Quand l’être devient mystère de l’oubli dans les récits de Beckett

Par Saber Raddaoui — Mémoire, mémoires et réminiscence

« […] Si tout pouvait n’être qu’ombre. Ni être, ni avoir été ni pouvoir être. Du calme. La suite. Attention. » Samuel Beckett, Mal vu mal dit, Minuit, 1981, p. 158.

Bien que raconter présuppose l’activité de la mémoire et l’intervention du langage, les récits de Samuel Beckett gomment toute possibilité d’événement et s’inscrivent dans un mouvement de ruine perpétuelle de la phrase et du sens qui en émane. Ils nous renvoient à l’énigme de la mémoire telle que Paul Ricœur la conçoit, celle de rendre présent l’absent[1].

     Ainsi, réfléchir à la problématique de la mémoire et de l’oubli dans la fiction de Beckett permet de mettre à l’épreuve notre hypothèse selon laquelle le travail de l’écriture est cette exigence de l’oubli qui ruine les schémas narratifs et présuppose un mouvement de néantisation de toute présence y compris celle même de l’être dans le monde.

    L’objet de cette contribution est d’explorer les effets de l’oubli comme dynamique poétique et scripturale dans quelques récits de Beckett, et les différentes modalités de sa structuration. Il s’agit essentiellement de la trilogie romanesque où les différents protagonistes cheminent vers leur propre néant. La première partie de Molloy (Minuit, 1951) relate l’histoire d’un unijambiste, ne possédant que sa bicyclette et ses béquilles, errant à la recherche de sa mère. La deuxième partie du récit évoque la poursuite de Molloy par le détective Youdi qui, progressivement, perd son identité et s’identifie à Molloy. Le deuxième volet de la trilogie (Malone meurt, Minuit, 1951) dévoile l’état de Malone, immobile dans son lit, dans l’attente de sa mort prochaine. Il ne dispose que de son cahier et son crayon afin d’écrire sa vie. Le récit de Malone peut se lire comme l’espace d’une oscillation vertigineuse entre différents personnages censés renvoyer au même sujet : le narrateur-personnage. Cette oscillation crée donc une confusion narrative et le récit semble affranchi de la loi du romanesque. L’Innommable (Minuit, 1953), qui clôt la trilogie, est la voix d’un être voué au silence et à son devenir intraduisible. Réduit à un corps figé, étant dans l’impuissance d’effectuer un mouvement quelconque, il est obligé de parler afin de meubler le discours et inventer des histoires de ses voix intérieures.

Dans Comment c’est (Minuit, 1961), il s’agit d’un narrateur, errant dans la boue, qui raconte les trois moments de sa vie (avant Pim, avec Pim et après Pim). L’écriture de ce texte est en bribes et la ponctuation est totalement absente. Le texte ressemble à une longue phrase qui traduit les bruissements d’une voix intarissable.

Sous forme de paragraphes morcelés, Nouvelles et textes pour rien (Minuit, 1958) illustre l’errance perpétuelle des êtres beckettiens. Les quatre parties qui composent l’œuvre (L’Expulsé – Le Calmant – La Fin – Textes pour rien) laissent apparaître chacune une réflexion sur la condition humaine vouée au non-sens et les personnages qui y existent renvoient à l’inconnu et l’incertain. Les mots sont hantés par une discordance qui participe à une ambiguïté impénétrable.

Comme trouble de la mémoire et incapacité de l’être à restituer les parties hétéroclites et disparates de son existence, l’oubli nous conduit à réfléchir sur le devenir humain voué à l’effacement et au non-sens. Ainsi, l’être n’est-il pas finalement l’être pour l’oubli ? Un oubli qui se veut le fruit d’une mémoire défaillante et la mise en branle d’une présence à soi toujours fugitive et indécidable.

Dans la première partie de notre étude, nous nous intéresserons à l’écriture de la « déterritorialisation[2] » comme composante essentielle des récits beckettiens. Dans la seconde partie, nous montrerons que le non-être s’identifie à un être de l’amnésie. Celle-ci devient ainsi génératrice d’une syntaxe de la discontinuité. Le dernier volet de notre travail sera une réflexion sur l’être beckettien en tant que mystère de l’oubli. Oubli non seulement inhérent au devenir de l’être voué au déracinement mais aussi en tant que stratégie d’écriture cherchant toujours à transgresser tout système de pensée et tout modèle d’écriture.

Mémoire et origine, une écriture de la déterritorialisation

Le regard rétrospectif porté sur l’origine déborde les textes beckettiens. Ce leitmotiv approfondit la difficulté d’être, voire l’obsession de sa douleur existentielle. Les mots relatifs à l’opacité de la mémoire reviennent fréquemment dans les œuvres de Beckett. Au début de Molloy, premier volet de sa trilogie (Molloy, Malone meurt, L’Innommable), l’évocation des deux passants A et B est mise en doute, deux pages après, par l’effet d’un trouble mémoriel : « A et B je ne me rappelle plus » (Molloy, p. 14). De la chambre de sa mère (Molloy) jusqu’à la jarre où il s’abîme (L’Innommable), le personnage beckettien trace le cheminement douloureux de son existence. La mémoire est travaillée dès lors par les frémissements d’une voix lointaine qui symbolise la conscience d’une difficulté d’être et d’une solitude à laquelle l’écrivain s’identifie : « Oui, dans ma vie, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, il y eut trois choses, l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire, et la solitude, physique bien sûr, et avec ça je me suis débrouillé. » (L’Innommable, p. 183).

Il va de soi que Beckett a été obsédé, dès son enfance, par la question de son existence. Il éprouve un nihilisme religieux : « Je n’ai aucun sentiment religieux[3] ». Son désaccord avec sa mère protestante et le questionnement existentiel qui jalonne son œuvre ouvrent ainsi un espace de réflexion portant sur l’être et sa réalité fuyante. L’auteur ne semble-t-il pas regretter d’avoir quitté le ventre de sa mère et d’éprouver une certaine nostalgie de l’état d’avant la naissance, l’état de fœtus ? Dans cette perspective, Éric Benoit note :

l’absence de Dieu, qui hante l’homme dans son besoin de justification ontologique, ne serait que la sublimation transcendantale du vide qui habite l’homme au plus profond de lui-même, et dont l’archétype est l’absence de la mère, but jamais atteint de bien des personnages de Beckett dans leur souhait de revenir à la vie intra-utérine du fœtus dans la « matrice maternelle », à commencer par Molloy à la recherche de sa mère. La séparation d’avec la mère à la naissance, dans le traumatisme que Beckett formule comme « le péché d’être né », creuse un inépuisable vide au cœur de l’inconscient : inépuisable, dans la mesure où l’absence de celle qui a d’abord été le tout dès la vie intra-utérine ne peut être vécue que comme le rien absolu.[4]

C’est ainsi que la récurrence de la lettre M dans les noms accordés aux personnages beckettiens acquiert un statut symbolique et un caractère ambivalent[5] : « Elle est féminine et masculine à la fois, ou androgyne, et symbolise l’Eau dans son origine, le Grand Abîme. C’est une lettre mystique dans toutes les langues orientales et occidentales et elle sert de glyphe pour représenter les vagues[6] ». Ainsi, nous lisons dans L’Innommable : « J’ai tendu l’oreille vers ce qui devait être ma voix de toujours, si faible, si lointaine, que c’était comme la mer, comme la terre, une calme mer, lointaine, mouvante non, pas de ça, pas de grève » (L’Innommable, p. 44). L’homophonie entre mer et mère relève d’un rapport complexe entre l’écrivain et sa mère. La mise en crise du rapport qui lie l’être beckettien avec la mère, en ce qu’elle symbolise habituellement la vie, l’origine et l’amour, passe par la prolifération obsessionnelle des registres connotant la mort et la décomposition. Ce faisant, l’image de la mère symbole de la vie se convertit en une figure de l’agonie et de la mort. Pour Molloy, sa mère est « celle qui [lui] avait donné la nuit » (Molloy, p. 45). Inversement, la mort, espace de l’insaisissable et de l’inconnu, se transforme dans les textes de Beckett en un espace de la vie car « c’est seulement depuis que je ne vis plus que je pense, à ces choses-là et aux autres. C’est dans la tranquillité de la décomposition que je me rappelle cette longue émotion confuse que fut ma vie, et que je la juge. » (Molloy, p. 36).

De cette inquiétude permanente liée à la naissance et à la mort inévitable, le narrateur de Malone meurt exprime l’inquiétude de l’origine, l’inconvénient d’être né à la manière de Cioran, d’avoir une mère et de vouloir rompre ce lien ombilical ou, pour reprendre les mots du narrateur, « avoir consenti à vivre dans sa mère, puis à la quitter. » (Malone meurt, p. 109).

Ce rejet de l’appartenance devient une obsession dans L’Innommable. À plusieurs reprises, le narrateur exprime le déni d’un langage qui n’est pas le sien : « M’avoir collé un langage dont ils s’imaginent que je ne pourrai jamais me servir sans m’avouer de leur tribu, la belle astuce. Je vais le leur arranger, leur charabia » (L’Innommable, p. 63).

Cette difficulté d’ordre existentiel est accentuée par l’oscillation entre deux langues, le français et l’anglais. Le bilinguisme est à considérer comme une démarche fructueuse permettant le passage d’une langue maternelle vers une langue étrangère où l’écrivain pourrait s’affranchir des codes sociaux et éthiques imposés par sa langue mère :

Cela devient de plus en plus difficile pour moi, pour ne pas dire absurde, d’écrire en bon anglais. Et de plus ma propre langue m’apparaît comme un voile qu’il faut déchirer en deux pour parvenir aux choses (ou au néant) qui se cachent derrière. La grammaire et le style. Ils sont devenus, me semble-t-il, aussi incongrus que le costume de bain victorien ou le calme imperturbable d’un vrai gentleman. Un masque. Espérons que viendra le temps (et, Dieu merci, dans certains milieux il est déjà venu) où l’on usera de la langue avec le plus d’efficacité là où à présent on en mésuse avec le plus d’efficacité […]. Y a-t-il quelque chose de sacré, de paralysant, dans cette chose contre nature qu’est le mot, quelque chose qui ne se trouverait pas dans les autres arts ? Y a-t-il une raison pour laquelle cette matérialité tellement arbitraire de la surface du mot ne pourrait pas être dissoute, comme par exemple la surface du son mangée par de grands silences noirs dans la 7e symphonie de Beethoven, qui font que pendant des pages on ne peut rien percevoir d’autre qu’une allée de sons suspendus à des hauteurs vertigineuses reliant d’insondables abîmes de silence[7].

L’écriture de L’Innommable permet donc au sujet beckettien de s’abstenir de toute tentative d’ancrage ‎dans la langue dite maternelle. Elle traduit le recul de l’idée d’appartenance à une ‎langue d’origine : « Cette langue de catéchiste, mielleuse, fielleuse, c’est la seule qu’ils sachent ‎parler. »‎ (L’Innommable, p. 116).

Un sentiment d’aliénation et de déracinement fait de Beckett un écrivain en exil. Choisissant de quitter l’Irlande et d’écrire dans une langue étrangère, le français, il préfère fuir le conformisme littéraire de son pays natal pour retrouver une certaine liberté artistique. Il confie à Ludovic Janvier : « À la Libération, je pus conserver mon appartement, j’y revins, et me remis à écrire — en français — avec le désir de m’appauvrir encore davantage[8]. » 

En renonçant à la langue mère, Beckett opte pour une subversion du langage et de ses techniques conventionnelles « parce qu’en français c’est plus facile d’écrire sans style[9] ». Il varie les procédés de gommage des événements, des personnages et du cadre spatio-temporel.

     Si les déviations linguistiques de Beckett sont une façon de mettre à distance le sujet qui émane du texte et de se libérer de la dictature de la langue d’origine, il serait nécessaire d’évoquer les traces inhérentes à la présence de l’anglais comme langue mère inscrite dans la mémoire de l’être beckettien. Ainsi, l’inconscient de l’écriture travaille de façon inattendue le texte (flash-back, souvenirs…). Des noms propres et des expressions sont évoqués, si bien que Beckett n’arrive pas à fuir totalement sa langue maternelle. Quelques allusions à des lieux où Beckett est né et a vécu résonnent dans son écriture, non pas pour glorifier son pays natal ou les souvenirs de son passé, mais pour communiquer au lecteur ses désarrois et ses inquiétudes quand il s’agit de raconter son histoire. Nous pouvons citer à titre d’exemples la vallée de Schangnagh, la plage de Killiney et la grotte de Decco figurant dans Molloy. Nous remarquons également l’évocation de Leopardstown, Kiltiernan, Stepaside, dans Comment c’est et de Piccadilly, Glasshouse Street dans Textes pour rien.

Mais ces références sont confuses, et l’évocation des lieux inscrits dans la mémoire du narrateur véhicule un sentiment de « désappartenance » et de retrait. Elle émane d’une exigence de déterritorialisation. Ainsi, le narrateur de L’Expulsé, en prenant une distance par rapport à son lieu de naissance, se satisfait de sa solitude :

Je connaissais mal la ville, lieu de ma naissance et de mes premiers pas, dans la vie, et puis de tous les autres qui ont si mal brouillé ma piste. Je sortais si peu ! De temps en temps j’allais à la fenêtre, j’écartais les rideaux et je regardais dehors. Mais vite je regagnais le fond de la pièce, là où il y avait le lit (L’Expulsé, p. 17).

La conscience d’une distance qui sépare l’auteur de la langue de l’autre conduit à évacuer des mots tout ancrage dans le territoire de la signification pour qu’il ne reste que la forme rétrécie. Une voix se cherche dans ses strates obscurcies : « Oui, voilà. Je suis un vieux fœtus à présent, chenu et impotent, ma mère n’en peut plus, je l’ai pourrie, elle est morte, elle va accoucher par voie de gangrène, papa aussi peut-être est de la fête, je déboucherai vagissant en plein ossuaire, d’ailleurs je ne vagirai point, pas la peine. » (Malone meurt, p. 83).

Tous ces éléments fonctionnent comme les traces d’une mémoire perforée, travaillée par une prise de distance à l’égard de la langue d’origine et des clichés de la tradition. Ainsi « le sans style » permet à l’auteur la transgression des normes qui régissent le langage et devient, pour Bruno Clément, le trope qui définit l’œuvre beckettienne : « La multiplication des états du texte […] loin de donner la sensation d’une quelconque ubiquité, crée plutôt les conditions d’un ‘‘nulle part’’, et finit ainsi par rejoindre, de façon inattendue, cette neutralité, cette absence de style, qu’elle faisait le projet d’atteindre[10]. » 

L’allusion à l’origine est chargée de représentations mémorielles à travers lesquelles l’auteur nous fournit des clés de lecture pour comprendre que la réalité est créée à partir de la présence, si confuse soit-elle, de l’être dans les méandres de sa mémoire traumatique. Les leitmotive liés à la crise de l’origine religieuse ou idéologique entraînent une réflexion sur l’opacité de la question de l’être et ses rapports avec l’oubli. Oublier est générateur d’une puissance de dépassement consubstantielle à l’écriture.

Ainsi, le langage se désarticule et perd ses liaisons. Le narrateur, atteint par une amnésie qui crée le brouillage, accueille les digressions et s’inscrit dans une réflexion fébrile sur le sens qui se noie dans l’indétermination.

Non-être, être amnésique

L’amnésie est liée à la nomination de l’être, qui pose problème. Tout en essayant de se nommer, le sujet de L’Innommable se heurte à l’oubli qui, par l’effet destructeur d’un temps insaisissable, brouille l’acte mnémonique et participe à la dégradation mémorielle. Le temps de la mémoire est conçu dans la non-présence, dans l’instant de l’effacement puisqu’il faut « essayer dans un autre présent, même si ce n’est pas encore le mien, sans pauses, sans yeux, sans raison. » (L’Innommable, p. 33).

Dans ce troisième volet de la trilogie, L’Innommable, l’écriture est indécise parfois en raison des digressions qui marquent l’univers douteux de Mahood, Worm et des autres voix spectrales. L’Innommable, à titre d’exemple, s’astreint à mettre en crise la consistance prétendue de l’être, déjoue le modèle du personnage en chair et en os et laisse la voix à la précarité et l’évanescence.  Ces mêmes digressions donnent au texte un aspect hypothétique à cause des trous mémoriels qui affectent le sujet énonciatif : « L’oubli, je dis que je ne vois rien, ou je dis que c’est dans ma tête, comme si je me sentais une tête, tout ça c’est des hypothèses, c’est des mensonges, ces lueurs aussi, elles devaient me sauver, elles devaient me dévorer. » (L’Innommable, p. 104)

Et c’est peut-être ce rejet de l’appartenance, dont nous traitions précédemment, qui confère au texte un aspect hésitant. Ceci s’explique par le va-et-vient d’une écriture tiraillée entre la volonté de dire les mots et l’impuissance de continuer l’histoire :

Ce sera le silence, un petit moment, un bon moment, ou ce sera le mien, celui qui dure, qui n’a pas duré, qui dure toujours, ce sera moi, il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. (L’Innommable, p. 113.)

À travers cet infini enchaînement d’histoires et de digressions, le sujet énonciateur, en dépit de son désarroi, continue à faire des tentatives afin de se trouver et de pouvoir raconter sa propre histoire : « Il faut vite essayer avec les mots qui restent, essayer quoi, je ne sais jamais, ça ne fait rien, je ne l’ai jamais su, essayer qu’ils me portent dans mon histoire, les mots qui restent, ma vieille histoire que j’ai oubliée, loin d’ici, à travers le bruit, à travers la porte, dans le silence » (L’Innommable, p. 11).

Les digressions et les parenthèses sont souvent étendues. Ce tâtonnement est le signe d’une amnésie qui affecte l’ensemble des personnages de la trilogie :

Incapable de me rappeler le nom de ma ville je pris la résolution de m’arrêter, au bord d’un trottoir, d’attendre un passant aux allures avenantes et instruites, d’ôter mon chapeau et de lui dire, avec le sourire, Pardon, monsieur, excusez-moi, monsieur, quel est le nom de cette ville, s’il vous plait ? Car une fois le mot lâché je saurais si c’était bien le mot que je cherchais, dans ma mémoire, ou un autre. (Molloy, p. 41).

Le sujet du roman renonce, face à cette amnésie essentielle, reconnaissant en elle la dégradation, qui est l’essence de son être. Ainsi, les structures répétitives renforcent la valeur sémantique de l’oubli en y construisant l’effet d’une puissance positive : « C’est dans la répétition, c’est par la répétition que l’Oubli devient une puissance positive, et l’inconscient, un inconscient supérieur positif [11] », écrit Gilles Deleuze.

L’auteur a voulu faire de l’écriture le lieu de la mise à nu du langage, là où se manifeste le personnage romanesque dans sa nudité extrême. C’est pourquoi l’écriture est enracinée dans un passé rhizomique[12] non linéaire. Le sens n’y est pas assujetti à « la successivité, à l’ordre du temps logique ou temporel » pour reprendre Jacques Derrida[13], d’où la fragmentation comme trace et l’effet néfaste de l’oubli et, par conséquent, l’émiettement du texte en plusieurs sous-structures. Aussi, l’ensemble du texte n’est-il réalisable qu’en bribes. Cette structure désagrégée remet en question l’ordre logique de la trame narrative et sème le doute sur le sens du roman. Les personnages de Beckett sont souvent victimes d’une amnésie qui les empêche de former un discours cohérent et lisible, d’où les répétitions vertigineuses des mêmes structures creuses.

Loin d’être un langage clair, les textes de Beckett incarnent l’appauvrissement de ce qui forme habituellement les signes de consistance de l’œuvre littéraire. Les notions de personnage en chair et en os, l’espace et le temps se réduisent à l’essentiel, se minimalisent pour dire la précarité de l’être humain toujours mis à l’écart. Dans ce sens, Beckett dit dans une interview :

Je travaille avec l’impuissance, avec l’ignorance. Je ne crois pas que l’impuissance ait été exploitée par le passé. Il semble qu’il y ait une sorte d’axiome esthétique qui veut que l’expression soit la réalisation, doive être une réalisation. Ma petite exploration est cette zone entière de l’être toujours mise à l’écart par les artistes comme quelque chose d’incompatible, par définition, avec l’art.[14] 

La prise de conscience de la distance qui sépare l’auteur de ses mots est bien cette entreprise d’actualisation permanente qui lui permet de créer une langue fluctuante, évoquant ce « travail de déblaiement pour ouvrir les voies à l’expérience intérieure[15]», selon les mots de Bergson.

La recherche de l’exactitude fait advenir un sentiment d’impuissance face au langage et à sa vérité fuyante, car dès que le sujet énonciateur essaie de trouver le mot juste qui correspond à l’objet désigné, il se montre incapable de dire sa situation précise :

C’est que c’est une question de mots, de voix, il ne faut pas l’oublier, il faut essayer de ne pas l’oublier complètement, il s’agit d’une chose à dire, par eux, par moi, ce n’est pas clair, c’est à se demander si toute cette salade de la vie et de la mort ne leur est pas parfaitement étrangère, autant qu’à moi. Le fait est qu’ils ne savent plus où ils en sont, où j’en suis, moi je ne l’ai jamais su, moi j’en suis là où j’en ai toujours été, je ne sais pas où c’est, et l’en, j’ignore ce qu’il désigne, un processus quelconque, où je serais coincé, ou que je n’aurais pas encore abordé. (L’Innommable, p. 163).

Ainsi, le sujet énonciateur n’arrive pas à définir son identité en tant qu’être nommable. Pour cette raison, il ne cesse d’énumérer les hypothèses afin de retrouver son moi perdu :

Je dirais ce que je suis, pour ne pas être né inutilement […] je ne suis, est-ce besoin de le dire ni Murphy, ni Watt, ni Mercier, non je ne veux pas les nommer, ni aucun des autres dont j’oublie jusqu’aux noms, qui n’ont pas dit que j’étais eux, que j’ai dû essayer d’être, par force, par frayeur, pour ne pas me reconnaître, aucun rapport.  (L’Innommable, p. 64).

J’ai à parler d’une certaine façon, avec chaleur peut-être tout est possible, d’abord de celui que je ne suis pas, comme si j’étais lui, ensuite comme, si j’étais lui, de celui que je suis.  (L’Innommable, p. 80).

La tentative de restituer les parties morcelées de sa mémoire se solde par un échec car le narrateur se trouve coincé entre les fragments dispersés de son passé et la discontinuité du présent. En cherchant à atteindre une certaine cohérence perdue de son histoire, il ne lui reste que le bavardage inutile, d’où la « déliaison » syntaxique, le brouillage narratif et l’angoisse ontologique traduite par le recours à des questions creuses et des réticences interminables :

Pas établi, quant à moi, si c’est moi qui cherche, ce qu’au juste je cherche, trouve, perds, retrouve, jette, cherche à nouveau, trouve à nouveau, jette à nouveau, non je n’ai jamais rien jeté, jamais rien jeté de tout ce que j’ai trouvé, jamais rien trouvé que je n’aie perdu, jamais rien perdu que je n’eusse pu jeter, si c’est moi qui cherche, trouve, perds, retrouve, reperds, cherche encore, trouve encore, trouve encore, perds encore, ne cherche plus, si c’est moi ce que c’est, et si ce n’est pas moi, qui c’est, et ce que c’est » (L’Innommable, p. 170-171).

L’évanescence du sens et la perturbation de la logique syntaxique ont pour conséquence la prolifération d’un discours aphasique, multipliant tantôt les signes de ponctuation comme la virgule, tantôt supprimant catégoriquement tous les signes de ponctuation comme dans Comment c’est où l’écriture se découpe en paragraphes sans aucun repère sauf le blanc de la page. La discordance est ce qui définit le texte et le transforme en un grand poème en prose.

Dans cette confusion caractéristique du langage beckettien, l’être ou ce qui reste de lui, se rétrécit progressivement pour devenir une « voix qui parvient à quelqu’un dans le noir[16] ». La voix d’une conscience trouble et d’un être informe, un devenir mystère de l’oubli.

L’être comme mystère de l’oubli

Comment exprimer l’être qui échappe toujours à la raison, déconstruit la langue, se dessaisit de la mémoire pour atteindre l’élan vers l’oubli et la disparition consubstantielle à son devenir ?

Ce questionnement obsédant n’est pas sans rappeler les mots du narrateur des Textes pour rien :

Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais être, que dirais-je, si j’avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que quelqu’un réponde simplement. C’est le même inconnu que toujours, le seul pour qui j’existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nôtre, voilà une simple réponse. (Textes pour rien, p. 139)

L’oubli comme dynamique textuelle se lie intrinsèquement à l’exigence de se libérer des entraves éthiques et esthétiques que forme la tradition littéraire. C’est ainsi qu’il relève d’une nouvelle conception de l’être au monde. Un être dont le devenir est mystère inébranlable, conscience avide d’un secret indéchiffrable. Cette impossibilité de saisir le chemin menant à l’être beckettien est pour Maurice Blanchot le signe de l’émergence d’un « être sans nom, l’innommable, un être sans être qui ne peut ni vivre ni mourir, ni cesser ni commencer, le lieu vide où parle le désœuvrement d’une parole vide et que recouvre tant bien que mal un Je poreux et agonisant[17] ».

Une puissance souterraine marque le devenir de l’être beckettien et son élan vers le vaporeux et l’irreprésentable. Cette puissance trouve son écho dans le caractère tâtonnant et indécidable des figures de Molloy, Malone, Worm et les autres voix énigmatiques de l’œuvre.

     Contre l’identité préétablie et l’idée de l’appartenance à une communauté spirituelle, sociale ou historique, l’être se veut l’illustration de la pensée de la déterritorialisation. L’écriture y est une pratique du deuil où nous assistons à l’épuisement de la langue, l’effacement de l’origine, la faillite du centre, l’impossible figuration de soi : « D’ailleurs peu importe que je sois né ou non, que j’aie vécu ou non, que je sois mort ou seulement mourant, je ferai comme j’ai toujours fait, dans l’ignorance de ce que je fais, de qui je suis, d’où je suis, de si je suis. » (Malone meurt, p. 85)

Dans le sillage de l’informe et du fuyant, oublier devient l’urgence d’une volonté nietzschéenne d’être au-delà de la subjectivité, une subjectivité en mouvement qui s’ouvre sur l’extase de la disparition et la jouissance de la séparation : « J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en moi un être assassiné. Assassiné avant ma naissance. Il me fallait retrouver cet être assassiné. Tenter de lui redonner vie[18] ».

En cela, l’oubli comme démarche scripturale et processus de création de l’œuvre relève de ce que Maurice Blanchot appelle « la vigilance même de la mémoire » : 

L’essence de la mémoire est ainsi l’oubli, cet oubli où il faut boire pour mourir. Cela ne signifie pas seulement que tout commence, tout finit dans l’oubli, au sens pauvre que nous donnons à cette formule ; car l’oubli, ici, n’est pas rien. L’oubli est la vigilance même de la mémoire, la puissance gardienne grâce à laquelle se préserve le caché des choses et grâce à laquelle les hommes mortels, comme les dieux immortels, préservés de ce qu’ils sont, reposent dans le caché d’eux-mêmes.[19]

Ce faisant, l’être comme signe de l’oubli est la voix du personnage de Malone meurt voué à sa propre mort et à l’indicible mot de la fin. L’écriture serait donc l’espace où mémoire et oubli, être et langage, voix et corps s’entremêlent pour dire l’inquiétude permanente de l’homme voué à sa propre décomposition : « Je ne suis, est-ce besoin de le dire, ni Murphy, ni Watt, ni Mercier, non je ne veux pas les nommer, ni aucun des autres dont j’oublie jusqu’aux noms qui m’ont dit que j’étais eux. » (L’Innommable, p. 64). L’accumulation des noms dans cet extrait déjoue la pertinence de l’onomastique et des structures langagières qui l’expriment. Comme s’il s’agissait d’un être obsédé par la quête d’une identité à soi et dont l’aboutissement est inachevé, toujours à venir. Le rapport entre le nom et son référent dépasse celui du signifiant et du signifié pour embrasser la réalité fuyante de l’être beckettien. Le langage est impuissant à dire la vérité qu’elle soit. L’écriture beckettienne travaille à « forer des trous » dans le langage en problématisant son usage stéréotypé.

Il va de soi que l’auteur, voulant saisir les soubassements de l’être brisé qui lui échappe, se lance dans une activité perceptive du monde, des objets et des figures brouillés qui l’entourent, essayant de restituer les esquisses de son être anonyme. Il vise une certaine totalité inaccessible à cause de l’effet destructeur du temps et de l’oubli permanent qui affecte sa mémoire. À propos de cette incomplétude perceptive, Denis Bertrand écrit : « [l]a saisie des objets est essentiellement imparfaite[20]», dans la mesure où l’acte perceptif crée un rapport problématique entre l’inconscient mémoriel, voulant tout saisir et tout nommer, et la durée, forme purement incernable. Ce désir de reconstruire les fragments disparates de l’être est appelé par Greimas « la visée obsédante de la totalité[21] ». Cela explique la forme d’une écriture qui procède d’une incomplétude tant formelle que significative, une forme entrecroisée et imparfaite d’une « composition d’esquisses », aboutissant à la création d’un espace mémoriel discontinu, segmenté, dont l’oubli rend difficile toute tentative de restituer les bribes du temps.

Les débris mémoriels hantent l’écriture de Beckett et chargent le texte d’une dimension proustienne où la recherche bute sur la mort et l’oubli. Dans ce sens, Evelyne Grosman écrit :

Lisant Proust, Beckett a découvert sans le savoir […] les premiers éléments de cette esthétique de la mort qui générera son œuvre à venir. Il y a décelé ce qui deviendra l’essence même de sa propre écriture : transfigurer pour l’éternité la puissance ravageante et la mort, en faisant du déchet, du débris, de la miette de mémoire, une œuvre d’art.[22]

C’est pourquoi la plupart des personnages beckettiens sont des êtres dégradés physiquement et étrangers mentalement. Dépourvus d’une appartenance à la collectivité, ils partagent la perte de l’identité, le manque de mémoire et l’angoisse existentielle. Ils se vouent perpétuellement à ce Rien inquiétant devenu un motif récurrent caractérisant l’art beckettien. Ils sont dans L’Innommable « ni mort[s] ni vivant[s], sans histoire ni avenir » (L’Innommable, p. 171).

L’être de L’Innommable, enfermé dans une jarre, lieu privilégié de son exil, est amené à inventer des histoires « pour ne pas être né inutilement » (L’Innommable, p. 65). Il est ainsi enfoncé jusqu’au cou dans la boue dans Comment c’est. Étant enclin à cette absence de proximité entre l’être et le monde, à l’inquiétante étrangeté[23] de soi-même devenu autre, il se découvre toujours autre que ce qu’il est :

C’est de moi maintenant que je dois parler, fût-ce avec leur langage, ce sera un commencement, un pas vers le silence, vers la fin de la folie, celle d’avoir à parler et de ne le pouvoir sauf de choses qui ne me regardent pas, qui ne comptent pas, auxquelles je ne crois pas, dont ils m’ont gavé pour m’empêcher de dire qui je suis, où je suis, de faire ce que j’ai à faire de la seule manière qui puisse y mettre fin, de faire ce que j’ai à faire. (L’Innommable, p. 63)

Cette métamorphose, qui s’opère déjà dans la duplication disjonctive du « je » qui écrit et du « je » qui parle, jette le trouble sur toute possibilité de dire « je » et conduit à l’usage du « il ». « La non-personne » triomphe et marque la proximité absente de l’être. À mi-chemin entre le réel et l’irréel, l’être beckettien erre, fuit au-delà de la langue, à la recherche d’un éclaircissement qui pourrait lever ses doutes. Il n’arrive pas à s’approprier une parole qui dit le minimum de son être inaccessible. La dénivellation entre la présence physique du sujet beckettien et sa présence mentale correspond à la faille qui le sépare de l’autre. Il se sent étranger parce qu’étranger à soi, c’est-à-dire hors le sentiment de soi-même. Ainsi, la dépossession le conduit à un état de dépersonnalisation permanente et donne à l’écriture un aspect hallucinatoire :

On parle de soi, quelqu’un parle de soi, c’est ça, au singulier, un seul, le préposé, lui, moi, peu importe, le préposé parle de soi, ce n’est pas ça, d’autrui, non plus, il n’en sait rien, comment le saurait-il, s’il en a parlé ou non, en parlant de soi, c’est moi, en parlant de moi, comment savoir, je ne peux savoir, si j’ai parlé de lui, je dois parler de lui, je ne peux parler que de moi, non plus, je ne peux parler de rien, et pourtant je parle, c’est peut-être de lui, je ne le saurai jamais […] je ne sais pas de qui il s’agit, c’est tout ce que je sais. (L’Innommable, p. 196).

De fait, cette figure indicible de l’être se contente de son état de « dépeupleur » et désire traverser la mort comme la possibilité de faire taire les mots et d’accéder au silence. Et c’est à partir du moment où la solitude s’installe et où le sujet s’efface que l’écriture naît : « La parole cesse, écrit Julia Kristeva, lorsque meurt son sujet, et c’est l’instance de l’écriture qui produit le meurtre[24] ».

Conclusion

Confus et indécidable, le personnage beckettien est voué à sa propre déperdition. Se détachant de l’origine, il se veut l’être de la déterritorialisation. L’écriture beckettienne répond ainsi aux bruissements d’un soi disjoint et d’une parole fuyante dont l’écoute est flottante. Impuissant à restituer les parties disparates de son existence, à retrouver la continuité et la clarté de sa mémoire, l’être beckettien fait de l’oubli l’espace d’une réinvention de la parole littéraire et de l’écriture une nouvelle modalité poétique à l’image d’une promenade au bout du mystère : « Il faut remonter, pour commencer, jusqu’à ses origines et, aux fins de continuer, le suivre, patiemment, par les différents stades, en ayant soin d’en montrer la fatale concaténation, qui en ont fait ce que je suis » (L’Innommable, p. 133).

Saber Raddaoui
Université de Paris 8 et de Tunis El Manar

Biobibliographie

Saber Raddaoui est Docteur ès Lettres en langue et littérature françaises. Il a soutenu à l’Université de Paris 8 en 2019 une thèse de doctorat dans le cadre d’une cotutelle entre l’Université de Paris 8 et l’Université de Tunis Manar, intitulée « Le précis et l’indécis dans les textes de Samuel Beckett, Maurice Blanchot et Robert Pinget ». Il est également enseignant au secondaire depuis l’année 2015.

Bibliographie

Corpus primaire

Beckett, Samuel. Comment c’est, Paris, Minuit, 1961

L’Innommable, Paris, Minuit, 1953.

Malone meurt, Paris, Minuit, 1951.

Molloy, Paris, Minuit, 1951.

Nouvelles et Textes pour rien, Paris, Minuit, 1958.

Études consacrées à Samuel Beckett 

Clément, Bruno. « Serviteur de deux maîtres. », dans Littérature [en ligne], n° 111, 1001, Les langues de l’écrivain, p. 3-13. https://doi.org/10.3406/litt.1001.1040

          —.   L’Œuvre sans qualités, Rhétorique de Samuel Beckett, Paris, Seuil, 1994.

Grossman, Evelyne. L’Esthétique de Beckett, Paris, SEDES, 1988.

Janvier, Ludovic. Samuel Beckett par lui-même, Paris, Seuil (Écrivains de toujours), 1969.

Juliet, Charles. Rencontres avec Samuel Beckett, Paris, Éditions P. O. L., 1999.

Simon, Alfred. Beckett, Paris, P. Belfond, 1983.

Tagliaferri, Aldo. Beckett et la surdétermination littéraire, Payot (Traces), 1967.

Ouvrages théoriques et philosophiques

Barthes, Roland, Le Degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1971.

Bergson, Henri, Introduction à La Pensée et le mouvant, Paris, Presses Universitaires de France (Quadrige), [1938] 1013.              

Bertrand, Denis, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000.

Deleuze, Gilles et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Capitalisme et Schizophrénie-I-, Paris, Minuit, 1971.

Deleuze, Gilles, Différence et répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1989.

Derrida, Jacques, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967.

     —.      De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967.                                        

     —.       La Dissémination, Paris, Seuil, 1971.

Greimas, Algirdas-Julien, De l’imperfection, Périgueux, P. Fanlac, 1987.

Kristeva, Julia, Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969.

Ricœur, Paul, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil (L’ordre philosophique), 2000.

Notes

[1]Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2001, p. 9.

[2]Il s’agit d’un concept crée par Gilles Deleuze et Félix Guattari qui signifie un mouvement de libération et de décontextualisation d’un objet, d’un animal, d’un signe de son usage conventionnel et son territoire familier afin de se reterritorialiser de nouveau : « Dès son acte de naissance, [l’hominien] déterritorialise sa patte antérieure, il l’arrache à la terre pour en faire une main, et la reterritorialise sur des branches et des outils. Un bâton à son tour est une branche déterritorialisée. Il faut voir comme chacun, à tout âge, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes épreuves, se cherche un territoire, supporte ou mène des déterritorialisations, et se reterritorialise presque sur n’importe quoi, souvenir, fétiche ou rêve […]. » Gilles Deleuze et Félix Guattari. Qu’est-ce que la philosophie ?,  Paris, Minuit, 1991, p. 66.

[3]Cité par Ludovic Janvier. Beckett par lui-même, Paris, Seuil, 1969, p. 7.

[4]Éric Benoit, « Beckett et les hantises d’une transcendance impossible », dans Littératures, n° 78 (2018) [en ligne]. https://doi.org/10.4000/litteratures.1889 (site consulté le 6 janvier 2022).

[5]À titre d’exemple, le nom de Molloy se réfère à une famille irlandaise, lieu de naissance de l’auteur. 

[6]H. Petrovna Blavatsky, La dottrina segreta. L’evoluzione del simbolismo universale, Milano, Fratelli Bocca Editori, 1947, p. 219. Cité par Aldo Tagliarferri, Beckett et la surdétermination littéraire, Paris, Payot, 1977, p. 61.

[7]Lettre de Beckett à son ami Axel Kaun envoyée en 1937. Citée par Bruno Clément, « Serviteur de deux maîtres », dans Littérature, n° 121 (2001), Les langues de l’écrivain, p. 3-13 [en ligne]. https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_2001_num_121_1_1040. (site consulté le 10 novembre 2021).

[8]Ludovic Janvier, « Écrivains de toujours », dans Samuel Beckett par lui-même, Paris, Seuil, 1969, p. 27.

[9]C’est la réponse de Beckett à un étudiant qui, écrivant une thèse sur son œuvre, lui demandait pourquoi il se servait du français. Cité par Martin Esslin, Le Théâtre de l’absurde, Paris, Buchet-Chastel, 1963, réédition 1971.

[10]Bruno Clément, L’Œuvre sans qualités : rhétorique de Samuel Beckett, Paris, Seuil, 1994, p. 244-245.

[11]Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 15.

[12]Expression forgée par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Elle désigne un modèle descriptif et épistémologique qui ne suit aucune ligne hiérarchique. Par le processus de décentrement qu’elle désigne, cette notion inspire les sciences modernes, la sémiotique et la philosophie. L’Anti-Œdipe, capitalisme et schizophrénie, I, Paris, Minuit, 1972 (Cérès éditions, 1995 pour la présente édition).

[13]Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 136.

[14] Israel Shenker. « Moody Man of Letters », New York Times (6 mai 1956). Cité par Aldo Tagliaferri, op. cit., p. 175.

[15]Henri Bergson, Introduction à La pensée et le mouvant, IIe partie, Paris, Presses Universitaires de France (Quadrige), [1938] 2013, p. 47.

[16]Samuel Beckett, Compagnie, Paris, Minuit, 1980, p. 7.

[17]Maurice Blanchot, « Où maintenant ? Qui maintenant ? », dans Le Livre à venir, Paris, Gallimard (Folio essai), 1999, p. 200.

[18]Charles Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett, Paris, Édition P. O. L., 1999.

[19]Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 460.

[20]Denis Bertrand, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000, p. 79.

[21]A. J. Greimas, De l’imperfection, Périgueux, P. Fanlac, 1987.

[22]Evelyne Grossman, L’Esthétique de Beckett, Paris, SEDES, 1998, p. 23.

[23]Le concept d’ « inquiétante étrangeté » désigne ce qui dans le familier et le rassurant relève de l’inquiétude. Il est devenu le mécanisme de la création dans l’art et la littérature contemporaine. Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, traduit de l’allemand par Fernand Cambon, Paris, Folio, 1988.

[24]Julia Kristeva, Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 77.

Mémoire, mémoires et réminiscence

Revue Chameaux — n° 13 — hiver 2023

Dossier

  1. Présentation du numéro

  2. Comment Giorgio Vasari façonne-t-il le mythe et la mémoire des artistes de la Renaissance italienne au moyen d’outils rhétoriques picturaux et textuels ?

  3. L’histoire revisitée des tirailleurs sénégalais. La mémoire franco-africaine de la Grande Guerre dans le roman français contemporain : le cas de L’Indigène de Jean-Denis Clabaut

  4. Le monument de l’écriture dans l’œuvre d’Alain Nadaud

  5. Quand les mémoires s’opposent : l’influence de la langue sur les réceptions de Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières

  6. Mythisation littéraire du génocide rwandais et construction d’un imaginaire de résilience

  7. Quand l’être devient mystère de l’oubli dans les récits de Beckett

Hors-dossier

  1. Sur la soi-disant neutralité de la technique

  2. Colloque Femmes de lettres 2021 – Virginia Woolf : pour un engagement féministe indirect

  3. Colloque Femmes de lettres 2021 – « Et cela me regarde » : l’engagement de l’écriture de Marguerite Duras dans « Sublime, forcément sublime Christine V. »

  4. Colloque Femmes de lettres 2021 – Les légitimités de l’engagement chez Annie Ernaux, des entretiens à Monsieur le Président

  5. Colloque Femmes de lettres 2021 – « Hypersext » : Hypertexte, cyborgs, et poésie postpornographique

  6. Colloque Femmes de lettres 2021 – « The Most Irresponsible And Dangerous Movie Of The Year» : étude de la réception du film Detroit et du cinéma politique de Kathryn Bigelow