino, op.cit., p. 105 et suivantes.
  18. Comme elle l’a déclaré à plusieurs reprises lors de rencontres publiques et de présentations de son roman, notamment à Medicina (province de Bologne), Bibliothèque municipale, en novembre 2015 et juin 2018.
  19. Nous traduisons: « Rien de ce qui a été ne se perd. Hommes, femmes, fleurs, animaux, plantes : toute chose conserve la trace de sa propre existence même quand elle cesse d’exister. Sa mère et sa grand-mère lui ont appris cela, dans un temps lointain, effondré dans un puit » , L. Giaquinto, op. cit., p. 23.
  20. Par exemple, l’essai de Gaetana Mazza, Streghe, guaritori, istigatori: casi di inquisizione diocesana in età moderna, Roma, Carocci, 2009, p. 114.
  21. La mammana est une figure typique de la culture rurale méridionale, une sorte de sage-femme populaire qui peut aussi pratiquer des avortements. Regarder notamment le roman de Antonella Ossorio, La mammana, Turin, Einaudi, 2014.
  22. Licia Giaquinto, op. cit., p. 59. Nous traduisons : « Elle savait ce que sa mère et sa grand-mère faisaient dans l’autre salle, dans l’ancienne écurie. Elle voyait les aiguilles à tricoter ensanglantées qui bouillaient dans le chaudron. Elle savait à quoi servait la décoction de persil et d’épis de blé pourris. Tu vas apprendre, lui disait sa mère. Et elle avait l’impression d’avoir été condamnée à mort. »
  23. À propos du concept de « force du passé », voir le poème de Pasolini « Je suis une force du passé » dans Pier Paolo Pasolini, Poésie en forme de rose, Paris, Rivages, 2015.
  24. Maria Bellonci, Rinascimento privato, Milano, Mondadori, 1998.
  25. Fulvio Tomizza, Il male viene dal Nord: il romanzo del vescovo Vegerio, Milano, Mondadori, 1984.
  26. S. Vassalli, op. cit., Nous traduisons : « À l’age de quarante ans, ou mieux: à trente-neuf, on lui annonça qu’il avait été nommé cardinal ; et donc, comme s’il devait suivre l’histoire déjà écrite de son élection à la papauté et, ensuite, à sa sanctification, il s’était rendu à Monza, dans un couvent des barnabites: « Ove diedesi » écrit l’un de ses biographes… »
  27. Nous traduisons : « In civitate Novariae…le dernier acte du procès religieux contre la ‘sorcière de Zardino’ commença le 20 août à quatre heures de l’après-midi, au premier étage du palais de l’Inquisition de Novara ».
  28. Cette synthèse produit un roman dont nous pouvons très bien saisir la composante novatrice et qui pourrait être mis en relation, avec les précautions nécessaires, avec Dora Bruder de Patrick Modiano. Dans son roman, Modiano travaille, en effet, sur la figure de l’écrivain, sur son rapport à l’histoire de Dora, victime de la Shoah, une « oubliée » dont la trace miroite faiblement, presque insaisissable, sur un journal de l’époque, qui constitue le point de départ du récit de Modiano. La recherche de Dora est ainsi exposée, décrite avec précision, dans un roman qui vise à recomposer l’histoire des derniers jours d’une petite fille dont la trace n’est pas repérable dans les chartes ou dans « l’histoire officielle ».
  29. Les actes d’un procès pour sorcellerie se retrouvent également dans le roman de Leonardo Sciascia, La strega e il capitano, Milan, Adelphi, 1986. Le roman reconstruit un cas de sorcellerie, celui de la condamnation de Caterina Medici, à Milan, en 1617, seulement 7 ans après la condamnation d’Antonia à Novara.
  30. La chimera est aujourd’hui un instrument de travail surtout pour les élèves du lycée en Italie, qui permet de développer et d’étendre le discours sur le roman historique et sur l’usage des sources historiques dans les fictions romanesques. En général, La chimera propose une intégration des sources d’archives à la fiction romanesque, pour donner corps à des traces mémorielles perdues dans les chartes. Dans le cas de Giaquinto, La ianara donne de son côté une existence romanesque concrète à une tradition folklorique qui demeure vivante dans l’oralité : la culture populaire prend ainsi forme et corps dans une existence fictionnelle écrite qui la préserve de l’oubli.
  31. Nous traduisons: « Elle se prenait pour qui ? Que voulait-elle ?  Les filles qui voulaient se marier, leurs mères, tantes, grand-mères et belle-soeurs, c’est-à-dire presque toutes le femmes du village, était furibondes. Antonia – disaient-elles – est une sorcière qui capture les hommes par ses arts magiques seulement pour se moquer d’eux, car elle n’a aucune intention de se marier. Quelqu’un l’a vue sortir pendant la nuit, mais elle n’a pas de fiancé : avec qui sort-elle ? »
  32. Nous traduisons: « Antonia saluait une fille et le jour suivant elle tombait de la grange ; Antonia passait par une rue et on pouvait y trouver des petites pièces de bois éparpillées d’une façon étrange, des signes par terre, très mystérieux. »
  33. Nous traduisons : « C’est utile de rappeler, bien que cela soit évident, qu’une partie très vaste des inquisiteurs croyaient en la réalité de la sorcellerie, comme beaucoup de sorcières croyaient en ce qu’elles confessaient face à l’Inquisition. Dans le procès, nous avons alors une rencontre, à différents niveaux, entre inquisiteurs et sorcières, comme participants d’une vision commune des choses » dans Carlo Ginzburg, « Stregoneria e pietà popolare. Note a proposito di un processo modenese del 1519 », dans Miti, emblemi e spie. Morfologia e storia, Torino, Einaudi, 1986, p. 14-15.
  34. Nous traduisons : « L’automobiliste qui s’arrêtait maintenant près du viaduc du fleuve Sesia, sur l’autoroute entre Turin et Milan, pourrait voir à gauche et vers le sud, au milieu des bois, se lever la fumée des feux de Zardino, si seulement Zardino existait : mais il n’existe plus. Dans le printemps de 1600, Zardino existait, et il était complètement ignare de devoir disparaitre peu d’années après : un petit village comme tant d’autres petits villages de la bassa… »
  35. Sebastiano Vassalli, op. cit., p. 5-6, éd. italienne. Nous traduisons : « Je regarde ce paysage, ce néant, et j’ai compris que dans le présent rien ne mérite d’être raconté. Le présent est bruit : des millions, des milliards de voix qui crient le mot « moi », toutes ensembles dans toutes les langues, car elles veulent gagner. Moi, moi, moi… »
  36. Nous pouvons citer Franco Arminio, entre autres.