Une femme extraordinaire peut-elle dire la vérité ? La Princesse de Clèves et le mensonge

Par Željka Janković — Mensonge et littérature

Entre parole et silence, paraître et être 

Le premier roman français d’analyse de 1678 a été lu au cours des siècles soit comme la victoire de la vertu, la méfiance des passions destructrices et le refus de la dissimulation (XVIIe-XIXe siècles), soit comme la conquête de la parole féminine libre et autonome contre la société patriarcale oppressante (à la lumière des concepts féministes modernes1), ou encore la tragique défaite d’un être envahi par la parole d’autrui2. Jean Rousset est parmi les premiers à se pencher plus profondément sur le lien entre la communication « entravée » et « la transmission oblique3 » des échanges non verbaux, soulignant que le langage des yeux et du visage cherche à « suppléer confusément à la parole articulée tout en manifestant l’inaptitude de ces substituts visuels à un échange sans équivoque4 ». Il affirme que le roman joue sur l’alternance de ces deux modes d’expression – « celui des actes au contact d’autrui et celui des retours sur soi, le langage du cœur troublé et le langage du soliloque réflexif5 » – pour souligner que « par un retournement significatif, c’est dans le monde, où tout est masque et mensonge, que l’héroïne met à nu le désordre de son cœur ; et c’est dans la solitude qu’elle se compose et s’ordonne6 ». Depuis Rousset, les chercheurs sont nombreux à aborder la problématique de la communication dans le roman : Antoine Adam la considère comme le sujet principal de l’œuvre : « La Princesse de Clèves, c’est le roman de deux âmes qui se cherchent à travers des épaisseurs d’incertitudes et de malentendus7 », Béatrice Didier estime que le roman représente « le drame de la parole sans cesse différée » jouant sur « la dialectique du caché et du dévoilé8 », Myriam Dufour-Maître et Jacqueline Milhit le voient comme « un réquisitoire contre la parole, souvent inutile et vaine, et parfois destructrice9 », et Anne Green y lit une « présentation paradoxale et contradictoire de la parole et du silence10 ». Cette dichotomie parole/geste devient encore plus problématique car le statut même de la parole est ambigu dans l’univers du paraître de la Cour. On y dissimule, et aucun secret n’est gardé longtemps : Estouteville se confie à Sancerre bien que Mme de Tournon le lui ait interdit, celle-ci trompe deux hommes tout en faisant semblant d’être fidèle à la mémoire de son mari, Madame de Thémines se venge du vidame de Chartres par la dissimulation, et ce dernier ment à la reine pour obtenir sa confiance ; quoiqu’il soit le meilleur ami du duc de Nemours, celui-ci n’ose lui avouer son inclination envers la princesse. Jeanine Anseaume Kreiter a calculé les occurrences des mots cacher (51), tromper (49), feindre (8), faire semblant (5), dissimulation (5) et surtout du verbe paraître, qui est utilisé, sous formes diverses, 7 fois par page11. Dans une analyse très fine, Christian Garaud établit une typologie de la communication dans le roman : d’un côté sont rangés les personnages chez qui règne « la transparence du langage et la confiance en autrui12 » : ce sont principalement les couples mère/fille et mari/femme ; de l’autre côté se place le monde de la Cour, où « les relations entre les personnages sont frappées d’opacité » et difficilement perceptibles « pour un œil non initié » puisque « par ambition politique, la dissimulation est devenue une seconde nature13 ». Reste dans la troisième catégorie le langage non verbal (regard, rougeur, trouble, silence) comme moyen de communication plus ou moins secret des amants. Garaud y remarque un déséquilibre car « l’homme tente de s’exprimer et que la femme ne peut que se trahir14 », conformément aux rôles sexués imposés par la société. De notre part, il s’agit d’examiner précisément cette hypothèse sur le déséquilibre du poids de la parole entre les sexes dans l’univers du roman, mais en analysant plus profondément la communication dans la première catégorie de Garaud, celle où elle « semble se dérouler sans problème15 ». En guise de complément aux analyses du langage non verbal précédentes, le présent article suit surtout le comportement verbal sur le plan mère/fille et mari/femme pour vérifier à quel point la princesse arrive à préserver sa sincérité « grande et naturelle16 » (45) et l’exigence de transparence. Avant l’analyse des situations où la princesse recourt au mensonge, une première partie du travail donne un bref commentaire sous l’angle « genré » sur l’horizon d’attente de l’époque de Madame de Lafayette en examinant les réactions des lecteurs du Mercure galant.

Lecteurs : toute vérité n’est pas bonne à révéler

Certaines interprétations et réactions des lecteurs contemporains de Mme de Lafayette laissent entrevoir que la nouveauté du roman – en premier lieu le célèbre aveu de la princesse au mari – ne correspond pas entièrement à l’horizon d’attente de l’époque. Ainsi l’aveu, jugé invraisemblable par des critiques tels Valincour17, a-t-il été largement condamné par les lecteurs du Mercure galant de 1678, auxquels Donneau de Visée a demandé en enquête si la princesse avait bien fait de se confier au mari : ils trouvent majoritairement qu’elle aurait dû se taire sur son amour envers Nemours pour ne pas causer des inquiétudes au mari ou pour éviter ses soupçons : à titre d’exemple, un lecteur croit qu’il « valait mieux éternellement combattre, et mourir même dans les combats, que d’aller faire une confidence si dangereuse à une personne dont elle devait toujours dépendre18 ». Au dire de l’enquêteur, une autre circonstance particulièrement parlante surgit la même année : lors de la conclusion d’un mariage en Bassigny, les futurs époux entrent en dispute autour de l’aveu : la femme est contre, alors que le mari « plus âgé et plus riche qu’elle, bon homme, mais de ces hommes francs et sans façon, qui disent nettement leurs pensées, et qui en seraient quelquefois blâmés, si leur franchise ne leur servait pas d’excuse19 » se prononce en faveur de celui-ci, d’où la crainte « que la défiance ne régnât d’un côté, et la coquetterie de l’autre ». Finalement, c’est un jeune abbé « à qui peut-être la Belle n’était pas indifférente » qui met fin à la dispute en se prononçant contre l’aveu : « la jalousie ne pouvait qu’être mortelle, comme elle l’avait été pour Monsieur de Clèves, quand on apprenait de la bouche même d’une femme qu’un rival avait place dans son cœur, et que supposé qu’on aimât véritablement, il n’était pas possible de vivre après une si funeste confidence20 ». Outre que ces lignes et la présentation que de Visée donne des amants reproduisent les stéréotypes de la femme coquette, dissimulatrice et volage21, on peut conclure que le mensonge est préférable à la vérité dans de telles situations pour la plupart des lecteurs du XVIIe siècle, comme l’observe également François-Ronan Dubois : « L’absolue sincérité n’est donc pas une exigence morale fondamentale qui revêtirait, aux yeux d’un public familier, à cette époque, des textes moralistes, l’air de l’évidence et l’on pouvait estimer qu’il était en de certaines circonstances préférable de dissimuler la vérité et de garder un secret22 ». Et le prince de Clèves lui-même ne s’écrira-t-il pas : « Que ne me laissiez-vous dans cet aveuglement tranquille dont jouissent tant de maris ? » (211).

Outre l’aveu, ce qui choque particulièrement les contemporains (qui cependant ne condamnent pas l’union du duc et de la princesse après la mort du prince de Clèves), c’est la déclaration ouverte d’amour que la princesse fait au duc lors de l’entrevue finale. Le commentaire de Valincour appuie cette position confirmant l’existence des stéréotypes comportementaux masculins/féminins en matière de prise de parole : « Madame de Clèves dit tout ce que devrait dire Monsieur de Nemours. C’est elle qui lui parle de sa passion, qui lui découvre tous les sentiments de son cœur, et qui le fait avec un ordre et une tranquillité qui ne se ressent guère du trouble qu’un pareil aveu donne toujours aux femmes un peu retenues. L’on dirait qu’elle n’est venue là que pour parler, et Monsieur de Nemours pour écouter, au lieu que ce devrait être tout le contraire23 ». Sur ce même sujet, Madame de Lafayette place dans la bouche de son héroïne la conscience de transgresser le code comportemental de l’époque et du milieu : « je vais passer par-dessus toute la retenue et toutes les délicatesses que je devrais avoir dans une première conversation » (225). Revenons à son éducation pour voir ce qui a pu la pousser à de telles démarches.

Parole de la mère : sincérité ou dissimulation dans un monde d’apparences ?

Les premières leçons que la princesse obtient de sa mère avant d’entrer dans l’univers courtisan tournent autour des dangers de l’amour sous les apparences agréables et du « peu de sincérité des hommes » (21). La mère essaye de lui inspirer la vertu en se servant des exemples négatifs – son procédé consiste à lui présenter quelqu’un ou quelque chose en partant des côtés positifs pour la persuader « plus aisément » du revers terrifiant. Harriet Stone a remarqué judicieusement que la mère passe ainsi le message « Fais ce que je dis […] non pas ce que je te raconte (te montre) que les autres font24 ». La première impulsion qu’aura la princesse sera donc de se douter du masque sous les propos galants des hommes et de « se défier » d’elle-même. De plus, sa mère lui demande une transparence complète sous prétexte de l’aider à lutter contre la galanterie : « Elle la pria, non pas comme sa mère, mais comme son amie, de lui faire confidence de toutes les galanteries qu’on lui dirait, et elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l’on était souvent embarrassée quand on était jeune » (38). La princesse y obéit sans faille : elle lui rend compte d’abord de la proposition du prince de Clèves. La mère insiste tellement sur « la grandeur », « les bonnes qualités » et « la sagesse pour son âge » du prince qu’elle consentirait volontiers au mariage, mais tout en demandant à la fille « si elle sentait son inclination portée à l’épouser » (43). Pourtant, même si cette dernière lui répond sincèrement « qu’elle n’avait aucune inclination particulière pour sa personne », le mariage a lieu, et la mère semble contente – on dirait que sa vision du mariage exclut l’inclination ; même si elle avait fait semblant d’y tenir, elle se réjouit de l’indifférence de sa fille :

elle n’admirait pas moins que son cœur ne fût point touché, et d’autant plus qu’elle voyait bien que le prince de Clèves ne l’avait touchée, non plus que les autres. Cela fut cause qu’elle prit de grands soins de l’attacher à son mari et de lui faire comprendre ce qu’elle devait25 à l’inclination qu’il avait eue pour elle avant que de la connaître et à la passion qu’il lui avait témoignée en la préférant à tous les autres partis, dans un temps où personne n’osait plus penser à elle. (45−46)

Elle-même a fait de sa fille une personne quasi inaccessible aux yeux des courtisans : « Mme de Chartres joignait à la sagesse de sa fille une conduite si exacte pour toutes les bienséances, qu’elle achevait de la faire paraître une personne où l’on ne pouvait atteindre » (46). Il est vrai que dans l’univers de la Cour, selon les codes des bienséances, les hommes se doivent de se conduire « avec tout le respect imaginable » (43), d’où, en des termes de Dufour-Maître et Milhit, la tension entre « une parole claire mais offensive ou impudique, et une parole voilée mais ambiguë26 ». Toutefois, comme le souligne Garaud, ces étiquettes « ne sont pas également contraignantes27 » pour les hommes et les femmes – le prince de Clèves peut s’assurer de l’amour de Mlle de Chartres et demander la réciprocité. Ajoutons d’autres exemples révélateurs : à la première vue de Mlle de Chartres, le prince « ne put cacher sa surprise » (33) ; il raconte ensuite « tout haut son aventure, et ne pouvait se lasser de donner des louanges à cette personne qu’il avait vue » (34) si bien que « cette nouvelle beauté fut longtemps le sujet de toutes les conversations » (35). Ami du prince, le chevalier de Guise et lui « louèrent d’abord Mlle de Chartres sans se contraindre » (idem) ; le premier « fit tellement paraître les sentiments et les desseins qu’il avait pour Mlle de Chartres qu’ils ne furent ignorés de personne » (38), le second « n’avait pas donné des marques moins publiques de sa passion » (39). Finalement, en voyant la princesse, le duc de Nemours « ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration » (49). La princesse ne répond à toute occasion que par la rougeur de modestie et « l’embarras ».

Dans la suite, la princesse raconte ouvertement à sa mère la passion du chevalier de Guise envers elle (45), puis s’empresse d’aller lui parler du bal où elle a dansé avec Nemours (51). Elle ne lui ment pas, elle ne cache rien de ce qui se passe à la Cour. La tactique susmentionnée de la mère continue dans la première histoire intercalée, celle de Madame de Valentinois : à la question de la fille qui veut savoir comment il est possible que le roi aime toujours Diane de Poitiers, la mère ne donne pas une réponse directe, mais saisit l’occasion pour faire un discours pédagogique, condamnant une telle union, car elle ne résulte ni du « mérite », ni de la « fidélité » de Mme de Valentinois, qui y a mêlé beaucoup d’intérêt : « qu’elle eût aimé le roi avec une fidélité exacte, qu’elle l’eût aimé par rapport à sa seule personne sans intérêt de grandeur, ni de fortune, et sans se servir de son pouvoir que pour des choses honnêtes ou agréables au roi même » (52). Deux points importants sont perceptibles ici : d’une part, la mère condamne « l’intérêt de grandeur » alors qu’elle-même a cherché à bien marier sa fille (se flattant d’ailleurs de ne pas pouvoir trouver « presque rien digne » [22] d’elle). Quand son premier projet échoue à cause des jeux de pouvoir à la Cour28, elle donne la fille au prince de Clèves et ajoute à la leçon que l’unique bonheur de la femme est « d’aimer son mari et d’en être aimé » (21), le sentiment du devoir que nous avons souligné plus haut. D’autre part, John Philips a bien analysé les raisons et les effets de cette réponse moralisante et contournée de la mère : « soit elle est incapable d’expliquer pourquoi cette passion dure, soit elle trouve qu’il vaut mieux ne pas lui dire pourquoi, mais en décrire en revanche le caractère moralement non mérité et indésirable, quoique durable29 ». La mère s’est aperçu de la naissance de l’inclination adultère chez sa fille et trouve que cette leçon contribuerait implicitement à l’éteindre : « elle semble croire que la simple présentation des motifs “négatifs” de Mme de Valentinois suffirait à faire abandonner à la fille sa passion30 ». Cela crée chez la fille le sentiment qu’il est préférable de cacher tout ce qui semble lié à la passion, et qui est partant immoral : « L’idée que sa passion sexuelle n’est pas quelque chose dont elle peut parler à sa mère est ainsi renforcée, c’est pourquoi la mère a tort de croire qu’elle peut agir en amie envers sa fille en matière de la passion31 ». Le texte corrobore cette conclusion, puisque c’est à partir de ce moment-là que la fille ne lui parle plus de Nemours : « Elle ne se trouva pas la même disposition à dire à sa mère ce qu’elle pensait des sentiments de ce prince qu’elle avait eue à lui parler de ses autres amants ; sans avoir un dessein formé de lui cacher, elle ne lui en parla point » (59). Mais il s’y ajoute une nuance de plus, et non moins importante, qui se dégage du discours de la mère et qui expliquerait davantage le silence ultérieur de la princesse : en parlant de l’amour que le duc d’Orléans ressentait pour « une des plus belles femmes de la cour » (56), elle évite de nommer celle-ci « parce qu’elle a vécu depuis avec tant de sagesse et qu’elle a même caché avec tant de soin la passion qu’elle avait pour ce prince, qu’elle a mérité que l’on conserve sa réputation. Le hasard fit qu’elle reçut la nouvelle de la mort de son mari le même jour qu’elle apprit celle de M. d’Orléans, de sorte qu’elle eut ce prétexte pour cacher sa véritable affliction, sans avoir la peine de se contraindre » (idem). Certains critiques32, dans la lignée de Timothy Scanlan33, ont souligné qu’il pourrait s’agir de Mme de Chartres en personne. Que ce soit le cas ou non, on en tire la leçon de l’utilité de la dissimulation34 et de l’importance de préserver les apparences vertueuses. On voit ensuite la princesse heureuse de trouver une raison « moralement acceptable35 » pour ne pas aller au bal du maréchal de Saint-André, « raison de sévérité » aux yeux des autres, mais qui lui permettra en même temps d’accorder une faveur à Nemours. La mère lui conseille à l’occasion de faire semblant d’être malade (excuse dont elle se servira souvent dans la suite de l’action36), et la défend ensuite « avec un air qui semblait être appuyé sur la vérité » (63) devant la dauphine qui entrevoit la véritable raison de son absence et à qui (ainsi qu’à Nemours) la rougeur de la princesse traduit le trouble.

La stratégie de la mère atteint son apogée dans la description qu’elle fait de Nemours, feignant toujours de ne pas s’être aperçue des sentiments de sa fille envers lui : « Mme de Chartres n’avait pas voulu laisser voir à sa fille qu’elle connaissait ses sentiments pour ce prince, de peur de se rendre suspecte sur les choses qu’elle avait envie de lui dire. […] [E]lle lui en dit du bien et y mêla beaucoup de louanges empoisonnées sur la sagesse qu’il avait d’être incapable de devenir amoureux » (66). Les premiers sentiments déclenchés chez la princesse sont la douleur d’avoir découvert l’inclination qu’« elle n’avait encore osé s[’]avouer à elle-même » (64), la culpabilité qui en découle puisqu’elle est mariée et la honte « de la crainte que M. de Nemours ne la voulût faire servir de prétexte à Mme la dauphine » (idem), sa mère lui ayant fait voir combien le rôle de « confidente » était nuisible à la réputation. Mais c’est aussi le moment de la naissance de la jalousie, nommée à ce stade « l’aigreur », qui marquera plus tard la nuit blanche autour d’une prétendue lettre adressée à Nemours. À partir de cette expérience de la jalousie jusqu’alors méconnue commence à se développer le jeu de la mauvaise foi où, d’après Gérard Ferreyrolles, « la conscience se cache à elle-même sa volonté de cacher37 ».

Sur son lit de mort, la mère tient l’ultime leçon morale à la fille, sans lui donner la parole un seul instant : « Vous avez de l’inclination pour M. de Nemours ; je ne vous demande point de me l’avouer ; je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire […] Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination, mais je ne vous en ai pas voulu parler d’abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même » (67). On y voit que le projet édifiant de la mère a échoué sur deux plans : primo, elle, qui a parlé de tout à sa fille précisément pour lui en peindre le danger, décide de ne pas lui parler d’une chose « dangereuse » qui la touche directement ; secundo, voyant que son projet a mal tourné et qu’il ne lui reste plus de temps pour les voies contournées, elle rejette la faute sur la fille, dont elle désigne la sincérité de ressort indispensable pour qu’elle puisse la « conduire ». Elle la laisse ainsi en proie au sentiment de culpabilité, de honte, mais d’impuissance aussi, ayant perdu confiance en son pouvoir de se « défier » d’elle-même et ne trouvant que l’isolement de la Cour comme unique solution.

Parole du mari : du conseiller au juge soupçonneux

Les critiques ont déjà fait remarquer que le prince de Clèves, « un double masculin de sa belle-mère38 », sert de « conseiller moral39 » à la princesse depuis qu’elle est « privée de la conduite active de sa mère40 ». Ce qui nous intéressera ici, c’est la manière dont ses paroles agissent sur la princesse, et (le changement de) sa confiance en elle. Au tout début, après avoir déclaré sa passion à Mlle de Chartres, il se trompe quant aux signes non verbaux qu’elle manifeste, prenant pour l’inclination ce qui n’est que de la gratitude : « Cette reconnaissance donna à ses réponses et à ses paroles un certain air de douceur qui suffisait pour donner de l’espérance à un homme aussi éperdument amoureux que l’était ce prince, de sorte qu’il se flatta d’une partie de ce qu’il souhaitait41 » (43). Depuis lors, la plupart des phrases qu’il adresse à sa femme sont des actes de parole qui la poussent à réagir : soit il se plaint et lui fait des reproches, soit il l’accuse et la presse de se prononcer. La princesse recourt aux mensonges ou demi-vérités à presque toute occasion, volontairement ou non. Plusieurs fois elle se justifie par le respect des normes sociales : au commentaire du prince faisant savoir qu’il n’est pas heureux dans le mariage, elle rétorque : « [il] y a de l’injustice à vous plaindre […] je ne sais ce que vous pouvez souhaiter au-delà de ce que je fais, et il me semble que la bienséance ne permet pas que j’en fasse davantage » (44). Après avoir mal interprété le langage non verbal de sa future femme, il affirme à présent ne pas se tromper de sa rougeur, signe de modestie plutôt que de l’inclination (45). En apprenant à la princesse l’histoire de Madame de Tournon, dont l’apparente bonne conduite l’a trompé lui-même auparavant, il lui donne une leçon morale où l’on peut lire combien la réputation de la femme lui est importante : premièrement, il observe que « les femmes sont incompréhensibles et, quand je les vois toutes, je me trouve si heureux de vous avoir, que je ne saurais assez admirer mon bonheur » (70), insistant ainsi sur le caractère extrêmement vertueux de la princesse ; deuxièmement, il ajoute un conseil « qu’il prendrait pour [lui]-même » : « la sincérité me touche d’une telle sorte que je crois que, si ma maîtresse, et même ma femme, m’avouait que quelqu’un lui plût, j’en serais affligé sans en être aigri. Je quitterais le personnage d’amant ou de mari, pour la conseiller et pour la plaindre » (85). On en conclut qu’une femme amoureuse d’un autre homme est à plaindre et à conseiller en vue de revenir sur la bonne voie. On ne peut pas négliger l’influence de ces paroles sur l’esprit de la princesse – non seulement elles s’accordent avec l’exigence de sincérité prônée par la mère, mais elles laissent entrevoir un hypothétique « aveu », qui sera jugé plus tard extraordinaire et invraisemblable. On peut supposer que Madame de Lafayette a mis ces paroles dans la bouche du mari pour justifier et motiver davantage l’acte exceptionnel de son héroïne. Inexpérimentée, la princesse espère en regagnant la Cour que les enseignements « théoriques » de sa mère suffiront à disperser sa passion : « Mme de Clèves consentit à son retour et elle revint le lendemain. Elle se trouva plus tranquille sur M. de Nemours qu’elle n’avait été ; tout ce que lui avait dit Mme de Chartres en mourant, et la douleur de sa mort, avaient fait une suspension à ses sentiments, qui lui faisait croire qu’ils étaient entièrement effacés » (90-91). Cependant, dès qu’elle y arrive et se rend compte de l’impuissance de sa volonté devant la passion, elle réfléchit sur l’aveu et les conseils de la mère deviennent doublés par ceux du mari : « Elle se souvenait de tout ce que Mme de Chartres lui avait dit en mourant […]. Ce que M. de Clèves lui avait dit sur la sincérité, en parlant de Mme de Tournon lui revint dans l’esprit ; il lui sembla qu’elle lui devait avouer l’inclination qu’elle avait pour M. de Nemours. Cette pensée l’occupa longtemps » (108). Avant l’aveu, la princesse lit dans les paroles de son mari la vérité effrayante dont celui-ci n’a pas la moindre idée, ce qui lui permet de plaisanter, estimant la sincérité de sa femme absolue. Après le vol de son portrait par Nemours, il lui suppose en riant l’existence d’un amant caché (107). En proie au remords, elle juge « qu’elle n’était plus maîtresse de ses paroles et de son visage » (108). Chaque réflexion sur l’aveu (il y en a quatre) est précédée par sa plus forte présence parmi les courtisans : à la question du mari qui désire savoir pour quelle raison elle semble ne pas vouloir être dans la chambre quand il y a du monde, elle trouve de nouveau « qu’elle ne croyait pas que la bienséance voulût qu’elle fût tous les soirs avec ce qu’il y avait de plus jeune à la cour […] la vertu et la présence de sa mère autorisaient beaucoup de choses qu’une femme de son âge ne pouvait soutenir » (98). Notons qu’elle regrette tout de suite d’avoir donné « une fausse raison » à son mari, ce qui est à mettre en parallèle avec l’apparente « raison de sévérité » et la joie de pouvoir accorder une faveur à Nemours par son absence lors du bal – entretemps, elle a changé, surtout à cause du discours testamentaire de la mère ; ses monologues intérieurs sont plus fréquents et plus moralisants, quoiqu’elle souffre de se priver de la vue de Nemours. Son mari passe petit à petit du stade d’une confiance totale à celui de la méfiance aggravée par la jalousie.

L’aveu de la princesse, arraché avec peine, est moins long que les questions par lesquelles le mari la presse d’abord de lui révéler la raison de vouloir s’absenter de la Cour, puis celles par lesquelles il cherche à lui faire dire le nom de l’amant (144). Elle limite le contenu de l’aveu, se gardant de prononcer ce nom, ce qui servira de ressort pour la suite du drame. Garaud avance que « le paradoxe de la situation de Mme de Clèves réside en ce qu’elle met tout son espoir en le pouvoir de la parole42 ». Elle croit pouvoir persuader le mari de son innocence par sa conduite et ses propos, alors que celui-ci, d’après la remarque de John Campbell, « a à lutter entre la vérité de l’affliction et affection de sa femme, et la vraisemblance de son infidélité43 ». En effet, une réplique de la reine au vidame de Chartres pourrait s’appliquer aussi bien à la princesse : « Je le veux croire, […] parce que je le souhaite » (123) : la princesse croit la reine dauphine qui l’assure ne pas être objet de l’amour du duc ; elle croit aux justifications de celui-ci sur la lettre et se fie à son air et ses paroles douces : « Il lui faisait voir combien il prenait d’intérêt à son affliction et il lui en parlait avec un air si doux et si soumis qu’il la persuadait aisément que ce n’était pas de Mme la dauphine dont il était amoureux » (67). La maxime du narrateur, que l’« on persuade aisément une vérité agréable » (133), s’applique donc facilement à la princesse, mais difficilement à son mari. Aussi l’accusera-t-il d’avoir donné elle-même son portrait (« je ne vous saurais croire », « Vous n’avez pu cacher vos sentiments » [146]) quoiqu’elle lui dise la vérité (« Fiez-vous à mes paroles […] il est vrai que je le vis prendre, mais je ne voulus pas faire paraître que je le voyais, de peur de m’exposer à me faire dire des choses que l’on ne m’a encore osé dire »), mais ne lui révèle pas tout : elle omet de dire que Nemours a fait d’elle presque une complice involontaire dans cet acte, s’approchant et lui disant tout bas de faire semblant de n’avoir rien vu, sans attendre qu’elle prononce quoi que ce soit (107). Mais révéler ce fait au mari signifierait lui donner le nom et le soupçon que les amants se sont parlé (plus d’une fois).

Le prince ira ensuite jusqu’à lui mentir pour la mettre à l’épreuve en disant que Nemours les accompagnera en Espagne (151), à quoi elle répondra défavorablement, mais son « trouble », qu’elle « ne put cacher » (152) dira assez au mari. Finalement, il l’accusera d’avoir vu le duc en privé (186), alors qu’elle ne l’a pas reçu sous prétexte de se trouver mal44. Par ricochet, ce geste ne fait qu’augmenter la curiosité et la jalousie du mari, qui, pensant que le duc avait dû lui parler pour avoir fait une « si grande impression » auprès d’elle, se lance dans une nouvelle accusation de mensonge (et de faiblesse) : « Vous n’avez pu me dire la vérité tout entière, vous m’en avez caché la plus grande partie, vous vous êtes repentie même du peu que vous m’avez avoué et vous n’avez pas eu la force de continuer […] Eh ! j’ai pu croire, s’écria-t-il, que vous surmonteriez la passion que vous avez pour lui. Il faut que j’aie perdu la raison pour avoir cru [que ce] fût possible » (187). Non seulement la sincérité se retourne contre la princesse, mais elle perd la confiance en son mari à cause de la divulgation du secret par Nemours et l’accuse à son tour : « quel usage avez-vous fait de la confiance extraordinaire ou, pour mieux dire, folle que j’ai eue en vous ? Ne méritais-je pas le secret, et quand je ne l’aurais pas mérité, votre propre intérêt ne vous y engageait-il pas ? Fallait-il que la curiosité de savoir un nom que je ne dois pas vous dire, vous obligeât à vous confier à quelqu’un pour tâcher de le découvrir ? » (160). Celui-ci ajoute à nouveau à l’accusation du mensonge celle de la faiblesse : « Songez plutôt, madame, à qui vous avez parlé. […] Vous n’avez pu soutenir toute seule l’embarras où vous vous êtes trouvée, et vous avez cherché le soulagement de vous plaindre avec quelque confidente qui vous a trahie » (161).

Il augmente lui-même les soupçons parce qu’il n’attend pas l’explication du gentilhomme qu’il avait envoyé espionner la princesse à Coulommiers, mais tire la conclusion de l’air de celui-ci :

Sitôt qu’il le vit, il jugea, par son visage et par son silence, qu’il n’avait que des choses fâcheuses à lui apprendre. […]

— Allez, lui dit-il, je vois ce que vous avez à me dire, mais je n’ai pas la force de l’écouter.

— Je n’ai rien à vous apprendre, lui répondit le gentilhomme, sur quoi on puisse faire de jugement assuré. […]

— C’est assez, répliqua M. de Clèves, c’est assez, en lui faisant encore signe de se retirer, et je n’ai pas besoin d’un plus grand éclaircissement. (209)

Tombé malade de cette conviction de l’infidélité, sur son lit de mort, il ne croit pas aux larmes et affliction de sa femme : « N’en dites pas davantage, interrompit M. de Clèves, de faux serments ou un aveu me feraient peut-être une égale peine » (213). Rien de ce qu’elle dit ne le persuade entièrement. Par ailleurs, le narrateur ajoute ici en commentaire une deuxième maxime sur la vérité, semblable à la première, mais ironique, vu le contexte dans lequel elle est placée : « Elle lui parla avec tant d’assurance, et la vérité se persuade si aisément lors même qu’elle n’est pas vraisemblable, que M. de Clèves fut presque convaincu de son innocence » (213). Garaud a bien noté ce presque habilement employé45 – on pourrait en plus le comparer à l’aisément de l’exemple de la page 67 cité supra, pour mesurer le décalage entre le besoin de sincérité et la confiance (ou crédulité ?) de la princesse d’un côté, et la jalousie qui rend son mari complètement méfiant de l’autre. Tout comme la mère l’avait fait dans son discours testamentaire, il rejette la faute sur la princesse : « Vous m’avez éclairci trop tard » (213).

Conclusion

L’analyse de la dissimulation sur le plan mère/fille, mari/femme, ainsi que les réactions des lecteurs de l’époque, révèlent que dans le monde de la Cour, où il existe une dichotomie constante de l’être et du paraître, la passion ne place pas les hommes et les femmes sur un pied d’égalité : alors que les hommes se permettent d’entretenir des relations plus ou moins secrètes et de donner plus ouvertement des marques d’admiration aux femmes, ces dernières se doivent de conserver « la vertu » – au moins d’en garder plus attentivement l’apparence – car leur comportement « immoral » menace leur propre réputation, ainsi que celle du couple. Cet univers périlleux, reposant précisément sur le mensonge sous le masque des bienséances et de la discrétion, maintient un décalage considérable entre les sexes. Dans un premier temps, la princesse obéit à l’exigence de la transparence et parle ouvertement à sa mère de tout ce qui lui arrive à la Cour. À la suite des discours édifiants de cette dernière indiquant implicitement l’utilité de la dissimulation et l’importance du paraître vertueux, elle commence à cacher la vérité et semble accepter le jeu social dont la règle tacite est que « le monde ne peut pas condamner ce qu’il ne sait pas46 ». Toutefois, les derniers conseils que la mère donne à la princesse de se retirer de la Cour se heurtant au désaccord du mari, elle se trouve poussée, influencée par les conseils de celui-ci, à lui avouer partiellement sa passion pour un autre homme. Après l’aveu, elle se voit cependant méprisée par le prince (après une courte période d’admiration), accablée d’accusations encore plus graves et en proie à un sentiment de culpabilité qui ne cessera de la hanter. Dans de telles circonstances où la jalousie extrême du mari face à sa confiance lui apprend que la vraisemblance résultant des usages sociaux l’emporte sur la vérité, la seule issue lui semble rompre toute communication avec la société.

Notice biographique

Željka JANKOVIC (1989, Kragujevac, Serbie) est assistante en littérature française (XVIIe-XVIIIe siècles) au Département d’études romanes de la Faculté de Philologie de Belgrade, où elle rédige également sa thèse de doctorat sur Madame de Lafayette et les études du genre. Elle est membre du projet « Knjiženstvo » abordant la littérature féminine au sein de sa faculté, ainsi que collaboratrice au projet ParcoLab (Université Toulouse Jean Jaurès−Université de Belgrade). Elle a participé à de nombreux colloques serbes et internationaux, a publié une vingtaine d’articles, de traductions et une monographie portant essentiellement sur la stylistique, la littérature française et comparée, les liens franco-serbes, la gynocritique et l’œuvre d’Andreï Makine et de Madame de Lafayette. 

Bibliographie

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Notes de bas de page

  1. Depuis Roger Gaillard, qui postule que « le long chemin lumineux et terrible de Madame de Clèves est celui de la prise d’individualité par la prise de parole » (Approche de « La Princesse de Clèves », Dijon, Éditions de l’Aleï, 1983, p. 21) une liste infinie d’interprétations féministes s’établit. Consulter sur ce sujet John Campbell, « État présent. Madame de Lafayette », French Studies, LXV, no 2, p. 225-232.
  2. Voir à titre d’exemple Marianne Hirsch, « A Mother’s Discourse : Incorporation and Repetition in La Princesse de Clèves », Yale French Studies, no 62 (1981), pp. 67-87 ; Nelly Grossman Kupper, « A Woman’s Choice: Duty and Desire in La Princesse De Clèves », Symposium: A Quarterly Journal in Modern Literatures, vol. 55, Issue 2, 2001, pp. 95-105 ; Ellen Schaf, « Finding her Voice : the Princess’ Struggle in Madame de Lafayette’s La Princesse de Clèves », mémoire de Master, Miami University, 2011.
  3. Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent, la scène de première vue dans le roman, Paris, José Corti, 1981, p. 104.
  4. Ibid., p. 107.
  5. Jean Rousset, « La Princesse de Clèves », Forme et signification, Paris, José Corti, 1962, p. 42.
  6. Idem.
  7. Antoine Adam, Histoire de la littérature française du XVIIsiècle, Paris, Domat Monchrestien, 1968, tome IV, p. 187.
  8. Béatrice Didier, L’Écriture-femme, 3ème édition, Paris, PUF, 1991, p. 88.
  9. Myriam Dufour-Maître et Jacqueline Milhit, La Princesse de Clèves, Paris, Hatier, 2004, p. 66.
  10. Anne Green, Privileged Anonymity. The Writings of Madame de Lafayette, Oxford, Legenda, 1996, p. 78. Traduit de l’anglais par Ž. Janković. Toutes les traductions de l’anglais dans la suite du texte sont de Ž. J.
  11. Voir Jeanine Anseaume Kreiter, Le problème du paraître dans l’œuvre de Madame de Lafayette, Paris, Nizet, 1977, pp. 241-243, 255. John Campbell s’appuie sur cette étude et va plus loin en examinant tous les mots clés regroupés autour des notions de paraître, croire, cacher, vérité : voir John Campbell, « The Language of Madame de Lafayette: A Study of the Literary Function of Key-words », thèse de doctorat, University of Glasgow, 1979, surtout pp. 130-156.
  12. Christian Garaud, « Le geste et la parole : remarques sur la communication amoureuse dans La Princesse de Clèves », XVIIe Siècle, XXX, no 4 (1978), p. 259.
  13. Ibid., p. 260. Jean Rohou et Gilles Siouffi avancent la même position : « En dehors de Mme de Clèves, de son mari et de sa mère, tous les personnages de ce roman, leurs actions et le décor où ils vivent, n’existent que par le paraître » (Lectures de Madame de Lafayette, Rennes, PUR, 2015, p. 73), « Tous les personnages de ce roman, à l’exception de l’héroïne, de son mari et de sa mère sont champions du déguisement et princes de la mauvaise foi » (ibid., p. 78).
  14. Christian Garaud, art. cit., p. 261.
  15. Nous, ainsi que l’auteur, insistons ici sur le verbe « semble » et y reviendrons dans la suite de l’analyse.
  16. Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, notes, questionnaires et synthèses par Véronique Brémond Bortoli, Paris, Hachette, 2008, p. 45. Pour alléger la lecture, nous indiquerons dorénavant les numéros de pages du roman entre parenthèses dans le corps de l’article.
  17. L’habileté de Madame de Lafayette est d’avoir introduit dans le roman même la polémique sur la vraisemblance qui sera au cœur d’une véritable « querelle » entre Valincour et l’abbé de Charnes à la suite de la publication : l’héroïne, consciente de la singularité de sa démarche, réagit à l’histoire de son propre aveu raconté par la dauphine (qui l’a appris par le vidame de Chartres, à qui Nemours l’avait confié après avoir écouté les époux en cachette) : « Cette histoire ne me paraît guère vraisemblable, madame, répondit-elle, et je voudrais bien savoir qui vous l’a contée » (156).
  18. Maurice Laugaa, Lectures de Madame de Lafayette, Paris, Armand Colin, 1971, p. 33. Pour plus d’exemples, voir ibid., pp. 33-40. Nous avons adapté les citations du XVIIe siècle aux règles de l’orthographe moderne.
  19. Ibid., p. 39.
  20. Ibid., p. 40.
  21. Nous avons abordé cette problématique dans Željka Janković, « La querelle de La Princesse de Clèves et les stéréotypes de la “nature” des sexes au XVIIe siècle », Le stéréotype : est-il bon, est-il mauvais ?, Craiova : Editura Universitaria, pp. 127-140.
  22. François-Ronan Dubois, « Le secret et la constitution de l’individu dans La Princesse de Clèves de Marie-Madeleine de Lafayette », Résonances, 2/14 (2013), p. 247.
  23. Valincour, Lettres à Madame la Marquise *** sur le sujet de la Princesse de Clèves, Paris, Garnier- Flammarion, 2001, p. 222.
  24. Harriet Stone, « Exemplary Teaching in La Princesse de Clèves », The French Review, vol. 62, no 2 (Déc. 1988), p. 249. Marianne Hirsch l’avait noté comme suit : « Elle lui raconte les intrigues amoureuses qui se passent autour d’elle, non pas pour l’initier aux rites de la vie courtisane, mais comme pour substituer la narration à l’expérience interdite » (art. cit., p. 75). John Philips ajoute de même qu’« elle veut inculquer et renforcer la vertu, mais n’explique pas pourquoi les autres n’agissent pas de la sorte » (« Mme de Chartres’ Role in the Princesse de Clèves », PFSCL, XXXV, 69 (2008), p. 688).
  25. Nous soulignons.
  26. Myriam Dufour-Maître et Jacqueline Milhit, op. cit., p. 78.
  27. Christian Garaud, art. cit., p. 263.
  28. On se sert du pouvoir de son statut social pour contredire la parole d’autrui, ou pour en entraver la portée : ainsi Mme de Valentinois empêche l’alliance entre les maisons de Chartres et de Montpensier, la dauphine se plaint de son « médiocre pouvoir » (41) face à Diane de Poitiers et la Reine à cause de qui « personne n’osait plus penser à Mlle de Chartres par la crainte de déplaire au roi ou par la pensée de ne pas réussir auprès d’une personne qui avait espéré un prince du sang » (42).
  29. John Phillips, art. cit., p. 695.
  30. Ibid., p. 696.
  31. Ibid., p. 697.
  32. Voir Marianne Hirsch, art. cit., p. 85 ; Anne Green, op. cit., p. 64.
  33. Timothy M. Scanlan, « Maternal Mask and Literary Craft in La Princesse de Clèves », Revue du Pacifique, II (printemps 1976), pp. 23-32.
  34. Anne Green accentue même que ce message implicite que « la sagesse et la réputation se gagnent en gardant le silence » est « la leçon la plus importante que la princesse de Clèves apprend de sa mère » (op. cit., p. 64).
  35. John Phillips, art. cit., p. 697.
  36. Voir pp. 117, 140, 150, 154, 165, 169, 184, 194. Madame de Valentinois et Madame de Thémines se servent du même prétexte (voir pp. 81, 114).
  37. Gérard Ferreyrolles, « La Princesse et le tabou », Lectures, no 1 (1979), p. 70.
  38. Catherine Chabert, « La féminité au mépris de la différence des sexes », La pensée de midi, no 24-25 (2008), p. 139.
  39. Harriet Stone, art. cit., p. 249.
  40. Marianne Hirsch, art. cit., p. 78.
  41. Également noté par Anne Green : « Sa réponse est typiquement fuyante et c’est Clèves lui-même qui lui donne la signification » (op. cit., p. 77).
  42. Christian Garaud, art. cit., p. 266.
  43. John Campbell, op. cit., p. 166.
  44. « La crainte qu’elle eut qu’il ne lui parlât de sa passion, l’appréhension de lui répondre trop favorablement, l’inquiétude que cette visite pouvait donner à son mari, la peine de lui en rendre compte ou de lui cacher toutes ces choses, se présentèrent en un moment à son esprit et lui firent un si grand embarras, qu’elle prit la résolution d’éviter la chose du monde qu’elle souhaitait peut-être le plus » (184).
  45. Christian Garaud, art. cit., p. 267.
  46. Anne Green, op.cit., p. 33.