Les possibilités expressives du déplacement de textes et d’images chez Jorge Luis Borges, Comte de Lautréamont et Roy Lichtenstein

Par Élise Boisvert Dufresne — Amalgames. Les auteurs écrivent au bâton de colle

Eh quoi, n’est-on pas parvenu à greffer sur le dos d’un rat vivant la queue détachée du corps d’un autre rat ?
— Comte de Lautréamont,
Les Chants de Maldoror

… un de ces textes parasitaires qui situent le Christ sur un boulevard, Hamlet sur la Canebière ou Don Quichotte à Wall Street. Comme tout homme de bon goût, Ménard avait horreur de ces mascarades inutiles, tout juste bonnes – disait-il – à procurer le plaisir plébéien de l’anachronisme ou (ce qui est pire) de nous ébaudir avec l’idée primaire que toutes les époques sont semblables ou différentes.
— Jorge Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte »

Ce qui m’intéresse, c’est la différence entre un signe qui est art et un autre qui ne l’est pas.
— Roy Lichtenstein

Dans le foisonnement et la variété extrêmes de la littérature et de l’art modernes, dégager une vérité, une règle généralement valable devient une tâche très délicate, qui se double nécessairement d’une prise de position, d’un choix de la part de l’amateur d’art. Celui-ci, si érudit et objectif qu’il se veuille, ne peut adopter à l’égard d’un objet (a fortiori un objet aussi glissant et complexe que l’art) que des perspectives toujours personnelles, toujours incomplètes. Bien consciente de cette limite (nécessaire), l’équipe de Chameaux a choisi d’étudier le collage, qui lui semblait rejoindre énormément de faits littéraires et artistiques de notre époque, et représenter dans la modernité une certaine tendance qui, certainement, est porteuse de signification sur l’art de notre temps.

De mon côté, ce qui m’a intéressée tout particulièrement à propos de cette pratique, c’est qu’elle me paraît l’expression d’un bouleversement de la fonction de l’art dans la société, en tant que témoin d’un changement du rôle accordé à l’artiste. Il me semble que les techniques du montage, du déplacement, de la reproduction prennent de plus en plus de place dans la modernité, à mesure que croît la fonction autocritique de l’art, et cette impression suscite plusieurs interrogations. Jusqu’où peuvent s’étendre cette critique et cette introspection ? N’y a-t-il pas, dans la pratique généralisée de ces méthodes, un danger d’étouffement et de dévaluation de l’art dans la société actuelle ? Afin d’étayer ma réflexion à ce sujet, je me pencherai sur quelques pratiques de déplacements et de reprises en littérature et en art visuel. Les déplacements d’une époque à une autre, entre les genres, dans l’espace (plus particulièrement ce que j’appellerai « l’apport muséologique ») me serviront entre autres d’objets d’étude. Je m’attarderai plus longuement à trois « cas » me paraissant significatifs : une nouvelle de Borges, l’œuvre de Lautréamont et celle de Roy Lichtenstein.

Le « plaisir plébéien de l’anachronisme »

L’approche textocentriste des œuvres, développée notamment par les travaux formalistes et structuralistes en critique littéraire, est aujourd’hui complétée entre autres par les études de réception, qui à l’inverse de l’approche de leurs prédécesseurs situent le lieu fondamental du « sens » d’un texte sur le plan de sa lecture. Le cas du déplacement de texte dans le temps, d’un contexte socio-littéraire à un autre, nous donne un bon exemple des possibilités de métamorphoses sémantiques opérées par l’acte de lecture, dans la mesure où celui-ci se situe également dans un contexte bien particulier.

Je me suis attardée à l’exemple offert par Jorge Luis Borges avec sa nouvelle « Pierre Ménard, auteur du Quichotte1 », dans Fictions. Dans cette nouvelle, le narrateur, critique idolâtre de l’auteur fictif Pierre Ménard, défend et louange un des textes méconnus de l’auteur, son œuvre « souterraine, interminablement héroïque, sans pareille2 » : les chapitres ix et xxxviii de la première partie du Don Quichotte de Miguel de Cervantès. Sous l’effet d’une singulière impulsion, Ménard tente (et il y parvient, en partie) d’écrire à nouveau le Quichotte. Non pas de le recopier, ni de le modifier, mais de l’écrire à nouveau, au xxe siècle, en tant que Pierre Ménard, auteur français. Cette œuvre énigmatique et fantasmatique, si on en suppose la réalisation concrète, offre bien des pistes de réflexion à notre étude du déplacement textuel. Il nous semble en effet que, comme l’indique le narrateur, malgré le fait que les textes de Cervantès et de Ménard soient « verbalement identiques », le second possède une richesse et une complexité qui échappent au premier.

D’abord, en ce qui a trait à la construction d’un monde imaginaire : écrire à propos de notre propre pays, dans la langue de notre temps et de notre région, est sans doute moins difficile et moins original que d’écrire en empruntant les contextes historique (xviie siècle), géographique (la Manche) et la langue (l’espagnol de l’époque) d’un étranger. Le lecteur du Don Quichotte de Cervantès décèle moins d’efforts de reconstruction historique et géographique chez l’auteur espagnol qu’il en trouve dans le Quichotte de Ménard. Au xxe siècle, pour un Français, le geste d’écrire le Quichotte possède une tout autre résonance que pour un Espagnol du xviie siècle. En effet, « ce n’est pas en vain que se sont écoulées trois cents années pleines de faits très complexes. Parmi lesquels, pour n’en nommer qu’un : le Quichotte lui-même3. » Avec pertinence, le narrateur indique la variation d’ambition littéraire des deux écrivains, dans la mesure où ils écrivent en rapport avec des traditions littéraires complètement différentes. Comme l’écrit très justement Tzvetan Todorov,

[l’œuvre] apparaît dans un univers littéraire peuplé par les œuvres déjà existantes et c’est là qu’elle s’intègre. Chaque œuvre d’art entre dans des rapports complexes avec les œuvres du passé qui forment, suivant les époques, différentes hiérarchies. Le sens de Madame Bovary est de s’opposer à la littérature romantique4.

Le fait que Ménard écrive comme un contemporain et natif de l’Espagne du xviie siècle inclut dans le texte un discours sur la littérature qui ne pouvait y être inscrit par Cervantès. « Dans son ouvrage, il n’y a ni « gitaneries », ni conquistadors, ni mystiques, ni Philippe ii, ni auto da fe. Il néglige ou proscrit la couleur locale. Ce dédain indique un sentiment nouveau du roman historique. Ce dédain condamne Salammbô sans appel5. » (Continuons de chatouiller Flaubert dans sa tombe…) Sur le plan de l’étude éthique des personnages, le changement d’auteur et de contexte historique modifie également la donne du lecteur. Certains lecteurs fictifs remarquent chez le chevalier errant de Ménard l’influence de Nietzsche, interprétation à la fois valable et évidemment anachronique par rapport au texte de Cervantès. La métamorphose du texte va jusqu’à affecter la lecture la plus purement formelle. En effet, si le style de Cervantès se présente comme fluide et naturel, celui de Ménard (absolument le même, rappelons-nous) « pèche par quelque affectation6 » en raison de son usage de vieilles tournures et d’archaïsmes.

En outre, le narrateur attire notre attention sur le nouvel art de la lecture qui est proposé en filigrane dans l’œuvre de Ménard, « la technique de l’anachronisme délibéré et des attributions erronées7 ». Cette technique de lecture révolutionnaire permet de recréer des interprétations à l’infini et même, jusqu’à un certain point, des œuvres complètement nouvelles, à l’infini, à partir d’un même matériau de base. Cette manière d’envisager la lecture comme acte essentiellement créatif, finement révélée par la nouvelle de Borges, nous renseigne sur ses possibilités quasi illimitées de renouvellement du texte, « nous invite à parcourir l’Odyssée comme si elle était postérieure à l’Énéide8 » et nous invite à prendre conscience qu’« attribuer l’Imitation de Jésus-Christ à Louis-Ferdinand Céline ou à James Joyce9 » permet d’opérer une métamorphose totale et créatrice de sens sur le texte d’origine.

Borges met le doigt sur un des éléments fondamentaux de la création artistique à l’époque moderne, où les immenses et pesants « déjà-fait » et « déjà-dit » permettent de plus en plus difficilement aux créateurs l’emploi des techniques traditionnelles de création de sens et d’expression artistique. L’œuvre, si elle peut encore pertinemment répondre à cette appellation, se situe souvent à un autre niveau, qui tente de surmonter par l’emprunt (!) de voies nouvelles et souvent métatextuelles la relative vanité de l’expression d’une voix de plus dans la cacophonie de notre époque. Apportant à la fois des éclaircissements et des questionnements à son lecteur, le texte de Borges met l’accent sur ce changement de matériau artistique qui s’opère à la modernité. Les artistes semblent ne plus créer qu’à partir, le plus souvent, de la littérature ou de l’art eux-mêmes. La nouvelle de Borges nous semble permettre d’appuyer la thèse voulant que ce ne soit que « par le jeu des structurations, refontes et aménagements successifs que s’opère l’évolution des textes10 » et de la littérature moderne et postmoderne.

L’apparente saturation du monde artistique et discursif de notre temps nous semble être l’un des éléments clés quant à l’explication de l’utilisation croissante en art des techniques du déplacement, de l’emprunt, du collage. L’étude d’autres types de techniques de ce genre chez l’un des dénommés fondateurs de la modernité littéraire en France, le Comte de Lautréamont, nous permettra de continuer notre réflexion à ce propos.

La greffe

Dans Les chants de Maldoror11 (1869), Lautréamont adopte, sciemment ou non (qu’importe ?…) des méthodes de composition littéraire totalement révolutionnaires (oui, oui, tant que ça). Prenons, pour commencer, son utilisation des titres, autre forme de déplacement significatif que l’on pourrait nommer en l’occurrence « déplacement générique ». Les chants de Maldoror font référence, par leur titre et leur structure, aux poèmes épiques anciens. Encore qu’on puisse établir des liens concrets entre l’écriture hyperbolique et solennelle des Chants et la poésie épique traditionnelle, que l’on doive concéder qu’il s’agisse en effet de raconter les hauts faits d’un héros mythifié, la manière de Lautréamont, marquée par l’humour, le bizarre, les ruptures de ton, l’ironie et l’exagération, est pour le moins différente de l’idée commune de ce que se doit d’être un poème épique. Aussi, bien qu’une grande part d’exaltation lyrique et de violence soit présente dans l’œuvre de Lautréamont tout comme dans celles de ses prédécesseurs dans le genre du poème épique, il semble que l’usage de ce titre générique revêt une fonction plus complexe que la simple désignation. Il serait plutôt chargé à la fois de la fonction d’effet de surprise (les Chants lautréamontiens ne paraissant que plus singuliers encore par leur comparaison à la tradition épique) et de la fonction de parodie (en critiquant cette même tradition par des procédés d’amplification qu’il lui emprunte). Dans le choix des titres tout comme dans le texte en général, il est cependant très difficile, chez Lautréamont, de tracer la ligne qui sépare le réel emportement lyrique, romantique ou épique, de son amplification parodique. Le solennel tourne bien souvent au grotesque au fil de l’écriture, mais à quel moment exact ? Et le solennel est-il pour cela complètement évacué ? L’ambiguïté qui marque l’œuvre de Lautréamont ne permet pas aisément de dégager de celle-ci une interprétation stable, et semble donc offrir cette œuvre au public en élément dissonant, provocateur, voire agressif, ce qui nous semble caractéristique de l’art contemporain.

De même pour les Poésies de l’auteur. Non rimées, non mesurées, elles se présentent, dans le cas de Poésies I, sous la forme de paragraphes polémiques et critiques, sans continuité apparente, où un je exprime ses vues sur la littérature d’une manière moqueuse, emportée ou catégorique. Dans le cas de Poésies II, des retournements (comme on dit retourner un gant ou alors retourner un crocodile) de maximes, de proverbes et de citations pigés ici ou là dans l’histoire française et européenne, dans le fond de morale bourgeoise et religieuse de l’époque. Ou encore des commentaires, des critiques, des moqueries et des affirmations sur la littérature de son époque ou du passé12. Les Poésies se donnent à lire comme une sorte d’exercice de style permettant de faire contrepoids à l’esprit des Chants. Lautréamont affirme d’ailleurs la nature de son projet dans une lettre : « Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l’espoir, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l’orgueil par la modestie. » (CM-351)13

Comme c’était le cas pour Les chants de Maldoror, le déplacement générique opéré par le titre des Poésies est porteur d’une signification parodique et d’un effet de surprise. Le « pacte de lecture » proposé aux lecteurs par Lautréamont est un pacte piégé : le lecteur qui s’aventure dans l’œuvre n’y trouve pas ce que les conventions relatives à l’emploi du titre et des genres lui avaient en quelque sorte promis. Par cette forme de jeu sur les normes, l’auteur renvoie le lecteur à ses automatismes devant la littérature pour l’avertir, d’une certaine manière, de sa volonté de rupture d’avec ceux-ci. L’auteur effectue en quelque sorte le pari que le lectorat moderne recherche davantage l’étonnement intellectuel que le confort de ses habitudes culturelles.

De ce point de vue, le comte de Lautréamont se présente pour nous comme précurseur d’un changement du rôle de l’artiste depuis le début du xxe siècle, la création du type « artiste d’avant-garde » qui se doit d’être provocateur, choquant, subversif. Par exemple, au sein des Poésies, l’utilisation très marquée de listes brisant la conventionnelle hiérarchie des genres, des œuvres et des artistes met sous les yeux du lecteur la confusion intellectuelle de l’homme moderne, devant jongler en esprit, de manière continuelle, avec une foule de noms, d’œuvres, d’informations et de discours disparates14. Cette forme de collage, mettant l’accent sur l’angoissante hétérogénéité du monde culturel moderne, est investie d’un pouvoir d’expression mimétique (en ce qu’elle est un procédé d’illustration du chaos des idées et des discours) et subversif (en ce qu’elle transgresse les règles admises de création d’ensembles homogènes en vue d’une classification hiérarchisée).

Observons maintenant, toujours chez Lautréamont, les effets d’un autre type de déplacement, que nous nommerons (sans grande originalité, certes) le plagiat. Comme l’explique de manière très intéressante Claude Bouché, l’utilisation lautréamontienne de l’intertextualité

attire l’attention sur l’aspect dynamique du mécanisme de l’emprunt, et fait du texte, non plus le réceptacle où coexisteraient des éléments « prélevés » et des éléments « créés », mais le lieu d’une transformation, au cours de laquelle l’écrivain réorganise en une totalité spécifique un certain nombre de textes qui, avant lui, étaient dotés d’une structure propre15.

C’est ce procédé que nous appelons ici la « greffe16 ». Voyons comment s’opère, chez l’auteur, cette métamorphose du texte « réceptacle » et du texte « volé » par le procédé de plagiat.

Le chant V débute par une adresse emphatique au lecteur qui est interrompue par un long développement sur la technique de vol des étourneaux ayant pour fonction d’établir une comparaison entre cette dite technique de vol et la manière dont le lecteur devrait, selon le narrateur-auteur, tenter de lire l’œuvre qu’il a sous les yeux. Le passage explicitant le vol des étourneaux est tiré directement (sans modification formelle) de l’Encyclopédie d’histoire naturelle du Dr Chenu (parue entre 1850 et 1861), dans la rubrique « Oiseaux », cinquième partie (CM-265). Il y a plusieurs autres occurrences, dans la suite des Chants, de plagiat ayant pour source des encyclopédies médicales ou d’histoire naturelle. De cette utilisation plagiaire de l’intertextualité nous relevons plusieurs effets, significatifs pour nous.

D’abord, l’effet d’étrangeté, ou d’hétéroclite. La mise en rapport, par l’insertion d’un morceau de discours scientifique de ton encyclopédique dans une adresse au lecteur de ton solennel possédant un motif à la fois poétique et rhétorique désarçonne le lecteur. Elle le contraint à poser un regard neuf sur un discours connu (ici, le discours encyclopédique), transfiguré par son changement de contexte. L’effet d’étrangeté ressenti par le lecteur contribue, dans la réception moderne au moins, à l’originalité et à la valeur de l’œuvre qui l’occasionne. En cela, Lautréamont est selon nous résolument intempestif. Il n’est guère surprenant, à cet égard, que son œuvre ait été pratiquement ignorée de ses contemporains, puis portée aux nues par Breton et les surréalistes. L’effet d’étrangeté créé par le mélange inhabituel de deux types de discours choque la sensibilité artistique du lecteur et l’oblige à reconsidérer certaines de ses perceptions devenues automatiques. En effet, « le texte de Lautréamont n’est plus équivalent à celui de l’encyclopédie : il est à la fois le même et un autre, et c’est de cette ambivalence qu’il tire précisément son caractère subversif17. »

L’effet de provocation produit par le plagiat nous semble être tout aussi important et consub­stantiellement lié à l’effet d’étrangeté créé par l’hétéroclite dans la composition des Chants. Cette approche nous semble présenter une continuité avec le tic lautréamontien des beau comme…, provocateurs et présurréalistes18. En construisant des comparaisons farfelues formées d’un comparant et d’un comparé apparemment sans rapport, Lautréamont nous semble exprimer par le « collage » une certaine volonté de transfiguration des goûts communs, de la sensibilité bourgeoise de son époque. Il emploie la comparaison et son comme unificateur pour lier des éléments disparates que les habitudes de perception de la moyenne des gens ne permettent pas de réconcilier. « [S]i l’étrangeté de leur rencontre éclate, c’est sur le fond de cet et, de ce en, de ce sur [ou de ce comme] dont la solidité et l’évidence garantissent la possibilité d’une juxtaposition19. » C’est donc pour l’écrivain dans le langage même et l’utilisation inédite qu’il en fait que se joue la provocation.

Le changement de rôle de l’artiste

Cette pratique nous semble établir une relation de continuité avec le travail poétique de Baudelaire, notamment dans Les fleurs du mal, paru trois ans avant Les chants de Maldoror, et qui provoquait aussi les lecteurs par la proposition d’images et d’associations nouvelles à même de choquer leur goût et leurs habitudes. Le ton baudelairien du poème liminaire s’entend d’ailleurs dans certains passages des Chants, où le narrateur adopte un ton légèrement méprisant et volontairement provocateur pour s’adresser à son lecteur20. Dans le contexte de l’époque, on peut supposer que le « caramel » et le manque de hardiesse qui sont déplorés et avec lesquels ces auteurs souhaitent rompre dans leurs œuvres a quelque chose à voir avec la douceur, le lyrisme ou, en termes dépréciatifs, la « guimauve » des écrivains romantiques du xixe siècle. De ce point de vue, Lautréamont nous semble marquer un point tournant entre la pensée dominante du xixe siècle par rapport au rôle de l’artiste et celle qui prévaudra au xxe siècle. Cette volonté d’éveil des perceptions par la poésie, ici transmise par le procédé de collage, nous semble à la fois traditionnelle et avant-gardiste. D’une part, elle renvoie à la perception du poète qui prévaut à l’époque du romantisme, où celui-ci doit agir comme guide et comme révélateur ou traducteur des secrets de la Nature et de l’Homme. Lautréamont perpétue d’une certaine manière cet acte de « traduction » : il permet à ses lecteurs de voir, de sentir une certaine réalité des choses dont la reconnaissance demande une sensibilité nouvelle ou particulière. Il se fait, selon l’expression de Proust, « opérateur du regard21 ». Pourtant, sa manière d’opérer cet éveil ou cette sensibilisation chez son lecteur diffère de celle de la majorité de ses prédécesseurs. Lautréamont ne cherche pas à éveiller son lecteur aux beautés ou aux mystères de la Nature, mais bien à ses ornières culturelles, à ses préjugés et ses habitudes artistiques. C’est donc à une plus grande conscience artistique que l’auteur invite son lecteur, et non pas à une augmentation générale de sa sensibilité au monde, comme cela semblait être l’objectif d’un Hugo, par exemple. Le procédé d’écriture employé par Lautréamont est porteur d’un discours retourné vers la littérature et l’art eux-mêmes, et l’auteur, en l’employant, s’adresse donc principalement aux esthètes, aux autres artistes ou aux intellectuels. Ce changement de public est perceptible dans les nouvelles formes employées par Lautréamont et leurs effets : elles demandent une lecture complexe et autoréflexive. Par définition, l’ironie, la parodie, l’intertextualité implicite, chères à Lautréamont, sont des moyens de restreindre, ou du moins de choisir son public : pour être comprises, elles demandent la présence d’un savoir, d’un bagage de connaissances commun entre l’artiste et son lecteur, sans lequel leurs effets ne sont pas activés. Par l’emploi des pratiques de déplacement, de greffe, de collage, Lautréamont tient un propos sur l’art qui ne sait être entendu que par des intellectuels.

En plus d’une rupture avec la méthode et avec le lectorat romantiques, Lautréamont annonce dans son œuvre une rupture avec les mythes qui entouraient le poète romantique. Son utilisation du plagiat, notamment, marque un détachement d’avec l’image romantique de la Muse comme source d’inspiration poétique. Ses images, ses mots ne viennent plus du fond sensible, irréductiblement personnel, de ses expériences privilégiées avec la Nature, mais de l’extérieur, des discours de la société, de « ce qui parle » partout autour de l’œuvre. Paradoxalement, il semble que la valeur accordée à l’originalité soit d’une certaine manière remise en question par l’œuvre de Lautréamont. Elle ne devra plus se situer dans le contenu poétique (l’usage de la parodie, de l’intertextualité, notamment par le plagiat, le montre assez) mais dans le traitement opéré par l’artiste sur la matière, sa manière de la re-présenter, de la remodeler, de la revisiter pour lui donner un air de nouveauté. C’est dans la forme qu’il faut dorénavant chercher la signification de l’œuvre. Cette signification ne sera plus perceptible que par un lectorat choisi, et son propos ne portera principalement plus que sur l’art et la littérature eux-mêmes.

Observons donc maintenant ce qu’il en est du côté des arts visuels. Je prendrai comme exemple et source de réflexion l’œuvre de Roy Lichtenstein, qui recèle à mon avis de pistes à même de nous intéresser.

Marcher sur le fil : entre l’art et ce qui n’en est pas

Le travail pictural de l’artiste new-yorkais Roy Lichtenstein nous semble offrir un exemple frappant des possibilités expressives des procédés de déplacement, permettant de réfléchir sur les limites entre ce qu’est l’art et ce qu’il n’est pas. Par des agrandissements et des reproductions recadrées de cases de bandes dessinées, des reproductions simplifiées et modifiées des œuvres de grands maîtres de l’art moderne (Cézanne, Picasso, Mondrian), des allusions picturales aux grands courants artistiques du xxe siècle (surréalisme, expressionnisme, futurisme), Lichtenstein propose une réflexion sur le regard, l’image et la perception. Au-delà des réflexions qu’apportent ses images en elles-mêmes, son travail interroge le domaine de la réception de l’art. Roy Lichtenstein nous montre qu’une même image, transposée, déplacée, peut changer de statut. Une case d’illustré pour adolescents, présentant les exploits d’un superhéros, est censée appartenir à la culture populaire, au domaine du divertissement, de la consommation. La même image, reproduite de manière unique par un artiste utilisant des moyens traditionnels (un pinceau, de la peinture, une toile), en grand format, isolée et encadrée, accède au statut d’œuvre d’art, qui mérite qu’on s’y attarde davantage.

(Est-ce le cas, en vérité ? Permettez-moi ici une énorme parenthèse, et laissez-moi vous causer, à bâtons rompus, de ce que j’appellerai :

« L’apport muséologique »

Le lieu « musée » en est un aux pouvoirs stupéfiants qui permet, par le capital symbolique qu’il accorde aux artistes dont les objets sont intégrés, comme le permet le fameux « choix de l’artiste » dont nous traiterons plus loin, d’accorder une valeur artistique à n’importe quel objet. Une de mes amies me racontait justement l’autre jour cette anecdote savoureuse à propos d’une jeune femme à l’esprit bien tourné qui s’amusait, à chacune de ses visites dans les musées d’art contemporain, à fixer une trace d’espadrille sur le sol ou alors un gardien sur sa chaise et à s’exclamer, songeuse : « Ah ! Comme c’est intéressant ! », occasionnant à tout coup un changement marqué dans l’attention portée par les autres visiteurs à l’objet de son attention. N’est-il pas vrai, chers lecteurs, que la plupart de nos enthousiasmes esthétiques ne sont motivés que par la considération sociale accordée plus ou moins arbitrairement à certains lieux, à certains objets, dits « d’art » ? Si ces objets se situaient au coin d’une rue, dans l’atelier d’un jeune artiste inconnu, dans une bibliothèque, dans votre salon, dans une benne à ordures… notre regard sur lui serait-il le même ? Il est certain que non. Alors, pourquoi faut-il voir certaines œuvres ? Le goût de qui les place au musée ? Au nom de quelles règles ?

Ne se peut-il pas que ce sentiment de bien-être, d’émerveillement, de curiosité, d’incompréhension, bref, que ce qui nous anime au Louvre, admettons, ce soit le snobisme ? Ou pire, le conformisme ? Le snobisme dans le conformisme. On me dit que cela est beau, je le trouve beau. On me dit que cela est une œuvre d’art, c’est une œuvre d’art. On me dit que cela doit m’émouvoir, cela m’émeut. Sommes-nous donc si faciles à berner ? Qu’il est difficile d’être authentique avec certitude en ces lieux archiconnus, sur lesquels on a tout dit, autour desquels flotte une aura de valeur si mondialement approuvée, reconnue ! Et il se peut que tout le monde ait raison, que tout ce qu’il y a au Louvre soit, sinon « beau », du moins « important » dans l’histoire de l’art ; il se peut que l’on puisse faire confiance aux historiens de l’art, aux critiques, aux conservateurs de musée et au jugement de la postérité. Mais peut-être que personne n’a raison, et que ce soit, au mieux, la subjectivité et la gratuité qui dominent les arts et les musées… Qui peut le dire ? Fin de ma parenthèse.)

Selon l’organisatrice d’une exposition rétrospective présentée au Musée d’art contemporain de Lausanne, Chantal Michetti-Prod’Hom, le travail de Lichtenstein

[…] annihile toute hiérarchie des genres par le regard que l’artiste porte sur le sujet, qu’il s’agisse de bandes dessinées, d’images commerciales ou d’œuvres de grands maîtres. Son approche s’attache essentiellement à l’aspect formel du motif qu’il manipule de façon froide, distante, et souvent parodique22.

Le travail de Lichtenstein s’inscrit évidemment dans une continuité artistique, une tradition dont l’origine pourrait être située dans le mouvement dada. L’intolérance devant l’esprit de sérieux, la dynamique de la rupture constante avec le passé (une sorte de « logique d’avant-garde »), la présence d’humour surtout ironique, une attitude iconoclaste et agressive, les techniques du collage et la réutilisation d’objets usuels font partie des apports et des tendances imposées par Dada à l’art du xxe siècle. L’œuvre de Lichtenstein présente d’ailleurs de nombreuses similitudes avec celle de Marcel Duchamp. Les ready-made de Duchamp ont fortement contribué à redéfinir l’artiste moderne, auquel est maintenant accordé le pouvoir de métamorphoser les objets usuels en œuvres d’art, sans presque les modifier. Le travail provocateur et iconoclaste de l’artiste ouvre la voie à l’humour et à l’ironie en art en même temps qu’il remet en question les frontières entre l’art et la « vie ». Par exemple, deux de ses œuvres les plus connues : d’abord, La fontaine (1917), signée R. Mutt. Il s’agit d’un urinoir issu d’une production de manufacture, déplacé par Duchamp dans un musée, isolé et signé. Ensuite, une toile représentant une reproduction de la Mona Lisa de Leonardo da Vinci, affublée d’une moustache et d’une barbiche crayonnées, et portant l’inscription « L.H.O.O.Q. ». Par ces œuvres, Duchamp tente de redéfinir la nature même de l’œuvre d’art. « [Les ready-made] étaient les éléments d’un exercice purement cérébral auxquels Duchamp conférait, ou imposait, une valeur artistique23. » Ainsi, ce qui « fait œuvre » se situe dorénavant dans un choix de l’artiste, et non plus dans la nature de l’objet réalisé. Cette conception du travail de l’artiste sera perpétuée jusqu’aux mouvements pop art anglais et américain des années 50-60. L’un des précurseurs de ces courants, Robert Rauschenberg, produira en effet l’un de ces « gestes » ou choix artistiques à même de créer plus ou moins arbitrairement une œuvre d’art. En réponse à la demande qu’on lui faisait d’un portrait de la galeriste Iris Clert, il envoya un télégramme énonçant : « This is a portrait of Iris Clert if I say so. » (« ceci est un portrait d’Iris Clert si j’en décide ainsi », notre traduction). Le choix de l’artiste devient donc la seule garantie quant au statut artistique de l’œuvre.

Chez Lichtenstein, cette conception du travail artistique est perpétuée, mais légèrement infléchie dans le sens d’une réflexion sur le regard et ses pouvoirs créateurs. Prétendant que son art concernait la vision, il « apprenait à ses étudiants à voir, et ce avec un œil actif […]24 ». Ses expériences d’agrandissement de cases de bandes dessinées, par exemple, permettent de métamorphoser le regard du spectateur sur l’image présentée. Il nous semble qu’à ce propos, une remarque de Fernand Léger à propos de son film Le ballet mécanique (1924) permet d’éclairer de manière très pertinente le travail de Lichtenstein, qui lui est postérieur de plus de trente ans :

Isoler l’objet ou une partie de l’objet et le montrer sur l’écran en gros plan, à la plus grande échelle possible. L’agrandissement énorme d’un objet ou d’un fragment d’objet lui confère une personnalité qu’il n’a jamais eue auparavant, et il devient ainsi le véhicule d’une puissance lyrique entièrement nouvelle25.

En isolant une image, en la déplaçant d’un contexte à un autre, Lichtenstein crée un effet de nouveauté et de surprise qui permet au spectateur une perspective nouvelle sur cette image. C’est cette multiplication des perspectives, cette revitalisation du regard sur l’art et sur le monde qui devient l’objectif principal de l’artiste. Comme l’indiquera d’ailleurs Lichtenstein : « À l’extérieur le monde existe ; il est là. Le pop art examine le monde. Il se manifeste en acceptant son environnement qui n’est ni bon ni mauvais mais différent – il s’agit d’un autre état d’esprit26. »

En guise de conclusion…

Pour faire advenir ce changement d’état d’esprit, Lichtenstein utilise la reproduction, les déplacements, les allusions. Quelle modification sémantique cela occasionne-t-il ? À mon avis, l’utilisation de ces procédés nous montre que, dans la modernité, le « lieu » de la création s’est déplacé, de la main à l’esprit de l’artiste, et de l’œuvre au regard posé sur elle. Il s’agit avant tout pour l’artiste de métamorphoser le « déjà-là », le « déjà-dit », afin de les charger de sens à nouveau, afin de leur permettre de signifier, d’apparaître à nouveau aux yeux des hommes contemporains. Il faut que l’artiste crée de manière à « désautomatiser » leurs perceptions, à leur faire ressentir leur environnement et leur propre présence au monde. Les modifications formelles sur un matériau préexistant possèdent en effet cette vertu de transformation du connu en inconnu, de renouvellement de l’étonnement devant l’objet. Qu’un texte soit appelé « poème » ou « récit » change notre regard sur lui. Qu’il soit placé en préface27 ou dans le corps du texte, qu’il appartienne à une encyclopédie ou à une œuvre poétique, qu’il soit versifié ou en prose28, aussi.

Que ce soit les changements de statut culturel offerts aux images par les déplacements de Lichtenstein, les changements de statut rhétorique accordés aux phrases par les greffes lautréamontiennes, les changements de contenu littéraire délivrés aux livres par les réécritures de Borges-Ménard, les procédés de transposition d’un « morceau » de discours ou d’image dans un nouveau contexte (les collages, bref) nous semblent ouvrir de nouvelles voies aux artistes de la modernité. Elles permettent de dépasser l’asphyxie, le trop-plein d’images, de textes, de discours de la société d’aujourd’hui, d’éviter la perte du sens et la vanité de l’expression artistique.

Bien sûr, ces pratiques recèlent aussi d’une certaine perversité (si vous me permettez l’expression), en ce sens que, puisqu’elles « déplacent » la signification de l’œuvre à un second degré (requérant pour être atteint la reconnaissance de l’image « originale » et celle des modifications auxquelles elle a été sujette, la perception de la rupture de l’artiste avec certains éléments appartenant à une tradition, la compréhension des allusions, de l’intertextualité, de l’ironie, de la parodie et de leurs effets critiques), elles la rendent inaccessible à une large part de son public potentiel. Ainsi, si on « aimait » ou non une œuvre classique ou romantique, on « comprend » ou non une œuvre d’art contemporain. Ces méthodes comportent également une différence dans la teneur globale de leur propos : le discours qu’elles tiennent s’oriente le plus souvent vers la littérature et l’art. Cette fermeture de l’art sur lui-même est-elle le corollaire nécessaire de l’utilisation de ces nouvelles techniques ? Et la forte teneur critique de l’art contemporain ne charrie-t-elle pas dans son cours quelque chose d’infertile ? Ces questions restent posées. Aussi scandaleuses qu’elles se voulaient dans leur contexte d’origine, les œuvres de copie, de critique iconoclaste sont à leur tour sacralisées, mises dans les musées, intégrées dans le discours dominant. Ces œuvres souhaitaient contrer la transformation de l’œuvre en marchandise, en objets et en mots dont on se s’étonne plus, en formes vides. Cette critique arrive-t-elle à ses fins ? Le collage sauvera-t-il l’art et la littérature ? C’est, peut-être, ce que les autres chameaux nous diront…

Bibliographie

  • BORGES, Jorge Luis, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », dans Fictions, traduit de l’espagnol par P. Verdevoye P., Ibarra et Caillois Roger, nouvelle éditions augmentée, Paris, Gallimard (Folio), 1983, 185 p.
  • BOUCHÉ, Claude, Lautréamont. Du lieu commun à la parodie, Paris, Larousse (Thèmes et textes), 1974, 253 p.
  • FOUCAULT, Michel, « Texte 26 », dans Michel Foucault : philosophie, anthologie, anthologie établie et présentée par Arnold I. Davidson et Frédéric Gros, Paris, Gallimard (Folio/essais), 2004, 940 p.
  • LAUTRÉAMONT, Les chants de Maldoror et autres textes, préface, notes et commentaires par Jean-Luc Steinmetz, Paris, Le Livre de Poche (Classiques de poche), 2001, 446 p.
  • LIPPARD, Lucy R., Lawrence ALLOWAY, Nancy MARMER et Nicolas CALAS, Le pop art, Paris, Fernand Hazan Éditeur, 1969, 216 p.
  • MICHETTI-PROD’HOM, Chantal [dir. de l’exposition et du catalogue], Roy Lichtenstein, FAE Musée d’art contemporain de Lausanne, 1992, 128 p.
  • PROUST, Marcel, Sur la lecture, Paris, Le vice impuni, 1985, 94 p.

Notes de bas de page

  1. Jorges Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », dans Fictions, traduit de l’espagnol par P. Verdevoye, Ibarra et Roger Caillois, nouvelle édition augmentée, Paris, Gallimard (Folio), 1983, p. 41-52.
  2. Ibid., p. 44.
  3. Ibid., p. 48.
  4. Tzvetan Todorov cité dans Claude Bouché, Lautréamont. Du lieu commun à la parodie, Paris, Larousse (Thèmes et textes), 1974, p. 30.
  5. Borges, loc. cit., p. 49.
  6. Ibid., p. 50.
  7. Ibid., p. 52.
  8. Id.
  9. Id.
  10. Claude Bouché, op. cit., p. 28.
  11. Lautréamont, Les chants de Maldoror et autres textes, préface, notes et commentaires par Jean-Luc Steinmetz, Paris, Le livre de poche (Classiques de poche), 2001, 446 p. Désormais, tous les renvois à cette édition seront mentionnés dans le corps du texte par la mention (CM– ) suivie du numéro de page.
  12. Quelques exemples. D’abord cette maxime retournée, figurant dans Poésies II : « L’homme est certain de ne pas se tromper » (CM-394). (proverbe source : l’erreur est humaine). Ensuite, ce paragraphe pour le moins polémique, tiré de Poésies I : « Il paraît beau, sublime, sous prétexte d’humilité ou d’orgueil, de discuter des causes finales, d’en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, car il n’y a rien de plus bête ! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés ; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n’a pas progressé d’un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes, Chateaubriand, le Mohican-Mélancolique ; […] Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur ; […] Edgar Poe, le Mameluck-des-Rêves-d’Alcool ; […] George Sand, l’Hermaphodite-Circoncis, […] Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer, Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire ; […] Victor Hugo, le Funèbre-Échalas-Vert ; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle ; et Byron, l’Hippopotame-des-Jungles-Infernales. » (CM-370)
  13. Cette proposition, bien qu’elle mène à la réalisation d’un livre très singulier, pour le moins différent des Chants, n’est selon nous pas totalement suivie dans les Poésies. Sur le plan de la froideur et de la modestie, notamment, Lautréamont semble perdre de vue son projet initial…
  14. On pourrait renvoyer ici le lecteur à la préface de Les mots et les choses de Michel Foucault, où il aura le plaisir de retrouver le brillant Borges.
  15. Claude Bouché, op. cit., p. 27.
  16. À ce propos, voir dans le présent dossier l’article de Nicolas Roy « Vie et mort de la citation: la naissance ».
  17. Boucher, op. cit., p. 28. (L’auteur souligne)
  18. Par exemple : « Le scarabée, beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme » (CM-276), ou encore, « … Et je me trouve beau ! Beau comme le vice de conformation congénital des organes sexuels de l’homme, consistant en la brièveté relative du canal de l’urètre et la division ou l’absence de sa paroi inférieure, de telle sorte que ce canal s’ouvre à une distance variable du gland et au-dessous du pénis, ou encore, comme la caroncule charnue, de forme conique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui s’élève sur la base du bec supérieur du dindon ; ou plutôt, comme la vérité qui suit : […]. » (CM-328-329)
  19. Justement, voici la référence de la préface de Michel Foucault qui a été mentionnée tout à l’heure, et à laquelle nous vous avons négligemment renvoyé sans cérémonie il y a un instant. Cela va comme suit : Michel Foucault, « Texte 26 », dans Michel Foucault : philosophie, anthologie, anthologie établie et présentée par Arnold I. Davidson et Frédéric Gros, Paris, Gallimard (Folio/essais), 2004, p. 223.
  20. « Si tu as un penchant marqué pour le caramel (admirable farce de la nature), personne ne le concevra comme un crime ; mais, ceux dont l’intelligence, plus énergique et capable de plus grandes choses, préfère le poivre et l’arsenic, ont de bonnes raisons d’agir de la sorte [entrer suffisamment dans l’esthétique des Chants pour partager le goût de l’auteur] […]. » On se souvient du « Au lecteur » baudelairien, « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, / N’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins / Le canevas banal de nos piteux destins, / C’est que notre âme, hélas! n’est pas assez hardie », dans Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Paris, Gallimard (Folio classique), 1999, p. 21.
  21. Marcel Proust, Sur la lecture, Paris, Le vice impuni, 1985, p. 22.
  22. Chantal Michetti-Prod’Hom [dir.], Roy Lichtenstein, FAE Musée d’art contemporain de Lausanne, 1992, p. 5.
  23. Lucy R. Lippard, Lawrence Alloway, Nancy Marmer, Nicolas Calas, Le pop art, Paris, Fernand Hazan Éditeur, 1969, p. 16.
  24. Charles A. Riley, « Spéculations », dans Chantal Michetti-Prod’Hom [dir.], op. cit., p. 13. À ce propos, voir les fondements conceptuels et techniques de la démarche de Lichtenstein dans Drawing by Seeing (1947).
  25. Lucy R. Lippard, op. cit., p. 18.
  26. Chantal Michetti-Prod’Hom, op. cit., p. 5. Citation tirée d’une entrevue de ARTnews (Novembre 1963).
  27. À ce propos, voir Les cantos d’Ezra Pound, qui place en préface, sans l’altérer, la descente aux enfers d’Ulysse dans l’Odyssée d’Homère, en la dédiant aux camarades morts à la Deuxième Guerre mondiale. Voir également la préface de Sésame et les lys de John Ruskin, offerte par Marcel Proust en accompagnement de sa traduction. Ce texte essayistique de Proust, publié séparément par la suite sous le titre Sur la lecture, prend une coloration très différente s’il est lu dans son contexte original (en ouverture à un livre sur les vertus de la lecture, vertus illusoires selon la préface de Proust).
  28. Voir le poème d’Emmanuel Hocquart, nommé « Spurius Maelius » et « écrit » en 1979. Le poète a repris à l’identique un texte de prose de Tite-Live sur la situation politique et économique à Rome en 440. Seulement, il dispose le texte sous forme poétique, c’est-à-dire qu’il effectue de fréquents retours à la ligne qui ne suivent pas nécessairement les marques de ponctuation. À ce propos, voir les Poèmes proustiens réalisés par Thomas Carrier-Lafleur dans le présent dossier.

Amalgames. Les auteurs écrivent au bâton de colle

Revue Chameaux — n° 0 — printemps 2009

Dossier

  1. Présentation du dossier

  2. Les possibilités expressives du déplacement de textes et d’images chez Jorge Luis Borges, Comte de Lautréamont et Roy Lichtenstein

  3. Vie et mort d’une citation : la naissance

  4. Centons

  5. Présentations de Godfrey Ho et de Robert Morin : faussaires ! Une lecture deleuzienne du procédé de collage

  6. Poèmes proustiens

  7. Le collage entre langages artistiques : le cas Peer Gynt

  8. Les règles du jeu - Le Jeu du critique et du poète

  9. Pratiques du court-circuit : une brève histoire (recomposée) du collage

  10. Pratiques de gestion

  11. L’œuvre innachevée [sic] de la vie

  12. La poésie du singulier au pluriel. Entretien avec Hélène Dorion

Hors-dossier

  1. Un dieu parmi Les démons ? À propos d’une certaine lecture nietzschéenne du suicide de Kirilov

  2. La dynamique schizophrénique dans L’avalée des avalés

  3. Au nom du Père

  4. Duende

  5. Les porte-douleurs

  6. Il n’y a plus de mots

Autre

  1. Merci!