Il n’y a plus de mots

Par Flôrilène Cloutier-Loupret — Amalgames. Les auteurs écrivent au bâton de colle

Il n’y a plus de mots
Les pavés claquent sous le silence terrible
Les langues sèchent et tombent
Se fracassent contre le carrelage
Le soleil se lève et se couche
Sans être nommé ni salué
Les mains se frôlent irréelles
Comme les ailes de saisons fanées
Les moissons laissent un goût de chaume dans la bouche
Une chaleur inconfortable
Une douleur qui ne se dit pas

Il n’y a plus de mots
Qu’un silence épais où se noient les jours
Après des nuits d’amour glaciales
Qu’un lent oubli acérant ses lames
Sur les rochers déjà salés
Pour les enfoncer au cœur des choses

Une glaise opaque commence à tout recouvrir
Les aurores, l’horizon, les branches délicates des jeunes saules
Le monde se pétrifie tranquillement
Il ne reste plus que des gerbes d’étoiles
Pour briller à la place des yeux
Qui parfois émergent dans la boue et les larmes
Retrouvent le ciel à travers une crevasse

Il n’y a plus d’humains
Que des astres éteints
Des pierres impassibles qui ne rêvent plus d’aucune lumière
La lune gonfle et se contracte
Les eaux gonflent et se contractent
Il n’y a plus personne
Pour dire il vente ou il neige
Personne pour dire il pleut c’est le printemps
C’est le matin amour
Il n’y a plus de mots pour dire
Hirondelles oies et caribous
Ils dorment avec l’ours toute l’année
Dans des cavernes de silence

Il n’y a plus de mots
Il n’y a plus de peuple porté par sa voix
Plus d’archipels brodés d’opalines et de turquoises
Plus d’hymnes ni d’étendards
Ni le moindre vent pour les mener plus loin
Plus aucune raison d’être fier
Plus aucune raison de mourir
Plus de mots.