Une belle journée dans « Le xixe Siècle » - Le journal au péril des amants

Par Marie-Astrid Charlier — La presse et l’invention littéraire

En 1881, plus de vingt ans ont passé depuis les amours ironiquement tragiques (ou inversement, selon) d’Emma Bovary. Sous la plume de l’ours de Croisset, « l’ironie [n’enlevait] rien [alors] au pathétique, elle [l’outrait] au contraire1 ». Pourtant, en 1881 donc, au cours d’Une belle journée, sans conteste ironique celle-là (quoique), Madame Duhamain se laisse encore volontiers entraîner par son voisin, Monsieur Trudon, pour tenter là son aventure romanesque. Drapée elle aussi dans « l’Amour-fiction2 », elle se prend en quelque sorte pour la Bovary et se pique comme elle de pimenter l’ordinaire. Si encore son aventure avait eu quelque épine, un peu de sang aurait relevé la platitude de sa journée et du rouge perlé aurait tranché dans le gris. Car très vite, cette belle journée si prometteuse s’enlise – encore que la promesse « romanesque », pour le lecteur, ne dépasse pas le titre du roman. Trudon ne cesse de réfléchir aux mots qui finiront de séduire sa belle voisine, à l’écart (prudent) de Paris, dans un des cabinets particuliers du restaurant « Les Marronniers », cabinet qu’il espère bientôt garçonnière improvisée. Il faut dire que le climat n’est guère un adjuvant et s’en mêle bientôt pour ajouter à la grisaille, la simple grisaille des amours défendues. Les tentatives de l’amant sont en effet rythmées par une pluie battante, seulement battante, bien loin d’une tempête inspirante et romantique à la Friedrich ou à la Hugo :

[…] il se demandait de quelle manière décisive il allait commencer l’attaque. […] Dans son incertitude, il inventait des procédés, tâchait de concilier l’énergie à la douceur, s’épuisait en des recherches de combinaisons qu’il abandonnait les unes après les autres. Ce n’était jamais ça et il désespérait de jamais « trouver le joint ». […] En vain, il se rappelait les romans qu’il avait lus en chemin de fer […]. Les choses de la réalité marchaient avec moins de vitesse, elles se déroulaient avec une simplicité et un calme qui rendaient les déclamations impossibles, empêchaient les grands élans, et il demeurait ahuri de la différence qu’il découvrait entre l’exaltation de la littérature et la platitude de la vie3.

Cousin du Rodolphe de Flaubert, Trudon a semble-t-il mal compris la leçon du narrateur de Madame Bovary, peut-être la seule leçon flaubertienne visible4 qui déroge à l’impératif d’impersonnalité de l’auteur. À moins qu’il ne l’ait tout bonnement pas lue – Trudon lit-il autre chose que la presse ? Comme Rodolphe, l’amant de Madame Duhamain n’a pas compris que « la parole humaine est comme un chaudron fêlé5 » ; il n’a pas compris, en effet, que « la platitude de la vie » et « les métaphores les plus vides » recouvrent ou peuvent recouvrir une « dissemblance des sentiments » ; encore faut-il savoir écouter sous ces lieux communs et saisir « entre les lignes » quelques soupirs, les mêmes qu’appelait le jeune Flaubert, doutant de ses propres phrases amoureuses quand il écrivait chaque jour à Louise Colet6. Bref, il faudrait alors comprendre que si les « mélodies » de l’autre nous font danser comme un ours, sous ses mots, il nous voulait en fait étoile (mais oui), attendrie de surcroît7. Que reste-il alors, dans les années 1880, quand on ne joue plus le jeu de « l’Amour-fiction », que ce soit par incapacité ou désillusion ? On lit le journal, en se gargarisant de ses stéréotypes, pour passer les heures d’une journée morose. Et on le lit à ce point dans le roman de Céard qu’il devient presque le tiers irréductible des relations conjugales et extraconjugales. Au triangle amoureux traditionnel mari/femme/amant, le romancier naturaliste en substitue deux : mari/femme/journal et amant/femme/journal. Autant dire que le périodique introduit une quadrature (ironique) du cercle, le cercle amoureux et romanesque, dont on ne sort pas, sinon pour attendre ici et là le numéro du lendemain.

Au tournant des années 1880, la relation entre presse et littérature, essentielle tout au long du xixe siècle, fait l’objet de quelques ironies mélancoliques dans le roman de Céard, lequel réfléchit ainsi sa propre représentation de « la vie », médiocre, banale, et son écriture des vies minuscules qui n’ont plus rien du tragique ou du dramatique des décennies précédentes. L’analyse de cette belle journée permettra ainsi de penser une relation assez peu étudiée8 du récit au support médiatique, quand celui-ci est littérarisé dans une fiction publiée immédiatement en volume sans passer par la publication périodique. Une belle journée n’est pas paru en feuilleton, de sorte que le récit n’est pas directement soumis au rythme périodique et à la coupe feuilletonnesque qui, d’aucuns l’ont montré, ont une influence indéniable sur la narration, notamment du côté du suspense et de la redondance. Cependant, le journal y est largement figuré, constitue même un motif structurant cette intrigue minimale puisqu’il accompagne la morne journée des amants ratés puis solde celle de Madame Duhamain quand, rentrée au foyer conjugal, elle trouve son mari en train de lire la feuille que l’amant de tout à l’heure a désespérément cherchée, Le xixe Siècle – et la syllepse fonctionnant à chaque mention du titre, la charge critique est claire.

Comment Céard négocie-t-il la dialectique entre « l’exaltation de la littérature » et « la platitude de la vie » qui touche évidemment à la relation récit/quotidien et roman/journal ? À quelle forme romanesque donne lieu la nouvelle représentation du temps configurée par la culture médiatique ? sont autant de questions en forme d’entrée (non exhaustive) dans le temps d’une journée et/ou d’une vie de roman. Bref, comment raconter encore quand dans le fiacre qui transporte les personnages il n’y a plus même une « baisade » « à la Bovary » ou au moins quelques soupirs amoureux, seulement une porte qui grince à cause du bois gonflé d’humidité, une bonne distance afin de surtout ne pas se toucher et le silence comme chape de plomb sur un trajet interminable ? Autant de bâtons dans les roues du roman qui engagent par conséquent une poétique des vies et des jours dans ce qu’ils ont de plus minuscule, une esthétique aussi, tournée vers l’insignifiance dont le journal est à la fois le signe, l’image et le support.

Dans les années 1880, à la suite de la Bovary qui ne cesse de fasciner, la dialectique entre la littérature et la vie semble se résoudre (ou pas justement) en alternative, la littérature ou la vie – Proust s’en serait sans doute retourné dans son lit, Sartre en aurait eu vraisemblablement la nausée. Cette alternative se cristallise alors autour de la quotidienneté, enjeu essentiel de l’écriture réaliste puisqu’elle est devenue le régime d’historicité dominant à la fin du siècle, c’est en tout cas mon hypothèse9. Topique tout au long du siècle, le décalage entre « l’exaltation de la littérature » et « la platitude de la vie » se noue désormais autour de l’idée d’un écart temporel, l’extrait cité d’Une belle journée le montre. À la littérature, la « vitesse », l’événement, la crise dramatique ; à la vie, la lenteur, le calme, l’impossibilité de l’élan et l’empêchement de la décharge lyrique. En un mot, au torrent rapide, intense et chargé du littéraire, s’oppose l’étang du « réel », ses infimes mouvements d’une lenteur à périr et sa surface bien trop lisse. Selon Céard, du moins selon Trudon, la littérature se caractérise donc par la variation rythmique et la vie par un continuum arythmique pareil à l’écoulement inexorable d’un sablier qui rappelle de manière bien trop constante et banale le memento moriou le tempus fugit des vanités. Un peu comme s’il lançait un défi à son auteur, comme un personnage et un seul « en quête d’auteur », Trudon abyme pourtant le roman de façon évidente dans l’extrait cité. En effet, si Henry Céard prend précisément pour objet la vie ordinaire et s’il parie sur l’étang plutôt que sur le torrent, sa tâche sera alors, comme Trudon avec son amante d’un jour, de « “trouver le joint” ». Inventer une liaison entre les fragments des jours qui s’écoulent sans discontinuer mais sans relief, mieux, créer un « joint » intensif et sensible, esthétique en d’autres termes, entre les heures lentes qui se succèdent, sont l’objet problématique de la belle journée de Céard. Car au moins selon sa définition minimale, le récit exige une narration cohérente et progressive fondée sur l’événement ou la péripétie, depuis une situation initiale jusqu’à une résolution. Raconter le quotidien constitue donc un risque en forme de paradoxe : privée de nœuds et de retournements, entrave aux « grands élans » et aux « déclamations », la vie, essentiellement, voire exclusivement, synonyme de quotidienneté pour Henry Céard, se présente a priori comme l’envers du récit10. Bref, un roman de la quotidienneté semble voué soit à se nier en tant que roman soit à manquer le quotidien.

Pourquoi le journal pourrait-il alors, dans le roman naturaliste, faire « le joint » entre la littérature et la vie ? Du moins, pourquoi le temps du support médiatique pourrait-il y faire (bonne) figure à côté des temps du récit et de l’histoire ? Bien entendu, l’expérience du temps à travers le quotidien, voire une écriture du quotidien, existent avant le xixe siècle, notamment dans les genres dits de « l’intime » – on pense aux Confessions de Rousseau – et même chez un Robert Chasles qui, avec les Illustres Françaises, signe ce que certains considèrent comme le premier texte du réalisme français. Cependant, c’est au début du xixe siècle qu’une véritable poétique de la quotidienneté s’invente, entre écritures journalistique et littéraire11. Les jours, le quotidien, deviennent « systématiquement » dits et racontés au jour le jour dans la presse qui va se démocratisant au fil du siècle, créant du temps partageable à la façon dont Jacques Rancière parle de « partage du sensible »12. Surtout, par là même, le quotidien devient réfléchi, objet de réflexion puis objet de représentation à part entière en tant que prisme privilégié par lequel appréhender le temps et l’histoire devenus problématiques après la grande rupture de la Révolution. À une temporalité cyclique fondée sur la longue durée d’Ancien Régime, presse et roman substituent les rythmes de ce qu’on appellera bientôt « la vie moderne » : temps du foyer, du travail, des trajets, des spectacles, etc., puis temps des loisirs à partir des années 185013, temps de lecture aussi, notamment la lecture des journaux, véritable leitmotiv du roman réaliste par où celui-ci pense la nouvelle culture de la périodicité. Prisme par lequel lire et/ou écrire le temps moderne, le quotidien, à première vue synonyme de platitude, de monotonie, d’« idiotie » pour parler comme Clément Rosset14, participe paradoxalement des multiples mises en texte du social et du « paradigme indiciaire »15 dominant la pensée du siècle. C’est ce paradoxe entre ce que l’on peut appeler un genre-signe16 et une expérience temporelle de l’insignifiance que Céard place au cœur de son roman des jours – puisque la belle journée ratée vaut en fait pour toutes et que s’y réfléchit « la vie » des « amants, [malheureux] amants ».

Une belle journée, concentré sur une portion réduite de temps, exhibe la représentation d’un quotidien-sablier faisant échec à la surprise et à l’inattendu. Alors que Mme Duhamain espérait que Trudon pourrait « lui procurer la curiosité d’une nouvelle sensation », le narrateur rapporte ses pensées au style indirect libre :

Ainsi, rien d’extraordinaire n’arrivait. La vie était plate à perte de vue ! et la banalité qu’elle croyait fuir dans cette escapade, elle la retrouvait aggravée par la crainte d’une surprise, le secret remords d’avoir commis une mauvaise action.

Ni l’un ni l’autre ne rencontrait ce qu’il avait souhaité. Un grand vide se creusait au dedans d’eux : ils n’avaient plus la notion du temps, et demeuraient dans de longs silences qui stupéfiaient le garçon du restaurant (133-134).

Si les quelques heures volées lancent un défi aux amants ratés, ce sera finalement celui de « passer le temps », tout bonnement. Et quand Trudon a essayé en vain chaque outil de son attirail de séducteur, passer le temps équivaut alors à le faire éclater en vignettes, fragments, microrécits journalistiques qu’ils se rapportent, entre deux méditations sur leur propre vie. En effet, les journaux remplissent les heures monotones des amants… et des lecteurs, soit que le narrateur décrive longuement ce qu’ils sont en train de lire selon un enchaînement aléatoire, soit que les différents articles donnent lieu à des dialogues décousus ou des commentaires divers. Trudon reste longtemps à « [donner] comme ses impressions personnelles et ses observations particulières tous les racontars niais qu’il [apprend] par cœur, quotidiennement, dans les journaux » (156). Puis il veut à toute force lire Le xixe Siècle du jour, et pour cela, sur la table du restaurant, « il [bouleverse] tous les journaux, et tout à tour, il les [prend], les [rejette] les uns après les autres » (225). Madame Duhamain, elle, rêve à leur lecture :

Les journaux illustrés lui montraient le couronnement du dernier roi, le linge sale du dernier crime, les événements de Paris et du monde, sur bois des tramways culbutés par des chemins de fer, des familles éplorées par des inondations, des naufrages gravés d’après des documents et des hommes célèbres reproduits d’après des photographies (234).

Les journaux illustrés offrent ainsi à Mme Duhamain quantité d’événements pareils à ceux des « romans-feuilletons » auxquels le narrateur faisait référence quelques pages auparavant. Ces romans-feuilletons ont également construit une image des « cabinets particuliers comme meublés d’un grand luxe, ruisselants d’or », etc. Aussi les compare-t-elle au leur, à l’étage des « Marronniers », « [promenant] autour d’elle un regard complaisant », « citant les unes après les autres toutes les pièces du mobilier » (137-139). Inlassablement ensuite, « elle [continue] de tourner les pages » des journaux, s’arrêtant aux articles de mode, aux annonces mêmes, passant vite sur les leçons de moralité bourgeoise où l’on « excusait l’adultère en même temps qu’on vantait les rendez-vous et leurs surprises » (245) – ironie de la lecture, encore une fois. Dans cette histoire, le mari n’est pas en reste. Lorsqu’il entonne « la Chanson de Mignon », accompagné au piano par sa femme, M. Duhamain la dit avec ferveur, « marquant le rythme avec son journal ». Lorsque son épouse rentre au foyer conjugal, et alors que le lecteur s’attend à ce qu’une scène de dispute ou d’aveu surgisse – une telle scène donnerait au moins rétroactivement à cette journée un air de crise sinon d’événement à partir duquel la vie serait conjuguée au « désormais » –, le mari, lui aussi, est « tout entier » à « son journal », journal qui fait littéralement rater le dénouement « romanesque » au bénéfice de l’ironie de « la vie » (Flaubert, là encore, n’est pas loin). Celle-ci reprend simplement (tristement aussi) son cours, comme si rien n’avait eu lieu, car la journée de Mme Duhamain n’a pas été le roman promis, pas même un chapitre liminaire :

Lorsque Mme Duhamain rentra chez elle, M. Duhamain était revenu de Juvisy depuis une heure. […] il attendait, lisant avec application le xixe siècle. […]

Et sans doute, ce soir-là, les articles lui en paraissaient savoureux et décisifs plus qu’à l’ordinaire, car, répondant à peine au baiser de sa femme il continua sa lecture (326).

M. Duhamain, sans lâcher son journal […] (335).

Et le xixe siècle le reprit, tout entier (337).

Par rapport aux multiples lecteurs de périodiques dans le roman réaliste, de Balzac à Flaubert en passant par les Goncourt, lire le journal dans Une belle journée, c’est carrément perdre son statut de personnage de roman, c’est perdre son rôle dans la structure de l’intrigue, le triangle amoureux en l’occurrence. En effet, amant et mari sont devenus interchangeables chez Céard puisque tous deux lisent Le xixe Siècle, c’est là l’essentiel de leur caractérisation et de leur être-personnage. Plus de « Ciel mon mari ! » ni d’amant au placard, l’un vaut pour l’autre et tous deux sont d’un ennui à périr pour Madame Duhamain ; « ensemble, ils lui [paraissent] résumer la platitude de la vie » et provoquent cette interrogation amère : « Ainsi, c’était donc ça la vie ? » (338). L’aventure n’a en effet plus rien de la fantaisie, de l’exotisme ou de l’excitant secret qui fondent une tradition littéraire aussi vieille que l’existence des « cocus » en version comique et celle des amants couchés dans un même linceul en version tragique. De part et d’autre, les yeux ne se rencontrent plus, topos de l’innamoramento, mais sont tout juste bons à rester assez ouverts pour faire passer le temps en suivant les lignes et colonnes de leur quotidien, « avec une imperturbable [et désarmante] sérénité » (332).

En outre, lorsqu’il donne lieu à des descriptions qui font écho aux « mosaïques » du journal ainsi qu’à des fragments narratifs sans lien apparent, si ce n’est l’ordre aléatoire de la lecture (« d’un article à l’autre »), ou quand il suscite des conversations pour le moins indigentes au cours de la journée, le motif journalistique met en branle le système communicationnel puisque la fréquence (la répétition) prend alors le pas sur l’ordre narratif. À ce titre, interrompue par des gouffres de silence où ils perdent significativement « la notion du temps » (134), la communication problématique entre Trudon et Mme Duhamain met en abyme celle du roman naturaliste des années 1880 avec le lecteur. Celui-ci traîne avec lui un « horizon d’attente » encore « romanesque » à l’image des romans populaires que lisent les deux personnages de la fiction. Enlisé dans le résumé ou l’énumération des articles lus, le récit d’Henry Céard déroge a priori à la loi fondamentale de tout échange, le be relevant défini par Herbert Paul Grice dans son article « Logic and conversation »17. « Parler à propos », dans et pour le roman, c’est hiérarchiser et ordonner les faits pour construire la pertinence de l’intrigue et de la narration. Mais si « rien ne se passe » dans le quotidien (le journal et la vie), comment satisfaire l’exigence minimale de pertinence de la communication ? Un pacte de lecture est-il même envisageable ? Paul Ricœur l’a montré, le récit est nécessairement « re-figuration temporelle par la mise en intrigue »18 et, tendu vers sa réception, il a charge de lier « champ de la communication » et « champ de la référence »19, et ce de façon d’autant plus capitale en régime réaliste où l’illusion référentielle est sa raison d’être. Pourtant, le quotidien peut-il seulement être parlé sans être trahi ? Maurice Blanchot l’a en tout cas affirmé au xxe siècle20. On le voit, penser ensemble récit et quotidien, pertinence et quotidienneté dans le roman du xixe siècle tourne presque à l’aporie d’un point de vue théorique. Une telle tentative doit donc s’accompagner d’une conception plus élastique de la notion de récit. Plutôt que de considérer l’ordre tel que l’a défini Gérard Genette dans Figures III comme l’élément essentiel de la structure narrative, la notion de fréquence semble un outil plus pertinent (pour le coup) pour penser l’invention romanesque de la quotidienneté et ce précisément parce que la presse lui sert là de matrice ou de support d’invention. Tourné vers la périodicité, le roman de Céard invente en effet un récit des jours ordinaires en les faisant reposer sur un travail de la mémoire et une poétique de la reprise. Autrement dit, non seulement Proust n’est pas le premier à avoir fait du souvenir « l’édifice immense » du récit, mais il n’a pas fallu l’attendre pour que la répétition soit paradoxalement au cœur de l’inventio ; les « frontières du récit »21 bougent dans le temps des médias au xixe siècle et dans le temps du roman avec lequel il interagit.

Dans son article significativement intitulé « L’actualité ou l’impasse du temps », Jean-François Têtu explique ainsi l’alternative posée d’emblée par son titre : « branchée sur l’actualité, focalisée sur ce qui se passe, [l’information] ne peut, dans sa rage à vouloir saisir le présent, que le manquer, car elle le fige sur l’objet changeant alors qu’il est dans le changement. De là vient que l’actualité oublie sans cesse ce qui était l’actualité de la veille, et s’interdit, de ce fait, de donner sens à l’événement22. » Et cela malgré une certaine permanence structurelle du journal : périodicité bien sûr, rubriques, types de nouvelles. Si l’actualité du jour a vocation à faire oublier celle de la veille, ce qui constitue une entrave à l’ambition médiatique de donner une signification aux événements, c’est alors au lecteur et à sa mémoire de reconstruire le fil des jours et la durée médiatique. Selon Alain Vaillant, « il faut [même] admettre que le journal n’est pas destiné à être lu comme un quotidien, où le numéro d’un jour remplace et efface le précédent, mais comme une publication continue par livraisons, dont le lecteur idéal devrait garder le souvenir intégral, chaque numéro constituant le chapitre d’une œuvre unique se constituant dans la durée23 ». Ainsi, l’ensemble (fantasmatique) des numéros constituerait un récit, voire un roman, divisé en une multiplicité de chapitres – seuls les Goncourt pourraient rivaliser en termes de chapitrage… Philippe Marion défend la même position quand il écrit que le lecteur modèle de récits tant fictionnels que factuels est « celui qui se souvient activement ; celui qui est capable de “rewind”. Se remémorer ce qu’il a déjà consommé du récit pour en exhumer certaines phases et leur donner un sens nouveau24 ». Cependant, le lecteur idéal ou modèle de la presse est sans doute aidé, dans son souvenir ou ses différents rewind et « avance-rapide », par l’écriture médiatique elle-même. Effets de redondance, rappel des événements, renvois à « hier » et « demain », bref, intertextualité et intratextualité sont une de ses caractéristiques essentielles. Ce pourquoi, d’ailleurs, elle est d’un ennui mortel pour certains – gare au roman quand il se pique de l’imiter, les noms « littérature industrielle » puis « paralittérature » le mettent vite en boîte. Pourtant, le roman du quotidien (réaliste, naturaliste, et consacré depuis) lui doit beaucoup.

Tandis que la journée des amants de Céard s’enlise, sur le fil de l’ennui, davantage de souvenirs surgissent qui occupent les pensées de ceux-ci. Avec les heures, gagnés par leur passé, les deux personnages font entrer certains objets et détails dans le temps de la journée et de leur histoire parce qu’ils sont porteurs d’images : ils rappellent et évoquent, entre ce qui a eu lieu et ce qui pourrait avoir eu lieu, tantôt sur le mode euphorique, tantôt dans la veine cinglante des regrets. Ces détails et objets ainsi temporalisés participent à la construction d’échos qui entament la succession lente des heures – de cette journée qui « ne finirait donc pas ! » (190) – au profit d’un temps affectif, d’une sorte d’histoire alternative déroulée en sourdine, dans le silence de l’introspection, entre deux échanges plats. Et cette histoire se déroule surtout contre l’idée de fin – de la journée, des illusions romanesques, du roman même –, un peu comme cette « œuvre [journalistique] unique se constituant dans la durée » dont la fin est toujours renvoyée sine die. Comme les romans populaires aussi, le plus souvent publiés dans la presse, participant à la culture médiatique autant que les romans entrés au Panthéon de la Littérature française. Ces romans populaires que lisent les amants d’un jour, lui « en chemin de fer » (131), elle au foyer. En effet, malgré leur redondance, leur éternel retour presque, « une insistance nous attache à elles [ces histoires populaires] et nous fait renvoyer à plus tard leur inéluctable clôture – ce savoir d’avant tout savoir enfin possédé dont elles montrent bien qu’il ne sera jamais confié, ni conquis25 ». Alors que le trajet en fiacre les ramenant à Paris semble interminable, Trudon « [entrevoit] lui aussi la fin de son aventure, et il en [vient] à souhaiter que la route démesurément allongée sous les pas du cheval se [recule] sans cesse vers un horizon qu’on n’[atteindra] jamais » (308). Bientôt, « ce mot “quitter” leur [semble] douloureux non pas tant parce qu’il [va] séparer leurs personnes que parce qu’il [va] mettre un terme à leurs rêves » (310). Renvoyer la clôture et son verbe « quitter », c’est garder encore un peu d’illusion et retarder la défaite : la belle journée n’a été qu’une journée presque ordinaire, vouée à l’oubli. Mais les plis du passé venant l’habiter permettent alors de donner épaisseur à cette journée, transformée en journée-bilan-d’une-vie afin de relever l’aventure du degré zéro du vécu et de sa nullité. Maupassant s’en souviendra en 1883 dans Une vie dont la trame, pour Jeanne son héroïne, ne tient bientôt plus qu’à une « boîte à reliques », des tas de calendriers conservés et des objets empoussiérés qu’elle ne cesse de regarder, tout au long des jours.

Cette trame seconde, l’histoire intime des amants de Céard, vautrés qu’ils sont dans l’ennui, ne peut évidemment qu’apparaître après-coup, dans le mouvement de reprise de tel ou tel motif, objet, détail, où le temps s’inscrit en palimpseste. En effet, tout en lisant le journal, Mme Duhamain et Trudon feuillettent à leur gré sur la ligne du temps et font du quotidien un parcours, un trajet, à travers lequel le temps se spatialise à l’image des pages qu’ils tournent. Ce feuilleter quotidien fait ainsi craquer le vernis du temps monumental (celui des horloges et de l’Autorité) analysé par Ricœur à propos de Mrs Dalloway26 puisqu’ils en « [perdent] la notion » (134) ; un feuilleter où s’invente le seul « joint » possible d’un roman moderne et contemporain de la quotidienneté. En effet, toujours au restaurant « Les Marronniers » – les marronniers journalistiques, bien sûr, résonnent –, les amants ont fait de l’énumération une arme redoutable et efficace pour tromper le temps (à défaut, pour Mme Duhamain, de véritablement tromper son mari) ; de la même façon, donc, Henry Céard trompe le récit. Les amants tentent de faire le tour du jour grâce au trajet aléatoire entre les rubriques que le narrateur résume sous la forme de l’énumération-accumulation, exprimant là le caractère innombrable des « petits faits » d’un jour et exhibant leur nivellement dans la presse. Lire Le xixe Siècle du jour, comme on lisait « Le Siècle du jour » dans L’éducation sentimentale de Flaubert, est à cet égard éloquent, par syllepse de sens, puisqu’un jour est à ce point étalé, délayé, qu’il prend la dimension d’un siècle. Le romancier transforme donc là une caractéristique stylistique de la presse, l’énumération, en poétique d’épuisement des heures où sont engagés les fameux joints du récit. On l’a vu avec les multiples descriptions des journaux qui traînent au restaurant. Par imitation, les échanges verbaux de Trudon et Mme Duhamain prennent l’air du journal, imitent son style. La parole quotidienne devient ainsi une simple vocalisation de la presse écrite :

Hommes et femmes, le calendrier défilait, en entier. Il énumérait les saints et les martyrs, les confesseurs et les vierges, des sonorités barbares passaient dans la fumée des plats chauds, sur la table. Puis d’autres leur succédèrent […] des prénoms qui venaient des romans de George Sand, des boléros de 1830 et des couvertures de polkas-mazurques. […] et finalement, il s’enthousiasma pour le nom de Marie, un nom délicat, dont l’anagramme aimer, était plein de tendresse (141-142, je souligne).

Cette énumération (toute médiatique) de noms qui « [font] rêver » pourtant, qui ont « leur poésie », est immédiatement suivie dans le texte du souvenir du bal où Mme Duhamain a dansé avec Trudon, juste avant leur rendez-vous pour la belle journée :

Dans une apparition d’un instant, le Salon des Familles flamba de toutes ses lumières, sonna de tout son orchestre. Une involontaire et soudaine évocation lui fit revoir des particularités oubliées, des personnes dont elle ne savait pas les noms mais dont elle reconnaissait les visages […]. La joie flottait éparse dans la poussière ; elle lui revenait à la mémoire cette mélodie languissante de piston, cet air de nervosité et d’extase pendant lequel Trudon l’avait embrassée. Et ces choses-là lui semblaient très douces, étant très lointaines (144-145).

« Par une suite biscornue d’association d’idées », le récit passe d’une énumération de noms sans rapport au souvenir du bal, par l’intermédiaire en fait des signifiants « boléros » et « polkas-mazurques », ces détails « significativement non signifiants » disait Roland Barthes, jetés par Trudon sans lien avec ce qui précède, si ce n’est rythmer la conversation (en la remplissant). L’insignifiance et son style, dont l’origine médiatique est clairement désignée par Céard, déplient ainsi le temps vécu (ou non vécu justement, pas tout à fait) et constituent alors le « joint » nécessaire au romancier pour écrire la quotidienneté. En faisant passer letemps, le journal donne du temps à la parole intérieure au cœur même des jours insignifiants, une parole qui trouve alors à palpiter en silence en faisant surgir des pans oubliés de la vie. À la faveur de la lecture, certains moments font retour et finalement événement par contrecoup. À la fin du siècle, là se loge désormais le romanesque et l’on comprend dès lors que monologue intérieur et stream of consciousness ne tarderont pas à renouveler le genre, dès 1887 avec Les lauriers sont coupés d’Édouard Dujardin. Dans le roman de Céard, on comprend également que le journal, en donnant espace et temps à la vie intime, fasse finalement craquer ce temps monumental que Clarissa, dans Mrs Dalloway, lézardera par le flux de ses pensées intérieures. En effet, se rappeler un pan du passé, y revenir, sauve de l’oubli et sauve les amants, certes à contretemps. Le paradoxe est là : le rewind appartenant au paradigme médiatique porte la chance de l’être et du roman à une époque enferrée par ailleurs dans la prose et la banalité de la parole quotidienne, c’est-à-dire les lieux communs du journal. Mais, au risque du stéréotype, il ne reste pourtant plus que ce rewindquotidien pour servir d’« édifice », plutôt minuscule qu’immense, au récit, à une journée, à « la vie » en somme – n’est-ce pas d’ailleurs le journal qui permet aux amants de se désennuyer quelque peu ? – :

[…] des attendrissements leur venaient pour ces choses passées, et l’ennui de la journée s’en allait, oublié et comme dissous par la douceur des souvenirs. Tendrement, ils s’épanchèrent. Ensuite, ce fut le bal, elle perdait son soulier, ils avaient valsé ensemble : plus tard, au petit jour, il lui avouait sa passion (313-314).

La « leçon » de la belle journée est donc à première vue bien plus pessimiste que celle du narrateur flaubertien qui au moins accusait Rodolphe. À quoi bon un amant s’il n’est qu’un avatar du mari ? À quoi bon « l’escapade » si elle se solde par un retour à l’identique ? À quoi bon enfin l’aventure si elle n’est pas consommée et actualisée et reste alors sur le seuil de la péripétie (romanesque) et de l’événement (intime) ? Car, de retour au ménage, c’est le journal, et lui seul, par le bruit de ses pages, qui porte in fine la péripétie, du moins la crainte de la péripétie en jouant comme signe des dieux modernes ou fatum de papier dans les mains de son mari : « Le papier du journal de temps en temps retourné se froissait avec un léger bruit qui l’emplissait de terreur : elle croyait y déceler des menaces » (326). En faisant son héroïne attentive à la matérialité du journal, reçue par elle comme indice de péripétie dernière (première en fait) et de crise imminente (enfin !), Céard déplace ironiquement (férocement aussi) la leçon de l’aventure manquée, donnée quelques pages auparavant : « La sagesse, sans doute, aurait consisté à ne point s’en défendre [d’un bonheur], à en jouir désespérément, tel qu’il se présentait » (322-323). Saisir la circonstance, ne pas vouloir faire de l’idéal avec de la contingence puisque seule « la matière procure des jouissances immédiates ». En 1881, donc, et pour Henry Céard, Emma est bel et bien enterrée et tous les « chaudrons fêlés » avec elle. Ce que Mme Duhamain n’a pas su faire avec sa journée romanesque, saisir la péripétie et sa matérialité, se refusant à son amant tout au long du jour, elle le fait finalement au simple et conjugal froissement d’un journal. Son feuilleton rêvé, elle ne l’aura eu qu’à l’intérieur des journaux de l’époux. La dernière heure de la journée, sur laquelle se ferme le roman, est éloquente à cet égard :

M. Duhamain, toujours impassible, replia méthodiquement le xixe siècle et le déposa sur la table de nuit en forme de chiffonnier. […]

Et le ménage sans caresses, le ménage sans désirs s’assoupit doucement, mêlant ses souffles, tandis que le balancier de la pendule avec son va et vient raccourci, emplissait l’ombre de la chambre du battement continu des heures monotones (325).

Peut-être Madame Duhamain s’est-elle trompée de personnage ou peut-être qu’elle n’a pas choisi le bon roman. Henry Céard ferme en tout cas le sien sur un « à suivre ». Car la belle journée, par écho, au hasard d’une autre liste journalistique et d’autres feuilletés de temps, reviendra peut-être « marquer le rythme » d’un autre jour, d’une autre fois. L’espoir, s’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là. Un espoir qui a le sourire doux-amer de l’héroïne : « Telle était l’aventure au souvenir de laquelle Mme Duhamain souriait ironiquement avec une sorte de pitié aiguë » (346). « Telle était » cette histoire à laquelle Céard donne des allures de conte en forme de pointe finale. Un conte dégradé qui n’a rien eu d’exotique. Initiatique, il l’a été sans doute : rien ne sert de se laisser conter fleurette puisque la parole amoureuse n’a plus rien des étoiles bovaryques, elle fait seulement danser les ours ; en d’autres termes, elle n’est que quotidienne, que fleurs de rhétorique (journalistique). Mais c’est là sans doute la seule magie qui reste, « la magie grise27 » du quotidien, où les jours sont peut-être, pas sûr, une « féérie pour une autre fois ». À « l’ère médiatique », entre presse, roman réaliste ou naturaliste et roman populaire, « la répétition est belle. Je ne demande que ça, que ça continue et recommence. […] La variation existe – ce n’est jamais à cinq heures la même marquise, mais son air ne trompe pas. […] Un désir de pérennité trouve ici enfin à se satisfaire, un désir de redondance et de rengaine28 ». À la lueur du souvenir que Mme Duhamain rappellera peut-être « dans la chambre » pérenne quand Monsieur aura « éteint la lampe » (345).

Voilà le versant de cette histoire d’un jour. Sur celui du récit, le journal, même in absentia, même sans être support de publication, ouvre le roman au rythme et à la fréquence. Contrairement à l’ordre et puisqu’on « [perd] la notion du temps » chez Céard, la fréquence multiplie les combinaisons possibles, permet la création et la recréation de rapports temporels où s’établit une durée subjective, donc, une histoire, quand elle ne serait qu’intérieure. En somme, saper l’ordre au profit de la répétition, c’est ouvrir à l’épaisseur et aux plis du temps ; c’est, à partir du temps moderne éclaté en des lieux (communs), spatialisé à l’image de la page du journal et de ses rubriques, inventer une liaison inédite entre le roman et les jours. Que ce soit au prix de « l’Amour-fiction » et d’une chute grandiose qui laissait un « affreux goût d’encre » littéraire et romanesque dans la bouche d’Emma et du lecteur avec elle, c’est bien le signe que l’écriture du quotidien s’est logée au cœur des jours, par une belle journée qui vaut en fait pour « une vie ». C’est cela même « ce que nous vivons, le reste, tout le reste » qu’appellera Georges Perec29, cela même qui reste et insiste écrit ici Céard. Et l’on ne demande finalement que ça, comme Trudon et Mme Duhamain, « que ça continue et recommence ». Parce que si l’air de la Marquise Roman ne change pas assez pour faire véritablement peau neuve chez Céard, c’est que, comme « la vie », elle est belle en ses lancinances et ne s’offre que reprise.

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  • VAILLANT, Alain, L’Amour-fiction. Discours amoureux et poétique du roman à l’époque moderne, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes (Essais et savoirs), 2002.

Notes de bas de page

  1. Lettre à Louise Colet, le 9 octobre 1852, dans Gustave Flaubert, Correspondance, t. ii, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1980, p. 172.
  2. L’expression est empruntée à Alain Vaillant, L’Amour-fiction. Discours amoureux et poétique du roman à l’époque moderne, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes (Essais et savoirs), 2002.
  3. Henry Céard, Une belle journée, présenté par C. A. Burns, Genève, Slatkine, 1980 [Charpentier, 1881], p. 129-131. Je souligne. Les renvois à cette édition seront désormais donnés dans le corps du texte, entre parenthèses.
  4. Le 9 décembre 1852, Flaubert écrit à Louise Colet : « L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, visible nulle part », dans Correspondance, t. ii, op. cit., p. 204.
  5. Gustave Flaubert, Madame Bovary, édition de Jacques Neefs, Paris, Le Livre de Poche, 1999 [1857], p. 301.
  6. Le 4 août 1846, à « minuit », le jeune amoureux écrit à Louise Colet : « Il me semble que j’écris mal ; tu vas lire ça froidement ; je ne dis rien de ce que je veux dire. C’est que mes phrases se heurtent comme des soupirs ; pour les comprendre il faut combler ce qui les sépare l’une de l’autre ; tu le feras n’est-ce pas ? Rêveras-tu à chaque lettre, à chaque signe de l’écriture ? », dans Correspondance, t. i, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1973, p. 273.
  7. Voici la leçon flaubertienne : « Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. […] comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. », dans Madame Bovary, op. cit., p. 301.
  8. Si l’on excepte l’article de Marie-Ève Thérenty, « Le journal dans le roman du xixe siècle ou l’icône renversée », dans Le roman du signe. Fiction et herméneutique au xixe siècle, Andrea Del Lungo et Boris Lyon-Caen (dir.), Saint-Denis, PUV (Essais et savoirs), 2007, p. 25-37. Et l’ouvrage de Guillaume Pinson, L’imaginaire médiatique. Histoire et fiction du journal au xixe siècle, Paris, Classiques Garnier (Études romantiques et dix-neuviémistes), 2012.
  9. La notion de « réalisme » ne sera pas ici bornée au mouvement littéraire du milieu du xixe siècle, mais envisagée comme un régime de représentation qui traverse tout le siècle depuis Balzac. On se reportera ici à l’ouvrage de Philippe Dufour, Le réalisme, Paris, PUF, 1998.
  10. Marie-Pascale Huglo observe ainsi : « Si raconter le quotidien pose la question du récit, c’est que la vie de tous les jours dans ce qu’elle a de plus commun se tient en deçà de l’événement, en deçà même du remarquable : l’ordinaire du temps est tissé de parcours usuels, d’actions prévisibles, d’incidents aléatoires, de moments déconnectés les uns des autres. En cela, le quotidien contreviendrait à l’ordre du récit et aux attentes qu’il suscite : peut-on encore parler de récit à partir du moment où l’événement transformateur se trouve évacué pour laisser place à des gestes, des motifs, des impressions ou des incidents infimes dépourvus de conséquences ? Si l’on définit le récit comme agencement narratif cohérent d’ordre événementiel, il semble plutôt voué à rater le quotidien », « Présentation », dans Temps zéro, dossier « Raconter le quotidien aujourd’hui », n° 1 (2007).
  11. Voir l’ouvrage de Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien, Paris, Seuil (Poétique), 2007.
  12. Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
  13. Alain Corbin, L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Flammarion (Champs histoire), 1995.
  14. Clément Rosset, Le réel. Traité de l’idiotie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1977.
  15. Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes et traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989.
  16. Voir à ce propos Andrea Del Lungo et Boris Lyon-Caen (dir.), Le roman du signe. Fiction et herméneutique au xixe siècle, op. cit.
  17. Herbert Paul Grice, « Logic and conversation », dans Syntax and semantics, vol. iii, Peter Cole et Jerry L. Morgan (éd.), New York, Academic Press, 1975, p. 41-58.
  18. Paul Ricœur, Temps et récit, t. i, Paris, Seuil (Points), 1991 [1983], p. 137. Il s’agit du chapitre consacré à « la triple mimesis » sur laquelle le philosophe fonde son analyse des relations entre temps et récit.
  19. Ibid.
  20. Voir son article « La parole quotidienne », dans L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 355-367.
  21. Gérard Genette, « Frontières du récit », dans Communications, n° 8 (1966), p. 152-163.
  22. Jean-François Têtu, « L’actualité ou l’impasse du temps », dans Sciences de l’information et de la communication, Daniel Bougnoux (éd.), Paris, Larousse (Textes essentiels), 1993, p. 721.
  23. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836, l’an I de l’ère médiatique. Analyse historique et littéraire de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2001, p. 58. Alain Vaillant a rédigé la partie d’où est extraite la citation.
  24. Philippe Marion, « Métaphore et narrativité », dans Recherches en communication, n° 2 « La métaphore (ii) », 1994, p. 21. Pour bien comprendre cette capacité de rewind, ses enjeux surtout, on peut penser à Krapp, le personnage de La dernière bande de Samuel Beckett, qui passe son temps à réécouter d’anciens enregistrements et à en faire de nouveaux.
  25. Charles Grivel, « Populaire, infiniment parlant », dans Le roman populaire en question(s), Jacques Migozzi (dir.), Limoges, PULIM, 1997, p. 524.
  26. Paul Ricœur, Temps et récit, 2. La configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil (Points), 1991 [1984], p. 192-212.
  27. L’expression est empruntée à Bruce Bégout, La découverte du quotidien, Paris, Allia, 2005.
  28. Charles Grivel, « Populaire, infiniment parlant », art. cit., p. 533.
  29. Georges Perec, « Approches de quoi ? », dans L’infra-ordinaire, Paris, Seuil, 1989, p. 11.