L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement baille ? Dans la perversion (qui est le régime du plaisir textuel) il n’y a pas de « zones érogènes » (expression au reste assez casse-pieds) ; c’est l’intermittence, comme l’a bien dit la psychanalyse, qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords (la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c’est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d’une apparition-disparition.
— Roland Barthes, Le plaisir du texte
Écrire à partir d’Hervé Guibert, ce n’est pas écrire comme Hervé Guibert. J’en serais bien incapable de toute façon. Reste que je produirai ici un « texte anarchique » – expression qu’il utilise dans La mort propagande –, un texte à l’image du désir, du journal, de l’intime. Je ne proposerai aucun discours, qu’il soit savant ou pas. Ce sera impressionniste. Décousu. Je mélangerai les choses entre elles.
C’est un texte sur Guibert et pourtant je l’entame à partir de Barthes. Il me semble qu’il n’y a d’autre manière de le faire que dans le désordre.
Hervé Guibert, donc, qui raconte à Patrick Poivre d’Arvor pour Ex-libris en 1991 que certains écrivains peuvent être le moteur caché d’un livre. Parfois on n’a rien à taire, toutefois, et la littérature apparaît non seulement comme le moteur mais aussi comme le sujet du texte.
Collage.
[…] tu dévores
ma nuque comme si
tes désirs étaient carnivores
comme si tu connaissais ma faim
comme s’il ne faisait froid dehors— Daniel Groleau Landry, Rêver au réel
On se rappelle les baisers dérobés à la faveur de l’hiver, hier encore, quand on avait vingt ans. Il y a quelque chose d’érotique dans la canicule, cela va de soi. Néanmoins : une charge encore plus puissante sous zéro.
Il n’y a aucune contradiction entre la pudeur et l’impudeur.
(J’ai visionné le film hier soir. La dernière fois que je l’avais vu, c’était il y a longtemps déjà, à l’époque où j’étais convaincu que Mario Saint-Amand, le comédien, avait le sida parce qu’il avait trop bien joué son rôle dans L’Amour avec un grand A de Janette Bertrand – une époque de grande naïveté, donc, et il ne me restait ainsi que de petits morceaux du film de Guibert que je regarde tout autrement maintenant que j’ai l’âge que j’ai et que je suis un peu moins con.)
Aucune contradiction, j’y reviens, entre la pudeur et l’impudeur, l’intime et l’extime, le privé et le public. Nous sommes en constante mise en scène de nous-mêmes. Parler de sentiments est parfois beaucoup plus osé que parler de sexualité. On ne révèle toujours que ce qu’on veut bien que les autres sachent. Et la vérité, de toute façon, n’existe pas.
[…] on nous parle sans cesse du Désir, jamais du Plaisir ; le Désir aurait une dignité épistémique, le Plaisir non. On dirait que la société (la nôtre) refuse (et finit par ignorer) tellement la jouissance, qu’elle ne peut produire que des épistémologies de la loi (et de sa contestation), jamais de son absence, ou mieux encore : de sa nullité. Curieux, cette permanence philosophique du Désir (en tant qu’il n’est jamais satisfait) : ce mot ne dénoterait-il pas une « idée de classe » ? (Présomption de preuve assez grossière, et cependant notable : le « populaire » ne connaît pas le Désir – rien que des plaisirs.)
— Roland Barthes, Le plaisir du texte
Je dois être de ces « populaires »…
Lire Guibert, c’est tout à la fois désirer et jouir. Jouir du texte, d’abord, mais le désirer aussi parce qu’il se dérobe, parce qu’il fuit. On est parfois sonné par la vitesse hallucinante. Il y a ce moment dans son journal, Le Mausolée des amants, où il dit avoir écrit quatorze pages dans la journée.
Il y a aussi, dans La pudeur ou l’impudeur, ces belles images de l’île d’Elbe où il ne se passe rien ; le vent qui arrache le journal Libération de la table, le lézard perché sur la pomme, qui reste immobile, les vagues, le vent qu’on entend souffler, encore, Hervé qui « rêvasse aux projets en cours ». Hervé, un prénom, celui de l’intimité parce que le personnage est faible, qu’il est mourant, et que ses bras sont douloureux à regarder – il n’est plus question de Guibert l’auteur mais bien plutôt d’Hervé le grand malade, qui disparaîtra bientôt. On pense inévitablement aux images des camps de concentration qu’on a vues mille fois mais qui donnent encore mal à l’humanité.
« Tout le monde est le premier à mourir », écrit Ionesco dans Le roi se meurt. Plus loin, il ajoute : « Tant qu’on est vivant, tout est prétexte à littérature. »
Guibert affirme à plusieurs endroits avoir aimé son sida, parfois. C’est terrible, mais je comprends. Du moins je pense que je comprends.
Dans un bus qui ne mène nulle part, qui n’avance même plus. La nuit noire des banlieues qui dorment. Marie-Hélène me parle de Mathieu Leroux, de son livre : Dans la cage. Elle s’arrête ; elle ne veut pas créer d’attentes qui seront déçues. On parle de Guibert, qu’on a découvert à peu près en même temps, à travers quelqu’un d’autre – Foucault, Lindon – et elle s’arrête encore : ce n’est pas parce qu’il y a le sida qu’on peut comme ça comparer les auteurs entre eux ; mais après coup, longtemps après, dans le bain, je ne peux que m’en remettre à l’évidence parce qu’il y a une évidence et c’est celle de la chair, du désir, du sexe sale, homicide, du sexe délicieux, de celui dont le récit seul suffit à exciter.
Guibert photographie Thierry. Le désir. Ça aussi on le comprend. Il est follement beau et il est nu et l’image est en noir et blanc et on s’imagine les ébats tendres et violents et les sécrétions et la brutalité de l’amour et de sa réalisation, de son incarnation. On lit alors La mort propagande et on a envie et il fait chaud et l’air est moite. Puis on lit Dans la cage de Mathieu Leroux et c’est pareil, ça fait quelque chose.
La littérature est puissante.
L’endroit le plus érotique de mon corps se trouve dans le livre que je tiens entre mes mains.
Il y a de ces œuvres qu’on ne veut pas analyser, décortiquer, qu’on se contente de ressentir et d’aimer profondément. Pendant quelques semaines je lis comme un boulimique tout ce que je trouve de Guibert, en prévision de ce texte mais aussi parce que je ne peux pas faire autrement : je suis prisonnier. Je le désire, c’est exactement ça.Et puis il y a une collection qui se forme sous mes yeux dans laquelle se rassemblent tous ceux qui auront avoué, qui auront exploré dans la vie comme dans la littérature. André Gide, Mathieu Lindon, Roland Barthes et ses Incidents auxquels il m’arrive encore de penser. Là où il décrit avec si peu de mots le bonheur qu’il a de voir un jeune garçon à la peau foncée éjaculer. Ça ne s’invente pas. Le roman en est-il capable ? Je ne le sais pas.
Est-il possible d’échapper au désir ?
Ambiance tropicale.
Temps arrêté.
Back to Black.
Le ciel est fuckin bleu et le fleuve est fuckin bleu et l’horizon est blanc et tout le monde est heureux mais ce que je regarde surtout ce sont les mecs à moitié à poil dehors et je capote putain de merde que je capote les feuilles d’un vert tendre et les pantalons roses de la fille à-côté de moi et les cabriolets sur l’autoroute et la musique dans mes oreilles qui occupe tout l’espace et même les camions qu’on dépasse en bus ne me font plus peur. C’est le mois de mai et j’ai le goût de baiser et puis non même pas tout ce que je veux c’est qu’on s’embrasse comme des fous tout l’après-midi jusqu’à ce que je n’en puisse plus d’être brûlé par le soleil et que parce que je n’ai rien mangé depuis le matin je m’effondre sur ton corps tout chaud sur ton érection parce que j’imagine que tu me veux autant que je te veux, passe moi une autre bière j’ai soif.
Les chandails moulants des garçons.
Ouverts sur des torses moites et invitants.
Des scénarios comme celui-là, à mi-chemin entre le souvenir et le désir, il y en a des dizaines qui me traversent chaque jour. L’endroit le plus érotique de mon corps est peut-être aussi cet organe de l’imagination, qui produit des récits qui viennent sans cesse se fracasser contre la réalité.
Envie de le mordre.
Envie de lui faire mal tellement il est beau.
Mathieu Leroux, Dans la cage
Oui, ça arrive. Et la tendresse n’est parfois pas étrangère à ce désir sadique. On ne mord pas uniquement quand Nine Inch Nails défonce les hauts-parleurs. Le Petit journal amoureux de Guibert, dans La mort propagande. À l’heure du bain encore une fois. On pense à Crash, le film de Cronenberg vu un soir trop tard sur Télé-Québec dans la chambre au sous-sol de la maison rose, c’était à quel âge encore ? Quatorze, quinze ans, pas plus. L’époque où la mort est tellement anonyme malgré les suicides, les tumeurs et les accidents de voiture qu’on emprunte le week-end un numéro au hasard de Faces of Death au club-vidéo et qu’on regarde le sang, fasciné parce qu’il est vrai, de la même manière que plus tard on regardera sur Internet des vidéos horribles comme celle de Luca Rocco Magnotta qui bouffe littéralement le cul de Lin Jun avec un couteau et une fourchette.S’agit-il d’une autre forme de sadisme ou plus simplement de son prolongement au-delà des limites d’une certaine morale ?
Respirer, suer, violenter, aimer. S’enfoncer.
Série de sensations exquises. Images étranges qui se fondent les unes aux autres. Avaler de la neige fraîchement tombée, être debout sous une pluie torrentielle, ressentir le cuir d’une banquette trop chaude contre sa cuisse, caresser les cicatrices d’un ancien amant, mordre jusqu’au sang, jouer dans de la chair déjà meurtrie, contenir ses larmes le plus longtemps possible.
Plaisir-Douleur qui se chevauchent. Toujours.
—Mathieu Leroux, Dans la cage
Dans L’image fantôme, Guibert affirme que même à travers les photos qu’il a faites et qui lui sont le plus étrangères, il n’a jamais parlé que de lui-même. Comment peut-on faire autrement quand on ne perçoit qu’à travers sa propre expérience de la réalité ?
Il y a des passages terribles dans Le protocole compassionnel, puis dans L’homme au chapeau rouge et dans Cytomégalovirus. Des passages qui invitent à lire La mort propagande autrement, comme une prémonition, un fantasme, un scénario délirant qui met le corps en danger et qui le prend comme victime en flirtant avec les extrêmes d’une mort imaginaire et imaginée. C’est en regardant Ex-libris encore qu’on comprend alors ce qui peut faire aimer le sida ainsi – chose qu’on n’osait pas vraiment admettre jusque-là même si on a affirmé auparavant qu’on croyait comprendre comment cela pouvait être possible. C’est qu’il n’y a aucune « justification fantasmatique de la maladie par l’expiation d’une faute ». Le réflexe judéo-chrétien aurait été de démoniser le sexe homicide. Malgré tout, Jules, Thierry, tous les autres, ils demeurent désirables, beaux, sensuels.
Dans un ordre d’idées similaire, dans Incidents, bien que Barthes ait été discret et effacé dans sa vie « publique » : « J’aime le vocabulaire d’Amidou : rêver et éclater pour bander et jouir. Éclater est végétal, éclaboussant, dispersant, disséminant ; jouir est moral, narcissique, replet, fermé. »Il est impossible pour moi de me ranger derrière la morale véhiculée par le discours dominant. Cette même morale qui rejette le blâme sur la victime et qui met la prostituée au pilori.
L’endroit le plus érotique de mon corps se trouve peut-être là où réside la déontologie vicieuse qui refuse de recevoir quelque leçon que ce soit.
Ma catastrophe adorée de Mathieu Lindon, c’est génial justement pour ça : ce n’est pas un triangle amoureux qui est raconté et ça ne correspond à aucun modèle plus ou moins acceptable/accepté. L’amant avec qui il ne couchera pas. Rachid qui sait tout. Parce que c’est comme ça dans la vie, hein.
Planté au fond de mon cul dans la chair qui enrobait l’os du bassin, Jules me fit jouir en me regardant dans les yeux. C’était un regard insoutenable, trop sublime, trop déchirant, à la fois éternel et menacé par l’éternité. Je bloquai mon sanglot dans ma gorge en le faisant passer pour un soupir de détente.
— Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie
Je n’écris pas à propos de tout ce qui me donne envie d’écrire chez Guibert. Je n’écris pas à propos de l’écriture, la sienne ou la mienne. Je ne dis absolument rien. Je me contente d’effleurer le désir, avec ou sans la majuscule. Je ne réfléchis même pas. Parfois il faut se contenter de ressentir. Et voilà que je contredis en apparence le discours que je tiens sur la place publique sur le mouvement de l’esprit dans la littérature.
En apparence. Parce que l’endroit le plus érotique de mon corps n’a pas encore été mis en veille.
À la clinique, cet homme qui arrive en retard de deux jours à son rendez-vous et qui veut faire renouveler sa prescription de suboxone. Il n’est pas au bon endroit, il doit se rendre à une autre clinique, l’informe la réceptionniste. Il lui réclame un billet de bus pour se rendre là-bas avant que le médecin ne finisse sa journée de travail. Elle n’en a pas, évidemment, et il lui demande, la voix très haute, d’appeler son médecin – dans une autre clinique – pour lui dire qu’il doit absolument l’attendre avant de partir, il s’en vient, il a besoin de suboxone pour le week-end au moins. De mon côté on me prescrit des antidouleurs et une nouvelle ronde de physiothérapie.
L’endroit le plus érotique de mon corps n’est définitivement pas dans mon corps, que j’aimerais ne plus habiter.
Écrire est aussi une façon de rythmer le temps et de le passer.
— Hervé Guibert, Cytomégalovirus
Il y en a qui trouvent terrible qu’il se promène avec un flacon de poison, en permanence, et qu’il connaisse la dose nécessaire pour mettre fin à ses jours. Il y en a pour trouver ça terrible qu’il parle de suicide calmement sur le plateau d’Apostrophes. Il y en a qui, comme sa grand-tante interviewée dans La pudeur ou l’impudeur,refusent philosophiquement le suicide, parce que c’est interdit, il ne faut pas. Je sais toutefois que je finirai comme ça, moi aussi. Et qu’il est impossible de le dire à la psy et au médecin ; il est impossible de dire qu’on est en paix avec l’idée qu’un jour on choisira nous-même la fin. Pas dans un élan de détresse, mais bien plutôt parce que le moment sera venu où la faillite du corps sera complète et qu’il n’y aura rien d’autre à faire. D’un autre côté, toutefois, il y a l’optimisme crasse qui nous colle à la peau et qui nous fait dire qu’il faudra vraiment que ce soit sans appel, parce que, tu sais, ça pourrait toujours aller mieux.
Pour l’instant, de toute façon, ce n’est pas ma mort qui m’obsède. Je n’y pense pas. Je ne la désire pas, comme je ne l’ai d’ailleurs jamais désirée. (Je la crains, plutôt, et le vertige est terrifiant.)Non, c’est celle de mon père, annoncée mais pas encore augurée, dans cinq, dix ans, qui m’éclate, sanglots incontrôlés, tremblements nerveux, quand elle fait surface dans mon esprit angoissé.
It’s a possibility to live without lips
Clinics love to fill right up with all the broken kids
I swore I drank your piss that night to see if I could live
But my wrists couldn’t stand the light that we missed
Broken Social Scene, I’m Still Your Fag
J’explique mal le ton soudainement mélancolique que prend ce texte. Enfin si, c’est plutôt facile de l’expliquer à travers une biographie des dernières heures, mais ce n’est pas particulièrement pertinent ni important ni essentiel à mon propos. Mon propos que je ne saisis pas mais que je sais : il y a le texte que j’imagine et celui que j’écris. Il est impossible de les comparer entre eux. Écrire un texte comme on casse une assiette, volontairement, en sachant très bien que les morceaux vont se répandre un peu partout dans l’appartement, qu’il faudra nettoyer pour que le chat ne se tranche pas les pattes sur des éclats de porcelaine – mes assiettes sont-elles seulement en porcelaine ? J’en doute.Plutôt, c’est un croissant que je lance à l’autre bout du couloir. Et il me revient aussitôt. On s’amuse, de bon matin, à s’envoyer des pâtisseries en plein visage. On a transformé comme ça une pulsion de mort en pulsion de vie – le cliché vrai, encore une fois.
Les Carnets de Camus, lus sur la plage, soleil couchant. Trente degrés après vingt heures. Les bourgeois qui dansent sur la terrasse du country club. La musique est absolument dégueulasse, mais on s’en fout. On peut s’en accommoder, même si c’est beaucoup trop blanc. Ce qui surprend le plus, c’est ce à quoi on ne s’attendait pas – évidemment –, c’est-à-dire : l’angoisse. Lui aussi ? Les semaines complètes, perdues, évaporées, avalées par la crise. Au moment de recevoir le prix Nobel, mais un peu n’importe quand aussi, n’importe où, en voyage, à la maison. Quand la vie devient insoutenable et que la fièvre s’empare de notre corps.C20H21FN2O. Gimme more of that beat.
Est-il possible de faire plus intime et plus délirant que Kevin Barnes qui raconte sa transformation en Georgie Fruit ?
We want our film to be beautiful, not realistic
Perceive me in the radiance of terror dreams
And you can betray me
You can, you can betray meBut teach me something wonderful
Crown my head, crowd my head
With your lilting effects
Project your fears on to me, I need to view them
See, there’s nothing to them
I promise you, there’s nothing to them
of Montreal, The Past is a Grotesque Animal
Guibert qui raconte comment Foucault se métamorphosait la nuit pour draguer, manteau de cuir et tout le reste, et on ne peut que se demander : et Guibert, lui ? Foucault, on le sait, on imagine très bien son regard dur et suave qu’on suivrait avec appréhension, la trouille au cul. Hervé lui ? Doux, langoureux ? Ça ne colle pas…
Avec Marie-Hélène encore, on blague : Guibert, c’est bien le seul à nous faire apprécier esthétiquement la diarrhée. Reste que c’est plutôt vrai. Dès La mort propagande, d’ailleurs, jusqu’à La pudeur ou l’impudeur. Diarrhée qu’on voit et qu’on entend, dans le film : aucune pudeur, donc, si on considère que les mouvements de l’intestin font partie de l’espace privé, du jardin secret – quelle expression pralinée et dégueulasse, n’est-ce pas ?Je relis L’énigme du retour de Dany Laferrière. Autre registre complètement. Qui n’a rien ou si peu à voir avec Hervé. Mais la diarrhée, le bain… certains liens se tissent dans mon esprit accaparé par la question de l’intime, question prégnante, envahissante, dont je suis l’otage depuis que j’ai choisi de participer à ce numéro de revue.
L’endroit le plus érotique de mon corps. Je ne sais plus très bien où il se trouve.
Derrière l’oreille ?Non. Près de la clavicule, plutôt.
George Bataille est ce qui relie entre eux Hervé Guibert et Kevin Barnes. On cherche sans cesse à faire des liens comme on cherche sans cesse à donner un sens à sa vie.
Je me contente de lire le titre des études consacrées à Guibert que j’ai empruntées à la bibliothèque de l’université. Ça ne m’intéresse plus du tout d’y faire référence dans le cadre de ce texte-ci. Je crois qu’il s’en tire plutôt bien sans sources « savantes ».
Tous les vrais romanciers sont à l’écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs œuvres devraient changer de métier.
— Milan Kundera, L’art du roman
Kundera est intransigeant. Ce qui me convient parfois très bien. Surtout si je m’intéresse au texte que je suis en train d’écrire. Il ne s’agit ni d’un roman, ni d’un grand roman, ni d’un grand texte. Mais je le sais plus intelligent que moi, parce que marqué par ces autres écrivains dont il est question ici.L’intimité concerne aussi nos affinités électives.
Je n’ai pas tout lu d’Hervé Guibert. Le contraire serait terrible, puisque cela signifierait qu’il n’y aurait plus jamais de texte à découvrir. La librairie n’avait pas les Lettres à Eugène, que j’ai commandées. Après, je marquerai une pause. Pour éviter que la mort ne mette un terme à notre relation.
Jusqu’à ce que je relise, bien sûr.
L’endroit le plus érotique d’un corps se déplace constamment.
Notice biographique
Pierre-Luc Landry est né en 1984 et a grandi dans les vieilles Appalaches, au Québec. Il détient un doctorat en études littéraires de l’Université Laval grâce à une thèse de recherche-création qu’il a soutenue en 2013. Après avoir habité et étudié à Montréal, à Québec, à Alicante et à Metz, il s’est installé en Ontario; il est présentement professeur à temps partiel et chercheur postdoctoral à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa. L’équation du temps est son premier roman et a été publié par Normand de Bellefeuille aux éditions Druide en 2013.
Bibliographie
- Georges BATAILLE ([1928] 1993), L’histoire de l’œil, Paris, Gallimard (L’imaginaire).
- Roland BARTHES ([1973] 1982), Le plaisir du texte, Paris, Seuil (Points essais).
- Roland BARTHES (1987), Incidents, Paris, Seuil.
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- BROKEN SOCIAL SCENE (2002), I’m Still Your Fag, dans You Forgot It In People, CD.
- Albert CAMUS (1962), Carnets I : mai 1935 – février 1942, Paris, Gallimard.
- Albert CAMUS (1964), Carnets II : janvier 1942 – mars 1951, Paris, Gallimard.
- Albert CAMUS (1989), Carnets III : mars 1951 – décembre 1959, Paris, Gallimard.
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- André GIDE ([1926] 1972), Si le grain ne meurt, Paris, Gallimard (Folio).
- Daniel GROLEAU LANDRY (2012), Rêver au réel, Ottawa, Éditions L’Interligne.
- Hervé GUIBERT ([1977] 2009), La Mort propagande, Paris, Gallimard (L’arbalète).
- Hervé GUIBERT (1981), L’image-fantôme, Paris, Éditions de Minuit.
- Hervé GUIBERT ([1990] 1993), À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard (Folio).
- Hervé GUIBERT ([1991] 1993), Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard (Folio).
- Hervé GUIBERT ([1992] 1994), L’homme au chapeau rouge, Paris, Gallimard (Folio).
- Hervé GUIBERT ([1992] 2004), Cytomégalovirus, journal d’hospitalisation, Paris, Seuil (Points).
- Hervé GUIBERT ([1992] 2009), La Pudeur ou l’Impudeur, couleur, 62 minutes, DVD.
- Hervé GUIBERT ([2001] 2003), Le Mausolée des amants : Journal 1976-1991, Paris, Gallimard (Folio).
- Hervé GUIBERT (2013), Lettres à Eugène. Correspondance 1977-1987, Paris, Gallimard.
- Eugène IONESCO ([1962] 1973), Le roi se meurt, Paris, Gallimard (Folio).
- Milan KUNDERA ([1986] 1995), L’art du roman, Paris, Gallimard (Folio).
- Dany LAFERRIÈRE (2009), L’énigme du retour, Montréal, Boréal.
- Mathieu LEROUX (2013), Dans la cage, Montréal, Héliotrope.
- Mathieu LINDON (2004), Ma catastrophe adorée, Paris, P.O.L.
- Mathieu LINDON (2011), Ce qu’aimer veut dire, Paris, P.O.L.
- OF MONTREAL (2007), The Past is a Grotesque Animal, dans Hissing Fauna, Are You The Destroyer?, CD.
- Apostrophes du 16 mars 1990 : Le sexe homicide.
- Ex-libris du 7 mars 1991 : émission spéciale consacrée à Hervé Guibert.