1. chambres d’hiver
où
quand on est couché
on se blottit la tête dans un nid
qu’on se tresse
avec les choses les plus disparates
un coin de l’oreiller
le haut des couvertures
un bout de châle
le bord du lit
et
un numéro des Débats roses
qu’on finit par cimenter
ensemble
selon la technique des oiseaux
en s’y appuyant indéfiniment
où
par un temps glacial
le plaisir
qu’on goûte
est de se sentir
séparé
du dehors
comme l’hirondelle
de mer
qui a son nid
au fond d’un souterrain
dans la chaleur
de la terre
et
où
le feu
étant entretenu
toute la nuit
dans la cheminée
on dort
dans un grand manteau
d’air chaud
et fumeux
traversé
des lueurs
des tisons
qui se rallument
sorte d’impalpable
alcôve
de chaude caverne
creusée au sein de la
chambre
même
zone ardente
et
mobile en ses contours
thermiques
aérée
de souffles
qui nous rafraîchissent
la figure
et
viennent des angles
des parties voisines
de la fenêtre
ou
éloignées
du foyer
et
qui se sont
refroidies
2. chambres d’été
où
l’on aime
être
uni à la nuit tiède
où
le clair de lune
appuyé aux volets
entrouverts
jette jusqu’au pied
du lit
son échelle
enchantée
où
on dort
presque
en plein air
comme la mésange
balancée
par la brise
à la pointe d’un rayon
parfois
3. chambre Louis XVI
si gaie
que même le premier soir
je
n’y avais pas été
trop malheureux
et
où
les colonnettes qui soutenaient
légèrement
le plafond
s’écartaient avec tant de grâce
pour montrer
et
réserver
la place du lit
parfois
au contraire
celle petite
et
si élevée
de plafond
creusée
en forme de pyramide
dans la hauteur de deux étages
et
partiellement revêtue d’acajou
où
dès la première seconde
j’avais été intoxiqué
moralement
par l’odeur inconnue du vétiver
convaincu
de l’hostilité
des rideaux violets
et
de l’insolente
indifférence
de la pendule
qui jacassait
tout haut
comme si je n’eusse pas été là
où
une étrange et impitoyable glace
à pieds
quadrangulaires
barrant obliquement un des angles
de la pièce se creusait
à vif
dans la douce plénitude
de mon champ visuel
accoutumé
un emplacement qui n’y était pas prévu
où
ma pensée
s’efforçant pendant des heures
de se disloquer
de s’étirer
en hauteur
pour prendre exactement la forme
de la chambre
et
arriver à remplir
jusqu’en haut
son gigantesque
entonnoir
avait souffert
bien de dures nuits
tandis que j’étais étendu
dans mon lit
les yeux levés
l’oreille anxieuse
la narine rétive
le cœur battant
jusqu’à ce que
l’habitude
eût changé la couleur des rideaux
fait taire la pendule
enseigné la pitié à la glace
oblique et cruelle
dissimulé
sinon chassé complètement
l’odeur du vétiver
et
notablement
diminué
la hauteur apparente
du plafond
— Octave « dans les choux »
2. Dans le Temps
Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir
Mon œuvre
Je ne manquerais pas de la marquer au sceau
De ce Temps
Dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force
Aujourd’hui
Et j’y décrirais les hommes
Cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux
Comme occupant
Dans le Temps
Une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée
Dans l’espace
Une place au contraire prolongée
Sans mesure
Puisqu’ils touchent simultanément
Comme des géants
Plongés dans les années
À des époques vécues par eux si distantes
Entre lesquelles tant de jours sont
Venus se placer
–
Dans le Temps
— Jacques du Rozier
3. La Réalité
uneheure
nestpasquuneheure
cestunvase
rempli
deparfums
desons
deprojets
et
declimats
cequenousappelonslaréalité
estuncertain
rapport
entrecessensationsetcessouvenirs
quinousentourentsimultanément
rapport
quesupprimeunesimplevision
cinématographique
laquelleséloigneparlàdautantplus
duvrai
quelleprétendseborneràlui
rapport
unique
quelécrivaindoitretrouver
pourenenchaîneràjamais
danssaphrase
lesdeuxtermesdifférents
onpeutfairesesuccéder
indéfiniment
dansunedescription
lesobjetsquifiguraientdanslelieudécrit
lavériténecommenceraquaumomentoùlécrivainprendra
deuxobjetsdifférents
poseraleurrapportanalogue
danslemondedelart
àceluiquestlerapportuniquedelaloicausale
danslemondedelascience
etlesenfermeradanslesanneauxnécessaires
dunbeaustyle
oumêmeainsiquelavie
quandenrapprochantunequalitécommuneàdeuxsensations
ildégageraleuressence
enlesréunissant
luneetlautre
pourlessoustraireauxcontingencesdutemps
dansunemétaphore
etlesenchaînera
parlelienindescriptible
dunealliancedemots
— Maître Biche
4. L’Histoire
Ainsi se déroulait dans notre salle à manger
Sous la lumière de la lampe dont elles sont amies
Une de ces causeries où la sagesse
Non des nations mais des familles
S’emparant de quelque événement
Mort
Fiançailles
Héritage
Ruine
Et le glissant sous le verre grossissant de la mémoire
Lui donne tout son relief
Dissocie
Recule une surface
Et situe en perspective à différents points de l’espace et du temps ce qui
Pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque semble amalgamé sur une même surface
Les noms des décédés
Les adresses successives
Les origines de la fortune et ses changements
Les mutations de propriété
Cette sagesse-là n’est-elle pas inspirée par la Muse qu’il convient de méconnaître le plus longtemps
Possible si l’on veut garder quelque fraîcheur d’impressions et quelque vertu créatrice
Mais que ceux-là mêmes qui l’ont ignorée rencontrent au soir de leur vie dans la nef de la vieille église provinciale
À l’heure où tout à coup ils se sentent moins sensibles à la beauté éternelle exprimée par les sculptures de L’autel qu’à la conception des fortunes diverses qu’elles subirent
Passant dans une illustre collection particulière
Dans une chapelle
De là dans un musée
Puis ayant fait retour à l’église
Ou qu’à sentir
Quand ils y foulent un pavé presque pensant
Qu’il recouvre la dernière poussière d’Arnauld ou de Pascal
Ou tout simplement qu’à déchiffrer
Imaginant peut-être l’image d’une fraîche paroissienne
Sur la plaque de cuivre du prie-Dieu de bois
Les noms des filles du hobereau ou du notable
La Muse qui a recueilli tout ce que les muses plus hautes de la philosophie et de l’art ont rejeté
Tout ce qui n’est pas fondé en vérité
Tout ce qui n’est que contingent mais révèle aussi d’autres lois
C’est l’Histoire
— Professeur Brichot
5. Réveil en Musique
Dès le matin
La tête encore tournée contre le mur
Et avant d’avoir vu
Au-dessus des grands rideaux de la fenêtre
De quelle nuance était la raie du jour
Je savais déjà le temps qu’il faisait
Les premiers bruits de la rue me l’avaient appris
Selon qu’ils me parvenaient amortis et déviés par l’humidité
Ou vibrants comme des flèches dans l’aire résonnante et vide d’un matin spacieux
Glacial et pur
Dès le roulement du premier tramway
J’avais entendu s’il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l’azur
Et
Peut-être
Ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui
Glissée au travers de mon sommeil
Y répandait une tristesse annonciatrice de la neige
Ou y faisait entonner
À certain petit personnage intermittent
De si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi
Qui encore endormi commençais à sourire
Et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies
Un étourdissant réveil en musique
— Palamède G.
6. Madeleine
et bientôt
machinalement
accablé par la morne journée
et la perspective d’un triste lendemain
je portai à mes lèvres
une cuillerée du thé
où j’avais laissé s’amollir
un morceau de madeleine
mais à l’instant même où la gorgée
mêlée des miettes du gâteau
toucha mon palais
je tressaillis
attentif à ce qui se passait d’extraordinaire
en moi
un plaisir délicieux m’avait envahi
isolé
sans la notion de sa cause
il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes
ses désastres
inoffensifs
sa brièveté illusoire
de la même façon qu’opère l’amour
en me remplissant d’une essence précieuse
ou plutôt
cette essence n’était pas en moi
elle était moi
j’avais cessé de me sentir médiocre
contingent
mortel
d’où avait pu me venir cette puissante joie
je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau
mais qu’elle le dépassait infiniment
ne devait pas être de même nature
d’où venait-elle
que signifiait-elle
où l’appréhender
je bois une seconde gorgée
où je ne trouve rien de plus que dans la première
une troisième qui m’apporte un peu moins
que la seconde
il est temps que je m’arrête
la vertu du breuvage semble diminuer
il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui
mais en moi
il l’y a éveillée
mais ne la connaît pas
et ne peut que répéter
indéfiniment
avec de moins en moins de force
ce même témoignage que je ne sais pas interpréter
et que je veux au moins pouvoir lui redemander
et retrouver intact à ma disposition
tout à l’heure
pour un éclaircissement décisif
je pose la tasse
et me tourne vers mon esprit
c’est à lui de trouver la vérité
mais comment
grave incertitude
toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même
quand lui
le chercheur
est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher
et où tout son bagage ne lui sera de rien
chercher
pas seulement
créer
il est en face de quelque chose qui n’est pas encore
et que seul il peut réaliser
puis faire entrer dans sa lumière
— Tante Léonie
7. Doncières
les sons n’ont pas de lieu
du moins les rattachons-nous à des mouvements
et par là
ont-ils l’utilité de nous prévenir de ceux-ci
de paraître les rendre nécessaires et naturels
certes
il arrive quelquefois qu’un malade
auquel on a hermétiquement bouché les oreilles
n’entende plus le bruit d’un feu
pareil
à celui qui rabâchait
en ce moment
dans la cheminée
de Saint-Loup
tout en travaillant
à faire des tisons
et des cendres
qu’il laissait ensuite tomber
dans sa corbeille
n’entende pas non plus le passage
des tramways
dont la musique prenait
son vol
à intervalles réguliers
sur la grand’place
de Doncières
alors que
le malade lise
et les pages se tourneront silencieusement
comme si elles étaient feuilletées
par un dieu
la lourde rumeur
d’un bain qu’on prépare
s’atténue
s’allège
et s’éloigne
comme un gazouillement
céleste
le recul du bruit
son amincissement
lui ôtent toute puissance
agressive
à notre égard
affolés
tout à l’heure
par des coups de marteau
qui semblaient ébranler
le plafond
sur notre tête
nous nous plaisons
maintenant
à les recueillir
légers
caressants
lointains
comme un murmure
de feuillages
jouant
sur la route
avec le zéphir
— Miss Sacripant de Crécy