Le spectateur surréaliste

Par Boris Monneau — Culture pop!

L’attitude des surréalistes face au cinéma nous place devant un paradoxe du point de vue de la sociologie culturelle : les tenants de ce mouvement artistique d’avant-garde revendiquent les productions de la culture populaire, ou devrait-on dire les produits de l’industrie culturelle. Ainsi, les films comiques ou policiers provoquent leur enthousiasme, tandis qu’ils dénigrent le cinéma d’avant-garde. Il y a là une position qui non seulement déplace la perspective habituelle par rapport à la hiérarchisation de la culture entre objets légitimes ou illégitimes, mais qui nous force aussi à repenser la figure du récepteur, en ce cas le spectateur, qui devient un élément agissant dans le complexe que constitue l’expérience esthétique. Nous aborderons d’abord la question du spectateur surréaliste du point de vue historique, en rendant compte des goûts cinématographiques des écrivains associés au mouvement ; nous interrogerons ensuite cette notion dans une perspective plus spéculative, la rattachant à la critique de la théorie critique menée à bien par Jacques Rancière.

Les surréalistes au cinéma : une contre-culture populaire

S’il y eut un cinéma surréaliste, qui, selon le sévère recensement d’Alain et Odette Virmaux1, se réduirait à une poignée de titres, les surréalistes furent d’abord et avant tout spectateurs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils demeurèrent passifs face aux films, dans une simple attitude de consommation, voire de contemplation. Nous verrons qu’ils apportèrent une vibrante contradiction à cette image du spectateur inactif et inintelligent sur laquelle s’appuient les critiques de l’industrie culturelle et de la société du spectacle2.

Le cinéma fut pour eux matière à écriture : le recueil poétique Yo era un tonto y lo que he visto me ha hecho dos tontos (J’étais un idiot et ce que j’ai vu a fait de moi deux idiots) (1929) de Rafael Alberti, donne la parole aux acteurs muets du burlesque américain : il contient ainsi des pièces aux titres évocateurs, tels que « Stan Laurel et Oliver Hardy démolissent involontairement 75 ou 76 automobiles et rejettent ensuite la faute sur une peau de banane » ou « Wallace Beery, pompier, est destitué de ses fonctions pour n’avoir pas sonné l’alarme avec l’urgence requise » ; la pièce de théâtre Le trésor des jésuites (1929), d’André Breton et Louis Aragon, rend hommage à l’actrice de la série Les Vampires, Musidora, et plus généralement aux ciné-feuilletons ; le roman Anicet (1921) d’Aragon contient des personnages et des scènes inspirés par le cinéma (et notamment par le western et le burlesque) ; le récit Mort de Nick Carter (1926) de Philippe Soupault narre la dernière aventure du détective éponyme. Notons encore des textes relevant de l’essai (Notre frère Charlie [1924], texte d’Henri Michaux sur Chaplin, cet « acteur du subconscient »), de la critique (Les rayons et les ombres [1923-30] par Robert Desnos), ou du manifeste (Hands off love [1927] en défense de Chaplin, et L’Âge d’or [1931], en défense du film de Buñuel et de Dalí) : tous les genres littéraires pratiqués peu ou prou par les surréalistes (sans compter le scénario3 comme nouveau genre littéraire, ou la « critique synthétique4 » comme nouveau sous-genre) ont porté la marque de l’écran, l’empreinte de ses figures, pour ne pas dire la hantise, tant la présence du cinéma est forte dans la psyché surréaliste, par-delà l’activité proprement littéraire que nous venons d’évoquer succinctement. Ainsi l’actrice de Salomé (1923), Alla Nazymova, apparaît dans les propos hypnagogiques de Desnos rapportés par Breton dans Les pas perdus5, et Nosferatu figure, sous forme de cravate, dans un rêve narré par Breton dans Les vases communicants6. Le cinéma s’infiltre dans la vie et dans l’art jusqu’à les confondre, conformément aux visées synthétiques des surréalistes. Mais le cinéma s’inscrit aussi dans le champ culturel : il est analysable comme phénomène social. En se situant dans une perspective socioculturelle, les Virmaux expliquent en partie cet engouement d’un groupe d’intellectuels pour un art de masse en se référant au phénomène du dandysme, qui repose sur l’exaltation provocatrice de tout ce que les gens de goût, les tenants de la bonne culture, méprisent7. Cette attitude n’est effectivement pas étrangère à l’un des poètes canoniques du surréalisme, Arthur Rimbaud8. Pourtant, il n’est guère possible, de l’aveu même des auteurs, de réduire la cinéphilie des surréalistes au simple plaisir aristocratique de déplaire. C’est le paradigme lettré de la culture qui est attaqué à travers le cinéma, c’est « l’irrationnel9 » de l’image qui s’oppose à la rationalité du texte dans ce nouveau paysage médiologique10.

Ainsi se dessine une affinité fondamentale entre le surréalisme et le cinéma, qui tient à l’image, mais aussi, indissociablement, à l’automatisme : la cinématographie serait une forme proprement mécanique de l’écriture automatique ; il y aurait une continuité possible entre l’inconscient optique de la caméra11 et l’inconscient psychique. Il n’est pas innocent que Breton considère les surréalistes dans leur pratique de l’automatisme psychique comme de « modestes appareils enregistreurs12 », terme employé également par Jacques Vaché qui semble prêter, dans une lettre, la parole à l’appareil cinématographique (lettre qui, de fait, se poursuit avec d’explicites références au cinéma) : « Je suis vide d’idées, et peu sonore, plus que jamais enregistreur inconscient de beaucoup de choses, en bloc13 ». Cet automatisme ouvre la voie à l’inconscient et, à travers lui, au dérèglement des sens, au déploiement des correspondances, à la projection de l’esprit dans les choses, du sujet dans l’objet. Ici encore, les termes définissant le cinéma et les visées surréalistes se rejoignent : il y a coïncidence dans le dépaysement14. Le dérèglement rimbaldien est reformulé par Breton sous ce mot d’ordre : « dépayser la sensation15 », notamment à travers « l’expérience qui consiste à incorporer à un poème des objets usuels ou autres, plus exactement à composer un poème dans lequel des éléments visuels trouvent place entre les mots sans jamais faire double emploi avec eux16 ». Or, cette cohabitation du visuel et du verbal à laquelle est confronté le « lecteur-spectateur17 » est bien la condition habituelle du cinéma, du moins à l’époque du muet. Notons de plus que Breton voit dans le « pouvoir de dépaysement18 » le plus grand prestige du septième art : au premier stade, il s’agit de la possibilité pour le spectateur de s’abstraire de sa propre vie en entrant dans le domaine semi-onirique de la salle, en passant « par un point critique aussi captivant et insaisissable que celui qui unit la veille au sommeil » ; en dernière instance, au bout du dépaysement, le cinéma fournirait la « Clé d’Ouverture […] qui fait fonctionner à perte de vue le mécanisme des correspondances19 ». L’expérience du cinéma participerait ainsi de la vision magique à laquelle aspirait passionnément Breton (souvenons-nous de son ouvrage sur L’Art magique), en ce qu’elle crée un monde de métamorphoses, « un univers fluide où les choses ne sont pas durcies dans leur identité20 » (pour reprendre la formulation d’Edgar Morin), qui coïnciderait avec ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement21 » : c’est là le point de mire du surréalisme. Breton regrette cependant que le cinéma ne se soit pas dans son ensemble engagé dans cette voie, préférant se conformer aux modèles littéraires, romanesques ou théâtraux. Le cinéma étant à l’image de la vie22, son irrationalisme révélateur prisé par les surréalistes s’exprimera en termes vitalistes : c’est là le cœur de la critique qu’adresse l’écrivain surréaliste René Crevel à la littérature, opposée à la poésie du cinéma. L’écriture d’inspiration cinématographique (combien différente pourtant de son propre style !) est clairement préférée à la rhétorique littéraire dans un article que Crevel consacre aux scénarios de Louis Delluc, publiés sous le titre Drames de cinéma (1923) : « Le récit exact, sans phrase inutile, a la puissance d’un poème créé avec le moins de mots et la plus grande émotion. D’un point de vue littéraire, je crois même que ces drames de cinéma, par l’exemple d’une si riche précision, donneront la haine de toute grandiloquence et de tout verbalisme, et que M. Delluc hâtera le règne des mystérieuses simplicités23 ». Dans un texte ultérieur portant sur un autre livre de Delluc, Crevel condamnera encore, à la lumière de cette simplicité, « la phrase exhibitionniste, mais non évocatrice où se complaît aujourd’hui certain snobisme de plume24 ». Répudiant le technicisme artistique, l’important pour Crevel est d’atteindre la vie, ce qui est la fin de toute œuvre : « Les mots créaient la vie et comme je me suis toujours demandé quel autre but se pourrait proposer l’art en général, et, en particulier : je me sentis fort heureux d’avoir choisi ce livre25 ». Cette exigence est commune à la plupart des surréalistes ayant écrit sur (et parfois pour) le cinéma, bien qu’elle se trouve exprimée diversement selon les idiosyncrasies de chacun. Qu’il s’agisse de voir dans les films le moyen d’exalter la poésie latente des objets quotidiens, de mobiliser les passions et puissances libératrices du rêve et de l’amour, ou d’atteindre les profondeurs de la vie psychique toujours le cinéma est considéré comme cet ailleurs où la vraie vie se situe. Aragon exprimera ses vues à ce sujet dans un article de 1918, intitulé « Du décor », qui définit la vertu propre du cinéma comme celle de transfigurer les objets et les lieux ordinaires, de les « susciter à la vie supérieure de la poésie » : « Avant l’apparition du cinématographe, c’est à peine si quelques artistes avaient osé se servir de la fausse harmonie des machines et l’obsédante beauté des inscriptions commerciales des affiches, des majuscules évocatrices, des objets vraiment usuels, de tout ce qui chante notre vie, et non point quelque artificielle convention, ignorante du corned-beef et des boîtes de cirage26 ». Desnos aborde le cinéma sous un angle plus subjectif : « Pour nous, pour nous seuls, les frères Lumière inventèrent le cinéma. Là, nous étions chez nous. Cette obscurité était celle de notre chambre avant de nous endormir. L’écran pouvait peut-être égaler nos rêves27 ». Le film ultime serait celui qui parviendrait à s’identifier à la vie, dépassant l’antithèse du réel et du rêve : « Le chef-d’œuvre de l’écran sera celui où l’on crèvera la toile à coups de revolver, à la place du personnage antipathique, celui – hélas utopique! – où l’opérateur relèverait des traces de baisers sur l’écran28 ». Artaud théorise davantage ce rapport fusionnel du cinéma à la vie :

La peau humaine des choses, le derme de la réalité, voilà avec quoi le cinéma joue d’abord. Il exalte la matière et nous la fait apparaître dans sa spiritualité profonde, dans ses relations avec l’esprit d’où elle est issue. Les images naissent, se déduisent les unes des autres en tant qu’images, imposent une synthèse objective plus pénétrante que n’importe quelle abstraction, créent des mondes qui ne demandent rien à personne ni à rien. Et par le fait qu’il joue avec la matière elle-même, le cinéma crée des situations qui proviennent d’un heurt simple d’objets, de formes, de répulsions, d’attractions. Il ne se sépare pas de la vie mais il retrouve comme la disposition primitive des choses.29

Or, cette valeur propre du cinéma, ce n’est pas dans les œuvres qui prétendent incarner l’essence de l’art cinématographique que les surréalistes la trouvent, mais dans les films populaires, dans certains grands succès de l’époque « déjà si décriés30 » par la critique : le texte d’Artaud s’applique au cinéma burlesque (« Les films les plus réussis dans ce sens sont ceux où règne un certain humour, comme les premiers Malec [autrement dit Buster Keaton], comme les Charlot les moins humains. Le cinéma constellé de rêves, et qui nous donne la sensation physique de la vie pure, trouve son triomphe dans l’humour le plus excessif »), celui de Desnos aux « serials » ou films-feuilletons, d’aventure et policiers (trois films ont été à la hauteur de ses vœux : « Fantômas, pour la révolte et la liberté, Les Vampires, pour l’amour et la sensualité, Les Mystères de New York, pour l’amour et la poésie »). Pour Desnos, le principal ennemi de ce cinéma poétique31 est, outre le censeur et le bourgeois dont il partage l’idéologie, le lettré. L’un de ses articles représente allégoriquement « un redoutable spécimen de l’espèce des hommes de lettres », « personnage grotesque » qui fait irruption dans le monde merveilleux du cinéma et en dissipe les visions en tenant ces propos : « Il déclare que la poésie n’est que de la littérature ; il déclare que le cinéma est un art ; il déclare que l’art est de copier la nature, naturellement (sic) ; il déclare que le devoir de l’artiste est de représenter l’homme dans ses plus médiocres et plus sales occupations […]32 ». Dans le cinéma se prolonge le caractère contre-culturel global du surréalisme, son opposition à l’académisme littéraire et au rationalisme qu’il véhicule, et à travers eux son rejet de la société bourgeoise. Dès lors, le cinéma dans ses manifestations les plus populaires devient une valeur contre-culturelle brandie face aux tendances de la culture cinématographique naissante, qui réduisent ce moyen d’expression et d’exaltation de la vie à une simple production artistique, à un pur jeu esthétique : d’où l’hostilité des surréalistes à l’égard du cinéma d’avant-garde, qui cimentait cette nouvelle culture33. Antithèse de ces films d’affects que sont les burlesques et les serials, le cinéma d’avant-garde apparaît aux yeux des surréalistes34 comme enlisé dans l’art, figé dans le formalisme, dans les faux contenus et les fausses valeurs : « L’utilisation de procédés techniques que l’action ne rend pas nécessaires, un jeu conventionnel, la prétention à exprimer les mouvements arbitraires et compliqués de l’âme seront les principales caractéristiques de ce cinéma que je nommerais volontiers cinéma de cheveux sur la soupe35 ».Ici sont avant tout visées les productions françaises : Jean Epstein36, Marcel L’Herbier37, Abel Gance38, Germaine Dulac39, tous ces cinéastes dont plus tard Ado Kyrou affirmera ironiquement que « leur avant-garde a rétrogradé le cinéma40 », font l’objet de remarques systématiquement négatives41. Certains films allemands d’inspiration expressionniste ayant sombré dans l’académisme n’échappent pas davantage à la semonce : Crevel a critiqué la « déformation systématique, dont beaucoup, obnubilés par les succès de Caligari, semblent vouloir faire un style de cinéma42 », et notamment la stylisation outrancière des décors dans le Crime et châtiment (Raskolnikow, 1923) de Robert Wiene, « comme si des murs de traviole pouvaient mieux révéler le désordre des âmes ». Mêmes remarques de Desnos pour Le montreur d’ombres (Schatten Eine nächtliche Halluzination, 1923) d’Arthur Robinson : il dénonce « le poncif du genre43 », qui est également présent dans le cinéma francais : « employant à tort et à travers le jeu lent ou la déformation de l’univers, [les cinéastes] aboutirent à une nouveau poncif dont L’Inhumaine [Film de Marcel L’Herbier (1924)]est la plus lamentable et la plus grotesque manifestation44 ». Artaud s’en prend quant à lui au cinéma abstrait : « Le cinéma pur est une erreur, de même que, dans n’importe quel art, tout effort pour atteindre au principe de cet art au détriment de ses moyens de représentation objectifs45 ». Quelques années plus tard, il présentera les innovations (un « profond renouvellement de la matière plastique des images, [une] véritable libération […] de toutes les forces sombres de la pensée ») du film qu’il a écrit, La coquille et le clergyman, sous le titre « Avant-garde de fond contre avant-garde de forme »46.

Ce n’est donc pas l’avant-garde (du moins pas celle que nous avons évoquée) qui est porteuse aux yeux des surréalistes des vertus révolutionnaires du cinéma47, mais le cinéma populaire qui, en condensant les affects libérateurs de l’érotisme et de l’humour, en faisant appel aux capacités participatives et projectives du spectateur, dépasse le clivage de l’art et de la vie, du désir et de la réalité. Représentant l’intention artistique, l’art délibéré, la technicité du cinéma d’avant-garde introduit une distance, marque une intention de sens trop appuyée par rapport à la spontanéité sensuelle du burlesque ou du serial. C’est pourquoi il nous semble peu perspicace de la part des Virmaux de faire grief à Kyrou de s’attacher au « surréalisme involontaire », « au besoin dans la production commerciale, voire dans les films les plus médiocres48 », alors que l’involontaire est au cœur même de la pratique surréaliste, et que les auteurs que nous avons cités se reconnurent précisément dans des films commerciaux auxquels l’on ne peut imputer une volonté surréaliste, du moins au sens orthodoxe du terme. C’est au contraire en prenant en compte son caractère spécifiquement irrationnel, tel que le soulignait déjà Walter Benjamin, que l’on pourrait comprendre en quoi le cinéma est surréaliste. Quelqu’un d’aussi politiquement conservateur (monarchiste et catholique) queLouis Feuillade était, comme le souligne Michael Richardson, « un très improbable héros surréaliste49 ».Cependant, ses méthodes de tournage ouvertes à l’improvisation50 ne sont pas entièrement étrangères à la démarche surréaliste. La part d’involontaire, de hasard dans la création cinématographique est constitutive de sa surréalité : « Le résultat du tournage d’un film est conditionné par mille impondérables. Et poussant les choses à leur extrême limite, je crois que l’on peut rapprocher un film commercial d’un cadavre exquis, auquel ont pris part le réalisateur, le scénariste, le dialoguiste, l’opérateur du son, la lumière, le temps, la caméra, les aléas de la projection, les acteurs, le producteur, la censure, la publicité et même le public51 ».Cette vision du film comme porteur, au-delà de son aspect manifeste, d’une irrationalité latente et inhérente, d’une hétérogénéité (l’image) recouverte par l’homogénéité de surface (l’anecdote)52, mènera Kyrou à faire l’éloge de productions méprisées par la critique cinématographique, de « films qui, paraît-il, n’ont pas leur place dans l’histoire du cinéma53 ». Ce sont d’abord des œuvres qui ne sont pas dépourvues d’une intentionnalité voisine de celle du surréalisme, en ce qu’elles reposent sur le merveilleux54, faisant naître des mondes « d’où l’impossible serait banni55 ». Il range dans cette catégorie de nombreux films de science-fiction, d’aventure, d’horreur, ainsi que plusieurs films policiers, westerns et peplums (les adaptations de Gaston Leroux telles que Balaoo [1913] de Victorin-Hippolyte Jasset ou Le parfum de la dame en noir [1914] de Maurice Tourneur, les films dans lesquels apparut Houdini dont Terror Island [1920] de James Cruze, la série des Flash Gordon [1936-1940], etc.). Mais Kyrouva plus loin encore à la fin de son livre, en avouant sa délectation devant ce que de nombreux « navets » (y compris des films religieux) ont d’excessif et d’involontairement surréaliste, et en encensant les genres cinématographiques les plus méprisés :

Ayons le courage de crier que certains petits films mi-pornographiques que l’on pouvait voir encore avant la guerre dans les appareils à sous (les plus récents sont en très nette baisse) étaient des chefs-d’œuvre. Quoi de plus mystérieux et d’insolite que ces dames en manteau de fourrure qui descendaient de voitures bourgeoises pour s’enfoncer à pas de danseuse dans des bois où d’étranges rites déroulaient leur faste ? Beaucoup plus que de simples et bas excitants pour vieux messieurs, ces courts métrages constituaient l’expression la plus sincère, la plus pure de la magie cinématographique. L’automatisme, le hasard objectif, la révolte et l’amour se sont donné le plus poétique rendez-vous dans une immense machine commerciale qu’ils peuvent transformer de fond en comble. Ces éclairs de l’esprit sont évidemment noyés (et pour longtemps encore) dans le mercantilisme et la propagande réactionnaire, mais je les vois, je ne vois qu’eux. […] Je vous en conjure : apprenez à voir les « mauvais » films, ils sont parfois sublimes56.

Le film cesse d’être une évidence, « car dans ce domaine l’objectivité est quasiment impossible57 ». À ce stade, le mérite du film revient en dernière instance au spectateur qui, suivant les indices et les signes qui peuvent résulter de l’inconscient cinématographique, sait y projeter ses propres visions. Après avoir considéré certains films, par leur contenu dépaysant, émerveillant, galvanisant, comme des réalisations de la vie rêvée, nous en venons à considérer le rôle constitutif du spectateur devant tout film, dont il fera vivre les images de sa vie propre. Le cinéma, et notamment le cinéma populaire, fut surréaliste à son insu, presque malgré lui, mais le spectateur surréaliste est quant à lui engagé dans une intense activité participative.

Changer la vue

Il y eut cependant un déclin de l’intérêt surréaliste pour le cinéma. À l’enthousiasme succéda la désillusion, l’âge cinématographique passa pour certains. Péret et Breton critiquèrent la médiocrité commerciale dans laquelle s’enfonçait progressivement le cinéma58, preuve que leur goût des films populaires ne tenait pas plus du populisme que du dandysme. Artaud invoque des raisons plus profondes dans un texte intitulé « Vieillesse précoce du cinéma » (1933) : le cinéma semblait être la vie, il s’avère être « un monde mort, illusoire et tronçonné » : « Je veux dire que la figure d’un film est définitive et sans appel et, si elle permet un criblage et un choix avant présentation des images, elle interdit à l’action des images de changer ou de se surmonter59 ». Vu sous cet angle, le cinéma serait effectivement tout le contraire de la vie, entendue comme processus transformateur ; mais il faudrait en venir à ce qu’il y a de plus vivant au cinéma, à la part vive du dispositif, c’est-à-dire au spectateur, pour ne pas réduire l’expérience cinématographique à l’absolu filmique, pour éviter l’écueil nouménal. À cette vision matérialiste du film comme forme close s’oppose la vision surréaliste du cinéma comme relation subjective, correspondance imaginaire, double projection. Le surréalisme nous invite à considérer le film non pas comme une chose achevée, mais comme une expérience à produire, comme une subjectivation à assumer. Les propos d’Artaud, s’ils ne font pas appel au spectateur, et précisément parce qu’ils se refusent à considérer son rôle constituant, rejoignent les thèses anti-spectaculaires de la théorie critique. Le fameux texte d’Adorno et d’Horkeimer, visant à démontrer et à dénoncer la rationalité totalisante de l’industrie culturelle, postule un spectateur totalement asservi au spectacle : « Le film sonore […] ne laisse plus à l’imagination et à la réflexion des spectateurs aucune dimension dans laquelle il pourrait se mouvoir, s’écartant des événements précis qu’il présente sans cependant en perdre le fil, si bien qu’il forme sa victime à l’identifier directement avec la réalité60 ». Ce processus aliénant est donc un processus réaliste. L’identification du spectacle à la réalité doit être dialectisée : c’est le surréalisme qui sera l’instrument de cette dialectique, en substituant le principe de plaisir au principe de réalité61, en plaçant le désir au cœur du réel62. Ce faisant, le processus émancipateur du surréalisme prendra le contre-pied du déterminisme de la théorie critique, qui semble devoir, pour s’affirmer telle, soustraite tout pouvoir critique à celui qui fait l’objet de son discours : il fera la part belle à la contingence, à la libre interprétation, à la subjectivité. La révolution copernicienne du spectacle est mise en œuvre dès les premiers temps du surréalisme. Aux antipodes de la passivité définissant habituellement la position du spectateur, et notamment du spectateur cinématographique63, le spectateur surréaliste adopte une attitude particulièrement active : Breton et Vaché nous en donnent d’abord l’exemple sous la forme d’une activité physique excentrique, « excentrante », produisant un reversement du spectaculaire de l’écran vers la salle, où le spectateur se donne en spectacle : « nous nous installions pour dîner, ouvrions des boîtes, taillions du pain, débouchions des bouteilles et parlions haut comme à table, à la grande stupéfaction des spectateurs qui n’osaient rien dire64 ». Cette liberté par rapport aux normes de la séance cinématographique ne se résume pas à la volonté d’épater le bourgeois. C’est ce que confirme ce récit :

Quand j’avais « l’âge du cinéma » […] je ne commençais pas par consulter le programme de la semaine pour savoir quel film avait la chance d’être le meilleur et pas davantage je ne m’informais de l’heure à laquelle tel film commençait. Je m’entendais très spécialement avec Jacques Vaché pour n’apprécier rien tant que l’irruption dans une salle où l’on donnait ce que l’on donnait, où l’on en était n’importe où et d’où nous descendions à la première approche d’ennui – de satiété – pour nous porter précipitamment vers une autre salle où nous nous comportions de même, et ainsi de suite […]. Je n’ai jamais rien connu de plus magnétisant […]. L’important est qu’on sortait de là « chargé » pour quelques jours.65

L’attitude de ce spectateur provient non d’une simple provocation envers la réalité, c’est-à-dire envers l’ordre des choses, qui la maintient tout en s’y opposant, mais d’un désir de surréalité, de transformation dialectique de cet ordre dans un dépassement de ses antinomies : une mise en mouvement émancipatrice66. C’est là une façon de se soustraire au film, mais aussi une autre façon de l’incorporer, d’ingérer cette « substance lyrique exigeant d’être brassée en masse et au hasard67 », de la laisser venir à nous et nous faire signe fortuitement : faire en sorte que l’image puisse être un coup de foudre68, qu’en elle puisse naître la « coïncidence bouleversante69 ». Dans cet exercice de démontage (Christophe Gauthier parlait de « mise en pièces de la projection70 »), les fragments du film désassemblés acquièrent un sens autonome et fortuit, entrent dans le domaine du hasard objectif71 où le désir et le réel sont solidaires, et quittant la continuité qui leur était d’abord assignée extérieurement, ouvrent le champ intérieur de la rencontre élective. Breton marque ici un premier pas vers l’appropriation : la disponibilité distraite72. Man Ray développe un autre type d’intervention : il s’en remet au hasard, mais respecte l’unité de temps et de lieu de la séance. Il détourne cependant le film de sa forme de réception usuelle, cherchant expressément à voir autre chose que ce qui est littéralement et matériellement projeté. Il met au point pour cela divers procédés de transformation optique : « Je vais au cinéma sans choisir les programmes, sans même regarder les affiches. Je vais dans les salles qui ont des fauteuils confortables… J’ai inventé un système de prisme que j’adaptais sur mes lunettes : je voyais ainsi en couleurs et en images abstraites, des films en noir et blanc qui m’ennuyaient73 ». Il confia par ailleurs à Kyrou que « si un film l’ennui[yait], il le transform[ait] volontairement en clignotant des yeux à une cadence accélérée, en passant ses doigts devant ses yeux, en formant des grilles, ou en plaçant sur son visage un tissu mi-transparent74 ». Le film n’est alors plus qu’un matériau à la disposition du spectateur, qu’un canevas sur lequel il peut improviser : la détermination s’exerce du spectateur vers le film et non inversement, elle cesse d’être univoque. Man Ray modifie non seulement les conditions de réception, mais aussi ce qui fait l’intelligibilité spécifique du film, sa forme : celui-ci est réduit à un visuel arbitraire, à une surface d’images qu’il appartient au spectateur d’animer à sa guise. Dans les deux cas se joue une transformation de la réception par des moyens matériels et pratiques extérieurs à l’œuvre. Mais cette transformation dépaysante peut prendre la forme d’une collaboration séditieuse avec le film, d’un détournement interne qui prenne en compte le contenu propre de l’œuvre, menant du manifeste au latent. Desnos, peut-être du fait de ses activités de critique cinématographique75, adopte une attitude plus constructive en promouvant la même souveraineté du spectateur. Il accepte en ce sens de se soumettre aux normes de la séance, tout en subvertissant ou en transfigurant intérieurement les films à première vue les plus triviaux :

Inquiet de toutes les manifestations de la vie, tourmenté par les coïncidences inexplicables de notre existence, ne vaut-il pas mieux regarder les films documentaires avec les mêmes yeux amoureux que le roman animé ? La noblesse n’est pas dans les contingences, elle est dans l’individu ; je puis avoir ce sens de l’éternité, auquel je tiens plus qu’à toute autre chose, dans La Fromagerie de Roquefort, dans La Fabrique d’allumettes de Stockholm, dans Les Mystères de New York76.

Cette approche culmine dans le livre d’Ado Kyrou cité précédemment, Le surréalisme au cinéma, et particulièrement dans son dernier chapitre, « Au-delà du Spectacle Cinématographique ». Il considère le film, et notamment le film commercial dépourvu de toute intention surréaliste, comme potentialité surréelle, actualisable par le spectateur, qui devient le véritable agent cinématographique : « Le film existe avant tout par le spectateur. Le malheur et les éternels marchands de logique veulent que ce spectateur ne se donne pas la peine de vivre le film pour lui-même, indépendamment des histoires et des volontés de ceux qui ont collaboré à sa réalisation. Il accepte, impassible les images sans se rendre compte qu’elles sont transparentes et qu’elles lui font signe77 ». Kyrou invite le spectateur à l’« assimilation de l’irrationnel cinématographique », qui revêt des formes diverses, allant jusqu’à rompre avec le dispositif habituel de projection pour prendre une forme ludique. C’est ce qu’il nomme « expériences d’élargissement irrationnel d’un film78 », où sont proposées, par exemple, l’utilisation de questionnaires relatifs aux virtualités d’une œuvre (par exemple, au sujet de Shanghaï Gesture [1941] de Josef von Sternberg : « Où aurait pu donner la porte qu’ouvre Omar au début du film ? ») ou la monstration subliminale de photographies issues du film à partir desquelles il devra être imaginé. Mais il est une possibilité de vision créative79 qui s’élabore depuis la situation spectatorielle usuelle : le spectateur est alors actif depuis sa place supposément passive de spectateur, et les images sont reçues comme la voix de l’inconscient dans l’écriture automatique. L’indifférence précédemment observée à l’égard du contenu objectif et manifeste du film devient positive, elle est le ferment d’une autre forme d’intelligibilité, une ouverture du discours critique à l’irrationnel, à ce qui sourd de l’image. Kyrou cite quelques exemples80 de cette « critique subjective-surréaliste », « critique poétique, frénétique, qui tiendrait compte de tout l’invisible, de tout le mystère d’un film81 ». Ce mystère est contenu dans ses éléments les moins manifestes, dans ses détails, dans tout ce qui peut avoir échappé à l’intention et qui en tant que tel requiert une attention redoublée du spectateur, un investissement intentionnel du latent : « Très souvent une courte scène de film est le film. Le critique qui a pu saisir cette scène, et pour qui le film n’existe que par ces quelques minutes, devrait faire sa critique en conséquence82 ». La vision du film devient un processus subjectif, réflexif, un « moyen de connaissance personnelle83 » qui en dit autant sur le « film total » que sur l’individu qui se l’approprie. Le film aux yeux d’un tel spectateur est alors, tout comme l’œuvre surréaliste, le « moyen d’objectiver le désir84 », de « partir de l’irrationnel pour en faire du réel85 ». Le film n’est plus la chose en soi dénoncée par Artaud, mais le produit d’une double projection, et chaque séance une « séance dédoublée86 », une situation ouverte au dissensus87. Si le film est bien matériellement le produit d’un montage sans appel, le spectateur (tout spectateur, mais le spectateur surréaliste plus que tout autre88) est appelé à opérer une sorte de remontage à même la projection, qui dépasse le démontage arbitraire de Breton et Vaché, opérant une redistribution du sens par-delà l’évidence du donné. Le spectateur, mentalement, quitte sa place immobile. Il répond au mouvement des images par sa motion imaginaire. Il prend ainsi sa place singulière dans la chaîne des images, brise cette chaîne préétablie et produit de nouveaux enchaînements : c’est cela faire œuvre de spectateur, avoir une vision active.

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Notes de bas de page

  1. La coquille et le clergyman (1928), écrit par Artaud et réalisé par Germaine Dulac, Un chien andalou (1929),L’âge d’or (1930), écrits par Dalí et Buñuel, réalisés par ce dernier, et éventuellement L’Étoile de mer (1928), écrit par Desnos et réalisé par Man Ray : Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, Paris, Seghers (Ramsay poche cinéma), 1976, p. 38-39.
  2. Jacques Rancière résume ainsi ces positions : « Premièrement regarder est le contraire de connaître. Le spectateur se tient en face d’une apparence en ignorant le processus de production de cette apparence ou la réalité qu’elle recouvre. Deuxièmement, c’est le contraire d’agir. La spectatrice demeure à sa place, passive. Être spectateur, c’est être séparé tout à la fois de la capacité de connaître et du pouvoir d’agir. » Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 8.
  3. Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 64-75.
  4. Roger Navarri, « Critique synthétique, critique surréaliste : aperçus sur la critique poétique », Revue d’Histoire Littéraire de la France, vol. 78, n° 2 (mars-avril 1978), p. 222. Voir à cet égard les premiers poèmes critiques de Soupault (1919-1922), dans Écrits de cinéma, Paris, Plon (Coll. Ramsay poche cinéma), 1979, p. 41-55.
  5. André Breton, « Entrée des médiums », Les Pas perdus, Œuvres complètes I, Paris, Gallimard (Coll. Pléiade), 1988, p. 277.
  6. André Breton, Les vases communicants, I, Œuvres complètes II, op. cit., p. 120.
  7. Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 13.
  8. « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs » (Une saison en enfer, Œuvres complètes, correspondance, Paris, Robert Laffont (Coll. Bouquins), 1992, p. 150). L’on peut cependant voir dans cette revendication de la naïveté davantage que du dandysme : de la fascination, un émerveillement à rapprocher à celui évoqué par Breton dans sa préface à la Femme 100 têtes : « La splendide illustration des ouvrages populaires et des livres d’enfance, Rocambole ou Costal l’Indien, dédiée à ceux qui savent à peine lire, serait une des seules choses capables de toucher aux larmes ceux qui peuvent dire qu’ils ont tout lu » (« Avis au lecteur pour « La femme 100 têtes » de Max Ernst » (1929), dans Point du jour, Œuvres complètes II, op.cit., p. 302).
  9. André Breton, « Position politique de l’art aujourd’hui », Position politique du surréalisme, Œuvres complètes II, op.cit., p. 434 : l’on trouve ici un raccourci qui marque l’identification de l’image comme un élément d’irrationalité : « l’image (recours à l’irrationnel) ».
  10. Régis Debray parlait ainsi, dans ses Manifestes médiologiques (Paris, Gallimard : 1994), de « la non-intelligibilité foncière de l’image » (p. 187) : « L’expérience du corps de l’image, qui interloque, court-circuite nos humanités, interrompt nos politesses, n’est pas loin de nous donner une idée sensible de l’animalité. Comme une chair d’avant le Verbe resurgissant soudain, crevant l’ordre symbolique des surfaces. Et l’irruption est encore plus traumatisante encore avec l’indice qu’avec l’icône – on reconnaît l’indice à ceci que les animaux y sont sensibles. » (p. 188). Il y a une analogie assez forte entre ses propos et l’idée d’œil à l’état sauvage qui était la première affirmation du livre de Breton, Le surréalisme et la peinture : « l’image (et, en particulier, l’indice, “l’enfance du signe”) pratique, comme le rêve, “le retour amont” cher à René Char. Elle nous fait plonger vers le “processus primaire” du fonctionnement psychique (condensation, déplacement-figuration), en exhibant son versant de nuit, son côté rituel de chasse et nécromancie » (ibid.,p. 194-195).
  11. Walter Benjamin disait à propos de la caméra qu’« à l’espace où domine la conscience de l’homme, elle substitue un espace où règne l’inconscient » (L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (dernière version de 1939), Œuvres III, Paris, Gallimard [Coll. Folio essais], 2000, p. 305. Cet inconscient est désigné comme inconscient « optique » ou « visuel », selon la traduction.
  12. André Breton, « Manifeste du surréalisme », dans Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard (Coll. Idées NRF), 1963, p. 40.
  13. Jacques Vaché, « Lettre de guerre », à André Breton (14/11/18), dans Alain et Odette Virmaux, op. cit., p. 105.
  14. « La surréalité sera d’ailleurs fonction de notre volonté de dépaysement complet de tout (et il est bien entendu qu’on peut aller jusqu’à dépayser une main en l’isolant d’un bras, que cette main y gagne en tant que main, et aussi qu’en parlant de dépaysement, nous ne pensons pas seulement à la possibilité d’agir dans l’espace) ». André Breton, « Avis au lecteur pour « La femme 100 têtes » de Max Ernst », op. cit., p. 305.
  15. « Situation surréaliste de l’objet, situation de l’objet surréaliste », Situation politique du surréalisme, Œuvres complètes II, , p. 481.
  16. Ibid., p. 480.
  17. Id.
  18. André Breton, « Comme dans un bois », Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 279.
  19. Ibid., p. 282
  20. Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Paris, Éditions de Minuit, 1956, p. 80. Morin cite également Jean Epstein, qui se trouve être ici très proche des surréalistes : « la vie va et vient à travers la substance, disparaît, reparait végétale où on la croyait minérale, animale où on la croyait végétale et humaine : rien ne sépare la matière de l’esprit… » (p. 72).
  21. André Breton, « Second Manifeste du surréalisme », dans Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 76-77.
  22. « Le cinéma a ceci de commun avec la poésie qu’il se propose de représenter les situations successives de la vie ». André Breton, « Note sur le cinéma », Œuvres II, op. cit., p. 1262.
  23. René Crevel, « Drames de cinéma, par Louis Delluc », dans Écrits sur l’art et le spectacle, Toulouse, Ombres, 2011, p. 154.
  24. René Crevel, « L’homme des bars, par Louis Delluc », dans ibid., p. 156.
  25. Ibid., p. 155.
  26. Louis Aragon, « Du décor », Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 108.
  27. Robert Desnos, « Fantômas, Les Vampires, Les Mystères de New York », Les rayons et les ombres : cinéma, Paris, Gallimard, 1992, p. 83.
  28. Robert Desnos, « La morale du cinéma », dans ibid., p. 40.
  29. Antonin Artaud, « La coquille et le clergyman  (Scénario de film) », dans Œuvres complètes III, Paris, Gallimard, 1978, p. 19-20.
  30. André Breton, « Comme dans un bois », dans Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 278.
  31. « La fusion de la poésie et du cinéma s’est opérée depuis longtemps. […] Que peut-on espérer de mieux que les premières comédies de Mack Sennett ? » André Breton, « Réponse à une enquête sur le cinéma parlant », dans Œuvres complètes III, Paris, Gallimard (Coll. Pléiade), 1999, p. 1099.
  32. Robert Desnos, « Cinéma frénétique et cinéma académique », dans Les rayons et les ombres, op. cit., p. 86.
  33. Christophe Gauthier, La passion du cinéma : cinéphiles, cinéclubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929, Paris, École Nationale des Chartes, 1999.
  34. À quelques exceptions près, participant justement de l’esprit du groupe : Desnos fait l’éloge d’Entr’acte de René Clair et Picabia, de L’Étoile de mer et des premiers films de Buñuel. Le cinéma soviétique et les premiers films expressionnistes (Caligari, Nosferatu) sont également très appréciés par Soupault et Desnos, et par le groupe dans son ensemble, comme on peut le constater dans les déclarations du manifeste de l’Âge d’or (cf. Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 185).
  35. Robert Desnos, « Cinéma d’avant-garde », dans Les rayons et les ombres,op. cit., p. 189.
  36. À propos de La Chute de la maison Usher (1928) : « Il vaut mieux pour lui qu’Edgar Poe soit mort et je ne souhaite pas à ce metteur en scène de rencontrer au coin d’un bois le fantôme d’Edgar Allan. » Robert Desnos, « Conversation », dans ibid., p. 145.
  37. « Toute l’insuffisance française au cinéma se révélait là. » Robert Desnos, « Harry Langdon », dans ibid., p. 126.
  38. Au sujet de La Roue (1923) : « le plus mauvais film que j’aie vu, le plus ridicule, le plus ennuyeux, le plus odieusement “moralisateur”, le plus mal joué et celui qui témoigne de l’esprit le plus antipathique ». Robert Desnos, « Les documentaires », dans ibid., p. 37. Ce même film recevra la suprême insulte, condamnation à la fois morale et esthétique, celle d’être une « vulgarisation imbécile » du rêve et de la vie psychique. Robert Desnos, « Le rêve et le cinéma », ibid., p. 33.
  39. « – Et Mme Germaine Dulac ? – Laissez-moi pleurer. », Robert Desnos, « Conversation », dans ibid., p. 144.
  40. Ado Kyrou, Le surréalisme au cinéma, Paris, Ramsay (Coll. Ramsay poche cinéma), 1985, p. 31.
  41. Si ce n’est à titre ironique dans l’article « Soyons goguenard », dans Les rayons et les ombres, op. cit.,p. 169.
  42. René Crevel, « Réponse à l’enquête « Les lettres, la pensée moderne et le cinéma » », dans Écrits sur l’art et le spectacle, op. cit., p. 160.
  43. Robert Desnos, « Rétrospective du cinéma au vieux colombier », dans Les rayons et les ombres, op. cit., p. 47.
  44. Robert Desnos, « Les dix commandements, Le Cabinet du docteur Caligari », dans ibid., p. 53.
  45. Antonin Artaud, « Le cinéma et l’abstraction », dans Œuvres III, op. cit., p. 68. Nous pouvons citer à sa place, puisque son texte est exempt de toute référence nominale, les abstractions animées d’Hans Richter et de Walter Ruttmann. Malgré l’emploi de cette expression, il ne nous semble pas viser le « cinéma pur » d’Henri Chomette (Cinq minutes de cinéma pur, 1926), car celui-ci, utilisant des prises de vues réelles, repose bien sur « l’utilisation des objets et des formes existantes » que revendique Artaud, et met donc en œuvre les « moyens de représentation objectifs » du cinéma.
  46. Ibid., p. 70
  47. « C’est pourquoi nous nous refuserons à considérer le spectacle de l’écran autrement que comme la représentation de la vie désirée au même titre que nos rêves ; c’est pourquoi nous nous refuserons à croire qu’aucune règle, aucune contrainte, aucun réalisme puissent le ravaler au rang où l’écriture est tombée depuis que les romanciers, bons commerçants, ont jeté le discrédit public sur les poètes ; c’est pourquoi nous demandons au cinéma d’exalter ce qui nous est cher, et seulement ce qui nous est cher ; c’est pourquoi nous voulons que le cinéma soit révolutionnaire ». Robert Desnos, « Fantômas, Les Vampires, Les Mystères de New York », loc. cit., p. 85.
  48. Alain et Odette Virmaux, op. cit., p. 8.
  49. Michael Richardson, Surrealism and cinema, New York, Berg, 2006, p. 21.
  50. L’on a écrit à propos des Vampires : « en vérité, il n’a jamais existé de scénario de ce film, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. […] Feuillade savait d’autant moins de quoi serait fait le prochain épisode qu’il ignorait la fin de celui qu’il était en train de tourner. Sortant de temps à autre avec son équipe du studio, il l’emmenait dans les avenues en construction de Montmartre, dans la forêt de Fontainebleau, ou dans n’importe quelle rue tranquille et déserte. L’improvisation obéissait alors aux signes quotidiens d’un destin capricieux et bizarre. Le renvoi d’un acteur, son incompatibilité, sa maladie, ou la nécessité d’utiliser une pellicule pourtant impressionnée à un autre usage, voilà autant de facteurs qui expliquent et exigent et les rebondissements du scénario, et ses modifications ». Francis Lacassin, Pour une contre-histoire du cinéma, Paris, Union générale d’éditions, 1972, p. 174-175. Le contact avec le surréalisme s’établit aussi au niveau des sources littéraires : Soupault citait en exemple Pierre Souvestre et Marcel Allain, les auteurs originaux de Fantômas « qui, de l’aveu du dernier nommé, écrivirent les quelque vingt volumes (sic) de leur épopée en dictant 14 (quatorze) heures par jour. Je mets au défi n’importe quel écrivain d’écrire, et à plus forte raison de dicter, quatorze heures successivement et pendant plusieurs jours sans obéir à un automatisme absolu. » Philippe Soupault, « L’explorateur au long nez », La Révolution surréaliste, n° 4 (15 juillet 1925), p. 8.
  51. Ado Kyrou, Le surréalisme au cinéma, op. cit., p. 269.
  52. Ado Kyrou, « L’anecdote disparaît, et seules subsistent des images inattendues […]. », dans ibid., p. 91.
  53. Ibid., p. 90.
  54. Breton disait effectivement : « le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau ». (« Manifeste du surréalisme », dans Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 24). Rappelons la belle définition qu’en donne Kyrou, en l’opposant au fantastique (dans lequel se réfugient selon lui la religiosité et les croyances en l’au-delà) : « C’est en tant que matérialiste forcené que j’aime l’impossible. Les choses et les êtres sont immensément riches et secrets, le merveilleux éclate sur terre. » (Le surréalisme au cinéma, op. cit., p. 64.)
  55. Ibid., p. 90.
  56. Ibid., p. 276.
  57. Ibid., p. 275.
  58. André Breton, « Comme dans un bois » et Benjamin Péret, « Contre le cinéma commercial », dans Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 277-285.
  59. Antonin Artaud, « La vieillesse précoce du cinéma », Œuvres III, op. cit., p. 83.
  60. Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, « La production industrielle de biens culturels : raison et mystification des masses », La dialectique de la raison, Paris, Gallimard (Coll. Tel), 1974, p. 135.
  61. André Breton, « Conférences de Mexico : Changer la vue », Œuvres II, op. cit., p. 1261 : « le surréalisme n’avait d’autre ressource que de […] transgresser systématiquement ce que Freud a nommé le principe de réalité. Le moyen d’y parvenir était de lui opposer son antidote, en l’espèce le principe de plaisir ».
  62. Id. : « [Le] propre de l’attitude surréaliste est de vouloir faire du désir le maître du monde ».
  63. « Le spectateur des “salles obscures” est, quant à lui, sujet passif à l’état pur. Il ne peut rien, n’a rien à donner, même ses applaudissements. Patient, il pâtit. Subjugué, il subit. Tout se passe très loin, hors de sa portée ». Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit., p. 102. Cependant le propos de Morin n’est pas éloigné du nôtre ni de celui des surréalistes, puisqu’il affirme aussi : « En même temps et du coup, tout se passe en lui ».
  64. André Breton, Nadja, Gallimard (Coll. Folio), 1964, p. 40.
  65. André Breton, « Comme dans un bois », dans Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, op. cit., p. 278.
  66. C’est ainsi que Breton conçoit le dépassement dialectique des antinomies : le surréalisme s’est proposé de « faire apparaître le caractère factice des vieilles antinomies destinées hypocritement à prévenir toute agitation insolite de la part de l’homme : raison et déraison, rêve et réalité, passé et futur, objectivité et subjectivité, etc., de surmonter leur contradiction apparente, la résolution de cette contradiction étant seule créatrice du mouvement qui doit porter l’homme en avant. » (André Breton, « Conférences de Mexico : Présentation d’un chien andalou », dans Œuvres II, op. cit., p. 1265). Il revient un peu plus avant sur la nécessité de « faire cesser l’opposition de la réalité et du rêve dans la mesure où plus que tout autre elle est génératrice de mélancolie et de pessimisme absolu quant à la valeur de l’agitation humaine. » (« Conférences de Mexico : Surréalisme et connaissance », ibid., p. 1279).
  67. André Breton, « Comme dans un bois », dans Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, op. cit.,, p. 279
  68. Breton, qui mettait sur un pied d’égalité l’amour et le cinéma (« Ce qu’il y a de plus spécifique dans les moyens du cinéma, c’est de toute évidence le pouvoir de concrétiser les puissances de l’amour qui restent malgré tout déficientes dans les livres, du seul fait que rien ne peut y rendre la séduction ou la détresse d’un regard, ou certains vertiges sans prix. », Ibid., p. 279-280), conçoit l’expérience cinématographique dans les mêmes termes que la rencontre : « Aujourd’hui encore je n’attends rien que de ma seule disponibilité, que de cette soif d’errer à la rencontre de tout, dont je m’assure qu’elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles, comme si nous étions appelés à nous réunir soudain. » (André Breton, L’amour fou, Gallimard (Coll. Folio), 1976, p. 39)
  69. André Breton, « Situation surréaliste de l’objet, situation de l’objet surréaliste », dans Situation politique du surréalisme, Œuvres complètes II, op. cit., p. 484 ; ou encore « Limites non-frontièresdu surréalisme », dans La clé des champs, Œuvres III, op. cit., p. 669.
  70. Christophe Gauthier, La passion du cinéma, op. cit., p. 269.
  71. Ce hasard étant « la forme de manifestation de la nécessité extérieure qui se fraie un chemin dans l’inconscient humain » (André Breton, L’amour fou, op. cit., p. 31), se révélant par « la coïncidence continue, parfaite, de deux séries de faits tenues, jusqu’à nouvel ordre, pour rigoureusement indépendantes » devant « porter un coup nouveau à la distinction, […] de plus en plus infondée, du subjectif et de l’objectif », Ibid.,p. 77.
  72. Benjamin faisait de la distraction une condition de l’appropriation du cinéma par le peuple, dans un mode de réception quasi tactile qui s’opposait à l’approche cultuelle et contemplative de l’art auratique : « L’opposition entre distraction et recueillement peut encore se traduire de la façon suivante : celui qui se recueille devant une œuvre d’art s’y abîme ; il y pénètre comme ce peintre chinois dont la légende raconte que, contemplant son tableau achevé, il y disparut. Au contraire, la masse distraite recueille l’œuvre d’art en elle ; elle l’entoure de ses vagues, elle l’embrasse de ses flots ». Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » (première version, 1935), dans Œuvres III, p. 107-108. C’est également par l’idée d’« attention oblique » ou « distraite » que Richard Hoggart (The Use of Literacy : Aspects of Working-Class Life with Special References to Pubications and Entertainments, Londres, Chatto and Windus, 1957.) définit la capacité d’appropriation sélective des produits culturels de masse par les classes populaires.
  73. Man Ray, « Témoignages », Études cinématographiques : Surréalisme et cinéma, n° 38-39 (1er trimestrre, 1965), p. 45.
  74. Ado Kyrou, Le surréalisme au cinéma, op. cit., p. 272.
  75. Bien qu’il se soit toujours défendu de faire de la critique, de dissocier le jugement esthétique du jugement moral (nous entendons ici la morale surréaliste) et de l’expression affective : « Je me suis toujours efforcé de ne pas faire de critique. En ce qui touche le cinéma, je me suis borné à émettre des désirs, à formuler mes répugnances sachant que, s’il souffre de l’art et de la littérature, il participe aussi davantage de l’agitation humaine. » Robert Desnos, « La morale du cinéma », dans Les rayons et les ombres op. cit., p. 39.
  76. Robert Desnos, « Les documentaires », dans Ibid., p. 36.
  77. Ado Kyrou, op. cit., p. 270
  78. Ibid., p. 281. Il s’agit en quelque sorte du terme « officiel », puisque Breton parle également de « l’élargissement d’un film ». Voir André Breton, « L’Un dans l’Autre », dans Perspective cavalière, Œuvres IV, Paris, Gallimard (Coll. Pléiade), 2008, p. 884.
  79. Vision qui récuserait la distinction entre la représentation et la perception : « Toute l’expérimentation en cours serait de nature à démontrer que la perception et la représentation – qui semblent à l’adulte ordinaire s’opposer d’une manière si radicale – ne sont à tenir que pour les produits d’une dissociation d’une faculté unique, originelle, dont l’image éidétique rend compte […]. […] Je dis que c’est l’automatisme qui seul [mène à cet état de grâce]. On peut systématiquement, à l’abri de tout délire, travailler à ce que la distinction du subjectif et de l’objectif perde de sa nécessité et de sa valeur. » (André Breton, « Le message automatique », dans Point du jour, Œuvres II, op. cit., p. 391.)
  80. C’est ainsi que procédèrent Gérard Legrand ou Nora Mitrani dans le numéro spécial surréaliste de L’Âge du cinéma (n° 4-5, 1951) à partir de « quelques films bassement commerciaux ». Dans cette démarche, nous pouvons citer également l’ouvrage de Petr Kral, Private Screening (Londres, Frisson, 1985), que nous n’avons malheureusement pas eu l’occasion de consulter.
  81. Ado Kyrou, op. cit., p. 279
  82. Ibid., p. 278.
  83. Ibid., p. 280.
  84. Id.
  85. André Breton, « Note sur le cinéma », dans Œuvres II, op. cit., p. 1263.
  86. Ado Kyrou, op. cit., p. 270.
  87. « Ce que dissensus veut dire, c’est une organisation du sensible où il n’y a ni réalité cachée sous les apparences, ni régime unique de présentation et d’interprétation du donné imposant à tous son évidence. C’est que toute situation est susceptible d’être fendue en son intérieur, reconfigurée sous un autre régime de perception et de signification. » Jacques Rancière, « Les mésaventures de la pensée critique », dans Le spectateur émancipé, op. cit., p. 8.
  88. Il n’est selon nous qu’une exacerbation du spectateur émancipé (qui n’est pas un spectateur extraordinaire, qui est au contraire la condition normale du spectateur) tel que le définit Jacques Rancière : « Le spectateur aussi agit, comme l’élève ou le savant. Il observe, il sélectionne, il compare, il interprète. […] C’est là un point essentiel : les spectateurs voient, ressentent et comprennent quelque chose pour autant qu’ils composent leur propre poème […]. » Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, op. cit., p. 19.